Lu sur
l'Humanité : "Trente-quatre ans après le vote de la loi Veil, les fermetures de centres IVG se multiplient en France dans un contexte de recul idéologique inquiétant.
Témoignages de deux femmes qui ont vécu une expérience difficile.
Elle a été « révoltée » et même « horrifiée » par l’accueil à l’hôpital. Mathilde [1], vingt-quatre ans, a subi un avortement il y a deux ans dans un hôpital de province. Son expérience illustre, trente-quatre ans après l’adoption de la loi Veil sur l’interruption volontaire de grossesse (IVG), toute la fragilité de cet acquis. Aujourd’hui menacé par les restrictions budgétaires et un retour insidieux de l’ordre moral. Á l’époque, le corps de Mathilde lui avait fait « une entourloupe ». Tombée enceinte sans l’avoir désiré, sa décision d’avoir recours à une IVG ne lui a posé aucune difficulté. Son parcours pour la mener à bien, beaucoup plus. « C’est un droit mais beaucoup de gens essayent de nous faire changer d’avis », résume-t-elle.
Tout commence sur Internet, dans les forums féminins vampirisés par les lobbies anti-avortement. « Ils essayent de dissuader celles qui viennent demander conseil pour avorter avec des réponses assez dures. » Mathilde, elle, a pris sa décision. Un tour par le planning familial, puis au bout de deux semaines, arrive le jour de son intervention. Là, surprise. L’ambiance à cet étage de l’hôpital est tout sauf rassurante. Sol dégoûtant, peinture écaillée et, surtout, un personnel désinvesti, voire désagréable. « Ils étaient indifférents, avec l’air de penser que les femmes font ça avec désinvolture. » Comble du mépris, on place Mathilde dans une pièce d’ou elle entend distinctement les cris des femmes qui accouchent… Des minutes insupportables. « Un médecin s’est même permis de montrer l’échographie du fœtus. Une image qui a profondément choqué mon compagnon. »
Les années ont passé, mais Mathilde conserve « une trouille bleue » que ça lui arrive à nouveau. « Je vérifie cinq fois par jour que j’ai bien pris ma pilule, quitte à me relever la nuit. » Elle le sait : son témoignage ressemble à d’autres, symboles de la difficulté de reconnaître l’avortement comme un acte médical classique. Pour preuve, en cas d’IVG, le curetage est trois fois moins payé pour le praticien qu’en cas de fausse couche. Pas de quoi motiver une jeune génération de médecins qui n’a pas été sensibilisée par les luttes de la loi Veil.
Élodie, elle, ne s’est pas rendue à l’hôpital. Mais elle a ressenti le même malaise lorsqu’elle entrée dans le cabinet de sa gynécologue pour demander une pilule abortive. « Elle a été plus que limite. Quand elle a vu la nationalité de mon compagnon, j’ai même eu droit à un : “Et, en plus, c’est un étranger”. Odieux. Elle ne m’a rien expliqué de cette pilule. Elle s’est juste contentée de me la donner avec un verre d’eau en me disant de revenir dans deux jours. Comme si c’était honteux ! »
Évidemment, ces témoignages ne valent pas généralité. Mais cette défiance larvée à l’égard de l’avortement ne peut qu’inquiéter. Surtout dans un contexte ou le discours politique exalte la « famille traditionnelle » et reste indifférent aux fermetures de plusieurs unités d’IVG dans les hôpitaux publics. Á Paris, trois centres (Broussais, Tenon et Jean-Rostand) ont dû mettre la clé sous la porte, alors qu’ils assuraient le quart des IVG d’Île-de-France.
Professionnels et militants sont inquiets. « L’avortement, c’est la dernière roue du carrosse », tempête Christophe Prudhomme (CGT), urgentiste à l’hôpital Avicenne ou l’unité IVG est elle aussi menacée. « On profite des regroupements d’hôpitaux pour rogner sur les droits des femmes », résume, de son côté, Jean-Marie Sala (SUD santé-sociaux). Et de rappeler que ce service concerne souvent des femmes de milieux défavorisés qui n’ont pas les moyens de s’offrir une place en clinique.
Cécile Rousseau‚ et Anne Roy
Le collectif unitaire du 20e arrondissement de Paris organise une marche qui partira ce samedi à 10 h 30 de l’hôpital Trousseau.
Notes :
[1] Les prénoms ont été modifiés