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Croître, croire, obéir
La logique de la croissance économique nous domine parce que nous lui obéissons au quotidien, et nous lui obéissons parce que nous croyons à ses illusions. Poser des actes de désobéissance civile permet de remettre en cause dans le débat public les valeurs et les choix qui nous sont imposés par cette logique. Et de s'y,opposer concrètement, efficacement.
Quatre exemples de fronts de lutte actuels, ou à venir ...


Les grands défis auxquels nous sommes confrontés aujourd'hui : réchauffement climatique, épuisement des ressources énergétiques, destruction de la biodiversité, inégalités Nord-Sud, misère et exclusion au Nord, consumérisme insensé, privatisation du vivant et des biens communs, risques technologiques, etc.; peuvent tous être reliés plus ou moins directement aux conséquences de la logique de la croissance.
La croissance, si elle est une logique macro-économique qui ordonne l'ensemble des échanges humains dans nos sociétés, est tout autant un paradigme, une foi qui oriente ceux-ci et leur, assigne un but. Elle repose sur un système de croyances (dans la consommation comme moyen de l'accomplissement humain, dans la valeur en soi du travail, dans le caractère salvateur de la technique), la plupart du temps implicites, qui lui donnent toute sa force en tant que logique économique. Ce système de croyances engendre un ensemble de conduites quotidiennes d'obéissance, qui à leur tour lui donnent toute son emprise mentale, psychologique, sociale.
A travers les quatre exemples des OGM, de la publicité, de la carte d'identité biométrique, et du travail, on verra concrètement comment se déploie cette articulation croissance - croyance obéissance, et en quoi la désobéissance civile peut être un moyen privilégié, parmi d'autres, de venir briser cette logique en nous amenant à décroire dans les valeurs qui la fondent, et ainsi à décroître.

Les OGM

Le motif premier de la diffusion des organismes génétiquement modifiés dans le circuit agricole et expérimental, est la volonté de croissance économique de firmes agro-semencières, qui ont breveté cette technologie et tirent un profit financier direct de leur commercialisation.
Or la croissance de ces firmes n'apparait pas comme une raison suffisante pour légitimer les risques potentiels encourus par une telle technique. C'est pourquoi elles l'entourent d'un discours idéologique qui vient en masquer le motif et en justifier l'usage : les OGM nous sont alors présentés comme un instrument inespéré pour résoudre le problème de la faim dans le monde, grâce à leur résistance. Nul besoin donc d'aller chercher du côté du politique, du partage des richesses, pour combattre la pauvreté : les OGM nous apportent une solution technique qui permet de ne rien remettre en cause de nos rapports de domination actuels et de notre niveau de vie. La foi dans les OGM rentre dans le complexe plus large de notre croyance dans la techno-science salvatrice.
En plus d'en finir avec les famines qui touchent les pays pauvres, cette nouvelle technologie nous est présentée comme porteuse de potentialités inespérées au niveau médical. Rien n'est par contre dit sur les risques non pas potentiels mais immédiats qu'ils font encourir à la biodiversité et à notre santé.
L'objectif initial de croissance se double donc ici d'un ensemble organisé de croyances qui viennent le fonder et lui donner sa légitimité. Ces croyances se basent sur une intense propagande (revêtue d'une autorité scientifique). Elles tendent à induire des conduites d'acceptation et d'obéissance (consommation passive d'OGM ), en se basant sur la politique du fait accompli : les OGM sont déjà présents quotidiennement dans notre nourriture, et sont cultivés en plein champ, il est trop tard pour s'y opposer, il ne reste plus qu'à s'y résoudre. "Vous ne pouvez rien y changer, vous êtes totalement impuissants face à ce développement « naturel » des OGM, il ne vous reste plus qu'à y croire, pour justifier votre acceptation".
Que faire pour s'opposer à une telle imposition non-démocratique de cette technologie ? Il semble que lé champ de la seule contre-argumentation soit dérisoirement impuissant face à la puissance d'intérêts financiers énormes, et à des décisions qui semblent avoir été prises de manière inéluctable par les acteurs politiques.
On peut alors, comme le font les membres du Collectif des faucheurs volontaires, briser la soumission générale qui entoure leur mise en oeuvre, et passer à l'action en désobéissant à cet état de fait imposé, en venant faucher les plants &OGM. La désobéissance civile vient briser la torpeur, le consensus mou, la soumission généralisée qui entourent ces essais, et qui s'enracinent dans un sentiment d'impuissance. Elle permet par là même de relancer le débat public sur les risques potentiels liés à ces technologies, sur les vraies motivations de ces essais, sur le messianisme technologique qui en constitue le socle.' Finalement elle amène par là à réinterroger un processus global où c'est l'économie qui guide les décisions au détriment de l'intérêt collectif, où c'est la croissance de firmes privées qui constitue le seul impératif s'imposant à l'ensemble des autres considérations d'ordre sanitaire, social, écologique, politique, éthique.
La désobéissance civile permet ainsi d'ouvrir une brèche qui, du comportement d'acceptation généralisée, remonte au système de croyances et finalement à la logique de croissance qui ont permis ensemble l'implantation des OGM.

La publicité

Tout le monde admet que le motif principal de la publicité est la recherche de croissance économique de la part du secteur privé, qui cherche à augmenter ses ventes en augmentant la consommation des produits ou services qu'il propose, pour en générer des profits. Les acteurs politiques, eux aussi, sont intéressés dans cette logique publicitaire, de par leur incessante recherche de relance de l'emploi, relance qui conditionne leur succès à court terme et donc leur carrière. Dans une perspective globale de croissance, la publicité est donc doublement utile puisqu'elle est facteur de vente pour les acteurs privés, et facteur d'emploi pour les acteurs publics. A la jonction entre les deux, elle est facteur de consommation, puisqu'elle constitue par essence un mécanisme de relance du désir de consommer.
Là encore, ce mécanisme de croissance repose sur un système de,croyance : le but de la pub est de "faire croire". Elle a pour mission la création de fantasmes, la fabrication et surtout le formatage des désirs. La publicité a pour vocation, au delà de la seule promotion de l'objet singulier qu'elle vante, de donner à la croissance économique un socle psychologique profondément enraciné en l'homme, un ressort d'autant plus inépuisable qu'il est intériorisé par le plus grand nombre : elle doit donner le sentiment que le bonheur, le bien-être, l'accomplissement personnel et social résident dans la possession d'objets formatés. La pub est une machine à désirer, qui veut nous faire croire au paradis consumériste.
Cette croyance en l'accomplissement consumériste, se fonde sur un matraquage intensif, qui nous fait passer pour naturelle cette omniprésence des messages publicitaires dans notre vie quotidienne, jusque dans nos espaces d'intimité les plus préservés.
Mais bien plus que cela : il y a une intériorisation de cet imaginaire publicitaire et du désir d'objets, perçus comme réponses aux besoins humains et au sentiment de manque. Ces messages font appel non à la raison mais aux structures les * plus profondes et les moins conscientes de notre nature désirante, de nos archétypes, de notre émotivité. Leur répétition depuis le plus jeune âge crée un monde, dans lequel les objets ou services promus par ces marques apparaissent comme un élément central, essentiel ; un monde dans lequel même nos besoins sont réévalués et reformulés en fonction de ces réponses qui sont apportées par le marché. Et ce monde est d'autant plus "notre" monde, ancré dans les structures profondes de notre "moi", qu'il nous est matraqué incessamment depuis notre plus petite enfance, et que ses structures s'intègrent donc dans la construction de notre personnalité, de nos désirs, de la perception de nos besoins, etc.
Face à cette machine de guerre psychologique hyper-puissante, que pouvons-nous espérer d'une simple contre argumentation : à la limite un article dans un journal ou un entretien radiotélévisé, qui seront littéralement noyés au milieu d'un flot de publicités et de messages consuméristes ? Ici encore, un rééquilibrage des forces est nécessaire.
Pour parvenir à se faire entendre, une piste consiste là encore, à venir opérer une rupture dans la conduite d'acceptation généralisée, en posant des gestes de refus délibéré. Par exemple en allant barbouiller _les affiches publicitaires de slogans qui amènent à réfléchir, ou qui détournent le message initial. Ces actes illégaux peuvent venir secouer le consensus mou, et interroger une réalité qui n'était plus guère questionnée, car banalisée. Lomniprésence de ces panneaux dans ma vie quotidienne est-elle si utile ? si légitime ? si agréable ? Les slogans que je lis sur les affiches détournées ("obéis : consomme ! ") m'interrogent
la pub n'est-elle pas une aliénation ? ai-je le choix de ne pas la lire ? est-ce que ce matraquage me respecte ? Est-ce que je suis pris pour un adulte ou pour un enfant ? Chercherait-on à me manipuler ? Ces actes de désobéissance civile accomplis par des "déboulonneurs" volontaires, ont une action profondément libératrice sur tous ceux qui ressentent un malaise face à cette propagande continuelle ; ils peuvent les amener à sortir de leur sentiment d'impuissance et de la soumission qui les retenait jusqu'ici de protester et d'agir. Ils permettent en outre de relancer le débat sur la place de la pub dans (espace public, sur sa fonction de manipulation des désirs et de l'imaginaire. Ils interrogent chacun sur sa réduction au rôle de consommateur, en mettant en lumière la logique absurde et aliénante de la croissance, qui nous transforme en travailleurs-consommateurs serviles.
Il serait inutile d'espérer porter de tels débats sur le devant de la scène médiatique sans de tels actes de rupture qui viennent capter (attention de tous, justice y compris. De tels actes de désobéissance seront d'autant plus interpellants et convaincants qu'ils auront été accomplis à visage découvert par des citoyens qui assument les conséquences de leurs actes, et mettent ainsi leur liberté et leur confort en jeu pour une cause qu'ils estiment être d'intérêt collectif.

La carte d'identité biométrique

Dans le cadre d'un projet appelé Ines (identité nationale électronique sécurisée), le comité interministériel du 11 avril 2005 a confirmé la mise en place dès 2007 en France de cartes d'identité biométriques, cartes qui seront rendues obligatoires au bout de quelques années. Ces cartes électroniques d'identité comporteront, sous forme numérisée (grâce à une puce), des éléments d'identification biométriques personnels (empreintes digitales et photographie numérisée, dans un premier temps).
Outre sa fonction d'identification sécuritaire, cette carte aura aussi fonction de signature électronique lui permettant de remplir, pêle-mêle, des fonctions de carte bancaire, d'accès à des prestations administratives par internet, de transactions commerciales. De nombreuses autres données personnelles pourront y être inclues, permettant de regrouper diverses fonctionnalités destinées officiellement à nous simplifier la vie.
historien- Gérard Noiriel (1) nous rappelle que les procédés d'identification anthropométriques ont vu le jour à la fin du dix-neuvième siècle sous L'impulsion de Bertillon, pour maximiser l'efficacité des processus d'identification des criminels, dans le cadre de la police judiciaire. En 1935, dans un contexte de "développement de la xénophobie", le ministère de (intérieur informe le Quai d'Orsay, alors réticent, de "(extension des techniques d'identification anthropométriques à l'ensemble de la population étrangère". A partir de ce moment-là, "le procédé dactyloscopique [empreintes digitales], jusque là réservé aux criminels ou aux « suspects du point de vue national » est progressivement étendu à l'ensemble des réfugiés" (2).
Il aurait été dommage d'en rester là ces procédés doivent donc être étendus à chaque citoyen français, qui devient un suspect en puissance, et dont les éléments d'identification doivent être conservés dans un fichier central. Innovation notable : la consultation des données d'identité contenues dans la puce par les agents de contrôle, se fera sans contact
la porte est ainsi grande ouverte au contrôle effectué d l'insu du porteur de la carte. Dans tous les cas, la généralisation de cette carte participe avant tout d'une criminalisation de la population, du renforcement et de la multiplication des contrôles d'identité.
Mais quel rapport entre ce projet ultra-sécuritaire et la logique de croissance économique ? Tout simplement du fait que ce projet du gouvernement s'inspire très directement d'un texte de recommandations rédigé en juillet 2004 par les industries électroniques et numériques, sous le titre de Livre bleu, détaillant les "grands programmes structurants" pour la relance de la croissance de ces dites industries. Ce document (3) se veut donc la contribution de l'ensemble de la filière (grands groupes, fournisseurs de composants, sous-traitants, distributeurs...) à la réflexion sur les moyens de la sortir de la menace qui pèse actuellement sur son développement, et de contribuer ainsi par le lancement de "grands programmes" dans des "domaines d'excellence", à "faire de (Europe l'économie la plus compétitive (...) au monde" dans ce domaine.
Dans son projet Ines, le gouvernement reprend parfois mot pour mot la rhétorique utilisée par ces industries. Ce livre bleu comprend un chapitre intitulé "acceptation par la population", qui détaille les méthodes qui devront être utilisées par le gouvernement pour faire accepter la biométrie, qui est "très souvent vécue dans nos sociétés démocratiques comme une atteinte à la liberté individuelle". II faut donc "faire accepter par la population les technologies utilisées", entre autres par "un effort de convivialité" et par "l'apport de fonctionnalités attrayantes" : "éducation dès l'école maternelle, les enfants utilisent ces technologies pour entrer dans l'école, en sortir, déjeuner à la cantine, et les parents ou leurs représentants s'identifieront pour aller chercher les enfants" ; "introduction dans les biens de consommation, de confort ou des jeux : téléphone portable, ordinateur, voiture" ; "développer les services « cardless» à la banque, au supermarché, dans les transports, pour (accès internet...".

On voit bien comment l'imposition d'un comportement sécuritaire a dans ce cas pour origine la volonté de croissance des industries de l'électronique et du numérique. Celle-ci rejoint sans doute opportunément les désirs de l'Etat et des gouvernements actuels, qui cherchent ouvertement des moyens de contrôle voire de "nettoyage" de la population. Ce contrôle nécessite un processus d'acceptation par la population, et donc de persuasion intensive, qui passe pour l'instant par l'apport de "fonctionnalités attrayantes", mais qui pourrait demain utiliser des voies plus directes si une partie de la population venait à ne pas accepter cette carte biométrique.
Et précisément, face à un tel projet sécuritaire qui nous projette tout droit au coeur d'un roman d'Orwell, il sera sans aucun doute nécessaire, pour toute personne encore un tant soit peu attachée aux. valeurs de démocratie et de liberté, de refuser cette carte. Un premier pas, important, est fait, avec le lancement par quelques organisations (4) d'une pétition "exigeant le retrait total et immédiat du projet Ines" (5).
Il nous faut tout faire pour soutenir cette initiative et empêcher que ce projet alarmant soit mis en route. Faute de quoi, il sera nécessaire de refuser massivement cette carte et donc de faire acte de désobéissance civile. Il faut s'y préparer dès aujourd'hui, au cas où ce projet ne serait pas retiré. Nul besoin d'être révolutionnaire pour constater que ce projet est totalement inacceptable dans un régime démocratique. Dans l'hypothèse d'une désobéissance ouverte à cette carte, l'intérêt serait dans le même temps de contraindre le gouvernement à retirer ce projet, par la force de la non-coopération collective, et d'ouvrir le débat public, d'interroger ce désir de sécurité, et de mettre à nu la logique de croissance qui est à l'origine de ce projet.

Le travail

Pour Majid Rahnema (6), le ressort et la justification du travail dans nos sociétés est "le principe de l'expansion de la production, seul garant de la croissance durable de l'économie°. [= la croissance]. Pour cela, la société a tout intérêt à "éduquer[l'homme] pour en faire un sujet de désir et de besoins, et pour qu'il intériorise les nouvelles valeurs" [= la croyance]. Cela, afin que finalement "il consente, de son plein gré, à mettre son travail au service de cette société de consommation" [ =l'obéissance]. La trilogie croissance, croyance, obéissance, trouve ici son apothéose. Rahnema le résume clairement lorsqu'il explique que le but de l'économie est de faire des pauvres non encore intégrés dans sa logique d'accroissement "des éléments dociles, productifs et avides" (7).
-- C'est bien l'avidité qui sous-tend le travail dans nos sociétés : le désir d'objets nouveaux, plus surs, plus confortables. La reconnaissance sociale passe dans notre société de consommation, par la possession de ces dits objets qui nous ont été désignés comme désirables par la publicité. "Chacun consacrera saure à obtenir des augmentations de revenus ou de salaire (avec comme référence l'idéal niveau de consommation du bourgeois), à tenter d'accéder à la propriété" résume François Partant (8). Cette avidité nous est présentée comme socialement utile, puisqu'elle vient nourrir la consommation et donc la production, dont l'accroissement perpétuel est censé donner à chacun un emploi et amener le bien-être et la richesse pour tous.
C'est bien sûr un mensonge, l'équilibre d'une société réside dans la qualité de son lien social, dans la coopération qui existe entre ses membres, dans la limitation des inégalités en son sein, et donc dans sa sobriété et dans l'auto-limitation des richesses en son sein. Une société équilibrée et saine ne peut pas reposer sur la frénésie du "toujours plus", qui induit inégalités et déséquilibres croissants. Ni sur la logique du mimétisme d'appropriation, qui engendre violence et compétition.
"Si l'on parle de justice aujourd'hui, estime Wolfgang Sachs, il ne faut pas se tourner vers les pauvres, il faut braquer la lumière sur les riches". Et interroger le sur-développement économique et technologique destructeur et insensé qui caractérise nos sociétés.
De même pour l'emploi : lorsqu'on parle de précarité, d'exclusion et d'injustices dans nos sociétés, il nous faut apprendre à ne pas nous tourner vers les chômeurs, mais à braquer au contraire la lumière sur les travailleurs. Ce n'est pas le chômage qui est à la racine du problème
c'est le travail. Plus précisément, c'est l'inassouvissement qui motive le travail. Dès lors que l'on est libéré de la soif d'objets perpétuelle que nous injecte la pub, dès lors. que l'on s'est rendu compte que la plupart de nos besoins sont sociaux, et non économiques, nous ne sommes plus esclaves de la nécessité de travailler à plein temps.
Peut-être -y a-t-il là une véritable clé pour répondre au "problème du chômage", qu'il faut reformuler en "problème du travail" : dès lors que l'on en vient à limiter ses besoins proprement monétaires (on peut aussi pratiquer des formes d'économie non-monétaires, comme les Sel (systèmes d'échange locaux), on n'a plus besoin de travailler autant, et le travail peut dès lors être partagé. Il y a là un véritable gisement de temps libéré pour des activités non-serviles, et d'emplois pour tous. Un tel partage des tâches est facteur de justice et d'équilibre sociaux ; il est moins insensé que la fuite en avant dans la relance de l'industrie nucléaire, militaire, automobile ou aéronautique...
Désobéir, c'est d'abord désapprendre à obéir. Il est urgent de cesser d'obéir à l'injonction publicitaire, de limiter nos besoins économiques et ainsi de nous libérer de la nécessité de travailler à plein temps, tout en partageant les sources de revenus. Ce sont les travailleurs qui sont les premiers acteurs potentiels de la non coopération avec la logique du travail.
Dans tous les cas, il ne devrait en aucun cas être obligatoire d'accepter n'importe quel emploi pour pouvoir continuer à toucher une allocation : une sorte d'objection de conscience devrait être possible à un allocataire auquel on impose, pour continuer à être "ayant-droit", d'accepter un emploi qu'il juge contraire à ses principes fondamentaux, et socialement ou écologiquement destructeur : emplois dans le domaine de l'automobile, du pétrole, de l'armement, de l'aéronautique, des OGM, des engrais chimiques par exemple. En vertu de quoi aurait-on le droit de refuser d'exercer une activité militaire parce qu'on la juge destructrice, et n'aurait-on pas le droit de le faire pour une activité économique pour les mêmes raisons ?
L'idéal au final serait d'arriver à vivre d'une activité qui nous semble saine pour la société, pour la Terre et pour nous.
Pour cela il serait urgent de créer une Agence alternative pour l'emploi, sorte de centre de ressources qui permettrait de fédérer les projets de vie et les propositions d'activités orientés vers le bien commun et vers des alternatives, et de les mettre en lien avec les personnes qui cherchent justement à exercer des activités dans un même esprit. A quand une telle initiative ?

Un projet social d'obéissance ou de responsabilité

Soyons honnêtes :derrière les OGM, la pub, le travail-roi, et même en partie la carte biométrique, il n'y a pas de projet politique totalitaire. Dans une large mesure, ce sont les mécanismes du productivisme qui induisent mécaniquement ces processus qu'on peut qualifier de totalitaires. Même si le travail, la publicité, peuvent être analysés comme étant des moyens de contrôle, ce totalitarisme qui en résulte n'est pas sous-tendu par un projet politique global : il est simplement la somme des divers intérêts privés. Les choix de production à l'origine des réalisations destructrices que nous avons énumérées, estime Rahnema, "sont inspirés parla seule rationalité d'une production maximale selon les critères d'un marché libre" (9).
La difficulté est qu'il nous faut lutter non contre un visage mais contre un système. "Le crime implique au demeurant des criminels. Pour le communisme, les fiches anthropométriques sont faciles à établir : deux barbus, un barbichu, un binoclard, un moustachu, un qui traverse le Yang Tsé-Kiang à la nage, un amateur de cigares, etc. On peut haïr ces visageslà. Ils incarnent. S'agissant du capitalisme, il n'existe que des indices : DowJones, Cac 40, Nikkey... Essayez, pour voir, de détester un indice. (...) Le capitalisme est partout et nulle part" (10).
Face à un adversaire aussi diffus, la résistance s'exercera donc moins contre un groupe déterminé de personnes, que contre un système, qui est celui du productivisme techniciste, auquel nous devons, les premiers, cesser d'obéir par nos choix de vie. Car ce système, avant tout, c'est nous. "Le Capital, résume François Partant, est devenu un pouvoir immanent que chacun exerce et subit" (11).
Ces forces impersonnelles du marché se consacrent "à la recherche du profit maximal dans un minimum de temps. Elles ne cherchent pas à convaincre", estime jean Ziegler (12). Il faut bien comprendre que "les sociétés transcontinentales de la finance, de l'industrie, des services et du commerce, contrairement aux agents des autres systèmes qui les ont précédés dans l'Histoire, ne mènent aucun combat d'idées. Elles n'affrontent pas des intellectuels dans des débats, des députés dans l'arène du Parlement, des éditorialistes et des polémistes en colère dans les colonnes dès journaux. Silence. Discrétion absolue" (13). La difficulté ici est qu'il nous faut lutter non contre un discours mais contre un silence.
Face à un tel silence, il convient de répliquer par des actes qui brisent le consensus implicite, et permettent au débat de jaillir sur le devant de la scène publique. En créant le conflit, la désobéissance civile permet ainsi de briser le silence, d'ouvrir le débat au niveau de la société, en faisant passer le consensus invisible du domaine de l'implicite (évidence) au domaine de l'explicite (questionnement). Elle constitue donc dans certains cas le premier pas préalable à l'existence dans la société d'un réel débat d'idées sur le sujet souhaité. C'est à partir de là qu'entrent en jeu les ressources spécifiques de l'argumentation politique.
La désobéissance civile permet ainsi de réajuster le rapport de forces au profit d'une minorité qui n'avait pas les moyens de se faire entendre. Et donc de créer les conditions d'un dialogue un peu plus équitable entre deux interlocuteurs d'inégale puissance. Ce rééquilibrage est nécessaire lorsque ce sont les partisans d'une seule logique (ici la croissance) qui maîtrisent la plupart des canaux de l'information, de la propagande et du "faire croire" dans une société.
La désobéissance civile .constitue donc en même temps un moyen de contrainte, et un écart de conduite faisant jaillir le débat sur le devant de la scène publique. Elle se doit d'être clairement non-violente, réalisée au grand jour et assumée par ses acteurs, afin de ne pas faire dériver le débat sur les moyens utilisés, mais de bien le recadrer sur l'objet du conflit.
La désobéissance civile en elle-même fait partie du projet de société alternatif pour lequel on lutte en s'opposant à ces réalisations : un projet qui se conjugue avec autonomie, esprit critique, attachement à une loi juste pour tous, et surtout responsabilité. Elle n'est donc pas un simple outil neutre, mais porte en elle des valeurs civiques qui s'accordent mal avec celles d'obéissance et de soumission.
Entre l'acceptation passive et résignée des OGM, de l'omniprésence de la pub, de la carte biométrique, du travail acharné comme seul horizon de survie aux dépens d'autrui, et la volonté de refuser ces soumissions pour construire une société porteuse de plus d'humanité, de respect, de sens, il y a autant de distance qu'il y en a entre un projet social d'obéissance et un projet social de responsabilité. C'est à nous de choisir.

Guillaume Gamblin
Man-Lyon, Mouvement pour une alternative non-violente.


(1) Noiriel Gérard, Réfugiés et sans-papiers, La République face au droit d'asile, XIX°-XX' siècle, Hachette, Pluriel, 1998, p.162-166.
(2) Ibid., p. 193.
(3)Disponible sur www.gixel.fr
(4)Ligue des droits de l'homme, syndicat de la magistrature, syndicat des avocats de France, Association française des juristes démocrates...
(5)Voir le site www.Idh-France.org , ou LDH, 138, rue Marcadet, 75018 Paris.
(6)Rahnema Majid, quand la misère chasse la pauvreté, Actes Sud, Babel, 2003, p.365.
(7)Ibid., p.369-370.
(8)Partant François, Que la crise s'aggrave ! , Parangon, 2002, p. 54, 55, 65.
(9) Rahnema, ibid., p.278.
(10)Gilles Perrault, cité in Ziegler jean, Les nouveaux maîtres du monde, et ceux qui leur résistent.
(11)Partant, ibid. p. 68. (12) Ziegler Jean, op.cit. (13) Ibid.

S!lence #329 novembre 2005
Ecrit par libertad, à 23:11 dans la rubrique "Pour comprendre".

Commentaires :

  Anonyme
04-04-07
à 21:39

bonjour, une question sur l'utilisation de cet article

Bonjour, je ne souhaite pas vraiment commenter cet article. En realité, je suis etudiante et lors de recherches je suis tombée sur cet article qui je pense me serait tres utile. En effet, je dois disserter sur le sujet : "croire c'est obéir"(citation de Paul Veyne dans "les Grecs ont ils cru a leurs mythes"). Ce qui est traité dans cet article, illustrerait très bien ma seconde partie "faire croire pour se faire obéir", où j'aimerais expliquer le cas de la publicité.

Voilà donc ma requête. Puis-je utiliser les idées et informations de votre article en citant le nom de l'auteur et le magasine de parution?

merci d'avance.

Répondre à ce commentaire

  libertad
04-04-07
à 23:13

Re: bonjour, une question sur l'utilisation de cet article

Pas de problème
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