GANGRÈNE DU SYSTÈME
--> La barbarie sans entrave est devenue la norme
Le fonctionnement de la société a fondamentalement changé depuis 1968, mais pas sa contestation, qui n'a pas compris les conséquences de cette mutation, l'empêchant d'effectuer le changement de perspective nécessaire à l'émergence d'un mouvement de transformation radicale.
L'internationale s'est réalisée dans la mondialisation et l'abolition de
l'État est en cours, ayant déjà perdu tout contrôle sur l'économie et
la finance. Les politiques gèrent au jour le jour un fonctionnement qui
leur échappe, en justifiant très mal leurs mesures de rafistolage. Ce
sont des escrocs bonimenteurs, et la contestation marche dans les pas de
leurs embrouilles, se rendant complice de l'arnaque générale mal
dissimulée par sa représentation spectaculaire.
La perte de sens et de sensibilité qui découle de cette anesthésie
générale, accélère le processus de putréfaction du tissu des relations
dans une apparence abracadabrantesque de cohésion — chacun pour soi et
contre tous, à celui qui rafle le premier les restes à porté de main, et
bouffe son voisin avant d'être mangé tout cru, pille le système avant
qu'il ne soit trop tard... Les grands charognards insatiables débordent
d'agressivité. La barbarie sans entrave est devenue la norme.
Tout juste accompli, le nouveau capitalisme se dévore lui-même.
L'économie saccagée est dépouillée par une finance opulente, surexcitée
par l'abondance d'un gain trop facile. Le ralentissement excessif de la
circulation des échanges marchands aboutit à des obstructions locales,
jusqu'à l'embolie. La gangrène s'étend toujours d'avantage. Ses
mortifications se répandent, favorisant la propagation de nécroses dans
un système qui sombre progressivement dans un coma inévitable.
L'affaire de la crise grecque a répandu dans le monde son odeur fétide
de putréfaction. Elle s'est révélée lorsque les agences de notation,
dont les plus gros clients sont des fonds spéculatifs et des banques
d'affaires, ont changé leurs notes basée sur leur propre estimation des
risques ou des opportunités, quand ils ont découvert qu'une partie de la
dette avait été caché sur les conseil de la banque d'affaire Goldman
Sachs, devenue une des première mondiale grâce à ses truanderies dans la
"bulle internet" et avec les "subprimes". Contrairement aux apparences,
ce n'est pas à cause de sa dette que ce petit pays fragile et rebelle,
s'est fait piéger. Celle du Japon dépasse les 200% de leur PIB. Le
montant de la dette des États Unis est 40 fois supérieure à celle de la
Grèce. La dette était un prétexte spéculatif. Certains affirment que
c'était l'Euro qui était la cible de cette attaque, afin de permettre un
rééquilibrage par rapport au Dollar, voir une parité, et prendre au
passage des gains faramineux sur le marché des changes, grâce à l'effet
de levier qui permet de miser jusqu'à 100 fois sa mise et de la doubler
en trois mois.
Ces opérations spéculatives effectuées par des fonds américains sur la
dette grecque ont montré au reste du monde que des financiers et des
banques d'affaires pouvaient forcer un État à changer de politique, afin
d'imposer une rigueur d'exception et appauvrir brutalement la
population. Dans la jungle des prédateurs, l'exploitation de la pauvreté
reste le meilleur moyen de s'enrichir.
Mais ce plan ne réduira pas la dette de la Grèce. Baisser les salaires
et réduire les aides sociales va provoquer une réduction de la
consommation, donc de la croissance, si ce n'est une régression, qui
aura pour effet de diminuer les recettes de l'État, donc en fin de
compte d'augmenter sa dette. Le but de ce coup tordu est bien de réduire
les salaires en période de crise économique, pour maintenir les marges
sur les plus-valus, les dividendes versés aux actionnaires, selon la
règle des 15% de retour sur fonds propres. C'est le coup d'envoi d'un
processus général de réduction progressive des salaires et des aides
sociales, déjà suivi par l'Espagne, le Portugal et bientôt l'Italie...
sur les traces de l'Argentine.
Cette affaire grecque sonne comme un avertissement à tous ceux qui ne
voudraient pas se plier aux exigences de la haute finance. Le berceau de
la philosophie va sombrer juste pour l'exemple.
Le crédit sert à faire du crédit qui sert à faire du crédit... ce qui
permet de parier sur les dettes futures et de jouer avec le risque des
autres. Ce sont des produits dérivés, ou produits toxiques, qui
transforment les créances en titres financiers négociables sur un marché
secondaire, de gré à gré, de particulier à particulier, d'ordinateur à
ordinateur. Et pour être plus tranquille, cette titrisation est monté,
par petits paquets mélangés pour embrouiller les cartes, dans des
paradis bancaire, fiscal et réglementaire. Ceci crée une masse monétaire
privé parallèle dont les volumes défient l'imagination. Il s'agit de
crédits-dollars qui représentent 88 % des liquidités monétaires
mondiales, soit 942 % du PIB mondial. Les gigantesques richesses
accumulées à partir du capital disparaissent ainsi de la circulation
officielle et deviennent invisibles.
À trop parier sur les risques futurs, se crée un système qui génère
toujours plus de risques, dont certains profitent abondamment tant que
le système ne s'emballe pas.
Suite à quelques tentatives politiciennes de régulation des marchés
financiers, cette attaque contre un petit pays retentit dans le monde
comme un coup de semonce envers toute tentative de contrôle sur leurs
trafics, affirmant haut et fort que le nouveau capitalisme n'a d'autre
règles à respecter que celle des financiers et de leur succursales
bancaires, sans foi ni loi, et surtout sans limites. Tout est prêt pour
échapper à toutes réglementations, des paradis réglementaires et fiscaux
aux dark pools (boîte noire), des produits dérivés aux crédits-dollars,
des marchés de gré à gré au trading haute fréquence...
La finance n'obéit qu'à ses propres exigences de rentabilité, tous les
coups sont permis. En quelques années elle a complètement assujetti
l'économie en se rendant indispensable par sa gestion des risques que
par ailleurs elle fomentait, raflant au passage les bénéfices de
productivité et la plus-value du capital.
Fort à parier que la prochaine bulle éclatera plus vite qu'apparaîtra la
croissance.
La gangrène se propage dans un système livré à lui-même, sans réelle
gouvernance, qui impose les contraintes implacables nécessaires aux
affaires maffieuses de financiers multi-milliardaires, libre de piller
ce qui reste d'un monde en décomposition.
Lukas Stella
http://inventin.lautre.net