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Démocratie, quand tu nous tiens !
--> in le Monde libertaire # 1462 du 25 au 31 janvier 2007
 Depuis sa parution, le roman "1984" de Georges Orwell est classé au rayon science fiction dans les librairies. Aujourd’hui, notre réalité et la société totalitaire décrite dans ce fameux livre se retrouvent, se calquent l’une sur l’autre pour se confondre.

Le discours dominant, en écrasant toutes les voix qui lui sont dissonantes, réussi à instaurer ce que nous pourrions appeler les bases de la "novlangue" : la pensée unique. Dans les médias officiels, cette dernière est relayée sans contre discours, elle s’impose donc au fur et à mesure comme une vérité. Dans nos démocraties représentatives, les politiciens ont remplacé Big Brother et se posent comme des maîtres dans l’art de la communication et bien souvent aussi, dans celui de la manipulation.

Ainsi, avec le terme "faire de la politique autrement", c’est, sous couvert de mettre fin aux débats stériles, aux procès, à la petite guéguerre politicarde entre droite et gauche, nous déposséder définitivement d’une quelconque marge de manœuvre sur le plan politique dans le champ sociale en tant qu’individu critique. Que les partis politiques décident de se discipliner dans leur spectacle est une chose, qu’ils tentent de blinder encore un peu plus la démocratie représentative en est une autre. Car c’est bien une volonté d’inscrire, par exemple, le non choix dans lequel nous nous sommes retrouvés lors des présidentielles de 2002 (une extrême droite ou une droite dure) comme quelque chose d’indépassable et d’irrémédiable. C’est inscrire cet état de fait comme intrus parmi d’autres facteurs sur lesquels nous n’avons aucune emprise tels que les imprévus de la vie, le temps, le vieillissement, la mort, etc.

A l’heure où le droit de vote se résume à cautionner le libéralisme et les politiques sécuritaires, l’abstentionnisme actif des anarchistes prend tout son sens.

Médiatiser une certaine facette de la classe politique : leurs pots de vins, les fraudes électorales, leur train de vie, leur salaire, sous couvert de " transparence", c’est nous pousser encore un peu plus au cynisme, nous écoeurer un peu plus de la politique pour pouvoir ensuite nous montrer d’un doigt accusateur, en disant que nous ne sommes pas assez concernés, pas assez conscients, pas assez responsables ou pas assez "votant". Les tenants du pouvoir jouent donc un double jeu en voulant créer des électeurs mais en faisant en sorte qu’ils ne se politisent pas trop non plus. Plus les populations se désintéressent de la politique et se contente de voter sagement à quelques rares occasions, plus les classes dirigeantes ont les mains libres pour mettre en place le projet de société qui les arrangent au mieux. C’est là que se joue en faite la survie de la démocratie représentative car les intérêts des uns s'arrête là ou commence ceux des autres.

Nous avons bien comprit ce qui se cache sous le terme de "dialogue social". Il s’agit en premier temps, dans les journaux télévisés, de caricaturer jusqu’au ridicule les acteurs des luttes sociales en montrant qu’une manif est au mieux, une récréation d’adultes irresponsables. Dans un second temps, c’est mettre en avant les conséquences contraignantes inévitables des mouvements sociaux, comme la maman qui ne pourra pas aller récupérer sa petite fille à la crèche à cause d’une grève de bus. C’est aussi prendre soins de retenir uniquement les ronchonneurs de services parmi les personnes interviewées, sur les quais de gare lors d’une grève de la SNCF par exemple. C’est ici faire en sorte que l’affectif prenne le dessus en écrasant la réflexion politique de fond : le pourquoi des luttes.

Les désagréments dus aux luttes sociales existent bien évidement, nous ne pouvons pas les nier. Se moquer des complications que cela implique pour certain-s-es serait du pur mépris. Restons dans le constructif en étant solidaire des grévistes (pas n’importe lesquels, ex : les contrôleurs des transport en communs qui demandent plus de sécurité). Mais criminaliser les manifestants et les grévistes en les nommant comme des terroristes et des preneurs d’otages, c’est créer et alimenter des tensions entre les salariés et les usagers et au final, diviser pour mieux régner en faisant passer les conséquences pour les causes.

On nous parle de l’importance de la liberté de la presse, mais si la liberté de la presse se limite à véhiculer le discours dominant, à quoi nous sert-elle ?

Viens ensuite "La réalité économique", comprendre ici : le Libéralisme. En communication, nous appelons cela un argument d’autorité. C’est poser d’emblée, tout ceux et celles qui critiqueront le libéralisme comme des utopistes, des irréalistes, des perchés. L’utilisation d’une telle rhétorique est le propre d’une société désireuse de protéger coûte que coûte son économie capitaliste.

Nous pourrions nous pencher sur d’autres termes comme "plan social", "l’économie social", "l’égalité des chances", "partenaires sociaux", etc. 

Réduire la contestation sociale à un trait de caractère, celui du français râleur par nature et jamais content, c’est vouloir mettre sur le même plan la lutte de classe et les sauts d’humeur. C’est vouloir amalgamer sciemment la critique bête et méchante, la critique stérile et systématique sans fondements réels avec l’esprit critique des individus qui s’organisent en associations, en collectifs, en groupes d’action et/ou de réflexions. C’est poser comme une déviance, un manque de maturité, ce même esprit critique qui nous permet de toujours rester maître de nos pensées, de nos décisions. De garder un recul nécessaire par rapport à tout ce qui se dit et ce fait dans notre entourage (publicité, télé, conversations informelles, prêt à penser), nous permettant ainsi d’être et d’agir selon nos convictions profondes et donc de nous positionner.

Mais certaines positions sont mal venues pour la rhétorique libérale. Si l’on suit son raisonnement, les opposants au développement du marché deviennent des réactionnaires, les anarchistes deviennent des autoritaires, les anti-G8 deviennent des fascistes. On ne peut donc plus exposer ou défendre ses opinions sans être taxé de manichéen. La plupart du temps d'ailleurs par des gens qui n'ont eux même pas forcément des idées sur les sujets abordés et qui, dès qu'ils se sentent dépassés ou dérangés par le débat, vont sortir cette espèce de carte magique sur laquelle est écrit cette réplique finalement très creuse : "ne soyons pas manichéens" (cqfc : soyons consensuels, obéissants et soumis aux décisions des dirigeants).
Il existe bel et bien des discours qui s’appuient sur la notion réductrice du bien et du mal, aucun doute là-dessus, ne tombons pas dans se piège. Mais ne pas faire la nuance entre un discours obtus, borné et un discours dissident qui dérange, relève là encore une fois d’une volonté de verrouiller les débats de société en posant comme unique repère la pensée unique.

Gardons nous bien de la paranoïa et de la très grossière théorie du complot qui voudrait qu’une sorte d’entité abstraite fomente des coups en douce contre le bien être des populations. Mais gardons nous tout autant de la naïveté : face à un tel extrémisme de la part de nos dirigeants successifs, face à une telle radicalité dans leurs propos et les lois qu’ils mettent en place, nous n’aurons pas d’autres choix que de "lutter contre", "de résister à", "de nous opposer à". La menace de la case prison ne doit ni minimiser notre motivation ni nous obliger à revoir à la baisse nos objectifs.

Au-delà du fatalisme véhiculé par les médias et de l’influence négative que cela peut avoir sur nous, sur notre conception des choses, notre vision du monde, gardons bien en tête une certaine période d’agitation sociale. Celle de la lutte des étudiants contre la mise en place du CPE. Ce fut l’occasion d’une prise de conscience collective, une politisation des esprits, l’apparition de discussions sur les places publiques, de débats, d’assemblées générales souveraines et la réappropriation de la parole politique. N’idéalisons pas trop les choses non plus. Mais tout ça montre bien qu’un mouvement social, de fait, ne se borne jamais à la contestation et qu’il est toujours porteur de perspectives de changements, de réflexions et d’actions qui remettent en cause l’ordre établi. Lorsque l’emprise du pouvoir sur les populations vacille, ces dernières se réapproprient spontanément ce qui leur est en temps normal confisqué : la démocratie directe ou le droit de s’organiser, de décider et d’agir par elles mêmes et dans leurs intérêts. Nous connaissons pour la plupart la façon dont a été traité le mouvement étudiant : répression, emprisonnement. Depuis, des contrats équivalents au CPE ont étés mis en place.

Cependant, aujourd’hui, de plus en plus, des forces sociales s'opposent, des forces pensantes s'opposent, des forces physiques s'opposent aussi parfois. Les raisons légitimes de se mobiliser sur le terrain contre les injustices sociales et les occasions de voir réapparaître un mouvement de révolte ne vont sûrement pas manquer. Peut être les retraités, peut être les chômeurs et les RMIstes, peut être les étudiants une fois encore, peut être les "banlieusards", ou peut être tous ceux là à la fois. Nous verrons bien alors, si la rue n’a pas son mot à dire. La rupture ne peut qu’être radicale et complète et espérons le, sur des bases autogestionnaires et anti autoritaires. Le train est de toute façon en marche, en attendant le prochain arrêt, organisons nous pour pouvoir agir.

David Cipriani, milite au groupe Nestor Makhno de la Fédération anarchiste de la région Rhône-Alpes.

in le Monde libertaire # 1462 du 25 au 31 janvier 2007, hebdo de la FA







Ecrit par mecano, à 17:21 dans la rubrique "Actualité".



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