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Les GUIGNOLS DE L’INFO étaient, parlons-en au passé, (leur cryptage n’étant que le prélude à leur disparition) - la seule émission critique qui, par son degré d’impertinence, et son succès d’audience permettait à la fois de dire l’indicible, au sens du politiquement correct, et l’indispensable, au sens de la dénonciation des dérives de notre société.
Il y a deux manières d’empêcher la critique : la censure directe et l’argent.
- la censure directe: un système autoritaire et ouvertement antidémocratique, interdit et frappe celle ou celui qui insiste pour s’exprimer librement ;
- l'argent: un système dit démocratique, se devant de respecter les formes et les apparences, interdit indirectement. Il frappe au portefeuille.
En n’interdisant plus directement mais indirectement, les fossoyeurs des libertés ont su tirer les leçons de l’Histoire . En effet, un pouvoir totalitaire, sur le plan moral facilement condamnable, est à plus ou moins long terme renversé. Le système marchand libéral a l’avantage de sauver les apparences et donc de perdurer. Après avoir porté aux pinacles le culte de l’argent censé n’être que l’expression de la liberté et de l’égalité, celles et ceux qui en ont le plus, et donc détiennent un pouvoir économique et politique, peuvent sans rendre des comptes à la société civile, censurer tel ou tel secteur économique.
On a là, la phase ultime de la fétichisation de la marchandise dans le domaine de la liberté d’expression et de la liberté de critiquer. De fait, critiques et citoyens sont désormais séparés par l’argent. Celui-ci devient le facteur de dissuasion : il faut payer pour voir ! La critique n’est qu’un simple spectacle. Pour les GUIGNOLS, cette mesure n’est évidemment que le prélude à leur disparition pure et simple, ce qui est finalement le but à atteindre.
Bien sûr dira-t-on, il s’agit d’un spectacle sur une chaîne de télévision privée. Certes, c’est ce qui rend la mesure parfaitement légale… mais ce qui est intéressant ce n’est pas l’aspect juridique – généralement, directement ou indirectement, soumis à l’intérêt des puissants - mais le sens social et politique de la décision.
Les GUIGNOLS DE L’INFO n’étaient pas n’importe quelle émission. Particulièrement virulente, l’émission mettait en scène les politiciens de tous bords, les caricaturant, dans leurs pratiques les plus ridicules et moralement condamnables. Elle montrait, et par là même dénonçait tous les reniements, les manipulations, les sous-entendus d’une société qui veut sauver les apparences démocratiques mais qui ne fonctionne que sur, par et pour l’argent. Il est certain qu’elle jetait un regard singulier et la suspicion sur la classe politique… elle amenait le citoyen à penser le/la politique en d’autres termes que la version officielle. Bref,… comme toute critique efficace, elle était dangereuse pour l’ordre établi. Mais l’interdire simplement pouvait faire crier à la censure. La rendre payante, en la cryptant, en limitait l’audience, puis l’éliminant… était la solution…. Le milliardaire BOLLORE propriétaire de la chaîne et ami intime d’une des principales victimes des GUIGNOLS, dans la torpeur étouffante de l’été, n’a pas hésité.
Nous avons là un nouvel exemple de ce que permet la marchandisation : la soumission de tout, y compris de la pensée critique, aux critères financiers.
En principe, dans une démocratie, le droit à la critique est libre,… en principe, mais dans une démocratie fondée sur l’économie marchande, le véhicule de la critique peut-être soumis aux intérêts financiers… ce qui entraîne son contrôle par ce dernier,… et en toute légalité. Circulez, y a rien à voir !
Dans une société hyper-médiatisée, la détention par les milieux financiers de grands moyens de communication, fait que l’information peut, paradoxalement, devenir un poison mortel. Sélectionnée, épurée, manipulée, faisandée, elle est livrée comme un produit de consommation courante dans le but évident de conditionner et de lobotomiser les cerveaux.
L’espace de la réflexion et de la critique se réduit aujourd’hui comme une peau de chagrin. Les rares lieux médiatiques de critique se font de plus en plus rares : LE CANARD ENCHAINE, CHARLIE HERDO, MEDIAPART, ARTE… pour les plus connus qui sont les derniers bastions de la pensée critique. Gardons nous de les laisser disparaître.
2 Août 2015 Patrick MIGNARD