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Francisco Ferrer : ses idées, son idéal

La pensée intime de l’idéal qui guidait Francisco Ferrer pour l’élaboration de son œuvre, ne peut, sous de vains prétextes, être passée sous silence.

Chaque fois que je me plais à rappeler l’homme que fut cet idéaliste, les paroles qu'il exprimait peu de temps avant d'être fusillé, me reviennent toujours à la mémoire.

Je ne puis que m'inspirer des dernières dispositions testamentaires que Francisco Ferrer dicta avec un tranquille courage, en ces heures déjà, où pour lui toute espérance d'être rendu aux siens était devenue illusoire.

Mais n'a-t-on pas été jusqu'à prétendre, afin de lui nuire, que Francisco Ferrer était anarchiste ?

L'auditeur général, faisant la critique de l’Ecole Moderne, affirmait que :

1° que Ferrer a consacré les énergies et toutes les activités de sa vie au triomphe de la révolution ;

2° qu'il s'adonna à la propagande anarchiste et à l’enfan­tement de la révolution sociale ;

3° qu'il a été le vrai chef des anarchistes, nihilistes et liber­taires espagnols.

Ces accusations qui lui font honneur, certes, ont un fonde­ment, mais elles sont formulées avec tant d'arrières pensées et mêlées à tant de mensonges et de calomnies, que nous nous refu­sons d'accepter les vues de cet auditeur général, pour qui la compréhension de l'anarchie dépasse les bornes de son intelligence.

Car pour ce quidam, comme pour tant d'autres de ses com­pères, voire tous ceux qui emboîtent le pas sur ces traverses de l'imbécillité, l’anarchie n'est pour eux que terrorisme, propagande par le fait, bombes, dynamite. De cette noble philosophie élaborée ­à travers les siècles par les penseurs, philosophes et savants, ils ne connaissent rien et veulent tout ignorer.

Lors d’une conférence, Alfred Naquet, soulevant fort à propos le cas de Ferrer anarchiste, affirmait que tout en n'appar­tenant point à cette école, il en admirait la doctrine.

Ferrer était anarchiste au point de vue des conceptions géné­rales, c'est-à-dire qu'il se réclamait de cet « idéal sublime dont nous devons toujours nous efforcer de nous rapprocher si même nous n'avons pas l'espérance de l'atteindre complètement ». Et ajoutant :

« A coup sûr, il avait une foi profonde dans l'avenir de l'humanité affranchie ; et il ne voyait que lisières et entraves malfaisantes dans les réglementations de toutes sortes qui ligotent l'individu, même dans les pays les plus libres.

Ce qui est certain, c'est que, comme homme politique, il détestait les embrigadements, les coteries, les chapelles ; qu'il croyait surtout à l'efficacité de l'action individuelle, et que, partant de là, et recherchant dans quel domaine son action propre pourrait être la plus féconde, étant données ses aptitudes particulières, il s'était confiné sur le terrain de l'éducation. »

Mon intention n'est pas d'exposer cet idéal anarchiste, j'in­siste parce que Ferrer a manifesté dans toute son œuvre, dans toute son activité et dans ses écrits des conceptions qui rallient la philo­sophie exposée et exprimée par ceux qui se sont réclamés de l'anarchie.

Ce n'est donc point dans l'intention de chicaner ou de polé­miquer que je précise, car je n'ai point l'intention de revendiquer pour telle ou telle « chapelle » politique ou philosophique la mémoire du disparu ; au fond les étiquettes importent peu, partis et sectes, trop souvent autoritaires et dogmatiques, divisent les cœurs généreux qui pourraient parfois s'entendre.

Mais il est indispensable ici de rappeler quelques faits et gestes.

On connaît peu de la vie du jeune Francisco Ferrer et moins encore son évolution vers les idées libertaires, de cet adolescent que son patron républicain a commencé à entraîner dans ses tournées à la découverte d'un monde nouveau et du même coup sur les chemins de la perte de la foi religieuse.

Jeune commis à la vente des draps, le voici entré en relation avec toute une société inconnue pour lui jusqu'à ce jour. Il se lie avec des hommes au travail rude, prend contact avec eux, et connaîtra ainsi bientôt les salaires misérables de ce monde du travail qui, dans des entreprises démoniaques, s'épuise, s'empoi­sonne, pour finalement devenir phtisique.

Dans le « Club », où Francisco Ferrer accompagne son « patron », il assistera aux discussions sans fin, parlottes où chacun se plaît à faire valoir son point propositions de réforme qu'on avance pour le plus grand bien des exploités.

Francisco Ferrer, je le redis, s'efforce de s'initier aux inno­vations, désire consulter les auteurs Bakounine, Karl Marx, Kropot­kine, Jean Grave, Elisée Reclus. C'est des écrits de ces pionniers que Francisco Ferrer va tirer de quoi édifier son « socialisme humanitaire ».

Cet adolescent se forme à l'école de la vie et à celle de l'étude. Au « Club » il est toujours intentionné de discuter ce qui se débat. Fréquentant les réunions - période des élections muni­cipales, législatives - il écoute les sottises débitées par les batte­leurs de la politique, manœuvriers électoraux, hommes de toutes les compromissions, de toutes les corruptions du système vicié d'un régime parlementaire abusif.

Ainsi il constate le manque d'éducation du peuple qui se laisse tromper par ces phrases pompeuses et vides de sens.

C'est ici que se précise une époque qui marquera dans l'his­toire sociale de l'Espagne. Fanelli s'en est venu dans la péninsule ibérique. Il est « envoyé » par Bakounine pour organiser une nouvelle section de la Première Internationale. L'Alliance Ouvrière ne tarde pas à être fondée, et Francisco Ferrer entrera « en rela­tion » avec Anselmo Lorenzo, flirte avec les idées d'action directe des Forga Pellicier, glisse vers l'anarchie et fait connaissance des adeptes de celle-ci, il dira, sans jamais en démordre, que les anar­chistes sont avant tout des « idéalistes révoltés par l'injustice sociale».

En 1878, alors qu'on assistait à une recrudescence d'attentats à Barcelone, Francisco Ferrer dira, au sujet de ces jeteurs de bombes : « C'est leur façon de tirer la sonnette d'alarme ».

Il faut ne rien connaître en la lutte sociale pour s'offusquer de telles réflexions, qui sont le reflet d'une jeunesse mûrie au contact des révoltes que suscite la misère.

Puis c'est l'échauffourée de Villacampa et l'échappée vers l'exil, car une fois la partie perdue, Francisco Ferrer ira vivre à Paris.

Placier pour un marchand de vin, gérant d'un restaurant nommé « Libertad », le voici bientôt lecteur du « Cri du Peuple », du « Père Peinard », voici la rencontre avec Charles Maloto, fils d'un déporté de la Commune, ils deviennent de bons amis.

Le restaurant « Libertad », c'est le refuge des exilés, surtout les faméliques. Ils vont bientôt occuper l'essentiel de la salle du restaurant, discuter, parloter, faire du bruit et oublier de régler leur dû...

Le « Libertad » ne tardera pas à se vider de sa clientèle première et d'autant plus que la police n'a pas manqué de faire une descente après l'attentat Duval.

De l'essentiel de tous ces renseignements que j'extrais du livre de Sol Ferrer sur son père, je veux reproduire cette page significative qui révèle ce que n'a cessé d'être Francisco Ferrer.

« Il lit... Que ne lit-il ?

En dix-huit mois, le jeune exilé a fait le tour, crayon en main, de toute l’extraordinaire floraison socialisante, libertaire qui s’épanouit depuis cinquante ans sur le vieux monde et trouve en France et en Angleterre son terrain le plus favorable. Fourrier, Proudhon, les précurseurs, William Godwin, l’auteur des « Recherches sur la Justice en Politique », Stirner, dont « L’Unique et sa Propriété », qui date de 1844, vient de ressusciter de l’oubli ; Marx et Engels, vieilles connaissances, Tucker, beaucoup moins sectaire, dont les articles de la « Liberty » sont reproduits ou critiqués dans le « Révolté », que Jean Grave a hérité de Reclus ; Nieuwenhuys, César de Paepe, Malatesta - Que Malato va bientôt lui faire connaître en personne - Cafiero, Jean Marestan. Ajoutez les deux grands russes, Bakounine et Kropotkine, pour lesquels il rompt les lances à l’abbaye de Thélène ou à la taverne du Panthéon (avec une prédilection marquée par le second « tellement moins haineux ») dans un petit cercle où se coudoient ses amis français (Malato, Paraf-Javal, le fils Salmeron, etc.) Plusieurs, du cénacle, épouseraient « l’humanitarisme » de Tolstoï, dont Ferrer déteste au contraire la propension à « tendre l’autre joue », si opposé à la fierté native du Catalan.

Tous, ou presque, les auteurs qu’on révère-là sont des « anarchistes », n’en déplaise à R. Zorilla. Et « anarchistes » aussi les maîtres que mon père sent le plus près de son cœur : Reclus, qu’il brûlerait de toucher, et Jean Grave, qu’il va visiter. On imagine mal aujourd’hui ce que furent les vingt ans qui suivirent la guerre de 70. Déjà, le régime capitaliste avait fait la preuve de ses tares et de son impuissance, s’était montré fauteur de misère et d’entre-tuerie. Cependant il avait triomphé, par la défaite de la Commune, confirmant l’écrasement des « hommes de 48 ». D’où une vague de désespoir passant sur le peuple incapable d’arracher de vraies conquêtes, jetant à bas  tous ses espoirs de justice et de fraternité. Les intellectuels s’aigrissaient. Le retour désemparé des déportés de 71 jetait sur le pavé de Paris un ferment de vengeances. Il se reformait en coulisse un prolétariat revanchard qui, sentant la route barrée vers le mieux-être indispensable, préférait faire sauter l’obstacle. Sauter qui ? C’était l’époque typique des lanceurs de bombes, ceux-là que Ferrer avait déjà vu à l’œuvre dans son pays. Quelques poignées d’hommes de toutes les origines, soudés par la rancœur, gens d’action ou théoriciens, parfois une vraie pègre, cambrioleurs, assassins ou violeurs de sépultures, comme – selon certains – Ravachol, souvent une « élite » en son genre susceptible des gestes les plus nobles et des paroles les plus magnanimes, comme – peut-être – ce même Ravachol devant qui, à l’heure de l’échafaud, s’incline respectueusement une partie de la France pensante, tandis que l’autre répand sur lui l’infamie et l’exécration. »

Ferrer n'est pas que miroir et reflet, il rayonne aussi de lui-même ; il analyse et il vibre ; il invente et il déduit. « Anar­chiste» oui, si l'on entend qu'il répugne à toute directive qu'il n'ait discutée en lui-même. Nul homme ne fut plus indépendant.

« A certains moments, il irait, aux extrémités de l'audace. Dans les bas-fonds d'une capitale, il voit de près les méfaits d'une société déséquilibrée, troublée, dont les chefs capitalistes, cherchant le vent, sont prêts à souscrire au despotisme du sabre. (Ce sont les années du Boulangisme.) Il observe autour de lui les mêmes vices intolérables qui, enfant, le soulevaient déjà de rancœur dans la banlieue barcelonaise. Malato fait une enquête sur le « Calvaire du prolétariat ». Il emmène mon père. Ils se rendent aux forges de Montataire, où ils voient des chargeurs, lapidés à l'instant de fermer leur trappe, des fondeurs dont l'organisme est si desséché qu'il leur faut absorber vingt litres d'eau par jour. A côté, à Creil, aux verreries, où des misérables se traitent eux-mêmes de « viande à feu », ils constatent le « coup de chaleur » des souffleurs de bouteilles, dont le métier tue poumons et yeux. (Les aveugles sont repris comme hommes de peine, au taux de fr. 0,20. à l'heure.)

Ailleurs, les meuliers que leur besogne assassine tous en quinze ans. (Ils succombent, phtisiques, à l'action des poussières de silex et d'acier.) Ailleurs encore, les égoutiers, les tubistes et scaphan­driers. Les embauchés de l'Exposition, les constructeurs de cette formidable Tour Eiffel, que Ferrer admire comme une prodigieuse démonstration du génie de l'homme, mais qui fait, murmure-t-on, plusieurs victimes par jour. (C'est faux !)

Plus près de lui ces malheureuses confectionneuses, sœurs de celles de Barcelone, exploitées par les « économes » qui leur vendent à fr. 0,70 le pain acheté à fr. 0,35, les tiennent par les amendes et les avances, les acculent à chercher refuge, parfois, en d'autres « maisons ». Tout cet envers du décor, tout cet enfer des faubourgs, dont, bientôt, les frères Bonnoff dresseront le sinistre tableau.

Comment ne pas incliner vers les solutions de colère, vers l'attentat, « sonnette d'alarme » ! Ferrer et Malato rapportent des arguments de révolte au cercle des discuteurs où maintenant se joignent parfois Laurent Tailhade, Sébastien Faure, voire des illustrations des lettres ou de la politique : Gomez Carillo, Clémenceau.

Notre temps a pris l'habitude de sous-estimer la valeur des solutions qu'apportaient les « anarchistes à système ». On mécon­nait que nombre d'entre-eux sont idéalistes, mais nullement « pri­maires », repus de culture et de science, suggéreraient sur mille questions, « du neuf et du raisonnable ». Si on les avait écoutés, si on avait lutté ensemble contre le Moloch-Etat-Nation, notre monde de 1947 n'en serait sans doute pas où il en est. »

Ce que je retiens de Francisco Ferrer, c'est le tempérament actif qui anima toute sa vie, en marche vers la réalisation de ses « rêves », et comme il l'écrivait lui-même.

« Les actes seuls, quels que soient ceux dont ils émanent, doivent être étudiés, exaltés ou flétris : qu'on les loue pour qu'on les imite quand ils paraissent concourir au bien commun, qu'on les critique pour qu'ils ne se répètent pas, si on les considère comme nuisibles au bien-être général. »

Cette pensée mérite d'être méditée ; elle nous fait comprendre toute l'intime conviction de son idéal libertaire, que trop souvent pour des buts déterminés, en vue de servir les desseins de certaines causes personnelles, des politiciens ou des sectaires ambitieux se sont plût à voiler et à taire et nous présentèrent Francisco Ferrer comme un simple anti-clérical, escamotant avec désinvolture ses opinions révolutionnaires.

Si Francisco Ferrer fut un grand éducateur, s'il fut un éminent pédagogue qui avait compris qu'il fallait « stimuler l'évolution pro­gressive de l'enfance, en évitant les atavismes régressifs, qui sont comme les obstacles qu'oppose le passé aux élans francs et décidés vers l'avenir... » ; il ne fut pas moins un grand révolutionnaire qui devant la stérilité des révolutions politiques du passé, devant la conviction qu'il avait de la stérilité de celles qu'ébauchaient les républicains espagnols avec des programmes aux aspirations mesquines, puériles, rêva d'éduquer les jeunes, pour en former des générations, de femmes et d’hommes conscients qui feront d'une façon beaucoup plus certaine et plus définitive la révolution sociale.

Parlant du programme de son Ecole Moderne, il écrivait : « Ni dogmes, ni systèmes, ces moules qui réduisent la vitalité à la mesure des exigences d'une société transitoire qui vise à être définitive : des solutions prouvées par les faits, des théories accep­tées par la raison, des vérités confirmées par l'évidence, voilà ce qui constitue notre enseignement, tendant à ce que chaque cerveau soit le foyer d'une volonté et à ce que les vérités brillent par elles­-mêmes, pénètrent dans tous les entendements et par leurs applica­tions pratiques, bénéficient à l'Humanité, sans exclusions indignes ni exclusivismes répugnants. »

La véritable et intime pensée de Francisco Ferrer, celle pour laquelle il donna toute sa vie, il l'a exprimée maintes fois dans « La Huelga General», périodique auquel il collaborait sous le pseudo­nyme de Cero.

« Anarchistes, nous voulons détruire la propriété telle qu'elle existe, parce qu'elle est le produit de l'exploitation de l'homme par l'homme, du privilège octroyé par les gouvernants ou du droit du plus fort.

Acrates, nous ne voulons pas qu’il existe des propriétaires de grandes étendues de terrain à côté de familles qui n'ont pas où reposer leurs corps, nous ne voulons pas d'héritiers de la fortune et d'héritiers de la misère.

Libertaires, nous ne voulons pas qu'il suffise d'un titre ou d'un testament pour passer sa vie sans travailler.

Dans la société idéale anarchiste, il n'y aura plus le mauvais exemple actuel des uns qui travaillent et des autres qui se pavanent, de ceux-ci qui mangent et de ceux-là qui jeûnent, tout le monde contribuera à la production de la richesse commune dans la mesure de ses forces et tous mangeront selon leur appétit.

Les femmes et les hommes étant raisonnables, à l'inverse de ce qui arrive actuellement; ils trouveront sans grands efforts la manière d'être durant leur vie propriétaires de ce qui les entoure et qu'ils aiment, sans que ce droit à la propriété puisse porter préjudice à personne, ni créer de suprématie d'aucune sorte.

Précisément, la démence de ceux qui ne comprennent pas l'anarchie provient de l'impuissance où ils sont de concevoir une société raisonnable. »

Il serait difficile, après de tels écrits, de contester le caractère anarchiste de la pensée de Francisco Ferrer.

Mais enfin pourquoi cacher ou taire ce qui fut ?

A quels mobiles obéissent ,donc ceux qui essayent de passer sous silence cette conviction intime qui animait le fondateur de l'Ecole Moderne ?

Pourquoi ces réticences ? Le mot anarchie serait-il encore ce brandon qui ferait peur à certains de ceux qui se réclament de la Libre pensée, de la Franc-Maçonnerie et du Libre examen ?

Anselmo Lorenzo, qui a bien connu Francisco Ferrer, et avec qui il a collaboré au groupe « La Huelga General », a montré, dans une étude qu'il a consacré à son ami et collaborateur, com­ment Francisco Ferrer contribua au mouvement des revendications ouvrières en créant avec lui, et quelques autres, ce journal que fut « La Grève Générale ».

« Dans cette société bourgeoise où nous vivons, qui limite toute noble aspiration, qui dépasse tout sentiment généreux et qui se développe au milieu d'un antagonisme dissolvant d'intérêts, prétendant se justifier par la formule de coloris scientifique « la lutte pour l'existence », Francisco Ferrer fut un homme vraiment exceptionnel. »

Intelligence claire, caractère droit, Ferrer se montrait un adversaire de l'hypocrisie conventionnelle et opportune. Chez lui, la pensée et la parole, les actes de la vie et l'action formaient un tout indissoluble.

Il se peut que cette franchise ait offusqué quelques timorés, que cette entièreté de pensée éloignait certains autres qui trou­vèrent là prétexte à le considérer comme un Don Quichotte. Ils étaient incapables d'apprécier la générosité qui animait ce révolu­tionnaire, incapables de saisir la grandeur de l'altruisme qui débor­dait de son être, prêt à tout sacrifier, et il le prouva bien, pour réaliser les rêves de l'idéal de régénération humaine qu'il portait en lui.

Anselmo Lorenzo n'a pas hésité d'écrire ces lignes que tous ceux qui pérorent trop facilement du martyr de Montjuich feraient bien de méditer.

« Si tous ceux qui font aujourd'hui l'éloge de Ferrer et de son œuvre s'étaient réunis à lui lorsqu'il vivait et travaillait, si l'on avait fait pour seconder Ferrer vivant toute la propagande par la parole et par la plume qui s’est faite pour honorer Ferrer mort, si l'on avait réuni alors toutes les ressources que l'on a réunies depuis, certes nous n'aurions pas maintenant des places et des promenades portant le nom du précurseur et du martyr, mais nous aurions beaucoup d'écoles rationalistes qui, parlant tous les idiomes du monde civilisé et étant en relation, auraient été bientôt en mesure de remettre les destinées de l'humanité à une nouvelle génération rationnellement éduquée.

Inutile de se lamenter, il n'en fut pas ainsi parce que cela ne pouvait être. Le vulgaire, et l'on sait que devant des person­nalités éminentes, par le génie ou le caractère, bon nombre d'hommes réputés supérieurs apparaissent au niveau de la moyenne des hommes, le vulgaire donc ne put secouer l'atavisme et aban­donner le système et les misères de l'antagonisme régnant, et, si l'on loue Ferrer, c'est peut-être parce que l'on est plié au routinier culte des morts plus que par désir de continuer son œuvre ; et ceci est d'autant plus vrai que si nous cherchons des idées chez ceux qui s’agitent pour honorer la mémoire de Ferrer, nous ne trouve­rons que des politiciens qui préconisent l’enseignement obligatoire laïque, ou des pédagogues qui discourent sur le technicisme de l'Ecole Moderne, c'est à peine s'ils réussissent à exprimer une idée, le confondant toujours avec le type d'enseignement de l’école laïque : c'est uniquement ainsi qu'ils comprennent la négation de l'enseignement religieux traditionnel. »

Le 15 décembre 1901,dans la « Huelga General» était publiée une étude : « L'hérédité sociale». Elle portait les signa­tures de Lorenzo et de Ferrer.

J’en extrais quelques passages qui préciseront, une fois de plus, la pensée de Francisco Ferrer.

« Quoi qu'en disent les codes, les religions et les écoles, il est un fait certain, c'est que chaque individu qui naît a droit, en tant qu'unité, à sa part de la propriété commune et c'est un grand crime que de lui contester et de lui enlever ce droit, comme ce serait un crime que de le priver des rayons du soleil et de l’air qu'il doit respirer.

Une abominable série de forfaits a favorisé cette spoliation, mais, aujourd'hui, étant donné l'état de progrès où nous nous trouvons, on ne peut plus la tolérer. »

Plus loin, ils poursuivent, faisant allusion à la propriété :

« On admet sans difficulté que tous les passants, sans distinc­tion, circulent sur la voie tracée, construite et conservée aux frais de la communauté, soit par les générations antérieures, soit par la génération actuelle.

En stricte justice, toutes les propriétés devraient être utili­sées de la même manière, chacun jouissant des produits accumulés par les générations précédentes, comme on jouit de l'air, de la lumière, de la chaleur solaire. »

Invoquant l'héritage, ils écrivent :

« Cependant, discutons la question. Trouvera-t-on quelqu'un pour soutenir que la classe des privilégiés a produit plus qu'elle n'a consommé et, partant, qu'il est licite qu'elle transmette cet excédent exclusivement à sa descendance ?

On pourrait admettre, à la rigueur, qu'un petit nombre d'individus, dans des circonstances exceptionnellement favorables, aient réussi à recourir à la fraude, au vol, à l'exploitation, à se constituer une aisance relative, mais ce sont là des cas très rares et explicables seulement par le désordre de l'organisation sociale. La plupart des fortunes ne sont dues qu'au hasard de la naissance et, très fréquemment, à des manœuvres criminelles quoique légales. Les docteurs catholiques, entre autres Saint Jérôme, ont déclaré qu'un riche ne pouvait qu'être un homme injuste ou l'héritier d'un homme injuste.

Tout ce qui sort de ces conditions tombe dans la définition de Brissot, adoptée par Proudhon : La propriété c'est le vol.

Qu'est-ce qu'on attend donc pour en finir avec ce gali­matias social et mettre en pratique l'anarchie, l'unique et véritable ordre social, susceptible d'aplanir toutes les difficultés et de pro­duire l'harmonie universelle par l'accord manuel ? »

Il y a près d'un demi-siècle que cela a été écrit, nous ne sommes guère sur le chemin des réalisations que proposait Fran­cisco Ferrer. L'Ecole Moderne, elle-même, a été abandonnée au profit de je ne sais quel enseignement officiel d'Etat, renouvelant les mêmes erreurs de l'enseignement qu'il combattait. D'autres dogmes, d'autres préjugés, sont venus remplacer les dogmes et les préjugés d'un enseignement religieux et les routes entrevues par le fondateur de l'Ecole Moderne semblent avoir bougrement bifurqué.

Nous sommes dans une impasse, faute d'avoir retenu ce que Francisco Ferrer nous avait enseigné. Francisco Ferrer était anarchiste dans l'acception la plus large et la plus haute ; c'est parce que subversif qu'il s'attira la haine de tous ceux qui exploitent la crédulité et l'ignorance du peuple.

Dans une lettre, datée de la Carcel Celular 4e Galereria n° 301, de Barcelona, du 3 octobre 1909, Francisco Ferrer écrivait à son ami Heaford sa visite à sa Maison d'édition, où il se rendait une fois par semaine :

« ... ma Maison d'édition, laquelle me donne beaucoup de soucis. Y a-t-il plaisir plus grand dans la vie de pouvoir procurer aux autres le moyen de développer leur intelligence vers le bien, le beau, la paix et la solidarité. »

Et Francisco Ferrer confie à son correspondant, ami, qu'il avait « décidé la publication illustrée du dernier livre de P. Kropot­kine », intitulé « La Grande Révolution (1789-1793) ».

Administrateur parfait de ses éditions, il estimait, pour des raisons économiques, publier ce livre après celui de « L'Homme et la Terre », d'Elisée Reclus, qui allait être terminé en août.

Mais il faut rappeler un fait, à l'époque du procès des répu­blicains espagnols, les « lerrouxistes » travaillaient sournoisement à le perdre - comme l'attestent des lettres écrites par Ferrer lui­-même à son ami Charles Malato, de sa cellule, peu avant sa condam­nation - et dont voici un passage significatif :

« Par ma lettre du 10-12 août, vous savez que je n'avais pas eu connaissance, du tout, du projet de grève générale pour le 26 juillet, en signe de protestation contre la guerre du Maroc ; je ne sais pas comment on a pu faire courir le bruit que j'en étais le promoteur. Qui a commencé à faire courir ce bruit ? Etaient-ce les républicains lerrouxistes, parce que le mouvement avait pris racine, d'après ce qu'a raconté l'« Humanité », dans le milieu de la « Solidaridad Obrera », les lerrouxistes tenant à me faire passer pour leur ennemi, puisque d'après eux je protégeais la « Solida­ridad Obrera », qui leur faisait la guerre ? Etaient-ce les cléricaux qui voyaient une belle occasion de me mettre encore une fois sur la sellette ? Je crois que des deux côtés on a eu intérêt à me faire du tort. » (1).

C'est que par son indépendance d'esprit, il n'avait su s'em­pêcher de clouer au pilori ces politiciens sans aveux, qui font figure d'avoir un idéal et vivent de la politique en se réclamant de la révolution qu'ils ne cessent de trahir ; pour eux également Fran­cisco Ferrer était un danger.

Ch. Maurras, dans l'« Action Française », avoua le véritable crime de Francisco Ferrer et, cyniquement, il dévoila tout le procès d'opinions, le procès de pensée qui se déroula sous le couvert d'une prétendue justice. « Je ne crois pas que Francisco Ferrer ait trempé directe­ment dans les émeutes de Barcelone. Mais il en est moralement responsable, puisque sa propagande tendait à renverser l'ordre établi. »

L'assassinat de Francisco Ferrer ce n'est pas seulement un crime clérical, c'est aussi et surtout un crime social.

Chaque anniversaire de son assassinat devrait nous amener à songer à l'enseignement qu'il nous a légué et tâcher à nous inspirer de ses pensées et de son idéal.

Que ceux qui parcourront ces lignes méditent ces quelques pensées, et que celles-ci permettent d'entrevoir un avenir de mieux être, vers lequel tous nous devons aspirer, un idéal pour lequel nous ne devons cesser de nous dépenser.

Cet idéal, vous le devinez, c'est celui des Proudhon, des Bakounine, des Reclus, des Kropotkine, des Malatesta, des Domela Nieuwenhuis, etc., etc., c'est celui pour lequel tant de cœurs géné­reux se sont donnés tout entiers, celui pour lequel tant de cama­rades ont péri et se sont ajoutés à cette liste, déjà si longue, du martyrologe de l’émancipation humaine.

Ajoutons, puisque c’est la l’intention qui guida ces pages, FRANCISCO FERRER, libre penseur, pédagogue, libertaire, Francisco Ferrer, l’une des plus belles figures contemporaines qui offre un bel exemple de vie noble, d’action consciente, de philosophie et de solidarité universelle.

Hem Day, 1959

(1) Fragment d'une lettre adressée de la Carcel Celular, le 1er octobre 1909, par Francisco Ferrer à Charles Malato, reproduit dans le livre sur Francisco Ferrer, de G. Norrnandy et E. Lesueur, page 204. Voir également le texte complet, pages 48-56 « F. Ferrer », Librairie Schleecher.

Ecrit par Mirobir, à 04:15 dans la rubrique "Pour comprendre".

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