--> Comment faire monter la pression sans autre véritable objet que de faire monter la pression
L’affaire n’est pas fraîche : il y a déjà trente-cinq-quarante ans, les flics de la brigade nocturne que vous connaissiez et qui vous connaissaient pour avoir vérifié votre identité à une bonne douzaine de reprises ne se privaient pas pour, en toute gratuité, vous interpeller à une treizième occasion, des fois que le jour précédent vous auriez brusquement subi une mutation irréversible qui vous aurait transformé en dangereux terroriste en provenance d’une autre planète.
Evidemment et corollairement,
vous pouviez bien vous faire exploser la gueule au détour d’un tunnel par une
bande de vrais truands, naturellement inconnus des services, sans apercevoir le
moindre képi se porter à votre secours.On se disait à
l’époque que tout ce cirque était le préambule à l’instauration d’un Etat autoritaire.
On fantasmait sur
les objectifs cachés de la police comme la police fantasmait sur tout
comportement atypique, lequel débutait dès qu’on s’écartait un tant soit peu de
la fameuse trilogie métro-boulot-dodo.
Pourtant, à
l’épreuve du temps, derrière le « vos papiers ! » il n’y avait même
pas de calcul politique cohérent, rien que de la bonne vieille connerie
bureaucratique qui croit intimider quand elle ne fait qu’exaspérer.
Les années ont passé,
les relations entre jeunes gens noctambules ou même purement diurnes et
fonctionnaires de police sont restées en l’état, et pour cause, puisque ce que
l’autorité policière sait faire de mieux n’est pas de réfléchir sur sa
pratique, mais de sanctionner aux heures ouvrables de préférence les citoyens
les plus ordinaires et les moins malveillants (pour ce qui en est de serrer le
violeur compulsif qui opère dans des quartiers réputés paisibles ou le
chauffard qui roule pied dedans par temps de pluie –brrr ! ça
mouille !- c’est une autre affaire, qui justifie le réglement d’heures
supplémentaires, d’indemnités intempéries et autres paniers-repas).
La quasi-totalité
des affrontements entre jeunes des banlieues et policiers a pour principe
détonant – et parfois mortel- un énième contrôle d’identité sans motif apparent
qui ne vise dans l’immense majorité des cas que des individus sans aucun ou
sans lourd passif avec la Justice (d’ailleurs le contrôle des multirécidivistes
n’a pas lieu d’être confié au hasard puisqu’une police bien faite est supposée
savoir où ils se trouvent et ce qu’ils traficotent).
En fait, faire de
la vérification d’identité n’a pas d’autre objet que d’occuper les agents de
l’Etat à une besogne le plus souvent inutile tout en maintenant les populations
des zones dites « sensibles » dans une atmosphère de traque
permanente, qui ne changera pas les loups en brebis ainsi que le pouvoir semblerait
ingénument l’escompter, mais à terme tout le monde en loup.
Dimanche 22
octobre, à Grigny, dans l’Essonne, un autobus et plusieurs voitures ont été
incendiés après qu’une équipe de fonctionnaires zélés eut contrôlé une nouvelle
fois, sans raison particulière et sans ménagements les clients d’un rade connu
pour être en règle avec la législation.
Ce genre d’abus de
pouvoir quotidien qui n’affecte jamais les résidents des centre-ville n’excuse
pas le déplacement débile de responsabilité, comportement primaire dont les
zonards peinent à se défaire* (ce malheureux bus et ces pauvres bagnoles
n’avaient fait de mal à personne), mais ça l’explique.
Les flics ont beau
jeu de s’alarmer de l’impatience de la presse à commémorer le premier
anniversaire des émeutes hollywoodiennes de 2005 (putain ! coco, vivement
qu’ça recommence ! y a rien dans l’jité en c’moment ! Et le
feuilleton des présidentiables de gauche et maintenant de droite, ça commence à
faire sérieusement chier le monde !), mais sans doute seraient-ils plus
crédibles s’ils s’abstenaient eux-mêmes de raviver les braises d’une manière
aussi niaisement provocatrice qu’historiquement improductive.
*avec pour résultat
prévisible pour qui prévoit quelque chose que les chauffeurs des transports du
secteur sont en grève… mais pas la volaille.
Mathias Delfe