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Et
pourtant,… on ne peut que constater aujourd’hui une dégradation vertigineuse du
civisme. Est-ce du à une
« perte » de civisme, ou bien à un changement des conditions
économiques et sociales dans lesquelles il peut exister et qui d’une certaine
manière le déterminent ?
AUX SOURCES DE LA CITOYENNETE
Dans
la foulée du siècle des Lumières et
de la Révolution Française, la citoyenneté – dans sa conception
« moderne » a fait son apparition – elle était fondée, et est en
principe toujours fondée sur la responsabilisation
des individus à l’égard des affaires de la « cité » et sa participation à sa gestion.
La
construction d’une « nouvelle société », fondée sur la reconnaissance
de l’individu en tant que sujet et acteur
de son histoire, sur les valeurs des Lumières, et la libre
initiative/entreprise source de création de biens, a mobilisé, moralement et
idéologiquement toutes les énergies de la société.
Cette
« sacralisation » de la nouvelle société a pourtant vite tourné cours
et les conflits « moyenâgeux » ont cédé la place à de nouveaux
conflits issus directement des nouveaux rapports sociaux (le salariat). Les
valeurs ont également changé, le sacré,
qui avait dominé l’Ancien Régime, a cédé la place au profane sous la forme de la morale
civique et du patriotisme… le
Capital ayant besoin de l’Etat national pour fonder et développer sa
domination. Ainsi les repères moraux, les valeurs, les notions de Bien et de
Mal se sont transformés en ce que nous connaissons aujourd’hui.
Les
conflits sociaux ont malmené ces nouvelles valeurs et repères, mais malgré leurs
violences, ces derniers ont réussi à résister tant bien que mal au
développement du capitalisme… jusqu’à nos jours. Le patriotisme voire les
nationalismes, le respect de la propriété, le culte du travail, le respect de
l’outil de travail… demeurent bien ancrés, à différents degrés, dans les
esprits…. et constituent, dans une certaine mesure, encore, des repères.
Cette
« résistance conservatrice/conservatoire », intégrée et même
revendiquée par la majorité, caractéristique de toutes les civilisations est un
facteur non négligeable de la pérennité des systèmes sociaux. En effet, elle
assure une stabilité qui, à la fois justifie le système, mais aussi le renforce
dans sa cohérence aux yeux du plus grand nombre. Ce n’est pas un hasard si elle
est l’axe essentiel du discours officiel qui, dans les périodes troublées, ou
de crise, permet de replâtrer les fissures qui apparaissent sur le modèle
social en place et de détourner les revendications et révoltes légitimes. C’est
probablement, une explication (elle n’est pas la seule) qui fait qu’aucun pays
de capitalisme développé n’a vu le
renversement du rapport social salarial.
LE CIVISME A L’EPREUVE DE LA
MARCHANDISE
Un
dogme n’est pourtant, et heureusement, jamais éternel, du moins quand il s’agit
de la réalité sociale. Tous les dogmes, toutes les valeurs se sont, un jour ou
l’autre, effondrés au cours de l’Histoire… et ont entraîné, tout en en étant le
signe, l’effondrement du système qu’ils représentaient. Il en sera assurément
de même pour le système marchand…. Encore faut-il que des conditions réelles,
objectives, minent les certitudes qui les fondent.
Tant
que le système marchand, dans ses pôles dominants – les pays industriels
développés – a pu s’acheter, en pillant consciencieusement le reste de la
planète, la paix sociale, et par là même mystifier ses salariés sur ce qu’il
était réellement, en promettant le bonheur universel, cette illusion collective était le meilleur
garant de sa survie. Elévation graduelle du niveau de vie et multiplication des
avantages sociaux, fondaient, pour le plus grand nombre, la défense du
« Travail et de la Patrie ».
Aujourd’hui,
le charme est entrain de se rompre… Qui peut croire aux promesses
d’amélioration de la qualité de la vie, à la sauvegarde des avantages sociaux,
à la garantie de retraites correctes,… bref à un « avenir sain dans un monde sain » ? De moins en moins de
monde.
Les valeurs qui fondaient le système
marchand ont été largement piétinées par lui et apparaissent de plus en plus
comme une escroquerie idéologique. Dans
sa logique destructrice du travail humain, son mépris sans borne de l’intérêt
collectif, son désir forcené de détruire tous les acquis sociaux, l’inéluctable
exclusion, voire marginalisation, d’une partie de la population, le système
marchand n’arrive plus, malgré son discours, à masquer ce qu’il est en
réalité : un système au profit d’une minorité qui pille les richesses
collectives.
Sur
quelle réalité économique et sociale peut-on fonder des valeurs de liberté, d’égalité et de fraternité ?.
Autrefois on les fondait sur un espoir à
venir,… on voit aujourd’hui ce qu’il en est concrètement. Les jeunes,
c'est-à-dire celles et ceux qui ont l’avenir devant eux imaginent difficilement
la concrétisation des valeurs auto proclamées par le système… l’illusion est en
passe de cesser complètement.
L’illusion
ne faisant plus illusion,… tout ce qui fondait le civisme, s‘écroule.
L’INEVITABLE RECOURS A LA REPRESSION
L’Etat
marchand est entrain de se dépouiller, par le développement ultime de ses
contradictions, de tout ce qui pouvait créer cette illusion.
Dans
le système marchand, tellement imparfait, un domaine « tire/ait son
épingle du jeu », évite, ou plutôt évitait, les dérives de l’incivisme : le service public. Pourquoi ? Parce qu’il est/était perçu comme
étant au service de tous, parce qu’il
fonctionne/ait plus pour satisfaire des
besoins : transport, énergie, santé, éducation,… que dans un soucis de
rentabilité et de profit. L’usage
avait priorité sur le gain financier.
On respectait une entreprise qui avait le souci de l’intérêt général. Quel respect peut-on avoir envers une entreprise
qui n’est là que pour faire du profit, qui considère le client comme une
« vache à lait » ?
La
liquidation généralisée du service public sonne le glas du lien fragile qui
reliait le système marchand aux valeurs qu’il proclamait et proclame haut et
fort
La
mondialisation marchande et le choix des lois du marché comme régulateur
économique et social pousse le système à ses limites,… à des limites insupportables
sur le plan social, à des limites qui font qu’il
n’a plus les moyens de se payer la paix sociale par des concessions.
Les
valeurs qui fondent le civisme font ainsi de moins en moins illusion. Comment
respecter, pour des jeunes, une société qui les exclut, qui leur promet un
avenir plus qu’aléatoire sur le plan professionnel, de la santé, des retraites,
sans parler de l’environnement ?
Conscient
de cette situation, les gestionnaires du système se dotent des armes
adéquates : des troupes de mercenaires surarmées de maintien de l’ordre
civil, développement du renseignement, incitation au mouchardage, à la délation,
quadrillage des populations, vidéo surveillance,…
Ainsi,
l’Etat libéral, ayant abandonné l’essentiel de ses prérogatives dans le domaine
économique et social a recours à la bonne vieille méthode coercitive pour
maintenir l’ordre social et politique.
L’incivisme
n’est pas analysé comme la résultante d’une perte de sens du système pour une
partie de la population, mais simplement comme une déviance qu’il s’agit de
châtier pour la contenir. Les médias sont d’ailleurs abondamment sollicités
pour populariser cette thèse et gagner la bataille de l’opinion publique.
La
montée de l’incivisme est en fait l’expression de la perte des valeurs qui
étaient attachées au système… or, la tendance développée par ce dernier va dans
le sens d’une déshumanisation, d’une désocialisation, d’une individualisation
des questions qui devraient se régler collectivement.
La
crise actuelle qui montre le véritable et la véritable fonction de l’Etat va en
rajouter en frustration et sentiment d’inégalité et d’injustice… ce qui relativisera
encore plus les « valeurs » qui fondent, ou sont censées fonder, un
régime qui se prétend démocratique.
Le
culte de la répression et de l’autoritatisme qui se développe dans les sphères
de l’Etat, loin d’apaiser les esprits va au contraire envenimer situation.
novembre 2008 Patrick
MIGNARD
Voir
aussi les articles :
« ILS
NE CEDERONT PLUS RIEN ! »
« LE
FAUX-HUMANISME DE LA MARCHANDISE »
« MARCHANDISE :
LE RETOUR AUX FONDAMENTAUX »