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ainfos. : " Nous affirmions dans CA d'octobre 2006 que l'enjeu réel de la prochaine
présidentielle était de savoir qui se chargerait d'accompagner et de poursuivre "
la transformation des conditions d'exploitation du travail humain " que le
développement du capitalisme requiert en ce début de siècle.
Un délire sécuritaire de plus !
Une transformation déjà largement mise en œuvre : au cours des 26 dernières années,
droite et gauche se sont partagé le pouvoir : 14 ans de présidence socialiste et 10
chiraquienne, entrecoupées de cohabitations. 26 années pour mettre en œuvre une
modernisation du capitalisme adaptée à la fin des trente glorieuses. Dès 1981 les
socialistes avaient commencé un travail que Giscard n'avait pu entamer sérieusement
: restructuration des grosses industries, réhabilitation du travail comme valeur et
annonce de fin de la lutte
des classes, création d'emplois précaires, baisse des allocations de chômage,
suppression de l'autorisation administrative de licenciement, etc. Le reste s'est
poursuivi bon an mal an quelle qu'ait été la couleur du gouvernement. Il reste à
poursuivre et à consolider le travail accompli, mais sans trop de heurts : même si
le
chômage n'augmente pas de manière formelle, la précarité, elle, se généralise si
bien que le nombre de travailleurs pauvres qui n'entrent pas dans les statistiques
des demandeurs d'emploi s'accroît tous les jours, banalisant l'inquiétude que
ressentent à juste titre des millions de gens, salariés ou non. De plus, des
dizaines de milliers de travailleurs ayant un emploi à plein temps, jadis considéré
comme stable, craignent de le perdre, y compris dans les secteurs " fonction
publique " (comme les vacataires et les contractuels). Ces peurs ne favorisent
guère pour l'instant les résistances et inclinent plus vers des négociations
individuelles ou
au cas par cas (si le CPE, il y a peu, avait cristallisé les mécontentements, à
l'initiative de la jeunesse, le CNE, lui, mis en place auparavant, n'avait guère
provoqué de réactions). Cependant, on n'est jamais trop prudent, doit penser le
Medef qui, rassuré par les traitements proposés, observe attentivement les recettes
des
candidats pour faire accepter l'ordonnance. Il est préférable, pour rendre crédible
la poursuite du processus, de le vendre comme un habit neuf.
On sait que le programme d'un parti n'engage pas le candidat. Pour Segolène et
Sarkozy il s'agit d'un " socle " ou d'un " cadre ", c'est selon, mais sans que soit
précisé ce qui est entendu par là. L'une précisera " plus tard ", après les "
débats participatifs ", l'autre fera des propositions au cours de la campagne.
Pourtant il n'est pas
sans intérêt d'aller faire un tour dans ces socles ou ces cadres dans la mesure où,
si les programmes sont faits, comme les promesses des candidats, pour ne pas être
respectés lorsqu'il s'agit de caresser les travailleurs dans le sens du poil, ils
sont révélateurs des grandes orientations idéologiques et des objectifs
politico-économiques qui seront mis en œuvre
Vendre l'illusion du changement
Le PS " veut réussir ensemble le changement ", proclame son programme de 32 pages.
Mais tout n'est ensuite que formules : innovation " encouragée ", pouvoir d'achat "
stimulé ", services publics " confortés ". Un vocabulaire forgé dans les cabinets
de marketing politique qui cache mal le flou des moyens qui seraient utilisés.
Chaque mot est pesé pour satisfaire de futurs alliés (Verts, communistes,
altermondialistes...) et faire croire à leurs électeurs qu'ils ont obtenu quelque
chose.
L'UMP avec Sarkozy propose la rupture ; une rupture qui tente de ratisser à gauche
avec des références au socialisme et à droite avec un discours d'ordre musclé. "
Ordre, mérite, travail, responsabilité " (discours d'investitude de Sarkozy).
Travail, famille, patrie : " remettre le travail au cœur de la société " car "
c'est dans le
travail que se trouvent la dignité et la sécurité ". Les mêmes valeurs que Ségolène
! Cela rappelle le Chirac devenant " de gauche " à quelques mois des élections de
2002 et déclarant vouloir réduire la fracture sociale ! On a vu ce que cela a donné
! Sarkozy constate que la gauche " n'entend plus la voix de Jaurès ni celle de
Camus ". Lui, oui. Mêmes phrases creuses en direction de celles et ceux qu'il veut
rallier.
L'UMP laisse croire que le PS a dévalorisé le travail avec la mise en place de la
loi sur les 35 heures. Il n'en est pourtant rien ! Nous l'avons à l'époque maintes
et maintes fois répété et prouvé, les 35 heures ont permis, moyennant quelques
avantages parfois, de réorganiser le travail avec plus de flexibilité pour une plus
grande
productivité et une pénibilité accrue (cadences, accidents, stress, toutes les
études le montrent). Ces nouvelles normes, quelles que soient les décisions prises
sur les 35 heures, seront celles qui prévaudront. L'UMP, sans l'abolir
officiellement, veut contourner la loi. Son credo c'est que " le partage du travail
ne conduit jamais à
des succès durables ".
Le PS se propose de la généraliser. Dans un cas comme dans l'autre, les " acquis "
de la loi en matière de flexibilité, de productivité, de cadences, eux, demeureront
! Ségolène note en outre que si la loi
fut " un progrès pour la majorité des bénéficiaires et une régression pour d'autres
", c'est elle qui a désorganisé les services publics et qu'elle doit être remise en
cause pour les entreprises soumises à la
concurrence internationale (quelles sont celles qui ne le sont pas ?).
Baisser le coût de la force de travail
Pour encadrer le travail, l'UMP propose de mettre en place un nouveau contrat
unique, plus souple pour les entreprises (procédures de licenciement moins
longues), sur le modèle du CNE qui, ainsi, disparaîtrait à terme. Le PS, lui,
annonce la disparition du CNE mais il ne dit pas un mot sur les très nombreux
autres contrats de précarité et se propose même de réactiver les emplois-jeunes. Il
compte aussi créer des chèques-emploi-salarié sur le modèle des chèques
emploi-services afin,, dit-il, de " faciliter les embauches
et réduire les formalités administratives " (mais en légitimant précarité, temps
partiel et isolement du travailleur). Le choix sera entre une précarité accrue
éclatée en de multiples statuts et une autre davantage homogénéisée. L'éclatement
laisse croire que l'ancien contrat CDI demeure (position de gauche), tandis que le
nouveau contrat " unique " nommé quand même CDI n'aura en fait plus rien voir avec
l'actuel (position de la droite). Ségolène Royal, pour l'instant, ne s'est pas
encore prononcée, mais c'est du côté des débats participatifs... avec le patronat,
qu'elle trouvera sa solution, sans doute médiane. Faut-il se prononcer ?
Le plein emploi pour 2010, proclame le programme du PS ! Formule mensongère : ce
qu'économistes et politiques appellent le plein emploi, c'est... 5 % de chômeurs...
seulement... Il faut quand même
se garder un volant de chômage.
Là encore, le projet socialiste est affublé de formules magiques : " aides ciblées
", " agir préventivement "... Les seules propositions concrètes : " réactiver les
emplois-jeunes et baisser les cotisations... patronales ! Car, pour lui comme pour
la droite, ce sont les cotisations patronales qui pénalisent l'emploi. Pour l'UMP,
cette baisse devra s'accompagner de " moins d'impôts sur les bénéfices pour les
entreprises qui embauchent ". " Quand les entreprises savent qu'elles pourront
licencier... elles embauchent plus facilement ". Il faut donc " sécuriser les
parcours professionnels plutôt qu'empêcher les licenciements " et soumettre
l'allocation chômage (" revalorisée pour les très bas salaires ", mais aucun
chiffre n'est donné - " rémunération suffisante " !) au non-refus de plus de deux
offres d'emploi.
Quant au smic à 1 500 euros annoncé par le PS pour la fin de la législature, on a
cru rêver : il s'agissait en fait du brut et c'est ce qu'il atteindra "
naturellement " par le jeu des augmentations habituelles ! Depuis le flop de cette
annonce, le PS joue la prudence, il ne parle plus que d'une hausse en fonction de
la croissance. Or 1. On ne sait pas s'il y aura croissance, et 2. La croissance
n'est pas automatiquement productive d'emploi (voire brève p. 24). L'UMP pencherait
plutôt du côté du Medef : salaire minimum négocié par branches et par régions. Mais
attention ! La candidate socialiste qui veut " accroître considérablement " le
pouvoir de ces
dernières se retrouvera fatalement sur ces positions puisqu'elle veut en même temps
donner davantage de poids au patronat dans les instances régionales.
Dans son programme, le PS s'accommode de tout ce qui a marqué depuis des décennies
l'offensive capitaliste :
- Aucune remise en cause des privatisations passées de Jospin, Balladur ou Juppé
- Aucun retour sur les atteintes multipliées sur le droit au travail
- Rien sur la casse du statut des intermittents
- Rien sur les lois liberticides de Perben ni sur celles, antérieures, de Pasqua ou
de Chevènement.
- Pas un mot sur les traités européens ,pourtant rejetés par les électeurs. Là
encore, des phrases creuses : " réformer la gouvernance mondiale ", " regénérer le
système "... dans quel sens, comment, quand ? Pas un mot là-dessus.
Il parle bien d'abroger la loi Fillon sur les retraites... mais il ne dit pas par
quoi la remplacer.
Des services publics, il est dit qu'ils seront " confortés ", mais on ne sait pas
comment ni lesquels. Pour l'UMP, ce sont les grèves qui portent atteinte au service
public, et il propose un service minimum garanti en cas d'arrêt du travail ! Il
proclame aussi : " pas de fermeture en milieu rural sans garantie de service
supérieur " et
cite les Points-Poste en exemple, dont la seule supériorité est de l'ordre du
flicage puisqu'ils réduisent à néant la confidentialité des opérations.
En revanche, il est un point précis : quelle que soit la forme que prendra la
réforme de l'impôt, elle ira vers une remise en cause de la progressivité et se
fera au profit des entreprises. Les deux partis penchent pour une retenue à la
source.
Quant à la réforme de l'université, le PS ne peut faire plus " sarkosien ". La "
profonde rénovation de l'université " dont il est question dans son programme se
fera selon le processus dit de Bologne
(dont Jack Lang était le cœur), qui prévoit la mise en place de la concurrence
entre les universités, ce qui débouchera sur la séparation entre les universités
dites " d'excellence " pour les étudiants socialement aisés, avec des diplômes
cotés, et les universités de seconde zone, avec des diplômes de moindre valeur. Les
premières devenant peu ou prou des universités privées, tant les frais divers y
seront élevés et les places rares.
L'enjeu des marchandages
Il est tout à fait significatif que le PS affuble Sarkozy du terme " ultralibéral
". Cet ultra est la seule marque qui peut encore différencier les deux candidats.
Il y a pourtant malgré tout un enjeu de taille pour les uns comme pour les autres,
c'est la distribution des prébendes.
La présidence de la République n'est que la face émergée de l'iceberg. La face
cachée c'est la répartition d'un millier de " grands postes " - députés, sénateurs,
prédidents de conseils régionaux ou maires de grandes villes, et de quelques
milliers de postes, plus subalternes mais attractifs quand même (conseillers
municipaux des grandes villes, maires de villes moyennes, membres des régions ou
des conseils généraux, etc.. qui vous étiquette " classe politique " avec un accès
à des avantages sonnants et trébuchants, à
des honneurs dus aux gens de pouvoir, ou même à des combines encore plus juteuses.
Ces petites choses sont très recherchées au sein des formations politiques !
C'est bien ça qui explique les tractations entre les petits partis et les partis
leaders, davantage que des convictions ou des programmes politiques.
Par exemple, les radicaux de gauche qui préfèrent 30 députés, un groupe
parlementaire pour cinq ans, un ou deux ministres sans doute, à 2 ou 3 % aux
présidentielles vite oubliés !
Même raisonnement obligé chez les Verts et le PC qui, pour les mêmes
raisons, ne peuvent envisager de vraie rupture avec le PS sous peine de ne plus
exister, même s'ils présentent un candidat avant de rentrer au bercail (voir encart
PCF).
En fait, PS et UMP sont liés directement à la bourgeoisie par des relations
d'affaires, de caste, familiales, culturelles et autres.
Ces liens les lient entre eux plus solidement que ne peuvent les opposer quelques
divergences de détail. C'est le grand patronat qui gouverne, c'est le capital
boursier, et les politiques sont là pour le servir, il n'a nul besoin d'un
gouvernement fasciste, au contraire ! Il y a fort peu de risques que Le Pen soit au
second
tour, encore moins qu'il soit élu. Mais s'il l'était il gouvernerait en homme de
droite, avec un langage encore plus ordurier et musclé que Sarkozy sans doute, mais
de manière identique sur le fond. Disons
qu'à l'inverse Sarkozy gouvernera comme Le Pen l'aurait fait. Cela rend dérisoires
les tentatives d'appel à l'unité républicaine ou autres fadaises de ce genre. Ils
réclament juste de l'ordre, de la morale (la leur !), le moins possible de révolte,
des boucs émissaires, des écoles bien propres et bien rangées, des familles
faisant des enfants... et l'amour du travail à développer encore et encore.
JPD
[ article tiré de Courant alternatif # 166 et repris du site
http://oclibertaire.free.fr ]