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À contre-courant, avec légèreté, ironie et obstination, le peintre Clovis Trouille n’a cessé de remonter le long fleuve tranquille de la morale chrétienne, du patriotisme militaire et du faste bourgeois. Le musée de Picardie lui rend ici un bel hommage. Avec un nom digne d’un pseudonyme, ce peintre d’origine picarde, né en 1889 et mort en 1975, fait basculer les mythes les mieux établis. Sa peinture érotique et bariolée donne une gifle féroce à la face de la religion et de la guerre, « une infamie » qui l’a définitivement traumatisé. Après avoir fait des études à l’École des beaux-arts d’Amiens, de 1905 à 1910, et avoir travaillé dans l’illustration à Paris, il est mobilisé le 2 août 1914. La guerre fait de lui « un anarchiste », et sa peinture avec.
Remembrance frappe par sa violence figurative. Deux soldats morts, un allemand et un français, tiennent dans leurs bras deux lapins blancs et deux croix de bois. Sur le champ de bataille, un cardinal, cheveux blancs, tout de rouge vêtu, avec manteau et porte-jarretelles, donne sa bénédiction à un chef militaire. Une femme nue, à la jarretière bleu, blanc, rouge, le corps contorsionné, jette derrière elle une ribambelle de médailles militaires. Exposée au Salon des artistes révolutionnaires, cette toile fait sensation auprès des surréalistes Aragon, Eluard et Breton. Trouille surréaliste ? « Anarchique, surréaliste… je ne sais pas. Je peins ce que j’aime, je peins la beauté féminine. Pour moi, tout est érotique, c’est le plus beau des sentiments », explique-t-il dans un documentaire, visible pendant la visite.
Artiste non conformiste, Clovis Trouille a su dépiauter, jusqu’au moindre détail, les tares d’une société occidentale bien-pensante. Bikini, par exemple. Dans une colonie française, on aperçoit au loin, au milieu d’un champ de blé, un militaire français à la tête d’une troupe de spahis. Sur le bord de la route, un curé, la tête posée sur la main, regarde une tête de mort. À peine cachées par quelques branches de blé, trois femmes blanches, allongées en bikini, se prélassent. Tout est là : l’hypocrisie de la mission « civilisatrice » est dévoilée.
Dans son oeuvre, l’obscénité se love dans les corps de ceux qui prétendent porter de hautes valeurs. L’érotisme en revanche vient envelopper de chair généreuse des femmes libres, belles et sadomasochistes. Dans Oh ! Calcutta ! Calcutta !, la femme allongée de dos ne montre qu’une chose : « Le cul d’Oh ! Calcutta ! s’inscrit dans un cercle parfait car il s’agissait de suggérer la conquête de la Lune », écrit Clovis Trouille. Certaines de ces toiles possèdent les attributs du pop art anglais. Dans Souvenir sans suite, le visage d’une femme tout droit sortie des publicités des années cinquante sourit au spectateur, faisant émerger du tableau trois bananes très jaunes. Au fond du tableau, trois bonnes soeurs, aux visages recouverts, lisent pieusement la Bible. Le décalage est à son apogée.
Obnubilé ou amusé par sa propre mort, Clovis Trouille peint un triptyque : Mes funérailles (1940), Mon enterrement (1945) et Mon tombeau (1947-1962). Dans la première toile, il met en scène un magnifique carrosse traversant les rues de Paris, suivi d’une tripotée d’évêques, de militaires et de chiens. La deuxième représente trois femmes nues éplorées en collant noir de circonstance. L’une des trois montre ses fesses. Elle est face au cercueil. Enfin, dans le Tombeau, des femmes fantomatiques rôdent dans le cimetière, elles portent des chauves-souris en cache-sexe. « Ci-gît le peintre qui perdit sa vie à la gagner », peut-on lire. Au sommet du caveau, la tête du Christ. Ici aussi, et jusqu’au bout, il rit aux éclats.
« Clovis Trouille,
un peintre libre et iconoclaste », jusqu’au 26 août, au musée de Picardie, 48, rue de la République, 80000 Amiens.
Info : 03 22 97 14 00.
Ixchel Delaporte