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Cela se vérifie aussi dans la mouvance de l'objection de croissance : les femmes sont plus nombreuses à mettre en route des ateliers de cuisine, de cosmétique ou de santé alternatives que de mécanique ou de philosophie.
Autrefois le domestique était davantage public
Il se trouve que la colonisation de l'espace domestique a été décisive pour l'essor du capitalisme industriel, et cela de deux manières : en dévalorisant les productions traditionnelles des ménages par la publicité pour un idéal de vie "bourgeois" (pain blanc et villa de banlieue, etc. etc.) et en promouvant partout l'avis des experts (médecins, éducateurs ou services sociaux) contre le bon sens et la transmission familiales. Ce sont surtout des activités féminines qui ont été dévalorisées par le capitalisme industriel et les femmes, confinées dans leurs foyers, ont perdu une bonne part de leur influence dans l'espace public, celle que permettaient les activités extérieures (se procurer chaque jour des produits frais, laver au lavoir), mais aussi la mixité sociale et la domesticité dans les quartiers de pleine ville.
Le rapport masculin-féminin demeure hiérarchisé
Nous devons être conscients que cette valorisation publique traditionnelle des activités "féminines" se faisait dans le cadre de la hiérarchie symbolique qui prévaut dans toute l'humanité et estampille comme supérieur ou préférable ce qui est masculin. La plupart de nos concepts ont un versant féminin et un autre masculin (grand-petit, raide-mou, sec-humide, etc.). Les activités des femmes étaient autrefois davantage publiques mais toujours valorisées de façon subalterne par rapport aux activités masculines. C'est ce qui fait qu'aujourd'hui encore, les femmes les plus aisées et a fortiori les hommes cherchent toujours à éviter les activités domestiques en employant du personnel de maison ou en déléguant à des entreprises de service. De même, une place égale des femmes reste difficile à obtenir dans le domaine considéré comme supérieur et célébré comme tel, celui des activités symboliques tels que les actes et les représentations religieuses, politiques ou artistiques, les récits historiques, la pensée philosophique et la recherche scientifique, a fortiori lorsque ces activités concernent des pouvoirs publics : l'industrie, la finance ou l'État.
Le rôle civilisateur des activités domestiques est rabaissé par l'économie
Les femmes se `trouvent au coeur de l'injustice qui permet la prospérité du Capital. À l'échelle de la planète, c'est majoritairement sur le travail non salarié et peu valorisé des femmes que repose la reproduction d'une force de travail masculine ou féminine qui se vend au rabais dans les entreprises. Les femmes nourrissent, nettoient, reposent...
C'est seulement dans les pays où beaucoup de femmes sont salariées qu'une partie de ces tâches est prise en charge par des structures (cantines, crèches, maisons de retraite, etc.) qui, parce qu'elles sont peu "rentables", peinent à obtenir la part des richesses produites qui leur permettrait de fonctionner correctement. Les soins aux enfants ou aux personnes âgées sont toujours peu valorisés, à la fois d'avoir toujours été assumés par les femmes dans un contexte symbolique qui les place en position subalterne (position qu'elles conservent dans le salariat), et du fait que la domination des impératifs économiques que le capitalisme impose par les manipulations publicitaires nous empêche de penser philosophiquement et politiquement l'importance civilisatrice de ces tâches.
S'appuyer sur l'éducation et le partage intergénérationnel
Cette importance, les objecteurs de croissance sont bien placés pour l'estimer à sa juste mesure : nous savons combien l'éducation de nos enfants est déterminante pour un avenir durable et juste de l'humanité, et combien l'école peine à assurer sa mission alors que sévit la peste publicitaire, basée sur une pensée binaire et la transgression mimée de, tous les interdits. De plus, l'éducation, c'est bien plus que les apprentissages disciplinaires auxquels la logique consommatrice et elientéliste tend aujourd'hui à réduire l'offre scolaire.
De même, le partage d'expérience avec nos anciens est un moyen décisif d'acquérir de la sagesse, entre autres la conscience que la vie est une trajectoire douée de forme et nourrie de mémoire, et non une éternité compulsive qui sera malencontreusement interrompue...
La tradition étant ce qu'elle est encore, penser et valoriser les soins aux enfants et la relation avec les personnes âgées ne se fera pas sans la participation des femmes ni une présence féminine accrue dans l'espace public.
Les tâches « féminines » sont prises d'assaut par la publicité
Même si depuis quelques années d'offensive publicitaire, les enfants deviennent les prescripteurs d'un très grand nombre d'achats des familles, c'est encore le plus souvent par les femmes que passe la décision ultime, en tout cas pour ce qui est de l'alimentation, de l'habillage, des jouets et des soins. Pour ce qui les concerne, les femmes ont toujours vécu depuis le 19e siècle dans un climat permanent d'injonctions publicitaires quant à leur physique et leur comportement, autant que pour leurs vêtements ou les produits utiles au foyer ; injonctions d'autant plus efficaces qu'elle s'adressent à une fraction symboliquement subalterne de l'humanité, toujours en quête de reconnaissance et de valorisation par rapport au masculin, et pas seulement dans le domaine sexuel.
Par rapport aux hommes, les femmes sont donc plus souvent des consommatrices compulsives et peu regardantes, mais c'est aussi ce qui les place au coeur de la problématique : consommer rend-il plus heureux ? N'en résulte-t-il pas un bonheur précaire, au prix de l'asservissement à des normes qui, en fin de compte, empoisonnent l'existence en empêchant d'en penser la trajectoire ?
Pour se libérer de la peste publicitaire, les femmes ont besoin des femmes
Qui mieux que d'autres femmes pourraient leur démontrer combien il est agréable de se libérer des injonctions publicitaires en faisant le choix de la décroissance ?
Une telle démonstration ne peut être seulement argumentative. L'exemple est décisif. Il s'agit de donner envie de diminuer sa collaboration aux dégâts humains et écologiques, donner envie de travailler autrement, de vivre à partir de moins d'injustice et de moins d'énergie et de matériaux.
La décroissance a donc besoin, du seul point de vue de la consommation et de la résistance à la publicité, qu'au moins autant de femmes que d'hommes s'impliquent dans ses activités publiques.
Valoriser les pratiques domestiques de non-collaboration
Il nous faut parvenir, dans nos foyers, à renoncer aux productions du capitalisme industriel qui sont coûteuses du point de vue de la justice humaine (pillage des ressources du Sud, mépris des travailleurs) comme du point de vue écologique (transports, déchets...). La fameuse "grève de la consommation" exige un travail plus important à la maison. Moi qui jardine dans un grand jardin partagé, je vois chaque année des personnes renoncer à leur panier de légumes bio hebdomadaire en raison de la préparation nécessaire pour les cuisiner...
II faut masculiniser le domestique pour le valoriser
Pas question de charger les femmes au nom d'une prétendue revalorisation du domestique qui resterait subalterne dans le contexte symbolique actuel. Valoriser les problématiques domestiques pour en faire un terrain d'alternative efficace exige de "masculiniser" les tâches concernées. Des hommes, nombreux, doivent participer avec les femmes à la non collaboration aux dégâts de la croissance comme s'approvisionner localement, renoncer aux produits polluants, utiliser des denrées moins transformées et recycler au maximum ; et plus précisément : cultiver et cueillir ou aller faire le marché, éplucher et cuisiner, récupérer, raccommoder et réparer.
Encore une fois, la plupart de ces tâches sont prises en charge habituellement par les femmes et le risque existe qu'elles continuent à leur incomber alors que leur part demande de plus en plus de temps, parce que le choix de non collaboration est minoritaire et qu'il n'y a donc pas ou peu de solutions collectives. Or, ces choix encore minoritaires sont ceux que nous voulons voir se répandre et être adoptés largement, et le plus vite sera le mieux, vu l'urgence humaine et écologique ! Il nous faut donc éviter la connotation "féminine", pas assez enviable, des pratiques de non-collaboration.
La mixité sera aussi un moyen de rendre ces choix efficaces immédiatement, dans un contexte où beaucoup de femmes tiennent à leur "indépendance" salariale.
Elle aura un autre avantage : bien des femmes devront réévaluer leurs exigences quant au ménage, à l'hygiène ou aux repas. Pour les couples, la négociation peut être libératrice autant qu'instructive, et sortir du cadre duel en débattant collectivement des enjeux écologiques et politiques des comportements et des produits peut être un moyen d'éviter l'investissement émotionnel qui la rend si souvent difficile...
L'égalité est un atout dans l'imaginaire pour l'objection de croissance
De fait, on constate que la participation des hommes aux tâches habituellement "féminines" est déjà plus importante dans les milieux de la décroissance qu'ailleurs, preuve que l'enjeu est ressenti, sinon explicité, alors même que la représentation que les Français se font du couple est désormais égalitaire bien que, dans les faits, on soit loin du compte.
La décroissance a ici un atout dans l'imaginaire qu'il serait important de valoriser dans l'espace public, simplement en y existant résolument, avec nos travaux, nos échanges, nos fêtes, nos débats, mais aussi en mettant culturellement en scène ce qui nous mobilise et nous interroge (paroles et écrits, chant, théâtre, installations, vidéos...), ce qui reviendrait à s'opposer enfin à l'influence de la pub sur son terrain même, celui du désir de sens et d'expérience. Car on entend souvent qu'il s'agit de privilégier l'être sur l'avoir, mais c'est sous-entendre à tort que l'avoir serait ce qui motive aujourd'hui la consommation effrénée. Dans les propositions de la pub, c'est de l'imaginaire, du sens, de l'expérience qui nous font avant tout envie, les objets n'en sont que le support !
L'accession des femmes au politique peut socialiser les tâches domestiques
D'un point de vue plus stratégique que tactique, il faut aussi permettre aux femmes de participer en nombre à l'activité politique pour stimuler des réponses collectives à l'objectif de moindre empreinte écologique. Les femmes sont les mieux placées pour porter cette exigence car les efforts de masculinisation préconisés ci-dessus risquent d'être imparfaits et elles ressentiront plus que les hommes l'augmentation des tâches domestiques, tout en ne trouvant pas leur compte de valorisation égalitaire.
L'inventivité des femmes et des hommes est requise car ce sont, non pas des productions domestiques, mais des alternatives industrielles non capitalistes qui seront la plupart du temps les plus économes en temps et en énergie pour que nous, puissions nous approvisionner le plus localement possible et recycler au maximum. Elles devraient s'avérer plus productives par une division choisie de gestes et de techniques, mais aussi décentralisées et coopérativement gérées. Nous autres citoyens, hommes et femmes à égalité, avons à conquérir les moyens d'exercer un droit d'inventaire sur ce qui est rendu possible par les sciences et les techniques et, à terme, sur leurs objectifs de recherche.
On peut ainsi concevoir que, dans plusieurs cas, des productions industrialisées, non rentables du point de vue capitaliste qui sévit aujourd'hui, seront de meilleurs choix que des productions domestiques du point de vue humain comme écologique. L'autonomie chère à beaucoup d'objecteurs de croissance n'est sans doute pas la revendication qu'il nous faudrait mettre en avant. Plutôt que d'un imaginaire inspiré par l'individualisme qui sied au capitalisme, nous avons besoin de mettre en oeuvre (en actes !) et de cultiver dans nos représentations et nos rêves, une hétéronomie enfin assumée, réfléchie, bref démocratique et écologique puisqu'il s'agit de faire société autrement qu'aujourd'hui mais à partir d'aujourd'hui, en nous demandant : à quoi sommes-nous attachés ? à quoi voulons-nous l'être ?
II y a là une "spirale vertueuse", des boucles de rétro-actions : dès maintenant, le choix de consacrer moins de temps aux tâches d'un quotidien pourtant plus prenant car plus soutenable doit être possible pour toutes les femmes, donc on a besoin de tous les hommes, et c'est la condition sine qua non pour une participation efficace des femmes au politique qui est décisive vers une société plus juste et plus durable, avec une économie enfin assignée au service de cet objectif.
Remettre l'économie à sa place
Les femmes sont plus nombreuses que les hommes à subordonner leur salariat à leurs choix de vie extra-salariaux, d'où temps partiels et moindre ambition carriériste. Elles vivent au premier chef la contradiction entre indépendance financière par assentiment aux choix capitalistes en matière d'emploi et de consommation, et indépendance de vie par choix plus ou moins réfléchi d'activités familiales, sociales ou culturelles.
Les hommes vivent aussi cette contradiction mais, parce que les offres du capitalisme ont toujours privilégié le versant traditionnellement considéré comme plus masculin des comportements (la compétition, l'extraversion et la maîtrise), comportements qui ont toujours été très fortement stimulés chez les hommes, ces derniers sont davantage enclins à céder sur le plan de leurs choix extra-salariaux. Néanmoins, beaucoup vivent cela comme une oppression, ils sont plus nombreux qu'autrefois à oser le dire et constituent autant d'alliés potentiels pour la décroissance.
Le débat politique doit aussi exister sur le lieu de travail
On l'a dit plus haut, choisir la non collaboration à la croissance exige plus d'investissement dans les tâches privées quotidiennes. Si on double cette non-collaboration avec l'activité politique qui va avec, on se sent vite obligé de diminuer son temps salarié.
Bien sûr, le partage traditionnel est possible : l'homme occupe son temps au travail et à l'agit-prop politique pendant que "sa" femme assure la plus grande part des tâches domestiques.
Une telle option chez les objecteurs de croissance (nul doute qu'elle existe), si elle était majoritaire, reviendrait à retarder l'évolution économique souhaitée en ne favorisant pas l'accès des femmes aux débats socio-politiques qui doivent se développer sur les lieux de travail autant que dans l'espace public.
La question des choix de vie que se posent surtout les femmes est une question qui ne demande qu'à devenir, dans les entreprises mêmes, celle du sens des tâches et de l'inventaire des besoins qui importent vraiment à tous. Or, avoir une activité politique exige du temps.
Partage et socialisation indispensables
Nous avons donc à obtenir ensemble que les choix extra-salariaux des femmes soient plus librement consentis, que ce ne soit pas le "on n'a pas le choix" de l'absence de crèche, du salaire trop bas ou de la tradition non débattue qui leur imposent leur vie, c'est-à-dire que l'essentiel des tâches extra-salariales contraintes, celles de la vie domestique, ne leur reviennent pas encore et toujours, leur interdisant d'exercer leur créativité sociale, culturelle et économique, ainsi que leurs compétences politiques indispensables.
Il faut donc à la fois masculiniser et socialiser autrement ces tâches.
Du point de vue de la décroissance, cette lutte féministe rejoint la revendication pour tous de pouvoir mener une vie avec des tâches pourvues de sens et compatibles avec justice et écologie, une revendication qui exige solidarité et partage entre hommes et femmes, dans l'espace privé comme dans l'espace public.
Donner toute sa place aux femmes
L'objection de croissance constitue la seule option politique qui, parce qu'elle met au premier plan une question aujourd'hui majoritairement vécue par les femmes, celle du sens du travail humain, se trouve dans la nécessité vitale de faire progresser l'égalité hommes-femmes dans le contenu comme dans le partage des tâches domestiques, avec l'objectif de promouvoir dans l'espace public une vraie démocratie active où les femmes aient toute leur place.
Contribuer aux visées du féminisme, c'est à la fois renforcer les moyens (l'accès des femmes au politique, pour parvenir à subordonner l'économie par la non-collaboration aux dégâts actuels et par la démocratie active) et conquérir une part de la fin (plus de justice et de liberté pour tous les humains).
On peut s'attendre à ce qu'une plus grande égalité dans la sphère privée comme dans la sphère publique avec, à terme, une moindre césure entre ces deux espaces, nous permette de progresser vers la fin de la hiérarchie bipolaire du symbolique (objectif ultime du féminisme) et son découplage d'avec les genres, l'éventail de ces derniers se diversifiant (1) au-delà du dualisme masculin-féminin.
Je développe ci-après quelques propositions immédiates.
La parité dans les activités publiques de l'objection de croissance
Dans les activités publiques de l'objection de croissance, tout faire pour qu'apparaissent à chaque fois une moitié de femmes et une moitié d'hommes.
Au niveau des responsabilités internes (même provisoires, le temps d'une initiative), s'obliger à la parité chaque fois qu'elle est possible : c'est une question de cohérence politique. On n'attend pas des femmes et des hommes qui prennent en charge l'organisation d'une initiative qu'ils aient des compétences précises mais la seule volonté de coopérer pour réussir. Nul doute qu'une moitié de femmes bouleverse certaines routines, mais ce sera forcément dans le sens de rendre les initiatives publiques plus largement recevables (par les femmes, entre autres...), moins "professionnelles", toutes qualités décisives pour qui veut promouvoir la démocratie active. C'est pourquoi vous avez bien lu : s'obliger à la parité. C'est pourquoi les groupes d'agitateurs politiques devraient toujours se poser la question de la participation des femmes dans les conditions qui sont majoritairement les leurs aujourd'hui (la charge des enfants en particulier...) et trouver des solutions pratiques.
Vivre des activités culturelles
Par des activités culturelles le plus souvent possible publiques, modifier les ressentis et provoquer questionnement et débats avec pour vocation d'influer sur l'espace privé et la répartition des tâches entre hommes et femmes mais aussi le contenu de ces tâches. Lectures, installations visuelles, théâtralisation, vidéos, etc. : tout sera bon pour représenter, dans telle ou telle situation, la bipolarisation hiérarchisée des genres via la conversation, les gestes et les attitudes. Représenter au sens le plus large, le moins manichéen possible : il s'agit d'en appeler aux sensibilités et aux intelligences... Mais il s'agit aussi d'oser farfouiller dans les évidences de l'ordinaire (y compris sexuelles).
Agir auprès des élus et des institutions
L'éducation des enfants est déterminante : en sachant qu'une bonne part est jouée avant tout enseignement collectif, il faut néanmoins être attentif au matériel éducatif, aux livres et aux vidéos. De la même manière qu'il faut dénoncer les inconséquences écologiques, le sexisme doit être repoussé et la contribution historique des femmes valorisée au nom de la justice et de l'esprit critique indispensables à une vraie démocratie.
Exigeons l'imposition toujours séparée, et de même le statut social en général : ne pas distinguer les personnes qui cohabitent dans l'accès à aucun droit.
Obtenir que la paternité soit valorisée pour la retraite, reconnaître le travail paternel comme le travail maternel, donner droit à pension pour les pères divorcés en leur confiant plus souvent les enfants, obligation d'un congé de paternité et partage strict entre les tuteurs légaux des absences pour enfant malade,
Obtenir la nomination d'autant de femmes que d'hommes dans les commissions de recrutement, les conseils et le professorat des organismes d'enseignement et de recherche publics (mesure gratuite !).
La question de l'allocation d'existence
Beaucoup de revendications qui amélioreraient ce qui constitue défait la vie de beaucoup de femmes sont pleinement légitimes, comme celle d'un vrai service public d'éducation de la petite enfance (gratuit par redistribution), ou celle de l'égalité des salaires à qualification égale, ou encore celle du droit à un logement correct quels que soient les aléas de la vie. Les bonnes propositions ne manquent pas (voir ce qui précède...), c'est l'activité politique des citoyens qui fait défaut et ce n'est pas la caricature que constitue la démocratie participative (conseils de quartier etc.) qui y changera grand-chose. Quelle visée sous-tend la revendication d'un revenu garanti ou d'une allocation d'existence ? Le souci d'assurer à tous le droit à une vie "décente", un qualificatif à débattre d'urgence : car nous avons à assumer ce souci hautement humain avec la visée non moins nécessaire de diminuer notre empreinte écologique.
Une "allocation d'existence" ne vaudrait qu'avec un montant élevé permettant d'assurer une réelle indépendance de vie, y compris familiale (se loger, élever des enfants même seul - hélas trop souvent le cas pour des femmes - et avoir assez de surplus pour une vie culturelle). Si cette allocation est faible (à court terme, ce sera très difficile qu'il ne le soit pas il faudrait, entre autres, en avoir fini avec la domination capitaliste), ce sont les femmes qui y seront assignées en masse comme c'est déjà le cas pour les minima sociaux et les temps partiels.
Ne faudrait-il pas mieux déclarer que notre folle productivité permettrait de donner emploi et revenu à tous en diminuant considérablement le temps de travail de chacun ? Par exemple : revendiquer pour tous la "semaine de vingt heures pas plus pour le Capital (ou l'État) t» (assortie d'un revenu maximal autorisé) ? Voilà une revendication que le capitalisme ne pourra pas nous servir au rabais, aussi la ressent-on comme hors de portée immédiate, comme une "expérience de pensée utopique" qui nous rappelle la nécessité de conquérir un réel pouvoir citoyen. Tel est l'intérêt des revendications peu enracinées, pratiquement hors contexte : donner à imaginer. Ici : des hommes qui auraient enfin la possibilité de partager avec les femmes le souci du quotidien au lieu que trop de ces dernières soient poussées à se contenter d'une "allocation d'existence" assortie des joies du foyer... ; et tous, hommes et femmes, qui aurions plus de temps pour, réfléchir à nos choix de vie et à la marche du monde (entre autres au sens des emplois qui nous sont proposés et de la course à la productivité).
Diminuer partout l'importance des relations dominant-dominé
Même lorsque les femmes sont majoritaires dans une association ou un réseau, (et je me demande si ce n'est pas souvent le cas dans l'objection de croissance), les hommes y occupent bien souvent la plupart des responsabilités. Dès la prise de parole, la question de la part des femmes est posée, encore plus massivement que celle des hommes bien que pour des raisons qui se rejoignent : c'est la compétition pour "avoir raison" qui est à l'oeuvre, selon le modèle des joutes oratoires héritées de la démocratie athénienne. Sortir de ce modèle profiterait non seulement aux femmes mais aussi à une majorité d'hommes.
Il est certainement vain d'espérer que les routines soient ébranlées par celles et surtout ceux qui les trouvent confortables ou même naturelles : donner à ressentir les contradictions, à vivre de l'inconfort et amener à questionner, à remanier, sont des objectifs qui concernent surtout les arts (voir plus haut)... Mais comme un bon nombre d'humains trouve déjà la situation des genres, non seulement inégalitaire pour les "femmes", mais aussi pénible pour pas mal d' "hommes", la possibilité existe de former des groupes d'agit-prop et de réflexion pour propager la prise en compte de ces difficultés.
Ainsi, concernant les échanges oraux, une recherche active de techniques est à mettre au crédit des alternatifs en général, et de l'objection de croissance en particulier. Des propositions ont d'ores et déjà été avancées et expérimentées pour favoriser plus de justice, mais aussi de justesse à l'oral. Vous trouverez beaucoup d'idées dans le manuel Guérilla kit de Morjane Baba (éditions La Découverte 2003), aussi sur le site des Colporteurs de la décroissance. De plus, une réflexion passionnante est en cours chez Les Renseignements Généreux (autre site à visiter).
Un principe élémentaire se trouve déjà à portée immédiate : renoncer aux salles avec tribune et rangées fixes...
Soyons conscients qu'il y aura toujours du "pouvoir" mais l'important est qu'il circule, qu'il soit disponible et pas confisqué ! Et des rituels sont à inventer pour, qu'en fin d'échange, il soit remis à la Terre, ou au Vide d'où tout procède, ou dans le Livre Blanc de l'Incréé : à nous de faire preuve d'imagination...
Et les productions écrites ? Comment coopérer entre hommes et femmes qui réfléchissent et se documentent pour écrire des interventions plus vivantes, qui ménagent la part de l'incertitude, du choix multiple ? Il existe une tentative technique appelée "hyperdébat", mais il reste beaucoup à inventer en pratiquant. Car il s'agit de proposer des écrits qui donnent envie de réfléchir et de contribuer au maximum de lecteurs. Diverses formes interactives devraient être possibles sur internet, mais pas seulement. Limportant est sans doute d'être conscient(e) qu'on réalise une intervention dans un débat plutôt qu'une somme achevée...
Finalement, en matière de débat public, oral comme écrit, il me semble que l'enjeu, pour une reconquête citoyenne du politique, est de sortir des modèles dominants (et dominateurs) plutôt que d'y inclure les femmes...
Marie Najman
(texte écrit en mars-juin 2007, avec l'aide indispensable d'Angéline Delbos, Didier Laurencin, Marilou Terrien et Bernard Legros)
(1) De mon point de vue, ce qui a lieu aujourd'hui n'est pas la "dé-différenciation sexuelle" "tellement tendance" que dénonce Paul Ariès dans La Décroissance n°37 page 5. Les genres se diversifient, et c'est une bonne chose pour qui estime que l'assignation sociale au "féminin" ou au "masculin" canoniques sont des entraves au développement des personnes et à leur richesse identitaire.
S!lence #350 octobre 2007
Commentaires :
libertad |
Texte tout à fait passionnant à lire qui aborde la question du partage des tâches ménagères d'un point de vue politique et écologiste ( décroissant ) et non culpabilisateur.
A contre -courant d'un discours usuel dans une partie du féminisme qui fait du travail gratuit des femmes dans la sphère familiale une forme d'exploitation nécessaire à la reproduction de la force de travail et donc indispensable au système capitaliste. Si l'argument a pu valoir au 19ème ( et encore pas partout car dans certaines industries comme le textile la main-d'oeuvre féminine était indispensable ), cet argument ne tient plus aujourd'hui : le système marchand a complètement envahi la sphère familiale et une bonne part des tâches effectuées gratuitement par les femmes sont entrées dans la sphère marchande. Le travail gratuit des femmes est devenu un obstacle à l'élargissement du capital : tout le domaine privé devient source de marchandisation, y compris l'éducation des enfants. Face à ce phénomène se pose pour nombre de femmes la question du pouvoir sur leur vie. Certaines peuvent avoir le sentiment de trouver leur compte dans le travail ( pour les emplois les plus qualifiés et intéressants ) mais une partie des femmes se rend compte du peu de pouvoir qu'elles peuvent y exercer. Comme pour nombre d'hommes le travail devient une activité routinière et dépourvue d'intérêt. On comprend dès lors qu'ayant perdu, du fait de la marchandisation une bonne part de leur pouvoir d'organiser la vie du foyer de plus en plus industrialisée du fait du manque de temps et du stress, certaines femmes puissent s'accrocher ( parfois assez désespérément ) à leurs anciennes prérogatives familiales et soient peu enclines à laisser les hommes s'accaparer de ce domaine. Derrière un discours de principe pour l'égalité du partage des tâches ménagères, on peut remarquer le peu d'empressement de nombre de femmes à se battre pour que ce partage soit effectif, souvent au nom d'un principe bien commode : "il vaut mieux que je le fasse car sinon ce ne sera pas bien fait ". Comme les hommes de par leur éducation on une tendance à la paresse pour s'impliquer dans ce domaine, le modus vivendi est bien vite trouvé pour qu'en fait rien ne change. Si les couples sans enfants et jeunes partagent relativement bien les taches dans la phase de séduction amoureuse, l'arrivée des enfants et l'inégalité de prise en charge lors du congé maternité, crée des habitudes difficiles ensuite à abandonner. Si l'on ajoute à celà la fait que la femme devenue mère et spécialiste par le savoir-faire acquis pendant le congé, ramène l'homme à la situation qu'il a connu avec sa propre mère, tout un climat se crée pour que les inégalités se perpétuent sans que personne veuille réellement changer la situation. On pourra remarquer que le féminisme a un discours bien faible sur cette question, soit très théorique, mais sans implication concrète ( où sont les campagnes menées sur ce sujet ? ) soit de pure dénonciation du type de celui de Lutte ouvrière à propos du capitalisme (disons que ça ne mange pas de pain ) Or comme le dit bien le texte, dans une optique de décroissance, les femmes devraient aussi se libérer de l'emprise de la publicité. C'est aussi en lâchant prise sur la question des achats et des courses que cela pourra se faire. Hommes et femmes doivent discuter, de qui fait quoi, hors de la question qui fait mieux que l'autre car avec ce principe la majorité des femmes conservera l'essentiel des tâches à effectuer. Lacher prise, même si l'on estime que l'autre fait moins bien, c'est un premier pas vers l'égalité, lutter contre la paresse, voilà également pour les hommes un enjeu! Répondre à ce commentaire
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à 22:04