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Alternative libertaire : "Du mouvement lycéen à la grève de la SNCM en passant par le mouvement des faucheurs volontaires, nous voyons se multiplier les actions de désobéissance qui défient l’État et le capital. Dans un contexte marqué par un discrédit complet de la politique institutionnelle, on peut se demander comment articuler cette logique de désobéissance avec une stratégie de transformation sociale.
Le cycle de luttes ouvert par l’émergence du zapatisme puis par le blocage du sommet de l’OMC à Seattle a contribué à démontrer le caractère illégitime des institutions en général. Ce phénomène touche aujourd’hui les institutions étatiques françaises et plus largement l’essentiel d’un personnel politique qui a pris position pour la ratification du projet de constitution européenne. Les principaux éditorialistes de la presse écrite et audiovisuelle subissent le même discrédit.
L’autisme d’une représentation politique et des éditorialistes à prendre en compte les choix des exploité(e)s est à mettre en perspective avec l’illégitimité de leurs décisions.
Une représentation à bout de souffle
L’idée fait son chemin, qu’il n’y a pas grand chose à attendre des principaux partis candidats à l’exercice du pouvoir au sein des institutions. Cette idée est également à l’œuvre tant dans les secteurs de l’opposition sociale que dans une partie de la société allemandes comme le démontre dans son article notre camarade Willi Hajek.
C’est dans ce cadre que des actions plus radicales, plus offensives voient le jour. Plusieurs aspects s’y mêlent : radicalité dans la forme de l’action, désespoir, conscience de la nécessité d’un rapport de forces de haut niveau, etc.
Les termes aussi changent. Les actions offensives importées d’Italie et inspirées des Tute Bianche s’intitulaient actions de « non-violence active », on parle maintenant de « désobéissance civile ».
Il y a objectivement une situation particulière où la crise de la légitimité des institutions et des principaux partis politiques ouvre un espace pour le développement de luttes radicales mettant en cause la légalité et la légitimité des institutions elles-mêmes. Ces actions peuvent être comprises et soutenues par les exploité(e)s à condition qu’elles conjuguent leur radicalité avec un souci constant d’impliquer la masse des opprimé(e)s.
Le pouvoir affaibli, sait qu’il importe pour lui de contrôler la situation par son monopole de la violence étatique au risque sinon d’être débordé. C’est du reste une des raisons de la criminalisation et de la pénalisation de l’action militante.
Pour autant, il faut donner à ces actions une perspective politique. Le préalable est de savoir mettre en tension leur sens politique avec le cadre politique actuel qui est celui d’une crise phénoménale de la légitimité des institutions. C’est la question de la démocratie qui est au coeur du problème.
Contre-pouvoir et rupture révolutionnaire
Autour de la question de la démocratie, ce qui se joue est la question décisive du pouvoir.
Autrement dit, il s’agit de savoir si on peut admettre que la démocratie politique soit encore rythmée selon des schémas politiques qui n’ont pas varié depuis Condorcet et qui s’appuient essentiellement sur le pouvoir des actionnaires majoritaires, des propriétaires et de la délégation de pouvoir aux partis institutionnels ?
Il nous faut donc défendre une ligne d’expérimentation sociale de rupture.
Faute de le faire, nous conforterons l’impasse politique actuelle doublée d’une impasse syndicale qui se confond avec les sempiternelles journées d’action venant invariablement rappeler qu’il existe des organisations syndicales, mais qui souligne tout autant leur impuissance à dépasser une cogestion aujourd’hui sans objet.
Cela signifie que doit s’affirmer dans les faits la légitimité des actions de la base de la société pour s’opposer aux mesures néfastes, mais aussi dans la capacité à faire et à mettre en place, contre ces mesures, des réalisations concrètes alternatives. Nous voulons parler là plus précisément d’un contre-pouvoir qui doit s’installer dans une logique de rupture.
Ces contre-pouvoirs peuvent prendre plusieurs formes, de la réquisition d’immeubles vides à celle d’entreprises qui licencient, qui ferment, en passant par l’ouverture d’espaces libérés visant à en faire des lieux de création culturelle et d’échange des savoirs. Sur ce dernier point, il y a un enjeu à socialiser le savoir dans un contexte marqué par sa marchandisation à l’image d’universités devenues des usines à diplômes qui produisent de moins en moins de critique et reproduisent de plus en plus les hiérarchies sociales et l’idéologie dominante.
Ils peuvent également trouver un prolongement, et ce processus est en cours, avec le développement de coopératives de consommation permettant de diffuser les produits de l’agriculture paysanne et tourner ainsi le dos à la société productiviste.
Bien évidemment, toutes ces expériences n’ont de sens que si elles sont liées aux luttes sociales et qu’elles s’articulent avec un projet d’émancipation.
Il est donc nécessaire de les accumuler, afin de donner un objet au désir d’alternative. Mais il faut s’efforcer aussi de ne pas répandre l’illusion que ces contre-pouvoirs imposeront une alternative politique et sociale par une stratégie de la tache d’huile. Cette illusion consisterait à faire l’économie d’un affrontement avec les classes dominantes visant à leur arracher des mains les richesses et le pouvoir qu’elles accaparent pour les redistribuer.
Enfin il est permis de douter que cette rupture politique et sociale soit profonde si elle ne remet pas en cause la division sociale des sexes et la tyrannie du national dont les opprimé(e)s français(es) comme immigré(e)s font les frais. C’est l’ensemble de ces articulation qui peut rendre désirante et désirable l’action collective de la transformation radicale de la société, en sachant que la faiblesse générale du débat interne des organisations est aujourd’hui un élément important à prendre en compte, si l’on veut avancer sans nourrir d’illusions sur leur capacité politique.
Laurent Esquerre et Thierry Renard