Lu sur
Laurent Mucchielli :
"Écoutez Diderot justifier la vivisection des condamnés à mort, devenus
inhumains par leur déchéance civique. Écoutez Pasteur demander à
l'empereur du Brésil des corps de détenus pour expérimenter de dangereux
remèdes. Écoutez Koch préconiser l'internement des indigènes auxquels
il administrait des injections d'arsenic. « On expérimente les remèdes
sur des personnes de peu d'importance », disait Furetière en 1690 dans
son Dictionnaire universel.
Ce sont les paralytiques, les orphelins, les bagnards, les prostituées,
les esclaves, les colonisés, les fous, les détenus, les internés, les
condamnés à mort, les « corps vils » qui ont historiquement servi de
matériau expérimental à la science médicale moderne. Ce livre raconte
cette histoire occultée par les historiens des sciences. Qui supporte en
premier lieu les périls de l'innovation ? Qui en récolte les
bénéfices ? À partir de cette question centrale de l'allocation sociale
des risques, l'auteur interroge le lien étroit qui s'est établi, dans
une logique de sacrifice des plus vulnérables, entre la pratique
scientifique moderne, le racisme, le mépris de classe et la
dévalorisation de vies qui ne vaudraient pas la peine d'être vécues.
Comment, en même temps que se formait la rationalité scientifique, a pu
se développer ce qu'il faut bien appeler des « rationalités abominables
», chargées de justifier l'injustifiable ?