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Lu sur Article XI : "Bonne pioche. Il n’est finalement pas si courant (même dans les milieux dits alternatifs) de tomber sur des gens réellement cohérents, chez qui discours et pratique, façade et cuisine sont en parfaite adéquation. Pour te dire, il nous est parfois arrivé de revenir déçus d’un entretien, de déplorer certains comportements ou réactions. Mais là : nada. Partis il y a (environ) deux mois à la rencontre d’une partie de l’équipe de CQFD,nous en sommes revenus avec le sourire. Motivés comme jamais. Un peu, c’est vrai, à cause du soleil marseillais et du rosé local… Mais surtout parce que ceux du Chien Rouge ne trichent pas, à l’image de leur journal.
À l’image de leur local aussi, petite rédaction, bordélique et chaleureuse. Des chiens rouges qui montrent les dents à tous les coins de murs (mordre et tenir !) ; une table commune encombrée de boutanches, de papiers divers et de cendriers ; un local sis dans une petite rue paumée, loin du bruit. Bref, une tanière sur mesure. C’est là que nous avons rencontré trois des membres de la rédaction du journal, François Maliet, Nicolas Arraitz et l’amie Juliette Volcler, pour évoquer la situation et les horizons du mensuel. Ni grands discours ni grandiloquence, juste la présentation d’une démarche sans concession et de la mise en pratique quotidienne des idéaux qui animent le journal depuis son lancement, en 2003. En clair : autogestion et indépendance, sans hiérarchie ni rédac-chef.
Un modèle, donc. Financièrement parlant, pourtant, CQFD a connu des jours meilleurs. Voire, se serre un
tantinet la ceinture (la faute, notamment, à un hors-série photo qui a
fait flop dans les kiosques). Qu’importe : la lassitude ne l’emportera
pas, les crocs sont toujours prêts à mordre et la
mâchoire à tenir.
On hasarderait même un pari : dans dix ans, le mensuel sera toujours
là, réjouissant franc-tireur de la presse alternative. Nous, on
continuera à l’acheter. Et on espère bien que tu feras de même [1].
Après une période plus florissante, CQFD renoue avec la galère. Ça doit être usant…
François Maliet : Oui, c’est pénible.
En septembre 2008, quand on a lancé l’opération
"l’abonnement ou l’abandon" [2] pour décrocher 2 000 abonnements
supplémentaires, on était un peu à bout. On fatiguait vraiment, ça
faisait six ans qu’on faisait ce canard et on commençait à en avoir
marre d’être dans la mouise. Bref : on avait vraiment besoin de ce
soutien.
Et ça a marché. Bien marché, même : on a eu à peu près ces 2 000
abonnements supplémentaires qu’on demandait. En trois mois ! Le copain
qui gère le courriers devenait fou… Il se retrouvait avec de gros tas
d’enveloppes chaque matin…
À l’époque, ça nous a regonflé. Financièrement, bien entendu. Mais aussi parce que nous avons reçu pleins de mots de soutien, d’encouragements. Et de gestes sympas : une nana nous a proposé de venir passer gratuitement une semaine dans son gîte du Massif Central, des gens passant devant notre local, tapaient à la porte et déposaient un pack de bières, un mec de Limoges nous a envoyé un colis rempli de gâteaux, etc. Il y a même un lecteur qui a payé son abonnement avec du calva artisanal… Ce soutien moral a été essentiel.
Nicolas Arraitz : Sauf que… Le problème, c’est qu’un peu plus d’un an plus tard, une fois les abonnements arrivés à échéance, on s’est retrouvé peu ou prou au point de départ. La galère, à nouveau.
François : Jusque-là, on se débrouillait en jonglant entre les emplois aidés et les droits Assedics. Mais là, il n’y a plus rien : on n’a plus d’emplois aidés, on n’a plus de droits chômedus. On se débrouille, hein : le maquettiste passe son temps à faire des chantiers, à poser du placo ; moi, je pige un petit peu à droite, à gauche ; etc. Au fond, nous avons l’habitude de la galère financière, c’est juste qu’on fatigue sur la longueur.
Nicolas : Et nous avons une impression de recul (même si dans l’absolu, ce n’en est pas un), parce que tous ceux qui se sont abonnés en avalanche quand nous avons poussé ce cri d’alarme ne se réabonnent pas. Et de loin.
François : Nous n’avons
pas regardé précisément, mais nous perdons à peu près la moitié de ceux
qui se sont manifestés après la campagne "l’abonnement ou l’abandon" :
50 % d’entre eux ne se réabonnent pas. Comme le PS après les élections,
en fait, les gens ne reprennent pas leur carte…
Aujourd’hui, CQFD fait à peu près à 3 000 ventes
en kiosques et autant d’abonnés. C’est-à-dire 6 000 ventes. Mais,
paradoxalement, le titre semble plus connu que ça…
Vous allez relancer une campagne ?
François : Nous l’avons déjà fait un petit peu. Nous avons relancé par mail puis par lettres les anciens abonnés qui ne s’étaient pas réabonnés. Mais nous n’allons pas non faire tous les ans le coup de "on arrête", ça deviendrait lassant… Ça me rappelle Politis quand j’étais gamin : à une époque, tous les six mois, ils lançaient un appel en disant "Politis va mourir"
Le truc, c’est qu’on pense faire un canard qui n’est pas trop mal - enfin, on le voit comme ça. Et que ça a un côté désolant de constater, bon an mal an (ou bon numéro mal numéro), que nous plafonnons au mieux à 6 000 exemplaires. Ce n’est pas une question de pognon, mais plutôt d’intérêt suscité. Au fond, la vraie question est celle-ci : pourquoi n’y a t-il pas plus de gens qui s’intéressent à notre journal ? Pourquoi n’arrivons-nous pas à toucher davantage de gens ? A un moment, cela aussi fait partie de la fatigue, du malaise.
Juliette Volcler : Ce n’est d’ailleurs pas propre à CQFD. Allez discuter avec les gens des radios libres, associatives, vous vous rendrez compte que la même fatigue frappe ceux qui portent la machine, ceux qui sont au cœur. Parce que c’est très lourd de porter une structure. Il y a sans cesse besoin d’un renouvellement, et celui-ci n’est pas évident à trouver.
Nicolas : Pour nous, c’est d’autant plus dur que le canard a bien évolué. On est loin de l’esthétique du premier numéro et le journal s’est étoffé, au niveau de la forme et du ton. Il s’est enrichi même, avec un éventail de sujets abordés, de gens qui contribuent avec des tons différents. Pourtant, on a parfois l’impression que les gens ne nous voient, sous la carapace du chien rouge, que comme un pamphlet ultra-gauche ou comme un truc anar au sens étroit du terme. Et il faut bien constater - même si nous n’avons aucune envie de renier cet héritage - que ça joue contre nous.
François : Et on se dit aussi - c’est une idée, hein, nous n’avons jamais fait d’étude de marché - qu’on pâtit peut-être d’une forme radicale dans la présentation du canard. L’impression rouge et noire, le chien, le "Ce qu’il faut détruire"… ce genre de trucs.
Pour revenir à cette idée : ne pas réussir à parler à plus de gens nous pèse un peu, c’est sûr.
Le supplément photo était une tentative d’en sortir ? [3]
François : En partie. Sa publication répondait d’abord à une envie de faire autre chose ; c’est d’ailleurs qu’on expliquait dans l’édito [4]. Mais il y avait aussi cette idée de taper ailleurs, de s’adresser à d’autres personnes que nos lecteurs habituels. De toucher tous ceux qui auraient pu être intéressées par un tel projet.
Et ça n’a pas fonctionné ?
Nicolas : Pire… Les ventes ont été en-dessous de tout ce qu’on imaginait. On savait que c’était risqué - ce n’est jamais gagné de faire quelque chose de totalement différent sans avoir de force de frappe, de force d’artillerie au niveau de la communication, de la pub, etc. Donc, on savait bien qu’on pouvait perdre du fric. Mais pas autant… En fait, ça a été pire que les pires prévisions… Si on se retrouve tous au chômage aujourd’hui, c’est en grande partie à cause de ce hors-série.
François : Pour résumer, disons que ça ne s’est pas bien passé…
Nicolas : Et le lectorat qui nous est d’habitude acquis ne nous a pas suivi. On a même eu droit à des engueulades de la part des lecteurs : « Mais qu’est-ce que vous vous foutez ? Vous voulez péter plus haut que votre cul ? C’est quoi cette quadri en papier couché ? »
François : C’est important pour nous de comprendre pourquoi les gens n’ont pas suivi. C’est peut-être juste une histoire de fric, un manque d’argent. Peut-être aussi qu’on aurait pu mieux mettre en valeur les photographies sur ce coup ; moins en mettre mais leur donner plus de place. Ou alors, c’est que le projet était trop décalé par rapport à l’idée qu’ils se font de CQFD, un canard plutôt pamphlétaire et avec une esthétique un peu punk.
Si on résume : un, vous n’avez pas été suivis par vos lecteurs ; deux, vous n’avez pas réussi à en trouver d’autres…
François : Ben voilà…
Si on se retrouve dans la merde aujourd’hui, c’est qu’on a quand même tiré ce hors-série à 15 000 exemplaires. On avait été ambitieux… Et on en avait placé beaucoup en kiosques, davantage que ce qu’on fait d’habitude. Avec dans l’idée d’élargir notre lectorat.
Vous allez continuez à expérimenter de nouvelles formes, ou ça vous a complétement dégoûtés ?
Nicolas : Attention, on n’a pas envie d’évoluer pour évoluer. On est très loin de cette pensée marketing, on ne cherche pas à attirer de nouveaux lecteurs, à lancer des formules à la Libé ou à chercher de nouveaux segments. Ce n’est pas du tout notre optique.
Mais il y a cette envie d’essayer, d’inventer de nouveaux trucs, pour ne pas stagner, ne pas s’emmerder, ne pas ronronner. Et puis, cette frustration qu’on évoquait un peu avant. Cette question : « Quand est-ce qu’on va réussir à se faire connaître de nouveaux lecteurs ? »
Juliette : Le truc aussi, c’est que ce journal s’est coupé de pas mal de soutiens ou d’appuis dans le monde dit alternatif par son choix de publier une rubrique "faux-amis" ou de pratiquer une critique des médias assez radicale. C’est un isolement assumé, issu d’une intransigeance dans le sens positif du terme. CQFD n’est pas un média alternatif qui tombe dans la complaisance ou n’est pas cohérent avec lui-même – il y en a…
François : C’est sûr qu’on
se paye le luxe d’être un journal qui tape sur le taulier des
Désobéissants, lors des événements de Strasbourg, ou qui épingle un
animateur radio reconnu… Ça a toujours un prix : on paye clairement ces
choix éditoriaux.
Après l’article sur Les Désobéissants [5], on a
reçu quelques échos du genre : « CQFD, je les ai
soutenus quand ils étaient en galère. Ce n’est pas pour qu’ils me
crachent dessus à la première occasion… » Et les articles mettant en
cause Daniel Mermet, d’abord fin 2003 puis en 2004 [6], nous ont valu d’être ostracisé à Là-Bas si J’y suis.
Nicolas : L’article n’était pourtant pas outrancier. Il reconnaissait la valeur de l’émission, l’importance qu’elle avait dans le paysage français, la qualité du travail effectué : ce n’était pas du rentre-dedans. Juste, nous avions fait le choix de dire : « Ben oui, c’est critiquable. »
Vous regrettez d’avoir publié ce papier ?
François : Non, aucun regret.
Et vous le republieriez exactement de la même façon ?
François : Il faudrait organiser un comité de rédaction. Mais pour ma part : oui.
Justement : vous discutez toujours du contenu du journal ?
François : Bien sûr. Nous sommes sept au comité de rédaction et tout s’y discute.
Nicolas : Toutes les décisions importantes sont mises en discussion : ce qu’on publie, quelle orientation prend le canard, etc… Les désaccords sont rares, les décisions se prennent en général sur un consensus discuté.
Il n’y a pas de chef ?
François : Absolument pas. La loi nous oblige à avoir un directeur de la publication, mais le titre n’a aucune incidence chez nous. Il est même censé tourner tous les ans ; comme c’est pénible, qu’il faut refaire les papiers à chaque fois et que tu es convoqué par les flics, on ne le fait plus. Mais l’esprit est là : la direction est tournante et personne n’a un avis plus important.
C’est d’ailleurs ce mode de fonctionnement le plus horizontal possible qui nous donne envie de continuer. Ici, on sait qu’on est chez nous, que chacun est écouté quand il a un avis à donner, qu’on arrive à fonctionner collectivement. Ce n’est pas toujours facile, on s’engueule parfois, mais c’est un vrai plaisir.
Nicolas : On n’arriverait plus à fonctionner autrement.
François : Et tant pis si les choses prennent du temps, si ça complique parfois notre fonctionnement. De toute façon, au bout d’un moment, une certaine forme d’habitude, de routine se met en place : on connaît les préférences de chacun, les réactions des uns et des autres…. On sait aussi que tout ça est super-fragile ; on fait donc vachement gaffe les uns aux autres.
Ce n’est pas qu’une question d’amitié. Aujourd’hui, nous nous entendons tous très bien, mais je ne crois pas que ça tienne uniquement sur l’amitié. Ça aide à fluidifier les choses, bien entendu, mais ce n’est pas ça qui nous permet de décider collectivement.
Juliette : Produire un canard, c’est aussi inventer ensemble une organisation du travail, une gestion du collectif, voire même un mode de vie. Il n’y a pas seulement la production d’un journal, mais aussi d’une manière de s’organiser différemment. C’est sans doute aussi l’un des enjeux des canards alternatifs, de créer les conditions de leur existence. Pour moi, faire un média alternatif, c’est aussi inventer une autre manière de vivre. C’est une expérimentation sociale.
Et dans la pratique ? Comment vous vous organisez pour relire et valider les textes ?
François : Pour la relecture, les textes circulent au sein de la rédaction : tout le monde peut les lire et commenter par mail. Une fois qu’ils sont validés collectivement, il y a un éventuel travail de correction et de réécriture : celui-ci est conduit par trois membres de la rédaction, mandatés pour cela. Une fois relu, le texte revient à l’auteur, qui peut éventuellement refaire des corrections. Et quand tout le monde est d’accord, le texte part à la maquette.
Parfois, il faut calibrer, d’autre fois réécrire, notamment parce qu’une bonne part de ceux qui nous envoient des papiers ne sont pas plus journalistes que nous et que tout le monde n’a pas les mêmes facilités. Comme ce sont des gens qui travaillent bénévolement – seraient-ils payés qu’il en irait de même – tu ne peux pas te permettre de mettre les mains dans un papier, de l’envoyer à la maquette et que les gens découvrent leur article dans le journal avec les modifications. C’est pour ça qu’on a mis en place ce système. C’est un peu long et compliqué, mais nécessaire.
Aujourd’hui, on s’organise mieux, on est plus carrés. Mais ça ne nous empêche pas d’encore terminer à 4 h du matin les jours de bouclage. Comme dans les films… Ça fume, il y a des canettes partout, il est trois heures du matin, tout le monde est à la bourre, et là t’as l’écran qui fait : pschiiitt…
C’est le côté rebelle, chien rouge, ça… D’ailleurs : si vous deviez définir votre ligne éditoriale ?
François : Je crois qu’on
est différent de la plupart des canards de la presse alternative, qui
ont des domaines bien particuliers : c’est le cas de La
Décroissance, du Plan B avec la critique des
médias – même s’ils ne font pas que ça [7] - , du Tigre…
En terme éditorial, nous tapons plus large, sans avoir une ligne très
précise. Disons que nous nous régalons à chaque fois qu’il y a un pet
dans les rouages, qu’il se joue une opposition, qu’il y a des gens se
bougeant pour lutter dans une usine ou s’organisant pour vivre
différemment. Nous avons l’impression d’être sur quelque chose de plus
large que la presse indépendante existante. Et on se régale d’être
hétéroclite. De toucher à plein de choses et de ne pas être sectaire. De
parler d’ouvriers en grève comme des gens qui vivent dans des yourtes.
Notre idée, c’est de relayer les luttes et les alternatives. Tout en
évitant tout dogmatisme : nous n’avons pas, à la différence d’autres
titres, d’idées absolument arrêtées sur ce que doit être la lutte, la
façon de renverser la société actuelle.
Nicolas : Contrairement à de nombreux autres canards, nous ne sommes pas des observateurs de la vie politique. A sa manière – et ce n’est pas une façon de le déprécier – Le Plan B est en permanence dans un travail de décryptage, de compilation, d’archivage des dérapages des médias et des grandes stars de la presse. Quant à La Décroissance, elle épingle systématiquement les tartuffes de l’écologie et les grands prêtres de la croissance. Nous, on a la rubrique Faux Amis, notre camarade Sébastien Fontenelle dégomme les politiques et les médias dans ses chroniques, etc, mais nous ne faisons pas que de la dénonciation : nous regardons la réalité à notre niveau, celui de la rue. Nous axons prioritairement notre travail sur les rapports sociaux, sur la réalité vécue par les gens, sur leur vie.
François : On a reçu un courrier d’un lecteur nous expliquant qu’il a tout de suite adoré Le Plan B mais qu’il a eu beaucoup plus de mal à apprécier CQFD, parce qu’il lui a fallu du temps pour comprendre notre façon de faire. Et il termine à peu près ainsi : « Au bout d’un moment, j’ai saisi que vous regardez par le petit bout de la lorgnette, sans donner de grandes règles, et que c’est ensuite à nous lecteurs de nous façonner notre vision du monde. » Au début, ce terme de "petit bout de la lorgnette" nous a vexés. Mais finalement, ça nous va bien.
Et comment CQFD se projette dans l’avenir ? Il y a des choses que vous voudriez changer ?
François : Déjà, on va continuer. Et puis, on pense à des changements, sans que ce soit forcément à court terme. Nous avons déjà songé à accélérer le rythme de parution, ça nous titille. Arthur, un vieux de la vieille de la presse alternative, un ancien de La Gueule Ouverte qui écrit chez nous et pige à Siné Hebdo [8], assure que c’est la formule hebdomadaire qui fonctionne réellement dans les kiosques. Que sortir une fois par semaine à jour fixe "fidélise" beaucoup plus le lecteur que sortir chaque 15 du mois. Et que ça permet aussi de travailler avec davantage de constance, de garder la flamme toujours allumée. Nous, on commence à s’exciter à la fin du mois, pour un bouclage qui tombe le 10… Si on pouvait changer ça, ce serait bien.
Ça nous titille, mais c’est sans doute hors de portée pour l’instant. Et donc, si la fréquence reste la même, on se dit qu’on pourrait augmenter la pagination. En aérant plus, en laissant plus de place aux dessins, en proposant des articles plus longs, des enquêtes et de vraies pages cultures.
Un peu avant, vous évoquiez les autres titres… Il y a justement une certaine vitalité de la presse alternative en ce moment, ça bouge pas mal…
François : Oui, c’est un milieu plutôt vivant ; on le voit avec Z, avec Le Tigre.
Mais j’ai tendance à croire - je m’avance peut-être un peu - que c’est au final plutôt un constat de l’échec de l’action politique. Il y a eu un bon papier là-dessus dans la revue Offensive : l’auteur rappelait en gros que la politique, ce n’est pas seulement faire vivre des titres de la presse alternative, parce qu’on a de toute façon accès à l’information aujourd’hui, mais surtout d’être militant, d’être actif dans sa fac, dans son usine, dans sa boîte, dans sa rue. Je trouve qu’il n’a pas tort : si les gens se mettent à écrire et à participer à des journaux alternatifs, c’est peut-être parce qu’ils ont le sentiment qu’il est impossible d’arriver à quelque chose par l’action politique, par le militantisme classique.
Vous croyez que les journaux alternatifs devraient unir leurs forces ?
François : Je crois davantage à une coopération entre les différents médias indépendants : il faut réussir à trouver un moyen pour fonctionner de manière plus proche. Il y a des choses qui ne se font pas, mais ne seraient pas si difficiles à mettre en place : savoir ce qu’il va y avoir à l’intérieur de tel journal, proposer des échanges d’articles, mettre des entretiens en commun…
Nicolas : Le paysage de la presse indépendante est composé de petits canards morcelés, plus ou moins en difficultés permanentes pour survivre. Et c’est vrai que ces titres pourraient peut-être, s’ils mettaient leurs forces en commun, vendre autant que - par exemple - Siné Hebdo [9]. Réunir les qualités de Z, de Fakir, du Plan B, de CQFD, ça fait évidemment gamberger…
Personnellement, c’est une idée qui ne me fait pas peur. Mais je suis un peu isolé, les réticences sont nombreuses. Pour deux raisons…
D’abord, il y a de vraies divergences politiques entre ces titres, même s’ils se retrouvent sur la critique de cette société qu’on nous impose. Une partie de cette presse alternative – disons Le Plan B et Fakir, en y englobant Le Monde Diplomatique – semble nostalgique de certains combats du passé - ce qui apparaît bien avec la remise en avant du programme du CNR. Et j’ai un peu l’impression qu’elle se trouve en partie incapable de penser les enjeux contemporains. Ces titres croient encore aux vertus d’un État bénéfique, humaniste, habillé en rose et qui nous tirerait les marrons du feu… Tandis que nous pensons qu’il faut chercher de nouvelles pistes, alternatives, graines à semer pour une autre société. C’est bien pour ça que CQFD fait à la fois de la critique et de l’expérimentation sociale.
Et puis, il y a une deuxième profonde divergence avec ces titres, c’est celle du fonctionnement. Nous aurions du mal à lâcher notre façon de fonctionner. S’il s’agit de trouver de nouveaux complices, de mettre en place des échanges, ok. Mais CQFD ne lâchera jamais sa manière horizontale de fonctionner, ni son refus des hiérarchies.
François : Par contre, ça pourrait être intéressant de se retrouver avec des journaux laissant la place à des voix dissonantes et donnant naissance à des débats. C’est quelque chose dont nous manquons.
Nicolas : C’est l’une de nos plus grosses frustrations : ne pas avoir de débat, de polémique. Ce n’est pas que je rêve des pages Rebonds de Libération, hein… Mais alors que nous avons la réputation d’une certaine virulence, d’un certain ton polémique, il y a relativement peu de réactions constructives façon : « Je ne suis pas d’accord sur ce point, pour telle et telle raison. D’ailleurs, je vous propose de publier ce texte. » J’aimerais bien que ça arrive plus souvent, qu’on sente qu’on a touché quelqu’un, qu’il y a quelque chose en face.
Heureusement, nous avons les rencontres avec les lecteurs pour nous souvenir que nous avons un lectorat varié, chaleureux, sympa, pour ne pas avoir le sentiment de nous époumoner dans le désert… Et puis, on se dit que c’est sans doute l’époque qui veut ça. Que c’est d’elle que vient ce sentiment que les idées ne servent plus à rien, que rien ne sert de s’escrimer.
Petit rappel :
cet entretien s’inscrit dans une démarche plus large consistant à
interroger des projets de presse alternative qui nous bottent et à
dégager les problématiques liées à ce type de publication. En filigrane,
nos propres interrogations quant à un passage papier.
Premier épisode : Le Tigre, à lire ici.
Deuxième épisode : Revue Z, à lire ici.
Troisième épisode : Le Postillon, à lire ici.
[1] En passant, on te signale que si tu souhaites t’abonner, c’est ici que ça se passe. Ce serait dommage de laisser passer l’occasion.
[2] Cet article de la rédaction de CQFD est à consulter ICI.
[3] Publié fin novembre 2009 et vendu 6 €, ce hors-série photo de CQFD rassemblait 24 photographes sur 48 pages, dont Mat Jacob, Yohanne Lamoulère, Antoine d’Agata, Gilles Favier, Denis Bourges, Pierre-Yves Marzin, Damien Fellous, Martin Barzilai, Bernard Plossu, Françoise Nuñez. Ainsi que des auteurs tels que Jean-Bernard Pouy, Bruno Le Dantec ou Iffik Le Guen.
[4] La rédaction présentait ainsi le projet, dans l’édito du Hors-Série : « Le fruit du plaisir que nous avons à explorer de nouvelles pistes, à tenter une percée dans des territoires où ni les amis, ni les ennemis ne nous attendaient. Un jeu — non dénué de sérieux —, une expérience. Et tout ça pour persister dans l’expression de notre fragile position dans le monde, dans cette existence contemporaine dont nous ne nous satisferons décidément jamais. D’où ce numéro spécial, sans grand discours ni épais concept, mais qui tombe à pic quasiment par hasard, comme une belle erreur dans le paysage. »
[5] Soit ce papier-ci.
[6] Il s’agit de deux articles, celui-ci puis celui-là.
[7] Cet entretien a été réalisé avant que Le Plan B n’annonce sa fermeture.
[8] Cet entretien a aussi été réalisé avant que Siné Hebdo ne mette la clé sous la porte.
[9] Pour la dernière fois, cet entretien a été réalisé avant que Siné Hebdo et Le Plan B ne ferment boutique.