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Le Trouble : "Hiver 1998. Le verglas fait des ravages au Québec. Des centaines de personnes évacuées, des maisons innondées, la police qui rôde pour décourager d’éventuels « pillards » dans le « triangle infernal ». Pourtant, au Trouble, on se souvient surtout de la famille pis des amiEs qu’on hébergeait, des déjeuners à 15 chez ceux et celles qui avaient de l’électricité, des soupers communautaires, de la solidarité et des discussions avec les voisinEs.
L’effet thérapeutique de la catastropheEn 1906, la ville de San Francisco a été frappée par un tremblement de terre. 200,000 personnes, presque la moitié de la population, se sont retrouvées sans abri. C’est, à ce jour, le plus gros désastre urbain aux USA. Pourtant, les témoignages de l’époque parlent d’un sentiment presque joyeux qui régnait dans la ville. Pas de panique, pas de désorganisation. L’un des survivantEs, l’éditeur Charles B. Sedgwick, rapportait que « durant cette période d’épreuve, une réelle humanité régnait. C’était beau à voir, et donnait un aperçu de l’espèce humaine dans une lumière nouvelle et glorieuse » (1). Les New-yorkaisEs se souviennent des pannes d’électricité de 1965 et de 2003 comme des moments où la vie quotidienne s’est arrêtée et où les gens se sont entraidés. Chris Yuill, un sociologue, a publié un article sur la panne de 2003. Dans son texte, il fait quatre observations qui l’ont frappé durant l’évènement : un sentiment intense d’être en vie, l’absence de panique, les choses continuant à fonctionner (il donne l’exemple d’individus se mettant au milieu des intersections pour aider à diriger le trafic) et l’entraide (2).
En général quand une catastrophe naturelle frappe une région du monde, les médias se penchent sur la misère humaine, les mortEs et les sinistréEs. Dans des régions déjà dévastées par la catastrophe quotidienne de la pauvreté, ces événements naturels ont des conséquences catastrophiques. On n’a qu’à penser au Tsunami asiatique où au tremblement de terre au Kashmir. Mais, à tout le moins dans les pays « industrialisés », il y a une majorité de gens touchés par les catastrophes naturelles qui n’est pas blessée, tuée ou traumatisée, mais simplement ébranlée. Ces individus vivent souvent cette catastrophe comme étant stressante, évidemment, mais également comme quelque chose de profondément satisfaisant. En l’espace d’un instant, on se libère de nos inquiétudes personnelles du passé et du futur, pour être projetéEs dans l’instant présent. On peut mettre de côté nos problèmes individuels et vivre un instant de collectivité, où tout le monde est dans le même bateau. Les catastrophes brisent les murs qui nous isolent dans nos vies quotidiennes et cette nouvelle solidarité peut donner un sentiment de force et de liberté. En 1961, le sociologue Charles Fritz avait d’ailleurs fait une étude dans laquelle il tentait de répondre à la question : « Pourquoi les désastres majeurs produisent-ils des conditions d’aussi bonne santé mentale? » (3).
Les journées qui ont suivi les évènements du 11 septembre 2001 ont également été vécues, pour certainEs, de façon plus positive que ce que CNN ou Fox News pouvait laisser croire. Comme le mentionne l’article du Harper’s mentionné plus haut : « Les journées et mois après le 11/09 ont été l’une des expériences les plus inspirantes que j’ai vécue (…). Des centaines de milliers de personnes se sont portées volontaires et se sont entraidées dans toute la ville » et « personne n’allait travailler et tout le monde parlait aux inconnuEs ». Si c’est pas un peu ça l’anarchie…
L’effet séditieux de la catastropheDans une catastrophe, la majorité du monde est secourue et aidée par ses voisinEs. Les autorités sont, de par leur nature, trop éloignées et trop centralisées pour réagir rapidement. Dans l’intervalle entre l’événement qui détruit l’organisation sociale capitaliste et l’arrivée de l’État, règne une période où le pouvoir est relativement absent. La solidarité qui surgit et la réalisation que l’État ne fait que peu, ou rien pantoute, pour aider, peut faire germer la conscience que cet État est nuisible et superflu.
En 1985, un tremblement de terre frappe la ville de Mexico. À 8,0 sur l’échelle de Richter, le séisme fait environ 10,000 mortEs et laisse 250,000 personnes sans logis. Le parti au pouvoir depuis des décennies, le Parti Révolutionnaire Institutionnel (PRI), se câlice complètement de la population sinistrée. L’argent destinée à l’aide a disparue dans les poches de fonctionnaires corrompus, les flics et les militaires ont empoché le matériel destiné à l’aide humanitaire… Dans un exemple particulièrement dégueulasse, les flics sont payés par un patron de manufacture de vêtements pour sortir les machines des décombres, mais ne lèvent pas le petit doigt pour chercher les couturières du shift de nuit blessées ou mortes.
Loin d’être terrassée et abattue, la population prolétarienne de Mexico s’est organisée. Premièrement, pour organiser les secours. Dans un deuxième lieu, la population s’est organisée pour lutter contre les propriétaires et spéculateurs qui voulaient profiter du séisme pour reconstruire les logements détruits en augmentant les loyers de façon exorbitante. D’autres se sont organiséEs pour faire des prises de terrains, squatter l’électricité et l’eau courante et se reconstruire une vie décente. Plusieurs associations de quartier, regroupements populaires qui existent encore de nos jours, sont issus directement des suites du tremblement de terre.
La légitimité, par l’aide ou par la forceLes gouvernements démocratiques ont besoin de légitimité pour fonctionner. Bien que le recours à la force ne soit jamais bien loin (pensons à Octobre 1970), il est plus simple de faire rouler la machine capitaliste quand les sujets s’y prêtent le plus possible de leur plein gré. Les instants suivant une catastrophe, où les conséquences du pillage sont petites à côté du risque que la population réalise qu’elle peut s’organiser sans État, sont critiques pour le pouvoir qui veut protéger le statu quo. Le gouvernement yankee, après Katrina, s’est empressé de refuser l’aide extérieure (fallait surtout pas démontrer de la faiblesse) et d’envoyer une force d’occupation militaire pour « restaurer la loi et l’ordre». Les grandes organisations d’aide humanitaire institutionnelles participent également à cette opération d’étouffement de la solidarité. Au lieu de donner aux gens les moyens de s’auto-organiser, les croix/croissant-rouges de ce monde transforment les survivantEs en quêteux et quêteuses faisant la file pour recevoir la charité.
Que ce soit lors du verglas de 1998, lors de l’après-Katrina ou lors d’autres catastrophes naturelles (ou moins naturelles), il est important pour le pouvoir en place de nous décrire, soit comme des victimes ayant besoin de son aide, soit comme des criminelLEs et pillardEs qu’il faut contrôler. La réalité est heureusement différente. Les gens ne sombrent pas dans une folie « animale » qu’il faudrait domestiquer.
Quoique l’on en dise, les effets de l’ouragan Katrina vont se faire ressentir pendant longtemps. Pis on ne parle pas seulement de l’odeur de moisissure dans les maisons insalubres. Le vrai visage de l’État a été dévoilé : se foutant de la vie des gens, incapable d’offrir une aide efficace et plus occupé à tirer sur des « pillards » qu’à secourir le monde. L’autre effet, et que nous espérons voir grandir, est la réalisation par la population de la force d’une classe sociale qui s’entraide et qui s’organise; cette classe prenant assez confiance en elle-même pour décider de vivre sans État et sans patrons.
(1) tiré de : Rebecca Solnit, « The uses of disaster », Harper’s magazine, octobre 2005, traduction libre. Quelques éléments du présent article en sont également inspirés.
(2) Chris Yuill, « Emotions After Dark - a Sociological Impression of the 2003 New York Blackout » Sociological Research Online, Volume 9, Numéro 3,
http://www.socresonline.org.uk/9/3/9/3/yuill.html(3) Rebecca Solnit, traduction libre.
Article paru dans le numéro 32- novembre/décembre 2005