Aujourd'hui et demain arrive en librairie un livre particulièrement cher à mon coeur : le mien.
Il s'intitule "L'affaire Colonna", "Une bataille de presse".
Il raconte comment la presse nationale a rendu compte du procès en appel d'Yvan Colonna.
Il montre qu'en l'occurrence c'est la presse liée au PS, Libé, le
Nouvel Obs, etc..., qui s'est faite la championne de la raison d'Etat,
la défenderesse des polices, et la laudatrice des tribunaux spéciaux;
tandis qu'à droite, on était plutôt scandalisé des manquements au
droit, à la justice, et au respect des principes démocratiques que ce
procès révélait.
Je ne vous la cache pas : on m'a dit qu'il y avait peu de chances, dans
ces conditions, qu'on promeuve beaucoup ce livre dans les journaux.
Alors, autant que je la fasse moi-même.
N'y voyez pas un acharnement narcissique.
J'ai écrit ce bouquin pour contribuer à ce qu'on n'oublie pas Yvan Colonna au fond de son trou.
Ce n'est pas maintenant que je vais lâcher le morceau.
En voici un petit passage qui peut se lire à part :
Dreyfus et Colonna
Lorsque Me Pascal Garbarini, avocat de Colonna, avait qualifié ce
dernier de "Dreyfus corse", François Hollande avait déclaré sur RTL :
Cette comparaison me choque. Dreyfus a été condamné par une parodie de
justice, un déni de justice, il a été victime d'un complot contre la
vérité.(...) Cette comparaison est moralement inacceptable et
politiquement intenable.
Le rappel au moralement et au politiquement corrects pour interdire
toute comparaison s'imposait, car, en vérité, les ressemblances étaient
frappantes.
Les deux condamnés étaient passés devant des tribunaux d'exception dont
le jury était composé de magistrats, à la fois juges et jurés :
militaires pour le capitaine Dreyfus, civils pour le berger Colonna.
Leur culpabilité avait été affirmée en public, et avant tout jugement
par des membres du gouvernement. Pour le ministre de l'Intérieur
Nicolas Sarkozy, Yvan Colonna avait été l'assassin. Pour celui de la
Guerre, le général Mercier, Alfred Dreyfus était un espion.
Arthur Meyer, dans Le Gaulois, posa à l'époque cette question : "
Quelle liberté restera-t-il au Conseil de Guerre appelé à juger ce
prévenu ?" On se fit la même réflexion tout au long des deux procès
Colonna : quelle liberté restait-il à la Cour d'Assises Spéciale,
maintenant que Nicolas Sarkozy était devenu chef de l'État ?
Les condamnations de Dreyfus et Colonna n'avaient d'abord scandalisé
personne. La presse n'y avait pas vu grand-chose à redire. Jean-Pierre
Chevènement s'en était félicité. Jean-Jaurès s'était écrié à la
Chambre : "... pourquoi laisser ce misérable traître en vie ?"
On avait condamné Dreyfus sur la foi d'expertises graphologiques
contestables, et de témoignages émanant de l'armée. Pour Colonna, on
s'était contenté de ceux de la police. Les expertises quant à elles lui
étaient favorables, ainsi que tous les autres témoignages.
Dans les deux cas, un autre suspect s'était dénoncé du crime dont on
les accusait. Alessandri, après avoir été condamné comme coauteur de
l'assassinat, avait déclaré être le tireur. Esterhazy, après avoir été
acquitté à l'unanimité d'avoir écrit le bordereau, avait confié à la
presse qu'il en était l'auteur. On ne voulut croire ni le premier ni le
second, et c'était pour le même motif : il s'agissait d'aveux gratuits.
Les aveux tardifs d'Esterhazy étaient sans conséquence pour lui,
puisqu'on ne revient pas sur la chose jugée. Ils parurent suspects : en
toute logique, cet espion aurait dû continuer à se prétendre innocent.
Or il venait s'accuser d'avoir commis l'acte pour lequel on avait
envoyé Dreyfus au bagne. S'il tenait tant à le sauver, c'est qu'il
était son complice et, en réalité, son subordonné. Il sacrifiait sa
réputation pour protéger son chef.
C'est ainsi que les anti-dreyfusards retournèrent en preuve de
culpabilité l'aveu d'Esterhazy innocentant Dreyfus. De la même façon,
les partisans de l'ordre avaient retourné l'aveu d'Alessandri : il ne
risquait plus grand-chose, puisqu'il avait été déjà condamné à la plus
lourde peine, à tenter de sauver la star du groupe. C'était bien la
preuve de la place éminente qu'avait eue Colonna au sein du commando.
Les condamnations de Dreyfus et Colonna reposaient avant tout sur la
conviction des enquêteurs. On en vint, dans les deux cas, à douter de
ces derniers. À l'origine de la culpabilité de Dreyfus, il y avait eu
le colonel Henry, et à celle de Colonna, le commandant Lebbos. Tous
deux furent convaincus d'avoir fabriqué des faux durant l'enquête, et
l'on s'aperçut un peu tard qu'il s'agissait de menteurs sans scrupule.
À un siècle de distance, le commandant Picquart pour Dreyfus, le
commissaire Vinolas pour Colonna, tentèrent d'explorer d'autres pistes
que celle de la culpabilité de l'accusé. Picquart s'occupa d'Esterhzy,
Vinolas des membres du commando jamais inquiétés. Tous deux furent
amplement moqués et diffamés, et se trouvèrent en butte à l'hostilité
de leur hiérarchie. Leurs suppositions furent écartées par la justice.
Si Colonna fut condamné sur la base d'aveux anciens démentis à la
barre, la condamnation de Dreyfus fut justifiée par des aveux qu'il
aurait fait hors tribunal, au capitaine Lebrun-Renault, et qui sont
entrés dans l'Histoire sous le nom de "légende des aveux".
Les juges qui avaient condamné Colonna n'avaient pu le faire sur ce
qu'on avait vu pendant le procès. Celui-ci n'avait absolument pas
démontré la culpabilité de l'accusé. On a parfois supposé qu'ils
disposaient d'informations confidentielles, de nature à établir une
conviction si contraire au déroulement des débats. Les juges qui
condamnèrent Dreyfus avaient eu à leur disposition un dossier des
services secrets dont on ignore encore le contenu. Ce qu'on en connaît
par des révélations qu'en fit le général Mercier, ne prouvait pas la
culpabilité du capitaine, mais, faute d'être contredit, il aida à en
établir la conviction. Le président du Conseil de Guerre, Maurel,
devait déclarer au second procès Dreyfus, qu'un seul de ces documents
du dossier secret lui "fut suffisant". Il est établi aujourd'hui que la
pièce principale de ce dossier, une lettre de l'attaché militaire de
l'ambassade d'Allemagne, qui contenait l'expression "canaille de D...",
ne concernait pas Dreyfus.
La particularité de l'Affaire Dreyfus fut de se dérouler en pleine
vague d'antisémitisme. Depuis la publication de "La France Juive" de
Drumont, en 1885, neuf ans avant le début de l'Affaire, celui-ci
déferlait. En 1892, il eut son journal, "La Libre Parole" qui, le
premier, signala qu'un juif était soupçonné d'espionnage. Tout au long
de l'Affaire, ce même journal servit pour preuves de culpabilité les
poncifs les plus lamentables de l'antisémitisme : le mensonge juif, la
solidarité juive, la trahison juive, et l'absence de sentiment national
français.
Un même argumentaire fut employé durant le procès en appel d'Yvan
Colonna. Faute de preuve, et pour expliquer qu'aucun témoignage
n'accablait l'accusé, on parla d'omerta corse, de mafia corse, de
solidarité corse et de clan Colonna. Cette variante à l'usage des
Corses de la xénophobie n'a pas la même portée politique que
l'antisémitisme, mais elle en a eu la même fonction. Elle servit
d'ultima ratio à ceux qui, dans leur désir de faire condamner un homme,
ne trouvait plus la raison dans leur camp. Elle ne suscita pas beaucoup
d'indignation en France, sauf en Corse, naturellement, et parmi la
famille Colonna ainsi traitée d'organisation mafieuse.
La différence entre les Affaires Dreyfus et Colonna n'est pas dans
l'iniquité dont les accusés furent victimes. À quelque chose près ce
fut le même, et l'ironie de l'histoire veut qu'il y ait eu des
ressemblances jusque dans les détails de ces affaires.
La différence réside dans l'indignation que cette iniquité provoqua. Il
n'y eut pour Colonna que quelques journalistes et une opinion publique
que les principales personnalités politiques du pays et les
intellectuels les plus connus ignorèrent souverainement. Autre temps,
autres moeurs, la cause de Dreyfus avait été largement défendue. Il est
inutile ici d'évoquer Zola, qui fit de la prison pour elle, ni
Clémenceau, Jaurès, ou Péguy, mais le leader de l'extrême-droite
bonapartiste, l'antisémite Paul de Cassagnac, demandait dès 1896 la
révision du procès : Par cela même que le châtiment encouru est plus
effroyable, plus mérité et n'entraîne aucune compassion, il ne faudrait
pas (...) qu'un doute subsistât, doute horrible, épouvantable, et qui
autorise à se demander parfois, avec terreur, si réellement, si
effectivement, et malgré toutes les précautions dont on s'est entouré,
malgré l'honneur et le patriotisme des juges, il n'y a pas là-bas, à
l'île du Diable, quelqu'un qui agonise dans un supplice moral surhumain
et qui serait innocent ! Ce doute à lui seul est une chose effrayante.
Pour l'instant, il n'a pas effrayé grand monde parmi les partisans de
l'ordre au XXIe siècle, au premier rang desquels il faut désormais
compter ceux qui se réclament encore de Jaurès, de Zola, de la
tradition républicaine, et de tous les combats pour la justice et les
droits humains : les Socialistes. Voici pourquoi, après quatre ans
d'emprisonnement, la condamnation d'Yvan Colonna fut confirmée, alors
qu'après le même temps de relégation en Guyane, Alfred Dreyfus
recouvrait la liberté. Il avait bénéficié de larges soutiens dans la
classe politique, et particulièrement celui d'une gauche qui,
aujourd'hui, préfère se porter au secours de la raison d'Etat.
à 10:19