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FN : entretien avec Alain BIHR
Lu sur Alternative Libertaire : "Le FN progressera tant que ne se reformera pas un gauche anticapitaliste capable de s'opposer à la régression sociale" .Il nous a semblé important de nous interroger sur l'importance du vote d'extrême droite lors de l'élection présidentielle mais aussi des réponses antifascistes avec Alain Bihr, qui a publié, ses dernières années de très pertinentes analyses sur ces questions(1).

Alternative libertaire : Personne, pas même les antifascistes les plus vigilant(e)s, n'a vu venir le fort score de Le Pen au premier tour de l'élection présidentielle ? Comment expliques-tu cela ?

Alain Bihr : Les causes de cet aveuglement sont multiples. Se conjuguent d'une part un soulagement prématuré de la part de militants désespérant depuis de nombreuses années d'enrayer la montée de l'extrême droite ; d'autre part, le réel affaiblissement électoral de l'extrême droite (FN et MNR confondus) qu'a produit sa scission dans un premier temps, sensible lors des élections européennes de 1999 et des municipales de 2001, et dont le FN ressent encore aujourd'hui les effets (cf. ses difficultés à capitaliser lors des élections législatives le résultat obtenu par Le Pen lors des élections présidentielles) ; enfin la sous-estimation des dynamiques sociales, politiques et symboliques profondes qui alimentent la montée de l'extrême droite, en France comme ailleurs en Europe, et sur lesquelles j'ai eu l'occasion de m'expliquer dans différents ouvrages. (1)

AL : La montée du FN ne s'explique-t-elle pas avant tout par une montée du discours autoritaire et sécuritaire qu'on retrouve aussi bien au PS, au MDC, qu'au RPR ou à l'UDF ? Un discours qui relève dans sa version extrême de la psychologie de la guerre civile ?

A. B. : Là encore, il faut aller jusqu'au fond des choses, en se demandant pourquoi la société capitaliste actuelle génère massivement un fort sentiment d'insécurité au sein de la population, créant ainsi les conditions du discours et des politiques sécuritaires et autoritaires. La diffusion d'un tel sentiment ne s'explique pas seulement par la montée du chômage et le développement de la précarité ; ni a fortiori par celle d'un certaine délinquance ou de la multiplication des incivilités au quotidien. Tous ces phénomènes relèvent en fait de la profonde déstructuration à la fois symbolique et matérielle du cadre de vie qui caractérise l'emprise croissante des rapports capitalistes de production sur l'ensemble des aspects de l'existence sociale ; ainsi que de l'inexistence d'un mouvement social et politique capable de s'opposer à cette déstructuration en proposant une alternative globale au capitalisme.

AL : Les classes dominantes résistent à l'extrême droite dans la mesure où le repli identitaire sur les frontières nationales contredit la construction capitaliste de l'Europe, la libéralisation des échanges... En France, le MEDEF a pris position contre le programme économique du FN. Mais n'est-ce pas une erreur de voir une opposition irréductible entre ces deux logiques. Les exemples italiens et hollandais sont là pour montrer que des alliances sont possibles entre les secteurs libéraux et populistes voire fascistes de la bourgeoisie. En France même il existe des passerelles entre certains élus de droite et d'extrême droite dans les régions.

A. B. : La fraction aujourd'hui hégémonique de la bourgeoisie, celle qui impulse le mouvement de transnationalisation du capital industriel, commercial et financier, ne saurait évidemment se reconnaître dans le programme économique et social du FN, centré sur la notion de préférence nationale. Cela dit, le problème politique de cette fraction est que, pour exercer son hégémonie dans le cadre persistant de l'État-nation, ou dans le cadre des pouvoirs publics locaux (régions ou municipalités), il lui faut former un bloc social, passer des alliances, trouver des relais et des appuis, conclure des compromis non seulement avec d'autres fractions de la bourgeoisie, mais encore avec d'autres classes ou fractions de classes. C'est en ce sens que des alliances entre droite et extrême droite peuvent s'avérer nécessaires ou du moins fonctionnelles au regard des objectifs généraux de sa domination.

AL : Il y a une contradiction apparente entre l'audience de masse du FN dans les urnes et sa relative faiblesse militante, comme la manifestation FN du 1er mai a pu le révéler. Cette force militante ne soutient pas la comparaison avec les puissantes ligues d'extrême droite des années 30. Fort de son audience dans les classes populaires, ne crois-tu pas que le FN va tenter une nouvelle offensive en direction des chômeurs et des ouvriers en développer des associations et syndicats professionnels ou en infiltrant certaines organisations ?

A. B. : Une remarque tout d'abord. Pour comprendre de quoi il en retourne avec le FN ou les autres mouvements d'extrême droite contemporains en Europe, il faut cesser de les assimiler aux mouvements fascistes des années 1920-1930. Malgré la filiation idéologique qui peuvent les relier, il s'agit de mouvements de nature différente ; ce que traduisent par exemple leurs modes de mobilisation de leur propre base sociale. Depuis qu'il a percé sur la scène politique, le FN a tenté à de multiples reprises, sans succès, de développer des organisations professionnelles de salarié(e)s, ou des organisations de chômeur(se)s. Je ne pense pas qu'il puisse y parvenir, son programme économique et social étant par trop incohérent et antisocial. Au demeurant, il n'en a pas besoin : son audience dans les couches populaires ne dépend pas de sa capacité à les encadrer, mais à les représenter : à leur fournir un imaginaire permettant l'expression de leur ressentiment de couches dominées incapables de réagir par elles-mêmes aux effets de leur domination.

AL : Le vote d'extrême droite est souvent analysé comme le produit d'une crise de la représentation politique ; ce qui a pour conséquence de remettre en cause avant tout les responsabilités des partis dans la gestion du capitalisme et d'épargner dans le même temps les bureaucraties syndicales qui contribuent tout autant à conserver l'ordre capitaliste existant. Ne crois-tu pas que celles-ci, par leur intégration, leur légalisme et leur attentisme portent une grande responsabilité dans la montée de l'extrême droite ?

A. B. : En fait, il s'agit des deux aspects d'un même phénomène, la crise de ce que j'ai appelé le modèle social-démocrate du mouvement ouvrier, dont la social-démocratie au sens habituel n'est qu'une des variantes, l'autre étant le léninisme. Dans ce modèle, c'est au parti qu'appartient la direction générale du mouvement, avec pour tâche essentielle la conquête et l'exercice du pouvoir d'État, les organisations syndicales (comme l'ensemble des autres organisations de masse) lui servant de courroie de transmission, en organisant les luttes destinées à réaliser les intérêts immédiats des salariés. Cette formule a été efficace dans le cadre de ce qu'on a appelé le compromis fordiste, compromis dont le mouvement ouvrier social-démocrate a été largement partie prenante. Dès lors que, dans le cadre de la transnationalisation du capital, ce compromis a été remis en cause par la classe dominante, les organisations tant syndicales que politiques du mouvement ouvrier social-démocrate se sont retrouvées privées de toute stratégie efficace, en oscillant entre la défense de plus en plus difficile des acquis du compromis fordiste et le ralliement, d'abord honteux puis ouvert, au social-libéralisme bradant ces mêmes acquis. C'est cette crise du mouvement ouvrier, cette carence stratégique qui prive le monde du travail de toute perspective de lutte et souvent même de tout cadre organisationnel, qui est responsable de la formation de l'attitude de ressentiment que je viens d'évoquer et qui est la base psychologique de l'adhésion au discours d'extrême droite.

AL : Parlons maintenant des antifascistes. Comment analyses-tu l'ampleur de la mobilisation antifasciste et antiraciste de millions de personnes dans ce pays entre les deux tours de l'élection présidentielle ? De même que le courant d'adhésion aux organisations antiracistes, antifascistes, mais aussi politiques, de gauche et d'extrême gauche ?

A.B. : A mon sens, il y a là deux choses assez différentes. Les mobilisations auxquelles on a assisté entre les deux tours de l'élection présidentielle ont été l'expression d'une réaction très émotionnelle liée à cet événement aussi inattendu que scandaleux pour la majeure partie des citoyens de ce pays : voir un candidat d'extrême droite figurer au deuxième tour d'une élection présidentielle. Comme le second tour de cette élection d'ailleurs, elles témoignent que l'immense majorité des citoyens sont foncièrement hostiles à l'extrême droite. Ce qui est en soi rassurant ; mais n'empêchera pas une nouvelle progression électorale du FN, si les conditions socio-politiques ne changent pas dans les prochaines années, autrement dit si ne se reforme pas une gauche radicale, clairement antilibérale et aussi anticapitaliste que possible, capable par les luttes sociales auxquelles elle participera ou qu'elle impulsera de s'opposer aux régressions sociales que nous prépare la droite libérale revenue au pouvoir. C'est sans doute ce qu'ont confusément ou clairement compris ceux qui rejoignent actuellement les organisations antifascistes mais aussi les organisations d'extrême gauche. Le fort vote d'extrême gauche au premier tour des élections présidentielles est un autre signe du même mouvement.

AL : On sait que la pire des impasses pour le mouvement antifasciste est le front républicain. L'alternative n'est-ce pas plutôt la construction d'un front social de l'égalité et de la solidarité ?

A. B. : Certes. Cela dit, deux remarques. D'une part, le front social ne se décrète pas : il doit se construire, à travers des débats de clarification, des rapprochements d'organisations et, surtout, des luttes associatives, syndicales et politiques ; et c'est la tâche essentielle des révolutionnaires dans les prochaines années que de faire émerger et de renforcer un tel front social. D'autre part, en attendant, chaque fois que cela sera nécessaire pour faire ponctuellement barrage à l'extrême droite, il me semble qu'il ne faut pas refuser la constitution temporaire d'un front républicain, mais y participer en expliquant en quoi il est aussi insuffisant que nécessaire. C'est là un moyen de sensibiliser et de radicaliser ceux des citoyens qui sont prêts à se mobiliser contre l'extrême droite sans encore comprendre en quoi cette dernière n'est que l'expression contradictoire du mouvement de régression sociale organisée par les forces conduisant la contre-réforme libérale, à savoir aussi bien la fausse gauche que la vraie droite.

Propos recueillis le 18 juin 2002
Alain Bihr est docteur en sociologie et enseigne la philosophie à Strasbourg. Il est l'auteur d'une dizaine d'ouvrages parmi lesquels: Déchiffrer les inégalités, Syros, 1995; Hommes/femmes: l'introuvable égalité, Les Editions de l'Atelier, 1996 (ces deux ouvrages avec Roland Pfefferkorn); Le spectre de l'extrême droite. Les Français dans le miroir du Front national, Les Editions de l'Atelier, 1998.

1. Le Spectre de l'extrême droite. Les Français dans le miroir du Front national, Editions de l'Atelier, 1998 ; L'Actualité d'un archaïsme. La pensée d'extrême droite et la crise de la modernité, Editions Page deux, 1999 ; Le Crépuscule des États-nations. Transnationalisation et crispations nationalistes, Editions Page deux, 2000.
Ecrit par libertad, à 14:05 dans la rubrique "Extrême-droite".



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