Quand, le 30/11/2004, à l’heure du laitier, les spadassins de l’anti-terrorisme (une dizaine de cow-boys, comme dans les films) ont investi notre maison, quelle ne fut pas leur surprise de découvrir l’encart suivant, daté du … 31/10/2004 :
« A vous qui arrêtiez déjà ceux qui hébergeaient des enfants juifs et autres pendant la deuxième guerre mondial :
1) Le café est prêt, il suffit d’allumer la cafetière.
2) Servez-vous de sucre.
3) Si le chien aboie, rassurez-le, il a toujours eut peur des bandits.
4)Nous dormons à l’étage. Merci de frapper avant d’entrer. Jean-Marc est cardiaque et n’apprécie que modérément les émotions fortes. »
La bleusaille (tous ces jeunes gens n’avaient pas la trentaine) frôla l’apoplexie. Ainsi donc, non seulement nous les attendions depuis un mois (c’est bien connu, les terroristes attendent tranquillement pendant plusieurs
semaines qu’on daigne venir les arrêter), mais, de plus, nous nous placions sur un terrain qu’ils n’aiment pas particulièrement : celui de la morale.
Leur réaction fut toute de violence et d’indignation. « Vous n’avez pas le droit de nous comparer à…! » nous dirent-ils en chœur. Le droit !
De la relativité des loisDepuis l’aube des temps toutes les sociétés humaines se sont dotées de règles. De règles édictées par les dominants du moment (et donc en leur faveur). De règles datées historiquement. De règles évoluant constement
au fil du temps et des rapports de force entre dominants et dominés… Ça s’appelle des lois !
C’est ainsi que lors de la deuxième guerre mondiale, en France, il était parfaitement légal d’arrêter les gaullistes, les communistes, les anarchistes (cela va de soi), les juifs, ceux qui hébergeaient des enfants juifs et autres…, et de les envoyer là où l’on sait.
C’est ainsi qu’après la deuxième guerre mondiale tout cela devint illégal et qu’il devint, par contre, parfaitement légal d’arrêter les pétainistes, les collabos…, et …
De l’éthique ou d’une espèce de morale universelleOn s’en doute, si les lois humaines, qui sont toutes de circonstances, au point de rendre illégal ce qui hier encore était légal (et vice-versa), s’affichaient comme telles, elles auraient du mal à susciter l’adhésion du petit peuple qui, lui, les subit toutes.
Aussi, pour tenter de masquer le dérisoire de leur relativité, les lois humaines cherchent toujours à cacher leurs guenilles circonstancielles derrière les habits de lumière d’une certaine transcendance à l’odeur forte d’universalité.
C’est ainsi que les rois et les bedonnants cléricaux se disaient de droit divin. Que les petits marquis et autres hobereaux se targuaient d’être de sang bleu. Que ceux qui leur coupèrent la tête prétendirent le faire aunom du peuple… et de l’être suprême. Que les nazis et tous les colonisateurs s’estimaient être d’une race supérieure. Que les moines soldats du marxisme étaient persuadés du bien-fondé scientifique de leurs délires totalitaires. Et que nos gouvernants d’aujourd’hui brandissent haut et fort l’étendard de la croisade contre le Grand Satan du
terrorisme (celui des autres, évidement).
Comme on le voit ces différentes tentatives de transcendance et d’universalisme confinent au pitoyable.
Reste qu’elles ont existé de tous temps et que ce n’est nullement un hasard. Les lois humaines, en effet, ne redoutent rien tant que l’émergence de cette rivière souterraine faite de quelques grands principes et de quelques grandes valeurs (liberté, égalité, entraide, autogestion…) qui depuis la nuit des temps irriguent « l’âme » de ceux et de celles quimarchent debout et qui fait frontière entre l’animalité et l’humanité. De ce fleuve qui, depuis toujours, à l’occasion de crues sociales, sort de son lit et balaye, à grands coups de révolutions, l’ordre établi par les maîtres du monde du moment.
Cékomça. Ca a toujours été comme ça. Et ça sera toujours comme ça.
L’être humain, par delà sa propension à la bestialité, porte en lui une aspiration irrésistible à autre chose que la résignation à n’être qu’un estomac (plein ou vide) sur pattes. Ca s’appelle une espèce de morale universelle. Les droits de l’être humain. Ou…
L’aspiration à une révolution sociale est de cet ordre. Comme … Ou… Et les différents pouvoirs qui se sont succédés dans l’histoire humaine n’ont eut de cesse de tenter de s’approprier cette aspiration (en la dévoyant direction toute l’impasse réformiste, la départementale nationaliste ou l’autoroute religieuse) car ils ont toujours su que seule cette aspiration était susceptible de conférer à leurs grossiers appétits le Saint Graal ou la pierre philosophale de la LEGITIMITÈ.
Et nous en sommes toujours là !
J’étais fonctionnaire de catégorie C dans un camp de concentrationPourquoi une demi-douzaine de jeunes crétins et crétines de l’anti-terrorisme ont-ils été choqués de se voir comparer « à ceux qui arrêtaient déjà… » ?
A l’évidence parce qu’ils pensaient qu’arrêter des gens hébergeant des enfants juifs est mal ! Et ça, c’est bien !
A l’évidence, également, parce qu’ils pensaient qu’arrêter des gens hébergeant un fils de terroristes basques, ça n’est pas la même chose.
Car ça implique obligatoirement une adhésion ou un soutien (même critique) au terrorisme.
A l’évidence, encore, parce qu’ils ont commencé à subodorer que tout cela n’était pas aussi simple. Because, notre vie toute entière démontre que nous avons toujours combattu le nationalisme, une lutte armée d’un autre
age et l’assassinat à la petite semaine terroriste ordinaire de troisièmes couteaux colonialistes et, surtout, d’innocents seulement coupables de ne pas adhérer à un délire. Et because, ceux qui arrêtaient des gens hébergeant des enfants juifs arrêtaient aussi ceux qui hébergeaient des enfants de communistes, de gaullistes, d’anarchistes, de socialistes, de gens de droite…, et autres résistants qualifiés sur le moment de… terroristes.
A l’évidence, enfin, parce qu’en revendiquant clairement le fait d’avoir hébergé, en quasi connaissance de cause (au bout d’un moment), un enfant, certes de terroristes, mais en détresse scolaire, éducative et affective,
nous les obligions à répondre à la question qui tue, à savoir : les enfants sont-ils oui ou non responsables de leurs parents ?
Bref, non seulement nous les avons ébranlé dans leurs certitudes anti-terroristes (on peut héberger un enfant de terroriste sans être terroriste ou sympathisant du terrorisme ; lors de la deuxième guerre mondiale, auraient-ils, comme l’a fait la police française, arrêté les enfants des gaullistes qui, à l’époque, étaient qualifiés de terroristes ?...), mais, aux valeurs à deux francs qui leur servent d’étendard, nous leur avons opposé des valeurs supérieures parce qu’universelles (les enfants ne sont pas responsables de leurs parents et tout enfant en détresse a le droit d’être scolarisé, éduqué et accueilli).
A moins de se la jouer profil bas du genre j’obéis aux ordres et je n’étais qu’un fonctionnaire de catégorie C dans le camp de concentration de…, nos policiers anti-terroristes ne pouvaient, donc, que s’indigner.
Et, ce faisant, se condamner à démontrer l’injustice de certaines comparaisons.
Sans illusion aucune, on ne peut cependant que leur souhaiter bonne chance dans cette démarche. Ce que nous avons fait, en les rassurant du mieux que nous avons pu, c'est-à-dire en leur disant que le jour où ils seraient victimes de la répression (les terroristes d’un jour sont souvent les ministres de demain) nous nous ferions (nous qui n’avons pas toujours fait le bon choix en la matière en acceptant que certains de nos camarades deviennent ministres) un honneur de scolariser, d’éduquer et d’héberger leurs enfants.
Ils n’ont pas vraiment apprécié notre proposition, sans doute au motif qu’elle fleurait bon l’incongru vu notre état de prisonniers, menottés et soupçonnés de…
De nouveau libres, nous la réitérons !
Légalité ou légitimité ? Morale ou éthique ?Est-il légal ou illégal d’accueillir un enfant de terroristes (basques, charentais, policiers ou autres) ?
Pour ce qui concerne les anarchistes, cette question est rigoureusement sans intérêt. Car sauf à se résoudre à n’être qu’un enfoiré ou un pleutre, accueillir un enfant tout court ne peut être que légitime. Comme de faucher des champs d’O.G.M., s’opposer au nucléaire, combattre l’exploitation et l’oppression de l’être humain par l’être humain.
C’est une simple question de morale et la morale, parce qu’elle relève de l’universel, primera toujours sur la loi qui, elle, relèvera toujours du circonstanciel.
Oui, bon, d’accord, mais la morale n’est-elle pas également circonstancielle ?
N’y a-t-il pas de bonnes morales et de mauvaises morales ? Et quid de l’ordre moral qui voyage d’ordinaire dans les soutes de la morale ?
Ce ne sont pas des mauvaises questions !
Et c’est bien pourquoi les anarchistes, plutôt que de morale (un simple code de valeurs dominantes à un moment donné) préfèrent parler de principes et d’éthique. Car nos principes de liberté, d’égalité, d’entraide et d’autogestion qui sont les principes de toujours d’une espèce humaine qui, pour penser et se penser, aspirera toujours à l’essentiel de ce dérisoire et de cette chance formidable qu’est la vie, ont le double mérite d’être tout à la fois universels et clairs.
De ce point de vue, nos principes, ne sont que fondateurs d’une universalité morale parmi d’autres (la religiosité, la démocratie,…).
Alors, qui, au final, est en droit de décider de l’universalité morale ou non (l’universalité comme la morale) de tels ou tels principes ?
Les anarchistes n’ont que l’éthique (la liberté fondamentale de chaque personne humaine de se penser par rapport à la pensée) à proposer.
Et, c’est clair, ça n’est pas un cadeau, car, est-il besoin de le préciser, l’éthique ça mettra toujours l’individu face à sa liberté et à sa responsabilité.
Vous comprenez pourquoi ils nous ont relâche sans nous mettre en examen, sans nous inculper de quoi que ce soit…, et sans excuses !
Être libre ou se reposer
Par delà les lois du moment et la pression de médias aux ordres, les humains n’échapperont jamais à leur liberté !
A questions claires, il devra toujours y avoir réponses claires ! Lors de la deuxième guerre mondiale, était-il ou non légitime (légal, c’est sûr) d’arrêter les juifs et ceux qui hébergeaient des petits juifs et autres, en sachant que cela signifiait les envoyer là où l’on sait ?
Aujourd’hui, est-il ou non légitime (légal c’est sûr) d’arrêter ceux qui accueillent des enfants basques ou autres ? De collaborer avec la police (légalement ça n’est même pas sûr) quand elle lance des avis de recherche, non pour protéger un enfant (dans ce cas ce serait légitime) mais pour embastiller des acceuilleurs d’enfants ? De n’être que spectateur des procès intentés aux défenseurs de la vie que sont les faucheurs d’O.G.M. ? De tolérer l’intolérable et de supporter l’insupportable d’un capitalisme fou d’arrogance et de psychose suicidaire ? …
Camarades humains, je suis désolé de vous le dire, mais la réponse vous appartient !
Osez seulement dire que le présent vous satisfait !
Osez seulement dire que bien sûr, mais qu’enfin… !
Osez seulement ne rien dire !
Osez seulement refuser d’être ce que vous pouvez être !
Osez… !
Du droit et du devoir d’insurrectionCamarades humains qui n’êtes que des humains, sachez que, par delà vos histoires respectives, vos chances ou vos malchances d’avoir pu accéder à la culture et à la civilisation, vous n’êtes pas des animaux et que vous
serez toujours maîtres de votre destin. Ca s’appelle la liberté !
Les lois vous inciteront toujours à… !
Elles ne sont pas toujours mauvaises !
Votre conscience vous incitera quelquefois à vous en affranchir dés lors que …!
Entre la lettre et l’esprit des lois, le choix vous appartiendra toujours ! Car même dans une société anarchiste, ne croyez surtout pas que… ! « Chef, ils ne sont vraiment pas possibles ! »
Chaucre le 23 janvier 2005
Jean-Marc Raynaud
Le Monde libertaire # 1387 du 24 février au 2 mars 2005