Depuis des mois nous assistons à des manœuvres sournoises accompagnées d’un florilège de qualificatifs ayant pour objectif avoué de remettre en question ce que nos prédécesseurs ont réussi à conquérir, souvent de haute lutte: retraites, protection sociale, temps de travail, service public,…
La
question de fond du sens de ces conquêtes étant beaucoup trop sulfureuse
pour le système en place, toute une batterie de discours, et de pratiques, testés
timidement par la Gauche au pouvoir, et repris sans hésitation par la Droite
conservatrice, fleurissent dans les médias pour stigmatiser celles et ceux qui
veulent conserver ces acquis.
HARO
SUR LES « PRIVILEGIES » !
Les
nazis avaient les Juifs, l’extrême droite, les arabes et les noirs, les
libéraux ont les « privilégiés »… oubliant au passage (mais peut-on
penser à tout ?) que ce sont les propriétaires du capital qui sont
les nantis et les vrais privilégiés… sans parler de la classe politique
complice de cette mise à mort.
Le
terme de « privilégié » a, il faut le reconnaître, une consonance
bien particulière dans notre inconscient collectif. Il renvoie à la Révolution
Française et à sa fameuse « nuit du 4 août » qui a une place
hautement symbolique dans toute mémoire d’écolier-citoyen…
Pour
les « privilégiés » c’est/c’était la guillotine… « Pas de quartier
pour les privilégiés », « Les privilégiés/aristocrates à la
lanterne ! » …
Le
Gouvernement actuel privilégiant (décidément !) le superficiel, le
médiatique, le sommaire, le faux semblant… a trouvé dans ce terme le parfait
repoussoir pour « honnête citoyen »… Il ne reste plus qu’à marteler
ce slogan, et les médias s’y emploient, pour faire de cette catégorie de salariés
des monstres d’égoïsme et d’ennemi de la cohésion sociale, bref des
« ennemis des valeurs de la République » ( ?)
Il
faut dire que ces « privilégiés » font désordre dans une vision
libérale du monde marchand… En effet, ce sont non seulement des salariés qui
ont réussi à arracher des avantages au Capital, qui donc lui coûtent,… et qui,
de plus, sont un très mauvais exemple dans la mesure où ils peuvent donner de « mauvaises
idées » aux jeunes générations.
DU
GUEUX AU… « PRIVILEGIE »
Quand
on se donne la peine d’y regarder de plus prés, ces fameux
« privilèges » faisaient, il y a quelques décennies seulement, aussi
bien la joie des salariés qui amélioraient leur vie, étaient un objectif pour
les autres… et étaient acceptés par leurs patrons qui acquéraient, contre
mauvaise fortune bon cœur, un label de « social » et surtout,… une
garantie de paix sociale.
Ces
« privilèges » que l’on appelait alors les « acquis sociaux »
que les politiciens de tous poils se vantaient, un peu rapidement, d’avoir
accordés ( ?), étaient en fait le produit de luttes opiniâtres de la part
de « gueux », de « prolétaires », de la « masse »
à la fois craints des possédants mais qui leur était nécessaire pour engranger
les profits.
A
partir des années 70, la mondialisation marchande a largement relativisé le
poids des salarié-e-s ce qui a eu deux types de conséquences
- ils
se sont retrouvés dans un marché mondialisé de leur force de travail et de ce
fait ont perdu de leur importance (modernisation technique de la production,
délocalisations) ;
- ils
ont vu remis en question leurs acquis par le capital qui, d’une part fait des
économies sur leur dos pour faire face aux contraintes de la concurrence inter capitaliste,
tout en profitant de leur faiblesse pour liquider ces acquis.
Le
glissement sémantique d’ « acquis sociaux » à « privilèges »
s’est fait tout logiquement dans le cadre d’une reprise en main par les
gestionnaires du capital pour déconsidérer les bastions les plus combatifs des
salariés, mais aussi pour soulever contre eux le reste de leurs collègues qui,
par comparaison à leur situation, mesurent un décalage qui leur parait « défavorable ».
Le
système marchand réussi ainsi le tour de force extraordinaire de faire d’un positif
social un,… négatif, et de faire en sorte que l’aspiration au mieux
soit transformé en l’aspiration à… une régression sociale collective
( ???).
A
faire admettre à tous que, pour le « bien collectif », il faut
« vivre moins bien » ( ???).
A
faire croire que l’accroissement de la richesse est un facteur inévitable et
juste d’appauvrissement ( ???)
A
faire croire que moins on a besoin de travail, plus il faut
travailler ( ???)
Cette
manœuvre idéologique de la part des gestionnaires du capital est
particulièrement sordide et abjecte : combinant le mensonge et la haine,
elle tend à diviser les salariés pour les affaiblir participant ainsi à leur
atomisation, les rendant de plus en plus désarmés face à un patronat tout
puissant.
La
Gauche, quant à elle, ou du moins ce qui se prétend être « de Gauche »
(PC, PS et autres groupuscules de notables repus,…), un peu gênée aux
entournures, et portant le poids politique et moral des premières atteintes
grave à ces acquis, dans les années 80, fait le dos rond espérant que la colère
se portera sur une Droite décomplexée qui elle n’hésite pas à engager cette
coupe réglée des acquis sociaux sous la haute vigilance du MEDEF.
UN
COMBAT ESSENTIEL
L’infra
« politisation », au sens noble du terme, des organisations
politiques et syndicales rend ce combat difficile car, les premières,
bureaucratisées, imbibées d’une culture électoraliste et souvent gestionnaire,
hésitent, et même se refusent, à poser la question dans ses vrais termes. Les
secondes, les « officielles » elles aussi largement bureaucratisées,
quand elles ne sont pas liées aux premières, ne s’en tiennent qu’à des
conceptions et revendications catégorielles qui faussent l’analyse et le
message. Toutes se complaisent dans une situation qui, à court terme,
correspond à leurs intérêts dérisoires.
Les
acquis sociaux ne sont pas des privilèges, ils sont le produit inaliénable du
combat contre un système essentiellement inégalitaire et qui instrumentalise
l’être humain.
Les
acquis sociaux, dont les « régimes spéciaux » font partie
doivent être des exemples, des buts, des objectifs, des guides, des références
pour tout salarié. Ils sont l’étalon des luttes sur lequel celles-ci doivent se
caler. On accepte plus, mais pas moins.
Le
soutien aux défenseurs des « acquis sociaux » est un impératif
catégorique, politique et moral absolu.
Il y va des acquis actuels, mais aussi des conditions de vie des générations
futures.
Entrer
dans le jeu pervers du discours gestionnaire officiel, c’est non seulement
trahir les luttes du passé, rendre caduque les sacrifices de celles et ceux qui
ont lutté et nous ont laissé un héritage social, mais hypothéquer gravement
l’avenir de nos descendants.
La
lutte engagée dépasse largement le cadre étroit d’un secteur, d’une profession,
d’un statut particulier.
Ce
qui se joue c’est un rapport de force fondamental entre celles et ceux qui
créent la richesse et celles et ceux qui en profitent impunément et
inégalitairement.
Ce
qui se joue c’est un ordonnancement social, une manière d’être socialement, de
reconnaissance… bref de dignité.
Capituler
c’est trahir celles et ceux qui se sont aussi battu pour nous.
Capituler
c’est laisser un monde socialement et politiquement en ruine à nos successeurs.
Patrick
MIGNARD
Voir
aussi :
« ACQUIS
SOCIAUX : RIEN N’EST JAMAIS ACQUIS »
« ILS
NE CEDERONT PLUS RIEN »
« NEGOCIER,
MAIS NEGOCIER QUOI ? »