De la décroissance à la sortie de l'économie.
Excellent petit texte aussi synthétique que didactique écrit par Deun sur
decroissance.info. Il serait intéressant de savoir ce que chacun en pense pour débattre collectivement.
1) la décroissance
Un certain nombre de personnes se sont retrouvées autour de ce mot,
pour critiquer en acte la croissance. La critique porte sur les limites
matérielles de notre façon de vivre, elle s'appuie sur l'écologie comme
source de légitimité et d'explication du monde. Quant aux actes, ils
relèvent à la fois d'une autolimitation de ce que l'on achète
(consommation) et du « faire soi-même ». Il y a d'ailleurs un
glissement de sens entre consommation (ce que l'on achète) et la
consommation en général, c'est-à-dire la culture matérielle des
personnes qui inclue la sphère non-économique, vernaculaire,
domestique. Ce glissement de sens a son pendant avec le travail, où
l'on confond le travail comme activité réalisée en échange d'argent, et
les activités en général.
Reste qu'avec la recherche d'une autre culture matérielle, on sent
bien que les personnes souhaitent à la fois être plus responsables et
plus libres. Malheureusement à mon sens, ces valeurs de responsabilité
et de liberté sont souvent remplacées par l'énonciation d'une nécessité
qu'il y aurait à « décroitre », qui bien-sûr se formule aujourd’hui
aisément à partir des arguments écologiques. Pour avancer la
décroissance comme choix politique plutôt que comme nécessité
technique, il y a sans doute une recherche à faire, mais elle est plus
compliquée que l'utilisation de chiffres (sur la déplétion du pétrole
ou les émissions de CO2).
Aussi c'est la critique de la technoscience, des techniques
industrielles, qui a permis quoique marginalement de développer une
version non écologiste de la décroissance. Cela peut conduire à refuser
les éoliennes industrielles par exemple, même si leur bilan carbone est
bon, parce qu'il s'agit d'un appareillage qui maintiendra les personnes
dans la dépendance. Il s'agit là simplement de faire ressentir que
l'argumentation écologique est à double tranchant : d'un côté, elle
permet éventuellement de rendre acceptable d'autres cultures
matérielles, d'autres formes de vie plus libres, mais de l'autre il
s'agit d'une argumentation sur des phénomènes que l'on ne peut
généralement pas appréhender en première personne. Il me semble ainsi
que, si les pollutions et les dégradations sont possibles, c'est parce
que le plus souvent elles ne sont pas le fruit d'une décision
personnelle, mais plutôt de chaînes de délégation. La production
d'énoncés scientifiques fait partie de ces chaînes, dans l’immense
majorité des disciplines pratiquant le réductionnisme de laboratoire,
et exportant ce réductionnisme dans le monde de tous les jours.
Dès lors, l'écologie est nécessairement ambigüe sur le plan de la
liberté, alors que la décroissance (comme lieu de discussion) laisse la
possibilité de s'émanciper de l'argumentation écologique pour défendre
ou expérimenter d'autres formes sociales, d'autres techniques,
conformes à des valeurs de liberté.
2) la sortie de l'économie
Si on suit la présentation précédente, on est alors amené à
présenter la décroissance, non pas (seulement) comme une nécessité
écologique, mais aussi comme une volonté de se libérer de l'économie,
quand bien même des échanges économiques pourraient être réputées
écologiques. Par exemple, la rémunération de tâches domestiques ne
posera pas de problème aux écologistes, sauf si cela occasionne des
déplacements supplémentaires. On pourrait alors avoir une croissance
économique « propre », dans l'invention de nouveaux services marchands.
Au contraire, on peut estimer que la défense de l'environnement n'est
pas dissociable d'une reprise en main par les personnes de leur vie
quotidienne, de leur subsistance, et de la recherche de formes sociales
compatibles avec cela. Si on poursuit ce but, alors l'achat de
matières, produits ou services est fondamentalement handicapant,
puisque l'argent qu'il faudra obtenir devra être gagné en échange
d'activités le plus souvent étrangères à cette vie quotidienne. C'est
pourquoi on peut parler de sortir de l'économie comme un prolongement
de l'idée de décroissance.
Le problème que pose la croissance n'est donc pas seulement de
l'ordre de la justice (répartition des ressources) et de la durabilité
(reproduction des ressources). L'économie devenue excessivement banale
elle-même fait écran à une réappropriation de nos vies. Suite aux
émeutes actuelles de la faim, on n'est plus capable de s'étonner que
pour manger il faut payer, au lieu de participer à la production des
aliments que l'on mange. On n'imagine plus partager les ressources
autrement qu'en distribuant l'argent permettant d'en prendre
possession. On ne s'étonne plus de ce que signifie s'activer en échange
d'argent (travail), ou faire s'activer une série d'inconnus par de
l'argent (consommation). La liberté de prendre possession par l'argent
se paie quelque part ailleurs par l'obligation de s'asservir à
l'argent.
A ce titre l'argent ne fait que généraliser le problème que pose
l'échange : l'échange comme interaction entre deux individus est
toujours possible, mais l'équivalence entre les termes de ce qu'ils
échangent est toujours fausse. Si l'échange est possible sur la base de
ce non-sens, c'est que les interactions d'échange s'adossent à des
institutions (ou à des rituels) qui permettent de prolonger
l'interaction au delà de l'échange ponctuel : les échangistes sont
quittes l'un avec l'autre, mais chacun d'eux ne l'est pas avec le reste
des autres échangistes. L'économie est donc plus que la somme des
échanges économiques ; c'est une institution. Et probablement
l’institution qui rend possible la plupart des autres…
à 14:02