Exclure, voilà la traduction honteuse de l’identité nationale !
Il est de ces mots dont l’objet est de parler en négatif. Il en est ainsi de l’identité nationale et de l’immigration dont on a fait un ministère depuis quelque temps maintenant. Certains pourraient y déceler le frisson du blason, l’éclat des couleurs et la ferveur des hymnes. Mais cette rhétorique n’est pas signifiante à l’endroit, elle ne parle qu’à l’envers. En définissant ce qui n’est pas lui-même, le terme parle à l’envers des humains et agit comme une sentence définitive. Déjà on reconnait cet esprit nationaliste qui attise tant les oppositions et les zones de combat, depuis l’horreur des tranchées jusqu’au foot baballes ridicules car l’auto satisfaction nationale exclue tous les autres. Ce frisson des fanfares nationalistes devrait faire vomir.
Car le stratagème est connu. La construction de l’identité nationale n’est pas un souci neutre mais une ruse de la pensée. C’est un travail nationaliste qui force l’autre à n’être plus le même: il est l’étranger. Voilà qui est dit, l’autre est mis à part dans une identité fourre-tout. Et à la suite on prolonge peu à peu le tricotage verbal, il est assuré que « l’immigration porte atteinte à l’identité nationale ». On achève le renversement sémantique et l’étranger est stigmatisé comme une menace, l’autre devient l’ennemi. Et pourquoi pas cette invention terrible d’un ennemi héréditaire, ou génétique tant qu’on veut puisqu’il n’a pas l’identité requise. Même par « l’intégration », il peut devenir un renégat en trahissant sa propre identité. C’est ainsi que les différences d’identités religieuses ont ensanglanté le XVIème siècle si chrétien ou encore le XIXème et les inutiles combats d’identité du compagnonnage. Pire, la protection identitaire repose sur un eugénisme latent en demandant à se protéger de la « crainte du métissage ». C’est aussi ce discours de droite qui prétend reconnaître dès la maternelle le répréhensible et affirme l’humain génétiquement programmé et non réformable.
Mais quelle est donc cette substance nationale dont on prétend remplir l’identité ? Si le mot est fourbe, c’est qu’il travaille à enlever une part de l’esprit critique. La nation de notre naissance ou obtenue par le droit confond ainsi son identité creuse avec la culture, en chuchotant l’ethnie. Car « à l'origine de la crise de l'identité nationale, il y a le renoncement culturel" dit le chantre de l’intégration Nicolas Sarkozy (Discours de Besançon, 13 mars, 2007). L’identité nationale devient une longue construction historique irrévocable, une assimilation des autres. On renforce l’idée d’un édifice culturel avec quelques historiens, quelques soucis unificateurs, et un processus totalitaire devient plus ou moins présentable. Qui serait bien malin alors d’y débusquer le paradigme de la peur, cachés sous la fierté nationale et le patriotisme? Car qui serait assez sacrilège pour discuter notre culture, cette série d’habitudes qui proviendrait de nos pères, des celtes ou des calendes grecques?
Bien sûr, les fervents constructeurs du nationalisme reprochent aussitôt aux détracteurs de dénaturer la culture ou de caricaturer l’assimilation. Les réfractaires à l’identité nationale sont accusés de vouloir bâtir une cohabitation communautaire, multilinguistique, ethnique, et pourquoi pas inégalitaire puisqu’ils n’ont pas peur de modifier le sens des mots.
Car il ne faut pas dire que « l’assimilation » est d’abord une brutalité ni que le nationalisme reste la pire des exclusions….Ce qui est visible c’est que l’état est ce qui joue le rôle principal de l’identité nationale, l’état, pas la culture différenciée, plurielle qu’il abrite. L’état prétend être ce qui construit ce processus d’assimilation, comme s’il s’agissait d’une synthèse des diversités culturelles. Pourtant, ce monopole de la façon d’assimiler a historiquement reposé sur des contraintes bien sévères en supprimant le droit de parler et en usant énergiquement de la diffamation ethnique sinon raciale.
Aujourd’hui, l’état, « le plus froid de tous les monstres froids » organise désormais le tri des bons et des méchants. Car l’incroyable concept d’une « immigration choisie » planifie la discrimination légale selon le choix de quelques uns, représentants de la nation. L’identité nationale boucle son bon tour avec les accents les plus xénophobes de la mystification. En plus, on a inventé le crime de solidarité avec les sans-papiers. Mais qui est dupe de ces artifices ? Comment ne pas déceler ici le travail de discrimination à l’œuvre? Il n’y a finalement pas besoin d’arguments, on ne peut pas convaincre les partisans de l’exclusion. Pourtant, comment oublier que exclure conduit aussi à la mort.
Alors, désobéir est une vigilance mentale, un devoir de vie, disait Thoreau. Pas seulement pour changer la loi, mais simplement parce que cela est insupportable. Les oppresseurs ne se nourrissent que de la faiblesse de nos renoncements comme le soulignait Étienne de La Boétie.
Car ce qui fait l’identité, l’authenticité des humains, ce sont les idées qui traversent les frontières, les droits humains, les luttes contre la misère et contre l’exclusion, la conservation de la biodiversité, l’abolition de la mort programmée des pauvres, la sincérité des relations humaines et une science qui assumerait sa liberté critique. C’est dans le courage ordinaire de chacune de ces petites résistances que nous pouvons puiser une raison pour continuer.
Le 22 juin 2007 une pétition protestait contre l’existence de ce ministère de l’identité et de l’immigration. Qu’en reste-t-il ? Avons-nous cédé devant les grands planificateurs du renvoi des immigrés ? La difficulté de la résistance n’empêche rien de ces constructions iniques. Il faut abolir ce ministère pour ce qu’il signifie.
Il y a des mots qui forment des murs invisibles autour de nous, quand nous les laissons faire….
Thierry Lodé
Professeur d’écologie évolutive