UN AUTRE DEVELOPPEMENT de la société suppose une autre conception de l'individu. L'être humain crée la société et y projette ses fantasmes, autant que cette société le conditionne dans son conscient et son inconscient, y trouvant un écho psychique.
Au stade originaire du nouveau-né existe une dissociation entre sa psyché et son corps, perçu comme morcelé et extérieur, mêlé au monde extérieur vécu comme chaotique. Dans la fusion bouche-sein, la psyché retrouve son unité.
« L'évolution des processus psychiques est
régie par le principe de plaisir. » (Freud).
Le besoin réel, manger, satisfait, la bouche peut se séparer du sein, fin de la pulsion comme représentation psychique d'une excitation interne, la faim. Eros, élan vers la vie, (élan de la bouche au sein), peut satisfaire l'instinct de Nirvana, plénitude et sérénité dans le plaisir et un sentiment d'amour, par l'extinction de la pulsion. Mais le désir imaginaire tout-puissant veut maintenir cette représentation de la fusion bouche-sein comme unité de moi imaginaire (mais le sein maternel n'est pas le moi réel de l'enfant). Eros ne peut plus satisfaire l'instinct de Nirvana de par la persistance de la pulsion hors du besoin réel. Désir insatiable, sans plaisir possible, naît un vécu de perte de soi imaginaire, de néantisation, avec une haine contre le sein absent.
Le besoin réel est celui du lait, contenu. Le désir imaginaire est celui du sein, contenant, à l'origine de la confusion entre contenant et contenu, forme et sens.
D'intégrer ce vide, cette absence, du sein, par la psyché permet à l'imaginaire de se lier an réel et d'y trouver le plein, dans l'abandon du fantasme de toute-puissance. Le vide donne le plein.
Avec l'évolution, la psyché reconnaît le corps comme sien, distinct du monde extérieur, et comme totalité. Le désir imaginaire insatiable se lie au besoin réel et y trouve un plaisir possible dans un sentiment d'amour. Ce lien symbolique entre la psyché et le corps, l'imaginaire et le réel, est source de culture. (Le besoin, c'est manger. Le désir, c'est vouloir du cassoulet au confit de canard. La culture culinaire lie l'imaginaire au réel pour un plaisir possible).
Alternance d'absence et de présence; l'enfant intègre la séparation avec l'autre perçu comme distinct où il se découvre lui-même. Cela suppose que le besoin réel, essentiel, est satisfait, et un environnement favorable où le nourrisson est perçu par son entourage comme individu dans un sentiment d'amour qui unifie le moi de l'enfant. Il n'est pas la continuation des' parents. C'est un être nouveau. Il trouve peu à peu son unité, esprit infini et corps fini, et sa totalité dans la continuité et la finitude de l'espace qu'est son corps et du temps qu'est son histoire.
La création mythologique est propre à l'enfant qui, à travers le jeu, apprend à lier son imaginaire et le réel. Le mythe exprime les fantasmes inconscients qui organisent parfois le social. Puis vient la raison. Le mythe devient la métaphore symbolique de l'adulte qui sort des croyances. Le mythe est symbolique quand il offre une issue. Comme le rêve, le mythe n'est absurde qu'au réveil.
Le principe de plaisir s'éprouve dans 1 principe de réalité où se' mêlent matériel affectif et intellectuel. Un bonheur est possible dans la simplicité et l'authenticité sans poursuivre les richesses et le pouvoir à l'infini, q relèvent de l'imaginaire insatiable sans li avec le réel. Cela implique une société favorable au développement de l'enfant.
« Amour admis comme l'un des fonde menu de la civilisation. » (Freud).
Apprendre les limites à l'enfant est 1 rendre service. Le besoin réel, essentiel, do' être satisfait, mais pas forcément le dés' immédiat insatiable, coupé du réel. De quitte le fantasme de toute-puissance, le désir imaginaire se lie au besoin réel pour un plaisir possible. L'enfant tout-puissant n'est pas autonome ni émancipé, mais dépend de la servitude de l'autre qui n'est pas respecté comme tel. À deux-trois ans, l'enfant apprend à dire non. Il en a le droit pour s'affirmer, mais doit entendre le non de l'autre pour le reconnaître comme distinct de lui et s'en séparer. C'est parce que l'on sait dire non qu'on sait dire oui. (Exemple concret. Un enfant veut passer par la fenêtre alors qu'il habite au quatrième étage. Lui dire non est lui éviter un danger dont il n'a pas conscience. Mais l'enfant est sensible à l'intention bienveillante à son égard de cet interdit). Il ne s'agit pas d'autoritarisme ni de pouvoir sur l'enfant pour le conditionner à une norme (ni d'une punition, la récompense est plus efficace pour l'apprentissage), mais de le protéger et de l'éduquer, ce qui ne s'oppose pas à une reconnaissance de son individualité dans un sentiment d'amour. L'enfant n'est pas l'objet du fantasme de .l'autre, notamment parental. « L'enfant n'appartient à personne. Il n'appartient ni à sa famille ni à la société. Il n'appartient qu'à sa future liberté. » (Bakounine).
À travers ces limites, l'enfant découvre. son réel, son identité, où le respect de lui-même suppose le respect de l'autre dont il se distingue pour devenir peu à peu autonome.
« C'est la personnalité qui doit parvenir à son propre épanouissement. » (Stirner).
1: éducation doit prendre en compte le développement physique, psychique et intellectuel de l'enfant, en respectant le rythme et les capacités propres à chacun. L'école ne doit être régie ni par l'autorité ni par la soumission. « Être libre, voilà la vraie voie. » (Stirner).
L'enfant doit faire sien le savoir en pratique tout en se découvrant pour se connaître lui-même, dans une éducation personnelle où toute la culture est à sa libre disposition, où la pensée se lie à l'expérience réelle dans la liberté de conscience. La liberté a pour limite le respect d'autrui.
L'éducation doit permettre cet épanouissement spécifique à chaque individu.
« Aider l'enfant à se développer conformément à la logique de sa nature: il ne peut y avoir d'autre but que de faire éclore dans la jeune intelligence ce qu'elle possède déjà sous forme inconsciente. » (Élisée Reclus).
L'éducation doit combiner les aspects physique, corporel, manuel et intellectuel,, notamment par le jeu qui est le mode d'apprentissage de l'enfant. Le groupe doit être réduit pour un autre rapport entre professeur et élève, et entre élèves où se développe la coopération et non la compétition. La science doit s'appuyer sur des expériences concrètes et sur la raison. Elle ouvre l'esprit à une culture générale avec les multiples savoirs, leur propre nature et leurs interactions, pour susciter une réflexion personnelle ouverte sur d'autres regards et connaissances. Le rythme propre à chaque élève et ses capacités sont respectés. « Le but final de l'éducation ne devant être que celui de former des être libres et pleins de respect pour la liberté d'autrui. » (Bakounine).
L'éducation ne doit pas usiner des robots, serviteurs zélés du pouvoir de l'État et de la religion qui inculquent une idée de l'être qui ri est pas le moi réel de l'individu, et employés modèles exploitables du capitalisme et son fantasme de toute-puissance. L'éducation, c'est se désaliéner de l'exploitation et de la domination d'une idéologie ou de l'argent, abstraction coupée du réel.
« C'est dans les têtes et les coeurs que les transformations ont à s'accomplir avant de se changer en phénomènes historiques. » (Élisée Reclus).
« C'est à l'individu lui-même qu'il faut revenir pour trouver les causes d'une transformation générale. » (Élisée Reclus).
L'être humain est sorti de l'évolution des espèces par mutation génétique qui fixe chaque espèce, et de l'évolution d'une espèce, les hominidés, notamment avec l'accroissement cérébral. Avec l'homo sapiens, l'acquis supplante l'inné et se fonde sur l'individu qui apprend de l'autre, invente, transmet. L'évolution de la société est la somme des évolutions individuelles dans leurs relations.
L'individu est doué de sociabilité. Le social ne s'oppose pas à l'individualité, il lui est complémentaire. Personne ne sait tout, et a besoin de l'autre. Cela n'empêche pas sa personnalité de se réaliser. La solidarité donne les moyens de la liberté. C'est le socialisme libertaire par libre association.
Tous les systèmes, outre l'exploitation et la domination, imposent une idée de l'être qui aliène le moi réel de l'individu, ce qui renvoie à une tendance de l'être humain à s'inventer un être imaginaire.
C'est aussi à l'individu de s'en désaliéner. « L'individu perd son réel à vouloir corporiser l'idée de soi. À éprouver du plaisir à être t
qu'on est, on cesse de poursuivre un idéal. » (Stirner).
Dans la pensée anarchiste, à la cohésion sociale s'ajoute la cohérence de l'individu.
« L'être est issu du néant. » (Lao Tseu).
Une société ne règle pas tout et certain problèmes, sources de frustration, d'échecs de chagrin, sont à résoudre par l'individu, notamment le savoir à la mort, spécifique d l'être humain, à l'origine d'un sentiment d'absurdité de la vie, d'angoisse de néantisation ou d'inquiétante étrangeté à soi-même Pour échapper à cette conscience, l'être humain cherche des chimères économique sociales, politiques, religieuses, s'y aliénant.
« L'inconscient se considère cour immortel. » (Freud). Mais d'intégrer ce savoir lui apporte un sentiment d'identité, d'être s et non une idée de soi. Il y trouve sa liberté.
« En même temps que la révolution sociale et économique indispensable, no attendons tous une révolution de conscience qui nous permettra de guérir
vie. » (Artaud).
Jean Monjot
Le Monde libertaire #1403 du 16 au 22 juin 2005