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L'En Dehors


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"FIERE D'ETRE UNE TRAVAILLEUSE DU SEXE"
Lu sur Les putes :"1. L'intériorisation de la honte face à la « putophobie »:
Chaque minorité est confrontée à ce problème. La putophobie est une des discriminations les plus partagée dans nos cultures occidentales à tel point que son terme même n’existe pas. La putophobie est un néologisme que nous avons inventé afin de mieux définir les discriminations dont nous sommes victimes en tant que putes. Il y a plusieurs logiques qui déterminent le sentiment putophobe. Les deux principales logiques de la putophobie sont de désigner les putes comme :

- Des victimes, trop connes incapables de savoir ce qui est bon pour elles et donc maintenues dans un statut d’infériorité par une confiscation de la parole au profit de celles qui sont censées les « sortir de là ».

- Des délinquantes, des vecteurs de désordre et d’épidémie, dont la visibilité est considérée comme une nuisance.

Dans les deux cas, les putophobes agissent par la volonté de ressentir un sentiment de supériorité. Ils acquièrent consciemment ou non le sentiment d’être soit des sauveurs, soit des policiers au service de l’humanité.
Ces deux logiques : victimes, délinquantes, peuvent se recouper et ne sont pas forcément contradictoires pour les putophobes.

a. à travers l'injure sexiste pour les femmes, et homophobe pour les hommes

L’injure est un moyen de désigner un groupe social que l’on veut stigmatiser. L’injure ne désigne pas qu’une seule personne lorsqu’elle est directement invectivée par celle-ci mais désigne toutes les personnes qui sont susceptibles de se reconnaître par cette injure. Par exemple, quand on m’insulte de pute, on ne fait pas que me stigmatiser moi en tant que pute mais aussi en faisant de moi la cible de cette insulte, on m’érige en modèle de ce qui peut arriver à celles qui auraient l’idée de m’imiter dans mon activité.
L’insulte putain est à ce point répandu qu’elle est employée le plus souvent non pas pour désigner, stigmatiser quelqu’un mais pour apporter une ponctuation dans son discours. (pour la langue française en tout cas). Sans désigner une personne en particulier, cette ponctuation permet cependant de diffuser le plus largement le fait qu’être une putain représente quelque chose d’insultant de dégradant.
Maintenant quand on réfléchit sur les insultes les plus couramment employées afin d’humilier quelqu’un, on se rend compte que le genre prend une grande importance. L’injure est également un moyen d’assigner les individus à un genre, à un rôle sexuel. L’injure la plus répandue chez les femmes est bien celle de pute ou de salope. Chez les hommes, l’injure la plus répandue sera pédé.
En tant que femme, nous construisons notre identité dans la crainte d’être désignées par cette injure de pute. Dès l’enfance, nous savons que c’est ce que nous ne devons surtout pas devenir pour être acceptée aux yeux des autres.
Je suppose (sous réserves d’échanges avec les femmes de l’assistance) que l’acceptation du stigmate de pute comme identité est plus difficile pour les femmes que pour les hommes ou les trans’. Les hommes sont eux, d’abord désignés en tant que pédés avant d’être désignés comme putes dans le cas où ils le deviennent. La différence est que l’injure homophobe les poursuit beaucoup plus tôt dès l’enfance ou l’adolescence quand ils commencent à comprendre qu’ils sont pédés et est donc plus déterminante dans la construction de leur identité. L’injure de pute, à moins d’avoir commencé ce métier très tôt, ne nous désigne qu’une fois que nous avons passé le cap de la première fois, quand nous avons fait notre première passe, donc quand nous sommes déjà plus des enfants ou des adolescentEs.
Nous pouvons débattre également sur le fait qu’être pute et s’accepter en tant que pute relève d’un choix de vie tandis que le fait d’être pédé ne relève pas d’un choix. A moins bien sûr que l’on considère qu’être pute est une identité qui ne provient pas d’un choix mais de pulsions profondes qui font qu’on exerce ce métier.
Autre cas encore, les hommes hétéros qui doivent eux à la fois affronter le stigmate homophobe et putophobe d’un seul coup, (même quand ils travaillent pour des femmes).


b. à travers l'isolement social


Ce qu’il y a de commun pour toutes les minorités sexuelles, (et je considère ici les putes comme constituant une minorité sexuelle), est l’isolement social.
Lorsque l’injure nous désigne, nous sommes seulEs à devoir la subir. Nous ne pouvons bénéficier de la protection de nos familles car nos familles sont souvent les premières à nous rejeter en tant que putes ou transpédégouines.
Il est intéressant de noter qu’un des grands reproches qu’on fait aux putes qui commencent à vouloir affirmer une parole propre est d’être désignée comme non représentative de l’ensemble des personnes qui se prostituent afin de délégitimer de suite sa parole. L’intériorisation de la putophobie c’est donc également quand le doute s’installe quand à sa parole individuelle. Puisqu’ aucune parole directe n’est considérée comme sérieuse, puisque seuls les journalistes, les sociologues, les travailleurs sociaux ont le droit de parler de la prostitution et de parler à la place des putes en retranscrivant leurs interviews, il n’y a pas de possibilité de confronter son propre vécu avec l’ensemble de la communauté des putes. Pour les putophobes, il est d’autant plus facile de dénigrer une parole individuelle comme non représentative de la communauté des putes puisque cette communauté n’existe pas en tant que force politique.
L’intériorisation de la putophobie, c’est donc aussi quand on maintient soi même l’isolement social avec le reste de sa communauté, quand la logique de concurrence prédomine sur celle de solidarité entre travailleuSEs.


c. à travers la non-reconnaissance sociale, la répression policière, l’absence de droits


Il n’y a pas que l’injure qui nous stigmatise. La stigmatisation des putes passe également par l’infériorisation légale. La loi, l’Etat génère des discriminations putophobes. C’est l’Etat putophobe, en tant que régime politique qui nous maintient dans la honte.
Cela passe par des lois répressives et punitives, tout comme avant que l’homosexualité ne soit dépénalisée en Europe.
Les liens entre la putophobie et d’autres discriminations sont flagrantes dans ce cas : Par exemple, depuis 2003, la loi Sarkozy contre le racolage passif en France est avant tout putophobe mais aussi sexiste, raciste et homophobe. Elle introduit le délit d’inciter par quelque comportement que ce soit à un acte prostitutionnel et sanctionne ainsi les putes à deux mois d’emprisonnement et 3 750 euros d’amende.
Cette loi est également raciste car elle prévoit l’expulsion des putes étrangerEs.
Cette loi est sexiste car elle s’attaque en priorité aux femmes, les hommes peuvent se balader la nuit dans la rue sans éveiller de soupçons puisqu’ils sont des hommes.
Cette loi est homophobe parce qu’elle sanctionne toutes les formes visibles de sexualité en extérieur et donc pénalise les pédés qui draguent dans les lieux publics et qui se voient beaucoup plus qu’auparavant recevoir des amendes et PV. Certains lieux de dragues connus comme tels se sont vus parés d’éclairage, les buissons ont été débroussaillés dans les jardins des tuileries par exemple pour qu’on y baise moins qu’avant.
Les conséquences de la répression sont bien entendu très graves. Que ce soit en matière de conditions de travail, de maintien de tarifs des passes, d’agressions de la part de la police ou d’autres hommes, de clandestinisation, enfin en matière de santé. La putophobie est à ce point répandue et normale que n’importe qui peut nous agresser, nous violer, nous tuer, sans que cela n’émeuve qui que ce soit, et parce que la police s’en fout qu’en ce n’est pas elle qui nous agresse.
La putophobie d’Etat passe également par la non reconnaissance de notre métier, par la non reconnaissance de l’égalité entre nous et les autres travailleurs. Nous sommes toujours dans beaucoup de pays, en tout cas en France privéEs de droits sociaux en lien avec notre profession. Nous sommes obligéEs de passer par d’autres stratagèmes pour obtenir ces droits sociaux comme s’inscrire à la CMU par exemple. Notre métier ne nous apporte donc aucun droit mais que des devoirs. En effet, le seul moment où la prostitution est considérée comme un métier c’est quand le fisc s’en mêle. Dans ce cas, le fisc évalue à la fourchette la plus haute bien sûr, le montant de nos recettes selon différentes techniques.
Cette situation n’encourage pas à affirmer une fierté d’être pute puisque la clandestinité permet en partie d’échapper à ces contraintes.


2. Empowerment :


CertainEs s’étonnent peut être de la façon dont nous présentons la prostitution. Alors qu’il s’agit pour la plupart des gens d’une activité, nous en parlons aussi comme d’une identité. Pourquoi ? Tout simplement à cause de toutes choses dont nous venons de parler. Tout simplement à cause du stigmate qui accompagne ce métier. Être pute, ce n’est pas juste exercer le métier du sexe, c’est être obligéE de se confronter au stigmate, à l’injure, nous l’avons vu. A ce titre, être pute est une identité. Faisons en sorte que cette identité soit une identité politique de résistance face aux normes.

a réappropriation de l’insulte


L’enjeu est l’émergence d’un discours sur la prostitution qui soit enfin celui des premièrEs concernéEs et qui puisse devenir la référence sur le sujet.
Nous devons être capables en tant que travailleUSEs du sexe, de nous désigner nous-mêmes par l’insulte de putes.
- parce que le fait de se dire soi même pute, casse l’aspect stigmatisant du terme. Pute n’est plus une injure, mais désigne une identité dont on peut être fièrE.
Il apparaît alors important de ne plus laisser supposer une confirmation par nous même de l’aspect insultant de notre identité puisqu’il ne devrait pas y en avoir. Or, le fait par exemple de manifester avec un masque confirme le fait que nous avons honte de ce que nous sommes. Ne vaut il mieux pas ne pas manifester du tout si c’est pour se montrer honteuSES ?
De la même manière, à la question « et que faites vous dans la vie ? » qui est une des premières questions qu’on nous pose quand nous rencontrons quelqu’un, nous devons être capables de répondre fièrement que nous sommes des putes.
Nous devons pouvoir revendiquer fièrement notre activité auprès des différentes administrations qui nous demandent notre profession.
C’est une stratégie du coming out qu’il faut développer plus généralement quel que soit le milieu social dans lequel nous évoluons : amis, famille, etc.
C’est un combat sur le plan individuel par rapport à son propre entourage mais que nous menons ensemble afin que notre visibilité s’accroisse et qu’une parole à la première personne émerge et supplante les discours putophobes majoritaires.
Pour remédier et contrer les discours et mécanismes qui nous assignent à la honte, nous devons pouvoir organiser des événements culturels ou politiques valorisant ce que nous sommes. Nous pourrions par exemple, sur le modèle d’autres minorités organiser des manifestations de fierté et des actions de visibilité.

b constitution d’une communauté

Former une communauté est un moyen de sortir de la clandestinité et d’instaurer un rapport de forces en notre faveur. Cette communauté peut se former sur le modèle de groupes minoritaires ou de syndicats de métiers.
Les différents éléments que nous devons construire et développer afin de constituer cette force sont :
- des lieux de sociabilité
- des moyens de diffusion et d’échanges d’informations
- des réseaux d’associations
- des médias spécifiques
- des symboles de reconnaissance
- une mémoire commune
- des possibilités de rencontres et de réunions de masse
L’intérêt de constituer une communauté est également d’obtenir une reconnaissance sociale. Des alliances stratégiques peuvent alors se former avec d’autres communautés dans un combat commun, par exemple la lutte contre le sida.
La communauté est le meilleur moyen d’obtenir une visibilité accrue et la médiatisation d’un discours qui proviendra enfin de nous-mêmes et non plus de personnes soit disant expertes sur la prostitution extérieures à notre communauté. Les vrais expertEs c’est nous.


c égalité des droits, reconnaissance du travail sexuel


L’arrêt de la criminalisation de notre métier ne peut suffire, car même si notre activité est légale dans plusieurs pays, nos droits sont encore partout bafoués, et le fait de ne pas pouvoir jouir des mêmes droits sociaux que d’autres travailleurs en outre de nous compliquer la vie constitue une discrimination putophobe. Cette putophobie d’Etat dont nous avons parlé en 1c ne se définit donc pas seulement par une criminalisation mais aussi par le maintient dans un statut d’infériorité légale qui conforte nos agresseurs dans leurs actes et l’ensemble de la population à nous rejeter.
L’enjeu d’acquérir l’égalité des droits sociaux en tant que travailleUSEs du sexe est de mettre fin à cette putophobie d’Etat, d’être des citoyenNEs égales à part entière.
L’enjeu d’une déclaration des droits des sex workers est très importante car la reconnaissance de nos droits passent par une prise en compte de nos volontés de nos façons de travailler.
C’est le seul moyen d’être réellement respectéEs à part entière comme les autres travailleuSEs.


3 Les moyens de lutte. L’activisme et ses méthodes.


Notre mouvement ne doit pas se contenter de fournir des services aux travailleuSEs du sexe. Ce travail fourni par les associations existantes est d’une très grande nécessité et doit être soutenu mais il ne peut à lui seul remettre en cause la putophobie d’Etat qui relève de nombreux mécanismes d’oppression. La réponse que nous devons apporter pour combattre la putophobie et l’anéantir passe par la constitution d’un mouvement social et des formes de lutte empruntés à la culture activiste américaine pour les droits civils.


a lobby


Nous devons définir les différentes cibles que nous avons à combattre ainsi que les alliés éventuels qui peuvent relayer notre discours. Il y a différents champs d’action dans notre lutte et nous pouvons avoir de nombreux interlocuteurs selon ce que nous défendons.
Par exemple, nous pourrions intervenir au sein des partis politiques et faire pression sur eux comme le font les abolitionnistes qui bloquent ainsi tout progrès social pour les travailleuSEs du sexe.
Nous devons obtenir des réponses des différents ministères quand aux discriminations que nous subissons à l’encontre des textes en vigueur ou pour dénoncer les conséquences des lois putophobes.
Nous pouvons agir auprès de différentes administrations au niveau local mais aussi maintenant européen et se servir des processus d’harmonisation et des textes européens pour invalider des mesures putophobes.
Ce travail de lobby nécessite une pression permanente et d’exiger régulièrement des réponses auprès de nos interlocuteurs. Son efficacité dépend beaucoup du rapport de forces que nous établissons avec eux.

b médias


Lorsqu’un dossier de lobby semble être bloqué parce que nous sommes confrontés à des putophobes, il n y a rien de mieux pour débloquer une situation que de la médiatiser.
Les médias sont friands de faits nouveaux et la nouveauté que pourrait constituer une nouvelle forme de lutte de la part des travailleuSEs du sexe peut les intéresser fortement. C’est un sujet assez racoleur, il faut donc savoir aussi manier les médias avec prudence afin que notre discours passe au mieux et ne soit pas déformé.
Nous devons mettre fin aux stéréotypes de la victime etc. Nous devons donner une nouvelle image de nous-mêmes en tant que communauté fière qui lutte pour la reconnaissance de ses droits et sortir définitivement de la logique de la victimisation qui ne fait que nous maintenir en objets passifs.
Lorsque les médias nous demandent des témoignages sur notre vécu, il est plus intéressant de refuser de parler de ce que nous avons subi pour ne parler que de ce qu’on nous fait subir, et donc désigner les responsables de la putophobie : les abolitionnistes, la police, les gouvernements etc.
Il faut dorénavant se positionner en tant qu’actRICEs qui dénoncent la putopobie. Il faut imposer aux médias notre discours. Cela veut dire qu’il faut faire un travail de communication spécifique. Envoyer des communiqués de presse ne suffit pas. Il faut se constituer un fichier de contacts de médias et nouer des relations avec eux. Téléphoner aux journalistes à chaque communiqué de presse que nous sortons. Pouvoir discuter avec eux longuement pour faire un travail de pédagogie. Si nous parvenons à convaincre des journalistes, nous aurons une fenêtre médiatique plus intéressante et pourrons faire passer des idées. Il faut mâcher le travail des journalistes au maximum tout comme aux interlocuteurs que nous pouvons avoir quand nous faisons du lobby.
La prostitution est déjà un sujet de société, il faut que nous soyons à l’origine des principaux discours sur nous.


c l’action publique


Imposer notre discours auprès des médias est difficile surtout quand ceux-ci ont déjà une opinion toute faite sur la prostitution contre nous. Pour qu’un sujet passe, il faut pouvoir créer une actualité. L’action publique est le meilleur moyen pour créer cette actualité.
Les motifs qui poussent à de l’action publique sont nombreux. Il peut s’agir seulement d’attirer l’attention du public sur nous et pour cela des modes d’actions de sensibilisation dans un esprit festif et amusant nous aidera à attirer la sympathie des gens à notre cause.
Une manifestation de masse peut prendre un caractère important médiatiquement surtout venant d’un mouvement naissant dont on n’a pas l’habitude qu’il s’exprime. Mais mobiliser beaucoup de gens pour une manifestation est difficile. Des actions de quelques personnes bien préparées peuvent obtenir un échos médiatique similaire.
Pour dénoncer la putophobie de cibles choisies, des actions de désobéissance civile peuvent avoir un intérêt. L’expression de la colère peut constituer un rapport de forces en notre faveur. Le fait de pouvoir se faufiler n’importe où et d’interpeller des responsables putophobes là où ils ne s’attendent pas que nous soyons sera destabilisant pour eux. Par exemple, nous pourrions intervenir dans les congrès abolitionnistes, monter à la tribune, prendre les micros, et les empêcher de parler comme ils le font contre nous. Ce sont des opérations de shaming pour dénoncer la putophobie d’une personne et renvoyer la honte sur elle. Les cibles en question peuvent aussi être des bâtiments officiels qui symbolisent un pouvoir putophobe, en manifestant devant ces locaux ou en les occupant, la peur finira par changer de camp.
Ces actions publiques nécessitent de bien connaître les lois pour savoir comment agir au mieux sans encourir de risques pénaux selon les lois du pays où l’on vit.

présenté lors de LA CONFERENCE DES SEX WORKERS DE BRUXELLES
Par Thierry Schaffauser et Jean-François Poupel – Les-Putes

Ecrit par libertad, à 21:56 dans la rubrique "Le privé est politique".



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