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L'En Dehors


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Faux amis : Toni Négri
Lu sur CQFD : "Le giscardisme est-il un léninisme ? La question se pose après le soutien ardent apporté par Toni Negri à la Constitution européenne. Doté d’un bac + 12 en dialectique, le gourou d’un marxisme branché faisait tribune avec le collectionneur de montres en or Julien Dray, affirmant que le traité serait un moyen de « combattre l’Empire, cette nouvelle société capitaliste mondialisée ». Quand le Non l’eut emporté, Negri s’exclama, amer : « C’est impressionnant, ce point de vue réactionnaire, archaïque ! » (Télérama, 08/06/05) En apparence, l’expression d’un oui-ouisme prolétarien et révolutionnaire avait de quoi surprendre. Mais en apparence seulement. Car s’il y a bien un mérite qu’il faut reconnaître à Negri, c’est de n’avoir jamais dérogé à ses convictions initiales. Il ne fait pas partie de ces ex-mao-trotsko-avant-gardistes qui, il y a trente ans, pimentaient leur plan de carrière d’un poil de subversion. Negri ne ment pas comme un arracheur de dents, un July ou un BHL. Peut-être n’en a-t-il ni le talent ni l’imagination, comme dirait Nietzsche. De fait, son courroux inextinguible à l’égard de « ce peuple archaïque et réactionnaire » ne le fait pas dévier d’un pouce de son propre parcours. C’est dans la ligne bringuebalante mais cohérente de sa construction idéologique.

Sa formation religieuse l’a d’abord conduit à interchanger le visage de Dieu et celui de Lénine. Antonio Negri était, est et reste un partisan de l’intervention des « révolutionnaires professionnels » (les prêtres guerriers), du « centralisme démocratique » (l’Église catholique), « de la conscientisation des masses » (les évangélisateurs) et plus concrètement de la dictature du parti (la Bible) sur « le prolétariat ». Vaille que vaille, malgré les faillites et le ridicule, toujours hanté par sa fascination pour le rôle de l’« intelligentsia révolutionnaire », ce contorsionniste a maintenu le cap. Le voilà aujourd’hui représentant de la « critique radicale » labellisée, celle dont on aime avoir peur. Les médias se l’arrachent. Une cour d’intellectuels et d’activistes nostalgiques d’une époque où tout était clair grâce au camarade Lénine, le suit et ânonne les new concepts que le Professeur cuisine depuis sa chaire de « leader de l’autonomie ». « Multitude » à la place de prolétariat, « bio-politique » à la place d’aliénation, « empire » à la place de capitalisme, « puissance » à la place d’autonomie. Ça a l’air neuf, ça sent le moderne, mais c’est toujours la même chanson. Dans les années 70, la stratégie du courant « opéraiste », dont Negri était l’un des chefs de file, était de « remettre en mouvement un mécanisme positif de développement capitaliste », à l’intérieur duquel il fallait « jouer la richesse d’un pouvoir ouvrier plus pesant ». Et ce à travers « l’usage révolutionnaire du réformisme ». En appelant à voter Oui à toutes ces élites dont l’activité consiste justement à impulser « un mécanisme positif de développement capitaliste », il continue, en bon clerc, à régurgiter consciencieusement ce qu’il a pêché chez son maître bolchévique. Il a craché son mépris contre ce peuple prétendument attaché à l’État-Nation, tout en arguant de la nécessité de créer le super État-Nation que serait l’Europe, cette vaste entité dirigée par des maîtres lointains et déterminés. L’Europe ferait front à la pression américaine, en confiant l’affaire à un méga-gouvernement central, comme au bon vieux temps. Dans ce bon vieux temps où le Secrétaire de l’Union des écrivains de la RDA pouvait déclarer, à la suite d’un soulèvement ouvrier réglé à coups de canons en 1953 : « Il va falloir que le peuple travaille dur pour reconquérir et mériter la confiance que ses chefs avaient placée en lui. »

Publié dans CQFD n°25, juillet-août 2005.
Ecrit par libertad, à 16:19 dans la rubrique "Pour comprendre".



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