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Né en octobre 1860, Émile Pouget doit son éveil politique à son beau-père, Philippe Vergely. Ce dernier, journaliste républicain, suivit le procès des Communeux de Narbonne qui se déroulait à Rodez, en novembre 1871. Le jeune Émile assiste à des audiences. Il ne rate pas une miette des déclarations de l’insurgé Émile Digeon et capte l’enthousiasme de Vergely. Le choix du jeune homme était fait. « Quand je serai grand, je serai journaliste. » À 13 ans, Pouget fit ses premières armes en créant Le Lycéen républicain.
À la mort de Vergely, en 1876, Pouget monte à Paris. À 16 ans, son premier emploi consiste à vendre calicots, articles de mode et bonneterie. Six ans après la Commune, le mouvement ouvrier À le souffle coupé. Des réunions et des meetings maintiennent la flamme. Pouget y court après son travail. Il y retrouve un certain Émile Digeon. Pouget devient anarchiste et, en 1879, participe à la création du syndicat parisien des employés du textile. Combinant ses idées et sa passion pour l’écriture, il lancera le bulletin mensuel de la chambre syndicale fédérale des employés qui réclame, notamment, la fermeture des magasins à 19 heures. Parallèlement, il rédige des brochures. Il publie ainsi la première publication antimilitariste française qui lui vaudra une arrestation en 1883.
Tout juste âgé de 21 ans, en juillet 1881, Pouget part pour Londres assister au congrès anarchiste international avec une trentaine de militants. Parmi eux Louise Michel et Pierre Kropotkine. On y cause propagande par le fait. La poudre ne va pas tarder à parler. Qui sème la misère récolte la colère... En 1883, les petites gens de Paris crèvent de faim. Louise Michel et Émile Pouget sont aux côtés des sans-travail qui réclament du pain. Louise brandit un jupon noir au bout d’un manche à balai. Le drapeau noir de la révolte était né. « Pillages », procès, prison.
En sortant du trou, Pouget participe à la création de Ça ira, bimensuel révolutionnaire anarchiste. Au bout de dix numéros, le canard coule en janvier 1889. Pouget se lance aussitôt dans une autre aventure, Le Père Peinard, clin d’œil au Père Duchesne qu’avait créé Hébert en 1790. Les « réflecs hebdomadaires d’un gniaff » valent deux ronds. Et le prolo en a pour son pognon. Comme le dit Pouget, en tant que gniaff (cordonnier), « je ne suis pas tenu d’écrire comme les niquedouilles de l’Académie : vous savez, ces quarante cornichons immortels qui sont en conserve dans un bocal. » Pouget se bombarde journaleux pour assaisonner la justice bourgeoise, l’armée, la religion, le capital, le parlementarisme. Des artistes, Maximilien Luce, Paul Signac, Pissaro..., lui donnent dessins et vignettes.
Le style détonne par rapport aux autres journaux anars, comme La Révolte ou Le Libertaire. Pour Pouget, il faut réveiller le populo et dévaler les rues. Grève générale ! Tous les coups sont bons. Y compris se présenter aux élections en dressant des listes avec les noms des morts de la Commune. Procès, prison. Quand un « gérant » tombe, un autre le remplace fièrement. C’est le temps des lois scélérates, des perquisitions, de la mise en fiche systématique des anarchistes. Les débuts de l’anthropométrie. Crier Vive l’anarchie ! est passible de cinq ans de taule. L’exil est conseillé aux militants les plus exposés. Pouget, comme Louise Michel, part pour Londres où les indics grouillent. Pour eux, pas question de laisser reparaître Le Père Peinard.
Mais le gniaff journaleux repousse sa gueulante en septembre 1894. L’année suivante, Pouget taquine la censure en lançant La Sociale. Procès, prison. Par manque d’argent, la pagination est parfois réduite, mais le journal sort chaque semaine jusqu’en octobre 1896. Pouget utilisera La Sociale pour convertir les anarchistes au syndicalisme. Tâche difficile. Il salue le Manifeste des Bourses du travail, milite pour l’action directe, le « sabottage ». Les deux « t » sont un clin d’œil au gniaff. En argot, travailler à coups de sabot signifie faire un travail bâclé. À mauvaise paie, mauvais travail...
Un autre débat épineux parcourait les milieux libertaires depuis 1894, l’affaire Dreyfus. Faut-il prendre partie dans une « affaire militaro-bourgeoise » ? Certains, comme Bernard Lazare, n’hésitent pas une seconde pour défendre le capitaine Dreyfus. « Il est des hommes pour qui la liberté et la justice ne sont pas de vains mots... » Les plus méfiants, dont Pouget, réagissent néanmoins quand l’extrême droite se déchaîne.
De 1879 à 1901, Pouget sera de toutes les réunions qui fonderont la CGT. Le Père Peinard s’éteint en 1902. Pouget reprend du service à La Voix du peuple où il sera rédac’ chef jusqu’en 1908. La ligne révolutionnaire est alors majoritaire autour de Pouget, de Griffuelhes, de Delesalle. La CGT mène campagne pour la journée de 8 heures (qui sera effective en 1919). Paul Delesalle n’hésitera pas à dire que la classe ouvrière doit beaucoup à Pouget sur cette question. Pouget sera aussi, avec Delesalle, Griffuelhes et Monatte, l’un des artisans de la Charte d’Amiens. À 50 ans, l’éminence grise de la CGT décrochera pour endosser les habits du retraité heureux. Il disparaîtra dans une quasi indifférence, en 1931.
Avec ses journaux, son almanach, ses chansons, ses brochures, son roman, Émile Pouget, piètre orateur, a diffusé l’idéal libertaire avec une énergie littéraire rare. Ponctuée de morceaux choisis et de rapports de police, la biographie de Xose Ulla Quiben offre aussi de nombreuses annexes. Photos, reproductions, articles, « horoscope », chants (dont La Ravachole) et même un glossaire complètent l’ouvrage.
Tout le monde n’est pas obligé de savoir qu’un « pisse-froid », dans le jargon peinard, est un socialiste. Quoique.
Paco