Anarchie vs Anarchisme
En lisant le Back to basics : What is Green Anarchy, j’ai noté plusieurs similitudes entre notre (La Mauvaise Herbe) réflexion sur l’anarchie / anarchisme et celle du collectif Green Anarchy. Je considère important de rappeler cette distinction pour nos lecteurs et lectrices, surtout ceux et celles qui se questionnent sur la réaction récente de certains communistes libertaires (NEFAC, HO) contre d’autres anarchistes(1). Il existe, entre autres, deux approches différentes de ce qu’est (et devrait être) le mouvement libertaire, qui peut être traduit entre anarchie et anarchisme. À la Mauvaise Herbe, nous nous identifions à l’anarchie, puisque nous orientons nos textes et nos actions selon ce courant social / politique / philosophique, nous faisons la promotion des principes anarchistes (liberté individuelle et collective, action directe, horizontalité, autonomie, entraide mutuelle, coopération volontaire et responsabilité individuelle) et nous proposons des projets en accord avec ces principes. La Mauvaise Herbe admet et célèbre, depuis son tout début, la diversité des tendances, des visions et des stratégies de lutte contre la domination dans le mouvement anarchiste. C’est notre ouverture à la discussion, sérieuse et honnête, et notre flexibilité dans nos textes et nos réflexions, qui ont permis une évolution qualitative de notre projet journalistique, en soi collectif, et dans nos pensées individuelles.
Nos visions d’un monde anarchiste ont en commun que celui-ci est
composé de plusieurs éco-communautés libertaires radicalement
décentralisées, auto-organisées et autonomes. Elles peuvent donc être
très différentes l’une de l’autre (ex : village, tribu, nomade,
semi-nomade, semi-sédentaire, etc.). Précisons que nous ne voyons pas
la pertinence de fournir un plan, détaillé ou pas, de comment on va y
arriver (à ce type de monde), puisque ce n’est pas à nous seul de
décider. Par contre, nous sommes complètement ouverts à discuter (et à
partager) nos visions, nos stratégies, nos expériences passées ou
présentes, nos émotions, nos intuitions, nos actions, les obstacles
rencontrés, les moyens de les surmonter... de la vie enfin, avec tous
ceux et celles qui veulent construire ce monde. Pour atteindre ceci,
nous proposons de réfléchir et d’attaquer la logique et le cadre de
référence de la culture mortifère en place. Nos efforts sont aussi
dirigés à mettre fin à toute médiation dans nos vies et à détruire
toutes les institutions qui se chargent de la reproduction sociale de
la domination.
Quant à l’anarchisme, cela est un point de référence historique
important, un système d’idées développé par des anarchistes
(aujourd’hui tous morts) et des mouvements sociaux et politiques qui
ont marqué l’histoire moderne (environ 1860-1940). Quoiqu’inspirant, il
faut comprendre qu’aujourd’hui, certains groupes se disant issus de
l’anarchisme incluent et excluent certains éléments du mouvement
libertaire dans ces cadres de référence (système d’idées) et perdent
parfois beaucoup de temps à faire la morale au milieu anarchiste. De
plus, il faut aussi comprendre que le développement de certaines idées
et réponses (concrètes et abstraites) construites par les premiers
soi-disants anarchistes (Prudhon, Bakounine, Berkman, Goldman,
Malatesta, etc.) a été écrit et fait dans un (et des) contexte social
spécifique (l’industrialisation de la production, la prolétarisation
d’une partie importante de la population, la mode des idées
évolutionnistes et progressistes dans les cercles d’intellectuels
occidentaux, la croyance en des ressources naturelles infinies, la
laïcisation de l’État dans quelques pays et les dernières étapes de
l’institutionnalisation de la science moderne, les actes de foi en un
type de science et de progrès). En plus d’être développé dans un
contexte social spécifique, la théorie et pratique anarchiste classique
ont été faites selon les propres motivations et désirs de ses acteurs.
Se limiter à ces idées et ces façons de faire dans nos réflexions et
activités revient à systématiser, figer et idéologiser quelque chose
qui devrait toujours être en mouvement, ouvert et créatif, enfin, ce
que l’anarchie est, et a déjà été à l’époque. L'anarchie, au delà des
idées particulières à chaque penseur anarchiste, prend sa source
d’inspiration dans l’action de réaliser la liberté, d'enrayer
l'exploitation et l'oppression sous toutes ses formes, et de vivre
dignement et dans le respect de l'autre. Le « ism » dans anarchisme
vient justement dans ce réflexe de quelques-uns à élever la théorie en
système fermé, à figer (et sélectionner des éléments) un cadre de
référence historique et à idéologiser (et à faire la morale) le
mouvement anarchiste. Ce réflexe à fixer ce qu’est l’anarchisme, à
figer le flux anarchiste et à construire un mur idéologique autour
d’eux permet peut-être d’offrir quelque chose, qui est à la fois
élaboré et simplifié, à la population (plateformes, programmes,
principes fondateurs), mais ce quelque chose est alors détaché de cette
même population puisqu’il n’est pas théorisé et vécu par elle-même et
il n’est pas garant d’une compréhension par celle-ci, d’où les dérives
et distorsions possibles. Donc, on peut dire que ce quelque chose
(plateformes, programmes, etc.) a comme caractéristiques d’être
stagnant (n’évolue pas selon les contextes sociales), d’être imposé
(met de côté l’auto-théorie) et d’être abstrait (utilise des mots qui
n’ont pas la même signification pour tous ou qui ne rejoignent pas la
réalité de tous). Ici, nous remarquons ce qui démarque la propagande
par le fait (ouvrir des milieux libres pour inspirer les autres) de
ceux qui se concentrent sur l’élaboration d’une plateforme politique
pour convaincre les autres. Dans certains cas, ceux et celles qui
s’identifient à l’anarchisme vont même jusqu’à recruter certains jeunes
qui se réunissent en groupes de lectures (phénomène du club école), à
se présenter à des événements de divers genres dans le but de faire
exclusivement, bien souvent, leur propagande, et dans des rares cas, de
former des groupes de lecture secrets (ex : la véritable lecture de
comment il faut s’organiser) pour uniformiser les militants
anarchistes.
Par cette pratique, l’anarchie, cette révolution dans les manières
de penser et d’agir, risque alors d’être figée dans une idéologie, au
lieu d’être en constant mouvement. C’est un leurre et un danger, selon
nous, de voir dans quelques anarchistes et d’exposer quelques théories
comme étant représentatifs des frontières de l’anarchie. Cela crée bien
souvent des règles de conduite et de pensée qui visent à contraindre
les personnes à faire correspondre leurs conduites (comportements) à
ces règles et leurs pensées à cette frontière idéologique. Plusieurs de
ces anarchistes classiques refusent alors tous efforts théoriques et
pratiques élaborés en-dehors du terrain de l’anarchisme et en-dehors de
l’approche des mouvements ouvriers de masse. L’anarchie n’est pas une
méthodologie sociale et économique pour organiser la classe ouvrière
comme l’ont fait les marxistes orthodoxes. Au contraire, l’anarchie ne
peut être formalisée, elle se constitue en des expériences fluides et
organiques, embrassant une multitude de visions de la libération, des
visions à la fois personnelles et collectives, et toujours ouvertes.
Nous pensons qu’il n’est pas souhaitable d’offrir sur un plateau un
cadre ou un plan de la société anarchiste à la population, mais nous
pouvons construire, entre nous et bien sûr avec eux (tous ceux et
celles qui font déjà de quoi ou qui désirent s’émanciper de leur
soumission aux structures de pouvoir) des éco-communautés libertaires
de multiples sortes. Et de là l’intérêt que certains d’entre nous
portent sur les sociétés primitives non-civilisées, parce qu’elles nous
inspirent dans nos réflexions et nos projets. Elles ne sont pas
seulement des sociétés (mode de vie tribal et semi-nomade) qui ont
fonctionné pendant 98% de l’histoire de l’humanité au niveau écologique
(elles sont viables écologiquement contrairement aux civilisations),
elles offrent surtout des exemples concrets et des leçons au niveau
social, politique et économique (liberté de ses membres, pas ou peu de
domestication, non-centralisation et éclatement du politique, relations
sociales et interpersonnelles généralement égalitaires, partage des
tâches selon les désirs et capacités du moment, partage communautaire
de l’éducation des enfants, autonomes et auto-suffisants, diversité
culturelle et linguistique, etc.). Elles constituent donc des exemples
concrets qui stimulent notre réflexion, tout comme d’autres types de
communautés (il y en a peu qui sont rapportés, mais il y a en a) qui
ont vu le jour au sein même de la civilisation et qui souvent ont été
anéantis par les États de l’époque. La sensibilité des anarchistes à
ces expériences de vie libres et égalitaires peut seulement qu’aider
dans nos tentatives de mettre sur pied des éco-communautés anarchistes.
Tout comme les membres du collectif de Green Anarchy, les écrivains et
écrivaines de La Mauvaise Herbe trouvent pertinents de soulever des
questions sur nos conditions de vie actuelles et des idées qui espèrent
inspirer quelques-uns de nos lecteurs et lectrices. Nous tentons aussi
d’informer du mieux que l’on peut sur les actions de destruction de
toute domination, sur ce qui nous empêche de vivre librement nos vies
et nos rêves. Enfin, nous proposons, à ceux et celles qui veulent bien
nous lire, une vie directement en lien avec les désirs de chacun et
chacune.
L’anarchie verte et les théories anti-civilisation
La critique anti-civilisation, même si elle a été présente chez
les peuples indigènes massacrés, chez les anarchistes naturiens (1890)
et néo-naturiens (1920)(2), et d’autres comme Thoreau, a surtout été
développé chez le mouvement anarchiste vert de ces dernières décennies.
Les anarchistes verts, une bonne partie, voient la civilisation comme
étant la logique, les institutions et l’appareil physique de la
domestication, du contrôle et de la domination. La civilisation est vue
comme le problème sous-jacent ou la racine de l’oppression, et elle
doit être démantelée. La civilisation est la transition, il y a 10 000
ans en Mésopotamie, d’une existence humaine intégrée et connectée à la
nature à une existence séparée de et qui tente d’être en contrôle du
reste de la vie. La civilisation inaugure la guerre organisée,
l'élaboration des genres binaires et exclusifs masculin-féminin, le
patriarcat, l’augmentation de la population, la division du travail à
temps plein, la production de nuisances, la conception de propriété,
des hiérarchies sociales, une énorme augmentation de maladies
contagieuses et auto-dégénératives, pour ne nommer que quelques-uns de
ses dérivés. Avant l’avènement de la civilisation, les populations
avaient beaucoup d’activités choisies et de loisirs, une égalité et
autonomie des genres considérable, une approche non-destructrice du
monde naturelle, une absence de la violence organisée, aucunes
institutions formelles et de médiation, et généralement une bonne
santé. La Civilisation commence avec et se repose sur une renonciation
forcée de la liberté. Elle ne peut pas être réformée, elle
institutionnalise la révolte ou elle est détruite par elle. Dans le cas
échéant, il y a la probabilité d’être reproduite par ceux et celles qui
la combattent si les prémisses organisationnelles y sont calquées.
Les anarchistes verts ont plusieurs autres terrains de réflexions
critiques (de l’anthropocentrisme, de la culture symbolique, de la
domestication de la vie, du patriarcat, de la division du travail et de
la spécialisation, de la production et de l’industrialisme, de la
société de masse, du fétichisme organisationnelle, etc.), mais ils
développent aussi plusieurs pistes de réflexion constructives (le
biocentrisme, la libération comme méthode et fin, la révolution
écologique et sociale, la coopération entre diverses formes
d’éco-communautés libertaires, la résistance par l’action directe, la
promotion de la pensée critique, les efforts de dédomestication et du
recontact à la vie). Pour un survol de ce qui se fait chez les
anarchistes verts, il est suggéré de lire les quatre feuillets Back to
basics (Les origines de la Civilisation; Le problème de la Gauche; La
dédomestication sauvage; Qu’est-ce que l’anarchie verte) publiés par le
collectif de Green Anarchy. Si vous êtes intéressés à en savoir plus
sur ce mouvement (ou à le critiquer de manière honnête et sérieuse), il
existe plusieurs journaux et zines anarchistes qui ont participé à la
réflexion anti-civilisation tels que Green Anarchy, Anarchy : A Journal
of Desire Armed, Fifth Estate, Species Traitor, Willful Disobedience,
Disorderly Conduct, Terra Selvaggia, Libre y Salvaje, Secuaces de la
anarquia, Species Traitor, La Mauvaise Herbe, Journal of Primitive
Technology, Wilderness Ways Magazine, ainsi que d’autres. Les auteurs
qui ont beaucoup contribué à cette réflexion et qui inspirent d’autres
sont Fredy Perlmann (Contre l’Histoire, Contre le Léviathan, Anything
Can Happen, etc.), John Zerzan (Aux sources de l’aliénation, Future
primitive, Running on Emptiness : the Pathology of Civilization,
Against Civilization : Readings and Reflections, Twilights of the
Machines, etc.), Feral Faun/Wolfi Lanstreicher (Feral Revolution, The
Network of Domination, Autnomous Self-Organization and Anarchist
Intervention, etc.), David Watson (Against the MegaMachine), Kevin
Tucker (The Disgust of Daily Life, etc.), Bob Black (The Abolition of
Work, Theses on Groucho Marxism, My Anarchism Problem, Technophilia An
Infantile Disorder, Withered Anarchism, Anarchy After Leftism, etc.),
Jesus Sepulvida (The Garden of Peculiarities), William Morris (L’âge de
l’ersatz, etc.), Ran Prieur, etc. Par contre, j’aimerais préciser que
plusieurs textes anarchistes anti-civ sont présentement écrits par des
auteur-e-s moins connu-e-s ou anonymes, des textes généralement de très
bonne qualité, véhiculant des réflexions profondes et originales.
Il faut spécifier que la réflexion anarchiste contre la
civilisation s’est beaucoup inspirée des découvertes relativement
récentes en anthropologie, tels que les travaux de Pierres Clastres (La
société contre l’État, L’archéologie de la violence), Stanley Diamond
(In Search of the Primitive), Marshall Salhins (Age de pierre, Age
d’abondance), Richard Lee (The Kung San) et plusieurs autres. Une
critique sérieuse de la réflexion anarchiste anti-civ sur les peuples
primitifs peut difficilement se faire sans critiquer ces
anthropologues. Cette réflexion s’est aussi inspirée des ouvrages de
Jacques Ellul contre le système technologique (La technique ou l'enjeu
du siècle, Le système technicien, Le bluff technologique, etc.). Et
finalement, il y a aussi plusieurs ouvrages pertinents critiques de la
civilization comme ceux de Derrick Jensen (A Language Older Than Words,
The Culture of Make Believe, Walking on Water, Listening to the Land,
etc.), Chellis Glendenning (My name is Chellis and I am in recovery
from Western Civilization, Off the Map), Clive Ponting (A Green History
of the World: The Environment and the Collapse of Great Civilizations),
Paul Shepard (The Only World We’ve Got, Coming Home to the
Pleistocene), Daniel Quinn (Ishmael, My Ishmael et Beyond
Civilization), Frederik Turner (Beyond Geography: The Western Spirit
Against the Wilderness), Alexander Laban Hinton (Annihilating
Difference: The Anthropology of Genocide), Alfred W. Crosby Jr.
(Ecological Imperialism : The Biological Expansion of Europe,
900-1900), Robert Harrison (Forêts; Essai sur l’imaginaire occidental),
Jean Désy (Du fond de ma cabane; Éloge de la forêt et du sacré, etc.)
et les éditions L’Encyclopédie des Nuissances (3).
Précision sur l’auto-théorie
Ces textes s’adressent aux personnes qui sont insatisfaites avec
leur vie actuelle et qui sont fatiguées d’attendre pour un changement
social promis par l’État, les Partis politiques et les organisations
révolutionnaires ou non. Ils s’adressent donc à ceux et celles qui sont
fatigués d’attendre pour une communauté authentique, pour la fin de
l’argent et du travail forcé, pour une situation dans laquelle ils et
elles peuvent réaliser tous leurs désirs, pour la fin de toutes les
autorités, aliénations, idéologies et moralités. Le texte qui suit vise
à vous aider à comprendre le débat entourant l’intérêt croissant de la
réflexion anti-civilisation dans le mouvement anarchiste et essaie de
déconstruire les arguments faits en réaction qu’elle subit depuis un
certain temps par des idéologues pro-civilisation. J’espère vous aider
dans la construction de votre propre théorie (l’auto-théorie) de la
révolution, une démarche plaisante qui est à la fois destructrice et
constructrice. L’auto-théorie est une théorie de la pratique pour la
destruction de la société coercitive afin d’atteindre une véritable
transformation constructrice de notre existence collective.
L’auto-théorie est l’ensemble de votre pensée critique, la théorie que
vous construisez pour votre usage dans vos analyses de pourquoi la vie
est ce qu’elle est, et de pourquoi ce monde est ce qu’il est.
L’auto-théorie se construit lorsque vous développez une théorie de
l’action, une théorie de comment avoir ce que vous désirez pour votre
vie. En écrivant ce texte, j’espère briser le cercle vicieux de ceux et
celles qui cherchent des réponses toutes faites, une idéologie
prêt-à-porter, enfin, de ceux et celles qui se battent pour eux-mêmes
en épousant un idéal, une cause, une utopie. J’espère donc que le texte
qui suit contribuera à améliorer le niveau du débat actuel, et je vous
encourage fortement à poursuivre dans la construction de votre propre
théorie.
Réponse à Andrew Flood et à certains communistes libertaires
Ce texte est une réponse aux arguments soulevés par Andrew Flood dans
son texte Civilization, primitivism and anarchism, traduit en français
par l’internaute gyhelle et publié par la NEFAC récemment. Les
arguments pro-civilisation élaborés jusqu’à maintenant se basent sur
leur interprétation des arguments anti-civilisation, ou ciblent un
texte en particulier, parfois même des auteurs
non-anarco-primitivistes, et souvent sur quelques courts extraits de
texte. Alors, mon texte présente une critique des principaux arguments
pro-civilisation dans le texte mentionné ci-dessus, écrit par Andrew
Flood, communiste libertaire et membre de la International Workers of
the World (Wobbly) de l’Irlande. Ses arguments peuvent être regroupés
en trois : la critique anti-civilisation ne présente pas une
alternative réaliste pour un mouvement de luttes sociales; la critique
anti-civilisation prévoit une chute du nombre de la population non
envisageable pour les anarchistes; et la critique de la civilisation
rejette l’utilisation de la technologie au lieu d’une augmentation de
celle-ci pour atteindre une société anarchiste.
À ces arguments, je réponds trois contre-arguments: l’alternative
communiste libertaire est une utopie qui aboutit soit à une série de
réformes (radicales peut-être), soit à une imposition d’une structure
sociale uniformisante, centralisatrice et totalitaire; la question du
nombre (population) ne peut pas être vu du seul point de vue calorique
(manipulation des données sous le couvercle de la science), ne sera pas
réglé par une intensification de l’agriculture (ignorance des
propriétés naturelles existantes découvertes et validées à travers des
milliers d’années d’expériences directes), que le projet communiste
libertaire tel que proposé par Flood et ses partisans engendrera
inévitablement une crise écologique provoquant directement la mort à
grande échelle (un die-off) de la population mondiale et qu’il est
tout-à-fait juste de proposer (souhaitable pour l’espèce humaine de
voir) une décroissance au niveau de la population, de la production et
de la consommation; et finalement, que la technologie n’est pas neutre,
ni positif, cette vision (la technophilie, ou la foi en la technologie)
occulte le contexte social des technologies (naissance, développement,
impact, résultat de celles-ci) et que le projet communiste libertaire,
tel que proposé par Flood, n’aborde pas la contradiction entre la
diversité des désirs humains dans la société anarchiste et
l’uniformisation et la centralisation des actions individuels afin de
maintenir les infrastructures technico-industrielles, la division du
travail et les hiérarchies engendrées par ces mêmes infrastructures,
les impacts de la division du travail et des statuts d’experts
(pouvoir) sur les relations de travail et entre
producteur-consommateur, la destruction des écosystèmes par ces mêmes
infrastructures, les mille-et-une réunions interminables qui nous
attendent (dans une seule semaine!), le développement de bureaucraties
(pouvoir politique) pour coordonner de grandes fédérations et la
représentation politique des futurs parlements (assemblées de la
fédération) en lien avec la question du nombre.
Une conception utopique, totalitaire et ethnocentriste de la société anarchiste
La conception de la société anarchiste par certains communistes
libertaires, comme toutes les expériences historiques inspirées du
marxisme l’ont prouvé, est une utopie qui aboutit soit à une série de
réformes (radicales peut-être), soit à une imposition d’une structure
sociale (manière de fonctionner en société) uniformisante,
centralisatrice et totalitaire, soumettant par le fait même les
différentes formes libertaires de vivre. Accuser les alternatives des
autres d’irréalisable ne prouve en rien, même si c’est son point de
départ, du réalisme de son propre projet. Affirmer qu’il existe une
« critique primitiviste de l’anarchisme » nécessite des preuves, ce que
Flood est incapable de faire. La critique anarchiste de la civilisation
n’est pas un phénomène nouveau. Elle a même été l’objet de critique par
des marxistes. Les anti-civs ne se disant pas « anarchistes » ont pour
la plupart une sympathie envers l’anarchie. L’anarchisme comme
idéologie a été avant tout une critique de la part d’anarchistes envers
ce qu’ils et elles pensent être un dérapage dans la conception de ce
qu’est l’anarchie. Le commentaire de Flood n’est donc qu’une stratégie
pour renforcer le sentiment d’appartenance à une organisation
anarchiste.
La critique de l’utopisme véhiculé chez certains anarchistes ne date
pas d’hier non plus. Plusieurs chez les premiers se disant anarchistes
étaient engagés dans la propagande par le fait (ou par l’exemple),
visant la destruction du pouvoir et la création de nouvelles relations
interpersonnelles et sociales libératrices (l’expérience du jeu vivant
et vécu) afin de développer une profonde affinité dans la communauté.
Ils et elles refusèrent de s’éterniser dans une organisation, ils et
elles menèrent plutôt des analyses sur la reproduction des
comportements sociaux, des hiérarchies et des moyens de contrôle
sociale ancrés en nous par la société oppressive. Ils et elles menèrent
donc une lutte pour ouvrir des espaces libres, des espaces d’où ils et
elles pouvaient vivre des expériences libératrices. Les anarchistes
appelaient à faire table rase de la société (ce que certains
communistes libertaires semblent avoir oublié), la destruction de tous
les moyens et structures d’asservissement, non à la réformer. Les
nouvelles communautés devraient être construites selon les désirs de
chaque individu, non pas selon les intérêts de l’organisation (qui met
la priorité sur sa reproduction). La responsabilité n’était pas conçue
uniquement de manière collective, elle était avant tout individuelle,
et le moyen d’accéder à la nouvelle société était par le regroupement
des individus en groupes affinitaires.
Michel Bakounine est vu comme un des premiers auteurs de l’anarchisme
et il faisait également la promotion, souvent en participant
activement, de l’insurrection comme moyen de propagande. Il est donc
curieux que Flood cite Bakounine pour appuyer son texte. Peu importe,
Bakounine était réputé plus pour son talent pamphlétaire (poussant à
l’action) que pour son talent d’élaborer une théorie anarchiste
pertinente et complexe. Flood, dans tout ça, est opportuniste. Il cite
les mots d’un personnage-symbole de l’anarchisme pour venir appuyer ses
propos (l’irréalisme de l’alternative primitiviste), sans se soucier de
la validité de l’affirmation qui est avancée : « Seule la combinaison
de l’intelligence et du travail collectif a été capable d’extraire
l’homme hors de l’état sauvage et brutal qui constituait sa nature
originale ». À cette époque, les anthropologues décrivaient les
« hommes préhistoriques » comme des sauvages et des brutes, étant tous
idiots, maladroits, très égoïstes. Cette vision arriérée continue
encore aujourd’hui à marquer l’imaginaire de la très grande majorité de
la population et c'est à déplorer que certains anarchistes perpétuent
encore ces néfastes préjugés. Cependant, depuis le début du 20e siècle,
les anthropologues critiquèrent les visions simplistes des peuples
primitifs et décidèrent d’observer plus attentivement ces derniers. Ils
rejetèrent alors complètement cette dernière hypothèse, découvrant que
la vie non-civilisée est/était très complexe et que plusieurs habilités
et capacités sont/ont été développées, à l’aide d’un effort commun,
dans des groupes relativement petits. Plus tard dans ce siècle,
plusieurs anthropologues ont rejeté les hypothèses qui circulaient
alors en pointant un problème majeur qui empêchait une vision plus
juste et fidèle de la réalité primitive, c’était l’ethnocentrisme dans
l’interprétation des faits observés. La vision de « l’homme… de l’état
sauvage » de Bakounine, en parallèle avec son projet de fédération
panslaves, démontre qu’il ne faisait qu’exprimer des croyances
véhiculées à son époque dans les cercles d’intellectuels. Il n’a pas
été capable de rester critique face à l’autorité des experts de son
temps.
Flood argumente, tout comme l’a fait un certain Alain C., qu’il est
impossible de revenir au mode de vie de chasseur-cueilleur (incluant la
récolte et la pêche). Cet argument est contredit par l’exemple des
Guaranis au Paraguay (rapporté par Pierre Clastres) et des M’Labri de
Thaïlande. Il est aussi contredit par les exemples donnés par Daniel
Quinn de regroupements d’humains qui ont abandonnés la civilisation
(Maya, Hohokam et Anasazi). Tout comme dit Quinn, il est impossible
pour nous de retourner dans la jungle parce qu’elle est partiellement
détruite, mais nous pouvons toujours « walk away from the pyramid »(4).
Au lieu de s’inspirer d’une organisation sociale non hiérarchique qui a
fonctionné durant la très grande majorité de l’existence humaine, les
communistes libertaires préfèrent lutter pour une société utopique et
convaincre les autres de les suivre.
Ceci s’inscrit dans la tradition ouvriériste de ces révolutionnaires,
n’ayant jamais été capable de sortir de la dimension productiviste de
la société civilisée. A. Morfus(5), qui remonte l’origine utopiste des
communistes libertaires à cette tradition, affirme que « le capital a
réussi à faire aimer aux exploités leur exploitation ». En effet, les
ouvriéristes idéalisent et fétichisent le travail et voient dans
celle-ci le seul et unique point commun entre les opprimés, rejetant
par le fait même tout ce qui fait que nous sommes des vivants et des
animaux sociaux. L’individu se définit alors par son occupation
professionnelle et par l’acquisition de compétences au service du
productivisme. Par ce fait, les opprimés devront uniquement s’organiser
par le travail, lutter par des moyens disponibles dans les milieux de
travail et aboutir à une révolution dans le monde du travail. C’est
uniquement la gestion du travail qui est révisé, rien d’autre. Tous les
autres aspects de la vie sont relégués au second plan, comme s’ils
étaient une simple conséquence d’un rapport de production mal géré. Or,
comme le dit A. Morfus, l’idéalisation du travail a toujours été la
mort de la révolution. En Russie du début du 20e siècle, la révolution
a été remise à plus tard, après la construction de grosses usines
(impliquant une division du travail à temps plein et des usines
polluantes), après la mise en place de prolétaires dans ces usines, et
nous savons tous et toutes que la révolution s’est arrêtée là. Les
anarcho-syndicalistes sont restés cantonnées à l’injustice économique
et se sont limités à lutter pour une redistribution juste et égale de
la production et une amélioration des technologies de production. Il
n’a jamais été question de remettre en question l’utilité et la
nécessité de la production, de l’existence même des usines et ses
implications sociales, ou de l’organisation du travail à l’échelle de
la communauté. Dans leur théorie, la prise de pouvoir décisionnel dans
une usine réglera tous les problèmes et cela amènera un changement dans
les conditions de travail, mais cela n’amène pas de changement dans la
nature même du travail. Ils réclament des emplois, peu importe si cela
perpétue l’écocide. Décrocher un emploi (peu importe la nature de
celle-ci) rime avec réussite. Les quelques exemples d’autogestion
ouvrière nous ont juste prouvé qu’ils continuent de produire autant (ou
le désirent fortement) en s’autogérant, que la division du travail
réapparaît très vite, et qu’ils vendent leurs produits sur le marché.
Enfin, ils gèrent leur propre misère et ils continuent de produire les
mêmes nuisances. Tout comme A. Morfus le souligne, où est la réflexion
sur la division du travail, l’aliénation sociale et la destruction
écologique de notre environnement?
Cette utopie ouvriériste est presque totalement disparue, sauf pour des
purs et durs comme les Wobblies, d’où provient Flood. Idéalisés par des
étudiants sans aucune expérience de travail, ils ne cessent d’essayer
d’obtenir de petits changements, mais, comme à l’habitude, ils échouent
lamentablement. Cette persévérance et cet optimisme pathétique conduit
la croyance au mythe du grand Syndicat au niveau de la foi religieuse.
Ils ne veulent surtout pas que la machine cesse de tourner, les humains
sont toujours perçus comme des rouages de la machine économique.
« Le christianisme et les mouvements révolutionnaires sont allés de
pair à travers l’histoire. Nous devons souffrir afin de conquérir le
paradis ou acquérir le sentiment de classe qui nous mènera à la
révolution. Sans l’éthique du travail, la notion Marxiste du
«prolétariat » n’aurait aucun sens. Mais l’étique du travail est un
produit du rationalisme bourgeois égale à l’éthique bourgeoise qui lui
a permis de conquérir le pouvoir » Alfredo Bonanno, La Joie Armée
Les anarchistes pro-civilisation ne veulent pas penser en dehors du
cadre de la civilisation et de son projet utopique. Ceux-ci ont
seulement proposés soit des réformes, soit un dessin abstrait d’une
société aux traits totalitaires. Ils veulent remplacer la société
existante en offrant des plans pour une société réformée au lieu
d’ouvrir un espace pour créer et construire notre propre vie, ici et
maintenant. C’est cela l’essence même de la pensée libertaire, que
chacun soit libre afin de pouvoir créer et construire sa propre vie,
selon les désirs de chacun, et les relations sociales qu’il et elle
veut établir. Les anarchistes pro-civ veulent apporter un programme
politique de la société idéale au peuple, s’excluant par le fait même
de celle-ci, au lieu de construire, avec les ami-e-s, les parents, les
voisin-e-s et les collègues, les bases de la société anarchiste (ex.
les relations interpersonnelles et sociales non-hiérarchiques).
Apporter au peuple une plate-forme, c'est le considérer comme
inorganique, sans repère, sans organisation, où notre devoir est de
formater leur vie. Quel est donc la différence entre ces anarchistes et
les fonctionnaires de l’État?
Récemment, quelques anarchistes pro-civ ont proposé l’économie et la
démocratie participative, où les structures sociales restent en place,
sauf que nous y participons au niveau décisionnel dans un très grand
parlement, et d’autres, comme Tom Wetzel (membre du Workers Solidarity
Alliance) a proposé dans le NorthEastern Anarchist le « plan social ».
Le « plan social » est composé de groupe de travailleurs et groupes de
consommateurs, où les groupes de travailleurs d’usines respectifs
proposent leur plan au groupe de consommateurs, ceux-ci lisent et
remettent leurs recommandations aux groupes de travailleurs et qui, à
leur tour, décident de la production qui s’en suivra. Aucune mention de
la bureaucratie que cela nécessitera, aucune mention des impacts sur
l’environnement et sur les personnes vivant sur les territoires qui
seront affectés par les activités de ces usines, aucune place pour la
liberté individuelle, occultation des gens qui n’auront rien à foutre
de cette connerie. Forceront-ils les gens à se soumettre au plan social
et à assister à dix milles réunions? Qu'adviendra-il des personnes qui
ne voudront pas se soumettre? Obligeront-ils les gens, qui veulent une
existence tranquille dans leur communauté autonome, auto-suffisant à
plusieurs niveaux et viable écologiquement, à endurer la production de
nuisances, surtout si celles-ci affectent leur communauté? La
production industrielle a besoin de soumettre les régions
périphériques, iront-ils jusqu’à contraindre leurs voisins à fournir
les « ressources premières » et les emplacements pour des centrales
énergétiques? Que voudraient-ils faire avec ceux et celles qui refusent
de participer à leur plan? Les Goulags? Comme l’affirme A. Morfus
« Établissez un plan pour le social, l’économie et les relations
politiques. Où est l’anarchie? ».
Vous doutez de l’aspect utopique de la pensée de Flood? Pour démontrer
comment les communistes sont fins, beaux et forts, il donne comme
exemple une transportation fictive d’anarchistes à travers l’espace qui
aboutissent sur une planète de type terrestre(6). Selon Flood, ils se
rassembleraient et se mettraient à essayer de créer une civilisation
anarchiste, mais pour s’y rendre, ils auront aussi besoin de créer tout
le développement de la civilisation et ce qui vient avec (hiérarchie,
travail forcé, massacres des espèces indigènes, domestication des
plantes et des animaux, etc.). Vous allez voir, ces « robins cruzoés »
anarchistes partagent le même pattern que les premiers colons accostant
sur une « nouvelle » terre; au lieu de s’adapter aux nouvelles
conditions et en profiter pour vivre librement, il faut coûte que coûte
reproduire la civilisation.
Flood nous dit « nous aurions une bonne connaissance de l’agriculture,
de l’ingénierie, de l’hydraulique et de la physique », ouais… c’est un
portrait très embelli des anarchistes d’aujourd’hui. Le paysage
anarchiste que Flood réserve à ces nouveaux cruzoés en est un de
« fermes et de barrages », sans oublier une division du travail, les
experts, une police, des épidémies et la contamination de l’eau et du
sol. Mais pour que l’industrialisme en vaille la peine, attend-il
forcer une augmentation de la population, une standardisation des
objets utilisés, une uniformité dans les manières de faire les choses,
un assujettissement des espèces indigènes et des régions environnantes,
un programme éducatif utilitaire et obligatoire pour former des
citoyens-techniciens dociles?
Dans sa boule de crystal, Flood voit des « charrues à roues » (à partir
de quels outils? De quels procédés?) et des « animaux de traits » comme
première étape de ces « fermes ». Je paierais cher de voir ces quelques
anarchistes essayer de dompter un bœuf musqué ou tout autre animal
sauvage! Pour atteindre l’objectif de construire des barrages (des
barrages construits comment? Et pour quelle raison exactement?), Flood
imagine des groupes de recherche expédiés sur le nouveau continent à la
recherche de matière première comme le charbon et le fer. Une pelle ou
une pioche dans les mains (outils venus d’où?), chantonnant
l’International en chœur, bras dessus, bras dessous, les groupes
partent à l’aventure à la recherche de plusieurs sites de minerais
intéressants (se nourrissant de quoi?), creusant ici et là, jusqu’à
temps que « nous aurions creusé des mines et nous en aurions ramené »,
sur leur dos? en plaçant des billots de bois pour rouler les roches?
dans les charrues tirées par les animaux récemment domestiqués? jusqu’à
leur campement anarchiste civilisé. Et il en rajoute : « nous aurions
transformé beaucoup de bois en charbon pour extraire tout le fer ou le
cuivre ». Le peuple vivant sur l’Île de Pâques n’avait pas calculé très
bien leur affaire : ils ont coupé plus de bois que ce que la forêt
pouvait régénérer, pour le transport des statues, et ceci a causé
l’extinction de cette « civilisation »(7). Flood met aussi la priorité
sur le développement technologique, tel des « explosifs nécessaire à
l’exploitation minière à grande échelle et à la construction », a-t-il
oublié les civilisations hiérarchisés (le contexte social) qui ont
développés ces mêmes technologies? Flood propose même de transformer du
marbre pour « faire du béton » (veut-il dire du calcaire?) S’il ne
trouve pas du marbre métamorphosé par des volcans, proposent-ils de le
transformer dans ses fonderies, utilisant alors plus de bois? Il
rajoute que le béton est « un bien meilleur matériau de construction
que le bois ou la boue ». Ce jugement de valeur ethnocentriste et
franchement raciste cache aussi une certaine ignorance. C’est fou comme
l’histoire des trois petits cochons, créée à l’époque des grandes
banlieues américaines, a marqué l’imaginaire des civilisés! Le béton
est peut-être un bien meilleur matériau de construction pour des
gratte-ciels et des grandes usines, mais il n’est pas un « meilleur
matériau » pour isoler dans les régions plus froides, pour la qualité
du sol, et pour une société non-industrielle (le travail et l’énergie
de production que ça nécessite). Donc, les priorités de cette
civilisation anarchiste sont la domestication et l’élevage des animaux
pour travailler à notre place, le travail de volontaires (ou plutôt du
travail forcé) dans les mines pour extraire des belles grosses roches,
la coupe de bois massive dans la périphérie du campement afin de les
brûler afin de produire du charbon pour les fonderies, des fonderies
pour liquéfier les métaux extraits de la roche pour façonner des outils
capable d’accélérer et d’augmenter toute cette production, jusqu’à
temps de reproduire le modèle technico-industriel connu aujourd’hui
dans les pays les plus nantis de la planète. Nous ne travaillons pas
selon nos désirs, mais plutôt pour l’organisation, pour l’utopie et
surtout pour le système technico-industriel ré-établi.
Dans le reste de son histoire, Flood fait deux liens causaux tirés par
les cheveux. Dans un premier temps, il affirme que « Nous avons
quelques connaissances médicales, et plus important, une compréhension
des microbes et de l’hygiène, donc nous aurions à la fois une
purification basique de l’eau et un système d’égout ». Quelles
connaissances médicales ont-ils? Je suis aussi curieux de connaître
cette « compréhension des microbes et de l’hygiène »? Est-ce que c’est
cette même « compréhension » qui légitime de jeter nos déchets dans le
petit trou du lavabo et qui purifiera partiellement l’eau contaminé par
l’activité humaine, les barrages, les fonderies, etc. Lors de la
colonisation européenne des Amériques, les « primitifs » de ce
continent ont grandement soigné les colons mourants (maladies,
déficiences, malnutrition due à leur ignorance). Après que les
anarchistes de Flood auront passé les premières semaines à rédiger leur
plateforme et leur plan social, économique et politique, ils
n’hésiteront pas à manger cette même paperasse et à quémander l’aide de
ceux et celles qui sont, comme Flood les nomme avec mépris
ethnocentriste, partis « courir avec les cerfs ». Ensuite, il affirme
« Nous aurions compris l’importance de la connaissance donc nous
aurions un système éducatif pour nous enfants et au moins le début d’un
enregistrement de la connaissance sur le long terme (livres) ». Centré
sur sa culture, Flood nie l’éducation existante dans les sociétés
non-civilisées, basées sur l’observation des gestes, l’expérience
directe et l’oralité. Dans son plan de construction d’une civilisation
anarchiste, il met uniquement l’emphase sur la production économique
sans se préoccuper de l’éducation libertaire des enfants. Est-ce que le
développement de l’esprit critique chez les enfants pourrait remettre
en question la marche de la civilisation? De plus, Flood échoue à
expliquer comment ils produiront des livres (et tout le travail
nécessaire pour construire les industries nécessaires à la fabrication
de livres, sans davantage exploiter la forêt).
Dans son plan, les technologies proposées, chacune isolée de son
contexte social de naissance et de développement, et des
infrastructures industrielles liées à celles-ci, seraient développées
par un simple choix comme sur une liste d’épicerie, et « nous
continuerons à développer », j’imagine dans le même sens qu’elles ont
été développées. La pensée linéaire et ethnocentriste des communistes
libertaires est bien représentée par cette phrase de Flood : « Même si
vous pouviez reculer les aiguilles de l’horloge, elles se remettraient
seulement à tictacter ». Les capitalistes pourront lui répondre la même
phrase. Cette vision déterministe social, ethnocentriste, ignorante des
autres cultures, et raciste, est assez inquiétante, surtout lorsqu’elle
vient de quelqu’un qui se réclame anarchiste. Les différentes cultures
à travers le monde ont évolué de manière complexe et diversifiée, et
elles ont beaucoup partagé leurs nouvelles connaissances avec les
peuples voisins, et cela, pendant des millénaires. L’évolution
civilisée a toujours abouti à la catastrophe écologique et sociale
(stérilisation des terres par l’irrigation, désertification due à la
déforestation à des fins de construction, épuisement des sols,
glissement de terrains, hiérarchisation étouffante, guerres
perpétuelles, génocides, esclavages et travaux forcés, etc.) et à un
abandon de cette vie civilisée par une majorité de la population. Tout
ce que je vois dans la vision de la « civilisation anarchiste » n’est
que civilisation, que division du travail, hiérarchie latente et
développement technologique à des fins productivistes. Encore une fois,
où est l’anarchie?
Au lieu de faire table rase de la société actuelle et de construire une
véritable société anarchiste, les anarchistes proto-étatiste reprennent
en très grande partie la société actuelle, en ajoutant la gestion par
les ouvriers des nuisances et de leur propre aliénation. Pire, Flood
propose le réformisme radical et louage la social-démocratie des pays
scandinaves : « Un monde qui est au moins capable de fournir le même
accès aux biens, transports, soins et éducation qui sont accessibles
aux « classes moyennes » des pays scandinaves de nos jours ».
« Renverser le monde capitaliste » et « voir la naissance d’un nouveau
monde » dit-il juste avant, il me semble qu’il propose le maintien du
complexe technico-industriel façonné par les capitalistes, mais avec
une distribution de la richesse plus égale, afin de créer une « classe
moyenne » généralisée.
Le dénominateur commun des pro-civilisations est le fait qu’ils haïssent et ont peur des peuples tribaux
« Nos Indiens sont des êtres humains comme nous. Mais la vie sauvage
qu’ils mènent dans les anciennes forêts les condamne à la misère et au
non bonheur. C’est de notre devoir de les assister à leur émancipation
de la servitude. Ils ont le droit d’être élevé à la dignité de la
citoyenneté brésilienne en vue de participer pleinement au
développement de la Nation et de profiter de ses bénéfices. » Extrait
de la politique indigène de l’État du Brésil, cité dans On Ethnocide,
Pierre Clastres.
Cette éthique « huma-niste » transporte avec elle l’esprit
ethnocidaire, c’est ce qu’affirme Clastres. L’ethnocide n’est
malheureusement pas reconnu comme une entreprise destructrice, au
contraire, elle est considérée socialement comme une tâche nécessaire
afin de civiliser une culture inférieure (hiérarchisation). Le projet
civilisateur exige l’uniformisation des humains et, autant en procédant
à un génocide qu’à un ethnocide, ce projet est inscrit au cœur de la
culture occidentale moderne. Les groupes politiques occidentaux n’y
échappent pas. Remplacez l’expression « citoyenneté brésilienne » et
« Nation » par « travailleurs » et « fédération communiste
libertaire », et c’est un discours similaire à ce que nous pouvons
entendre parmi certains face aux anarchistes sensibles aux réalités des
peuples non-civilisés (perte de dignité, perte de territoires pour
l’autosubsistance – plus grande dépendance –, perte de repères
culturels et linguistiques, problèmes de santé physique et mentale,
etc.) et à la critique de la civilisation. Lorsque la domination n’est
perçue que du point de vue économique (exploitation), cela ne remet
nullement en question les hiérarchies. Le « progrès » a été une des
causes principales des problèmes de santé chez les peuples
non-civilisés(8) après la colonisation. Généralement, les anarchistes
ont su prendre leurs distances des communistes marxistes en se méfiant
de l’État et des conceptions économiques promues par celui-ci. Avec la
diffusion des critiques de la civilisation, les anarchistes recentrent
leur critique à ce qui rend l’exploitation possible, c’est-à-dire le
pouvoir politique, l’État, et même le proto-État véhiculé dans les
prémisses de l’éthique civilisatrice des groupes communistes
libertaires.
Fredy Perlman(9) nous dit que pendant des siècles, la civilisation a
été l’objet de critique de milliers de groupes d’humains à travers le
monde. Plusieurs se sont faits massacrés, violés et capturés comme
esclaves. Quelques-uns, mis en contact avec la Civilisation, ont subi
la violence organisée de celle-ci, ont modifié leur organisation
sociale en la hiérarchisant et ont contre-attaqué le groupe de
civilisé. La violence organisée, la guerre, produit une hiérarchie au
sein de la société et une division du travail, tous deux nécessaires au
bon fonctionnement de la machine de guerre et des inégalités de statuts
sociaux. Plus la guerre perdure, plus il est difficile de revenir à une
vie non-hiérarchique. Mais la plupart des groupes harcelés par la
Civilisation ont fuit celle-ci. Environ 98,8% de l’histoire de
l’humanité a été l’histoire exclusive de groupes d’humains primitifs,
période de grandes inventions et d’améliorations non destructrices de
l’environnement et non hiérarchiques. Daniel Quinn(10) nous apprend que
lorsque les civilisations devenaient insoutenables (non viables
écologiquement et socialement), il n’était pas rare de voir les
esclaves commencer à « abandonner » la civilisation pour se réfugier
dans les forêts environnantes, provoquant ainsi même la chute de la
civilisation. Il nous apprend aussi qu’il y a un élément qui diffère de
notre civilisation des anciennes civilisations, c’est l’inculcation
d’un élément culturel bien spécifique : la croyance profondément ancrée
chez les civilisés (y compris chez certains anarchistes) qu’il existe
une seule bonne manière de vivre (ex. produire toute notre nourriture)
et que peu importe les impasses, les échecs et les crises, nous
continuons d’avancer. Cela peut seulement nous mener vers la mort de
milliers et même de millions de personnes…
Les formes d’organisation sociale non-civilisées ne sont peut-être pas
parfaites, mais elles sont les seules à ne pas s’être autodétruites, à
être viables écologiquement et socialement. Les anarchistes anti-civs
s’inspirent donc de modèles de vie qui ont fonctionné concrètement
pendant des millénaires. Enfin, ils s’inspirent des expériences de vie
sociale façonnées par un nombre inimaginable d’individus et de petites
collectivités, transportant avec elles des connaissances et des
pratiques variées, expérimentées et validées par presque tous ceux et
celles qui ont vécus ce type d’organisation sociale. En somme, les
anarchistes ont commencé à réfléchir à une alternative réaliste à notre
monde, en questionnant les prémisses même de ce monde.
La technologie, pourquoi argumenter pour? L’agriculture et la question du nombre
Flood résume la position des anarchistes anti-civ face à la technologie
comme ceci : ils veulent une technologie comparable à ce qui existait
dans les sociétés préagricoles, où il existe une équivalence entre la
taille des regroupements humains entretenus par la chasse et la
cueillette et les technologies correspondantes. Pour Flood, il est
impossible que l’humanité revient au mode de vie des
chasseurs-cueilleurs, il faut donc à tout prix sauver le système
agricole industriel lors du renversement de la société actuelle pour
éviter un « massacre » de la population. C’est cette croyance qui
incite Flood a abordé la question du nombre (de la population) en
argumentant qu’il est impossible de revenir à un nombre pouvant être
soutenu par la chasse et la cueillette. C’est un peu simpliste comme
point de vue et nous allons voir comment cette fuite en avant sera la
cause même d’un « massacre » s’il y en a un.
En fait, ce que les anarchistes anti-civ proposent c’est que les
humains atteignent un équilibre avec le reste de la vie sur Terre (la
biosphère de cette planète) et que les pratiques et les techniques
utilisées ne deviennent pas une cause majeure de déséquilibre néfaste à
l’épanouissement de la vie en générale, mais plutôt qu’elles s’insèrent
dans la même rationalité, qu’elles encouragent l’épanouissement de la
vie et la diversité écologique, ce qui n’empêche aucunement
l’innovation et les améliorations des façons de faire et des
techniques. Comme Chellis Glendenning l’a souligné dans son livre(11),
les communautés basées sur la nature ont su l’importance de maintenir
une population stable pour l’équilibre entre les espèces vivantes sur
la Terre, ce qui n’empêche pas une légère augmentation après plusieurs
siècles comme cela fut le cas. De plus, les femmes de ces communautés
ne subissaient pas de contraintes sociales visant des accouchements
rapprochés et leur mode de vie semi-nomade favorisait une longue
période sans ovulation après un accouchement (allaitement maternel,
équilibre hormonal, musculature, exercices) ainsi que d’autres facteurs
positifs (liberté des femmes, la méthode du calendrier, connaissance
des plantes pour empêcher une fécondation et pour les avortements).
L’augmentation rapide de la population (et la baisse et les extinctions
des espèces non humaines) est l’objet de la civilisation, de
l’agriculture, du mode de vie sédentaire, de la religion, du patriarcat
et du travail forcé. Concrètement, c’est le besoin de main-d’œuvre pour
l’agriculture, c’est la domination d’une population sur un territoire
précis qu’amène la sédentarité, c’est la morale exercée sur les
familles qui les poussent à avoir plusieurs enfants, c’est la
soumission de la femme comme machine reproductrice, c’est le besoin
toujours grandissant d’esclaves pour bâtir les « pyramides » des
classes dominantes. Sans ses contraintes sur les femmes (donc avec une
révolution réellement libertaire), c'est la décroissance plutôt que
l'augmentation de la population qui risque d'être au menu du jour.
En résumé, les anarchistes anti-civs rejettent toute pratique non
viable écologiquement(12) et cela non seulement par un souci
biocentriste, mais aussi par un intérêt d'assurer la survie et
l'épanouissement de l'espèce humaine. Les anarchistes anti-civ
reprochent aux pro-civilisation d’être toujours dans la logique de la
rareté; par exemple, cette préoccupation avec l’idée de manquer de
nourriture, de la nature qui ne fournit pas assez de nourriture pour
tout le monde et qu’il faut donc produire (et gérer cette production)
toute la nourriture que nous consommons, surtout par l’agriculture et
l’élevage. Ces croyances culturelles, transmises de génération en
génération à travers toutes les classes sociales, empêchent toute
vision au-delà de la vie sociale actuelle. Flood affirme qu’ « il n’y a
même pas assez de nourriture produite dans les écosystèmes naturels »,
ce qui démontre son ignorance des plantes comestibles spécifiques aux
écosystèmes (ainsi qu’à ses différentes parties, les différents moments
pour les cueillir, leurs propriétés nutritives et thérapeutiques, les
méthodes de cuisson et de conservation, etc.). Les anarchistes anti-civ
leur reprochent d’être profondément ethnocentristes, de hiérarchiser
les sociétés, les modes de vie, en caractérisant évidemment leur
société, la société civilisée, comme étant la meilleure possible ou qui
existe.
Mais revenons à Flood. Tout son argument (enfin, tout son texte…)
repose sur l’argument de « la quantité de calories disponibles pour la
nourriture des humains dans un acre de forêt de chênes serait beaucoup
plus faible que la quantité de calories disponibles pour les humains
dans un acre de blé [ ou de maїs, de patate, etc.] le serait ». Tout
d’abord, j’aimerais souligner le fait que Flood appuie son argument à
l’aide d’une seule comparaison (forêt de chênes et champs de blé) et
qu’il n’aborde jamais les effets de l’agriculture industrielle sur la
qualité des aliments récoltés (épuisement des sols, baisse des
nutriments dans les aliments, contamination des aliments, des sols et
des nappes phréatiques, maladies et infestations, etc.). Revenons à nos
chênes malmenés. Les chênes hébergent plusieurs formes de vie (des
oiseaux, des insectes, des parasites) et sont utiles au maintien d’un
bon équilibre dans l’écosystème. Grâce aux chênes, nous pouvons traiter
de nombreuses maladies (cochenille, galle, gui), soigner des
hémorragies et des fuites avec son écorce, tanner des peaux avec son
encre, l’utiliser comme source de liège et manger son fruit (gland).
C’est un arbre qui pousse bien dans des friches ensoleillées (rétablir
l’équilibre d’un écosystème). On peut consommer les bourgeons, les
fleurs et les feuilles au printemps, les glands en automne, l’écore et
l’aubier en hiver, tandis que les patates (le blé, le maїs, etc.) ne
vient qu’une fois, ou deux, par an. Cet arbre peut atteindre 30 mètre
de hauteur et vivre 300 ans. Il donne bien plus d’oxygène que n’importe
quel champ de patate de la même superficie, sans le travail de
planification, de labourage, de mise en culture et d’entretien. Un
spécimen de chêne sain de 25 ans peut produire jusqu’à 25 000 glands.
Les bourgeons sont utilisés en thérapie contre l’épuisement,
l’impuissance et la sénilité précoce. Les fleurs sont utilisées contre
l’épuisement aussi. L’écorce peut être utilisée en usage interne et
externe. Les gargarismes de décoction de chêne soignent les hémorragies
des gencives, les inflammations de la gorge et les aphtes. Une
décoction soigne les flatulences (combinée à l’anis), la diarrhée
(mélangée au framboisier), les ulcères (avec de la consoude et de la
réglisse) et aide à évacuer du sang le cuivre, le plomb et même la
nicotine. La décoction concentrée peut servir de compresses ou de
lotion contre l’eczéma, les engelures et les pellicules. Elle peut
aussi servir pour les bains de pied, de mains ou de sièges, et contre
les varices ou les hémorroïdes. Les lavements avec l’écorce bouillie
peuvent soigner la diarrhée, tandis que l’injection vaginale est
efficace contre les leucorrhées. Mélangée avec du lamier blanc ou de la
lavande, ou avec de l’alchémille et de l’ortie, l’écorce bouillie
prévient la descente de matrice et l’énurésie. Les infusions de chêne
servent contre toutes les infections des muqueuses et du tube digestif.
On suggère aussi de torréfier les glands pour les rendre digeste à
cause des tanins très concentrés et du type d’amidon contenus dans les
glands. Le bois de chêne est très apprécié parce qu’il est dur, lisse
et résistant. Les principes actifs du chêne sont : dans l’écorce, il y
a des minéraux (calcium, fer, potassium) et des tanins (acides
ellagiques, catéchiques et galliques); les feuilles contiennent du
chlorophylle, mucilages, vitamines A, C et E, et des glucosides
(quercétrine et quercétine); et les fruits contiennent des amidons, des
sucres, des tanins et des oxalates.
Je ne vais pas faire la liste et la description détaillée de toutes les
arbres, les arbustes, les plantes, les insectes et les champignons
qu’on retrouve habituellement lorsqu’il y a des chênes dans une forêt,
mais il faut admettre que la cueillette nous fournit une alimentation
plus constante, plus riche et plus diversifiée comparativement à un
champ agricole, dont la quasi-totalité est en monoculture. Flood
souligne aussi qu’il s’intéresse uniquement à « la nourriture pour
nous » démontrant son analyse partielle et isolée de la situation. Par
exemple, si tu détruis la nourriture de l’arbre, tu tueras l’arbre dont
tu cueilles des fruits; si tu détruis la source de nourritures des
animaux, tu feras fuir les animaux que tu chasses, etc(13). De plus,
les champs se retrouvent plus souvent que jamais contaminés par des
produits chimiques synthétiques qui laissent souvent des traces dans
nos corps et causent (co-facteur) plusieurs maladies fréquentes chez
les civilisés. Alors, si certains ne veulent que des fish and chips au
menu, on peut comprendre pourquoi ils n’ont pas l’intérêt d’apprendre
plus sur les organismes vivants dans une forêt de chênes ou de
n’importe quels autres écosystèmes d’ailleurs.
Mais est-ce qu’un champ agricole produit vraiment plus qu’une forêt
ancienne, mature et diversifiée? Dans un texte écrit par Jack
Douglas(14), nous apprenons comment une forêt est bien plus productive
qu’une terre cultivée, le contraire de ce que prétend Flood et ses
supporteurs. Une forêt en santé est constituée d’une diversité de
vergers et terrains à niveaux multiples. Notez que certaines régions
(boréale, arctique, etc.) n’offre pas assez d’aliments pour une grande
population, mais ces régions ne sont pas non plus accueillantes pour
l’agriculture (basée sur le défrichement de la terre). Dans son étude
de productivité comparée, il conclut que
« une agriculture basée sur le défrichage et la production céréalière
est dix fois, 10 X, 1000% moins productive en termes de protéines, de
glucides et d’autres ressources alimentaires qu’une culture en vergers
de noix, graines et fruits basée sur un héritage de millions d’années
toujours honoré par les Nations Indigènes. Si nous tenons compte de la
production d’autres aliments, de logements, de vêtements, d’animaux, de
chaleur et de produits de santé, nous comprenons que l’agriculture de
défrichage basée sur la production céréalière est cent fois, 100 X, 10
000% moins productive que la forêt-verger. Aussi longtemps que nous,
Occidentaux, aurons une mentalité ethnocentrique (…) nous ne
comprendrons jamais comment la terre, le soleil et la culture humaine
interagissent. »
Les civilisés, les peuples défricheurs, rasent les arbres d’une forêt
pour faire place à des cultures de céréales (blé, orge, avoine, seigle,
etc.) et de légumes. Leurs protéines proviennent surtout des animaux
domestiques nourris de foin, de légumineuses, de glucides provenant des
céréales, ce qui nécessite plus de défrichage. Ce n’est pas tout, les
civilisés défrichent aussi pour construire leurs habitations, leurs
terrains privés et collectifs, leurs routes, leurs entrepôts, leurs
emplacements d’instruments agricoles, etc. Les terrains défrichés
assurent une certaine sécurité pour les civilisés, contre ceux et
celles qu’ils ont chassés et violés, et pour le contrôle social des
« sujets ». L’agriculture assure aussi l’obligation pour une masse
d’humains à travailler sur des cultures limitées, créant ainsi un
surplus de certains produits (une récolte de certains produits), posant
ainsi les bases d’une planification unidimensionnelle (mettant en jeu
la survie de la majorité de ses membres), un travail dirigé et
coordonné, une division du travail à temps plein et une spécialisation
due au développement technique en lien avec les monocultures. Ce
processus de défrichage par des colons, ignorants mais fiers, a eu et
continue d’avoir plusieurs conséquences. L’érosion, l’appauvrissement
des sols, la désertification, etc., tous des éléments non considérés
par les anarchistes pro-civilisation, sont les plus importants en
termes de survie de l’humanité et l’occultation de ces problèmes
causera un massacre à grande échelle. Je vais y revenir plus tard.
D’autres impacts catastrophiques sont la destruction d’habitats pour
les autres espèces animales (annonçant la mort lente pour la très
grande majorité de celles-ci, donc un premier massacre), l’abattement
inutile d’espèces vivantes (les arbres), la destruction d’espèces
vivants dans le sol (champignons, bactéries, virus, etc., facilitant
ainsi l’arrivée massive de certaines bactéries et virus plus virulents)
et la contamination (et sa conséquence directe, la mort) de d’autres
espèces vivant dans les eaux. Le défrichage a aussi des impacts sur la
qualité de l’air et de l’eau, ainsi que sur l’approvisionnement de
ressources vitales pour les animaux et les humains, telles que pour se
nourrir, pour l’énergie, pour la construction, pour les outils, pour la
santé, des ressources qui sont nettement en diminution. L’expansion
coloniale en Amérique était vue comme la « destinée manifeste » de
l’homme civilisé, est-ce que les anarchistes pro-civilisation
arriveront un jour à remettre en question cette croyance?
L’appauvrissement des sols pousse les civilisés à empiéter sur les
régions voisines et renforce cette obsession de manquer de nourriture
(probablement due à leur ignorance des écosystèmes comme garde-manger
naturels). Même avec des idéaux communistes, les civilisés n’hésiteront
pas à utiliser la violence pour obtenir ce qu’ils veulent, c’est-à-dire
plus de terres à défricher. Ils utiliseront la force coercitive pour
soumettre les peuples indigènes et ils justifieront leurs actes en
argumenter que l’agriculture est plus efficace économiquement et
possède plus de bienfaits. Les indigènes sont donc chassés, violés,
massacrés, domestiqués et aliénés. Les animaux et les plantes sont
chassés (pas toujours pour se nourrir, par exemple la traite de
fourrures), détruits et déplacés. Le climat est altéré, la capacité de
la terre à retenir l’eau, la capacité des plantes à créer de l’humidité
atmosphérique, la stabilité du sol assurée par une couverture végétale,
fongique et bactérienne permanente, la capacité d’absorption de la
lumière du couver forestier, la création d’abondance et de refuges par
l’espace forestier, l’abondance de produits des arbres et d’autres
formes de vie, la capacité de calmer les vents et modérer le climat,
tout ça est éliminé par l’agriculture. Toutes ces conséquences amènent
des problèmes pour l’activité des civilisés, que ce soit les problèmes
d’irrigation, de difficultés respiratoires, d’abri contre le soleil, la
pluie et le vent, de vêtement (les vêtements de civilisés demandent
plus de défrichage), de santé, de conflits, de transports et d’énergie,
et toutes les solutions avancées par les civilisés sont mécaniques et
amènent à leur tour toutes sortes de conséquences néfastes. Aveuglés
par ce progrès, la destruction continue.
De vastes forêts couvraient la Mésopotamie, l’Afrique du Nord, l’Europe
méditerranéenne et le nord de l’Amérique centrale, où maintenant le
désert progresse chaque année suite au passage de la Civilisation.
Voulons-nous continuer dans ce chemin jusqu’à ce que la Terre ressemble
à la lune, que poussière stérile et atmosphère asphyxiante? Est-ce que
l’anarchisme selon certains n’est qu’un projet social utopique qui
restreint les gens de vivre librement pour que la « révolution » se
fasse exactement tel que planifié par les idéologues? Est-ce que Flood
et ses supporteurs préfèrent la simplicité ignorante (raser une forêt,
planifier une production de monocultures par la logique cartésienne)
que la stimulation de la mémoire qu’offre une diversité de productions
et des interactions complexes? Est-ce que leur utopie pro-étatique
sous-évalue la capacité mentale des humains vivant librement?
De plus, une terre cultivée est une terre qui, souvent, a été
défrichée, et Flood semble ignorer toutes les conséquences du
défrichage. Vous savez, le défrichage, l’agriculture, amène l’érosion
du sol (la pédosphère). En fait, la vie sur Terre dépend de la vie dans
les premiers centimètres du sol. La dégradation des sols, phénomène
unique à la civilisation agricole, a déjà fait ses ravages en Afrique,
au Moyen-Orient, en Asie et en Amérique du Nord, là où les déserts ne
cessent de s’agrandir. Ce phénomène a contribué, et contribue toujours,
directement au changement climatique. L’agriculture détruit le
biofiltre qui retient et redistribue les éléments nécessaires à la vie
comme le carbone, l’oxygène, l’hydrogène, l’azote, les métaux… Le sol
retient 60% de l’eau douce du monde et filtre l’eau qui se trouve par
la suite dans les nappes phréatiques. Au Québec, un gramme de sol
forestier contient trois milliards de bactéries. En 1991, 10 millions
de km2 de sols étaient gravement dégradés selon une étude GLASOD. Selon
le PNUE, de 1981 à 2003, près de 14 millions de km2 de sols auraient
perdu une partie importante de leur capacité à produire de la biomasse.
Du côté de la forêt, ce n’est pas mieux. Chaque année, la Terre en perd
l’équivalence de la superficie de l’Irlande. Et l’écocide continue. La
forêt empêche l’érosion du sol, l’eau est maintenue entre les racines,
les végétaux qui se décomposent génèrent de la matière organique. La
déforestation, souvent due à l’agriculture et à l’élevage, change
radicalement la structure du sol. La matière organique se libère dans
l’atmosphère sous forme de CO2 (cela compte pour 18% des émissions de
gaz à effet de serre), l’eau ruisselle et entraîne des éléments
nutritifs. Dans les régions tropicales, les terres défrichées perdent
leur fertilité en moins de cinq ans. Il y a aussi les pluies acides,
les feux et la coupe des arbres qui perturbent le sol et diminuent sa
productivité.
Voyons de plus près les pratiques agricoles. Sans la décomposition des
plantes sur le sol même, les sols cultivés deviennent rapidement
infertiles. La solution civilisée est les engrais chimiques. Tout comme
le corps humain qui absorbe moins bien les éléments des suppléments
alimentaires, les sols et les plantes n’absorbent qu’une petite partie
des engrais chimiques. Combien d’efforts gaspillés! De plus, la grande
partie des engrais qui n’est pas absorbée cause de multiples problèmes.
Par exemple, elle se retrouve dans les nappes phréatiques, dans les
ruisseaux et dans l’eau de puits et elle nourrit de virulentes
bactéries qui nous contaminent. L’azote non absorbé se retrouve dans
l’eau, sous forme de nitrate, et dans l’air sous forme d’ammoniac -
qui, mêlé au gaz d’échappement, forme le smog – et d’oxyde nitreux –
qui est 310 fois pire que le CO2 dans le réchauffement climatique. Le
phosphore, rejeté dans l’eau sous forme de phosphate, contribue à la
prolifération des algues, ce qui étouffe la biodiversité des lacs et
des rivières. Le sol prend des années avant d’éliminer le phosphore en
surplus. Dans les régions arides, où le sous-sol est souvent riche en
sel, l’irrigation est catastrophique puisque le sel remonte à la
surface et tue la vie. Chaque année, de 2 500 à 5000 km2 de terres
arables se font condamnées par la salinisation. Selon le PNUE, le
cinquième des terres irriguées sont sujettes à cela. L’écocide se
poursuit.
Les méthodes pratiquées en agriculture, telles que le labour, sont
aussi catastrophiques pour le sol. La machinerie écrase et détruit le
sol, la structure du sol et la vie dans le sol. En plus de toute la
flore indigène, elles détruisent des mycéliums et des champignons
microscopiques. Or, c’est grâce à ces champignons que de nombreuses
plantes peuvent fixer l’azote et le phosphore du sol et se protéger des
attaques virales ou chimiques. Le rendement a commencé à ralentir, les
sols se dégradent et s’épuisent. Les rendements agricoles ne sont plus
ce qu’ils ont été. On s’arrête pas là, avançons… Ajoutons à tout cela
la ville, l’urbanité, la société de masse. Les zones urbaines occupent
400 000km2 dans le monde. Elles se sont propagées sur les sols les plus
fertiles de la Terre. En plus de la destruction du sol, on le
contamine. En Europe de l’Ouest, on a recensé deux millions de terrains
contaminés par des résidus industriels. Là où il n’y a pas de normes
environnementales, ce sont des immenses territoires qui sont touchés
par la contamination, parce que ces pays reçoivent les résidus toxiques
de partout à travers le monde. L’Afrique stocke 30 000 tonnes de
pesticides interdits ailleurs. Le plomb, qui n’est plus dans l’essence
depuis les années 90, est toujours présent dans les sols. On y retrouve
aussi de la platine et l’osmium, qui proviennent des ordinateurs et des
pots catalytiques des voitures. Selon Daniel Nahon(15), 20 000 à 50 000
km2 de sols disparaissent chaque année, et la désertification menace
70% des régions arides de la planète. L’écocide amènera le génocide.
Qu’est-ce que le maintien de l’agriculture (et la destruction des sols
qu’elle provoque) combinée à une gestion ouvrière y changera?
L’agriculture n’est donc pas une pratique durable et viable
écologiquement(16).
Rappelons l’argument de Flood : il y a plus de bouffe pour nous
dans un champ que dans une forêt. Au moment de la récolte, peut-être,
mais pas le reste de l’année. De plus, la forêt de chêne comme le
suggère Flood contient d’autres plantes comestibles que les glands, de
la nourriture pour les espèces vivants, des animaux qui s’y promènent,
des propriétés médicales qui ne se retrouvent pas dans un champ de
patate, des valeurs nutritives plus complètes et riches, une
régénération riche du sol, sans produits cancérigènes ou dommageables
pour le sol et l’eau, enfin, des peaux et fibres pour les vêtements et
la construction, sans oublier une matière importante pour le feu.
Finalement, une diversité et une abondance plus riche que les champs.
Flood persiste : « la variante cultivée aura de beaucoup plus gros
grains et en une plus grande proportion ». Ce qu’il occulte de nous
dire c’est que la valeur nutritive est inférieure à la variante sauvage
(qui offre des fruits et des graines de diverses tailles). Et qui
n’aime pas mieux les fraises sauvages que les grosses fraises cultivées
qui goûtent l’eau! Le paraître est-il plus important? Cela nous ramène
à la question du prestige, de l’opulence, de la surconsommation et du
gaspillage.
Selon Flood, on manque de nourriture, on va tous mourir sans
l’agriculture, il faut donc produire plus… Est-ce que vous savez
combien d’aliments sont jetés à la ferme parce qu’ils ne conviennent
pas aux goûts des consommateurs (le paraître), combien d’aliments sont
jetés dans les magasins d’aliments, et combien d’aliments (ou parties
comestibles d’un aliment) sont jetés dans les restaurants et les
foyers? C’est une importante partie de la production initiale qui est
jetée (à la poubelle, même pas au compost). Et l’argument des calories
n’a pas de sens lorsqu’on pense à la nécessité calorique des individus.
Comment comparer le travail effectué par des êtres libres (sans trop
d’heures de travail et sans travail aliéné) avec le travail forcé et
aliénant des civilisés? La construction de la civilisation (les murs de
la cité, les palais, les industries, les aqueducs, etc.) et le travail
agricole (intervention constant sur la nature, domestication, stockage,
le transport des vivres, etc.) nécessite un travail d’esclave, il
devient évident que les calories brûlées vont être plus élevées. Il
faut avoir une conception mécaniciste de l’humain pour penser
uniquement aux calories. Il y a d’autres choses que le travail dans la
vie!
Il ne faut pas oublier que le recensement du nombre d’habitants à
l’époque de la colonisation européenne du reste de la planète s’est
justement produit après le contact, c’est-à-dire après une invasion
militaire, où les massacres, les viols, les déplacements forcés, la
mise en esclavage (avec les conditions misérables de la nouvelle vie
des esclaves et du transport d’esclaves) et la propagation de maladies
contagieuses mortelles pour les non-civilisés ont provoqué une chute de
la population indigène (ou devrais-je dire le plus grand génocide de
l’histoire?). Il devient alors très difficile de minimiser la
complexité de ces sociétés et leur capacité à soutenir une population
de manière viable en utilisant des chiffres décontextualisés. À la même
époque de ce génocide, où la vie de la très grande majorité de la
population européenne (se nourrissant quasi exclusivement d’aliments
issus de la culture du blé) vivait dans la misère, les populations non
civilisées et non agricoles du globe ne semblaient pas exploiter leur
environnement de manière non soutenable. Flood argumente que c’est à
cause de la sur-chasse que les mammifères ont disparus. Il nous
(techniquement et culturellement) projette dans le passé : il dépeint
un portrait d’un chasseur avec une sagaie de type AK-47 en train de
tirer dans le tas ne laissant aucun survivant… C’est tout le contraire
de l’éthique du chasseur-cueilleur. La surpêche et la sur-chasse en
Amérique du Nord ont été perpétuées par les colonisateurs qui en
prenaient plus que ce qui en avaient de besoin. C’est entre autres une
différence entre pratiques soutenables et non-soutenables qui distingue
les indigènes des colonisateurs. Et la surpêche et la sur-chasse a été
facilité par des moyens technologiques plus destructeurs des
écosystèmes. Un exemple, le massacre des 60 millions de bisons de
l’Amérique et des 20 millions d’antilopes pronghorn, comme souligné par
Jensen (17), par la chevalerie de l’armée des États-Unis et des colons
agricoles n’a pas été causé par la chasse visant l’autosuffisance, cela
a été un acte nécessaire pour anéantir une culture non civilisée (les
indigènes des prairies nord-américaines) et pour satisfaire l’expansion
de la civilisation agricole. Il faut souligner que les populations de
bisons et d’antilopes ont été chassées depuis plusieurs milliers
d’années auparavant, sans qu’il y ait eu de sur-chasse.
Les hypothèses des entrepreneurs de la recherche sur les
événements passés (ex : la baisse des grands mammifères due à la chasse
des hommes précapitalistes) sont celles qui justifient où nous sommes
rendus aujourd’hui. C’est aussi un pattern culturel qui refait surface
à chaque fois que notre édifice culturel (de croyances) est ébranlé par
un pavé du camp de la vérité : cela a dû se passer ainsi, peu importe
le cul-de-sac que nous propose la civilisation, on continue d’avancer…
pas question d’abandonner. Voir le monde qu’à travers notre lentille
culturelle (même les anarchistes transportent des croyances, des
valeurs, des automatismes, des normes, des règles de conduites, des
rôles, des comportements intériorisés par les institutions dominantes
de notre civilisation - la famille, l’école, le milieu de travail, le
syndicat, la taverne, le club de fans,…) nous amène à nier l’écocide.
Sans le développement d’un sens critique complétant notre analyse, on
peut facilement tomber dans le panneau, dans ce cas-ci, dans la logique
culturelle dominante qui nous positionne toujours comme étant
socialement « supérieurs » qu’avant, faisant du déterminisme
(l’évolution des espèces) social le fondement de l’argument des
pro-civilisation.
Mais au lieu que l’agriculture se soit développée au moment où que
nous aurions « sur-chassé » les grands mammifères comme l’affirme
Flood, n’est-ce pas plutôt celle-ci une des causes de l’extinction des
grands mammifères tout comme l’expansion de l’agriculture sur les
forêts est une des principales causes de l’extinction de plusieurs
organismes vivants aujourd’hui? Je dis bien une des causes, parce que
l’hypothèse anthropologique la plus vraisemblable est que la fin de la
dernière glaciation a bouleversé le climat et le paysage des steppes
occidentales : le climat froid et rugueux ainsi qu’une steppe (herbes)
riches et abondantes ont favorisés le développement de mammifères
énormes. Le contexte de la déglaciation (changement de climat et du
type de végétation) a donc apporté graduellement un environnement qui
n’était pas adapté aux grands mammifères. Ce contexte a surtout
provoqué une évolution chez les animaux vers la réduction de leur
taille, non pas une extinction généralisée. Plusieurs autres facteurs
ont pu jouer un rôle dans l’extinction des grands mammifères sur la
surface de notre planète. Il y a eu l’expansion des terres agricoles
(et la production planifiée des denrées agricoles) pour nourrir les
citadins et les esclaves concentrés dans les premières villes (les
cités-État); il y a eu l’expansion de la pratique de l’élevage
d’animaux domestiqués pour nourrir les mêmes catégories de personnes;
il y a eu les tentatives de domestication des grands mammifères pour
soutenir le travail des esclaves. Tous des facteurs reliés au phénomène
social de la civilisation. Avec le retrait des glaciers, on a aussi
assisté à une expansion de la forêt vers le nord. Il y a peut-être eu
des peuples qui n’ont pas pu s’adapter à ces changements et ont opté
pour raser la forêt et pratiquer l’agriculture, mais l’agriculture
s’est développée en Mésopotamie, où il y avait de vieilles grandes
forêts(18). De plus, lorsqu’on note que les peuples non-civilisés à
l’époque de la colonisation européenne survivaient très bien dans les
forêts, on voit l’intérêt de réfléchir sur les cofacteurs du
développement de l’agriculture. Parmi celles-ci, il y a la propriété de
la terre et des femmes, la domestication (10 000 avant J.C.), le
pouvoir politique et la hiérarchisation de la société, la religion, la
culture symbolique (travail et production organisé, entreposage,
inventaire, taxes,…), la guerre… enfin, la domination de l’homme sur la
nature et sur les « autres », la civilisation.
L’argument du nombre ne tient donc pas la route. Les zones
densément peuplées en Amérique précolonial qui n’ont pas tombées dans
le joug de la civilisation démontrent bien la non-nécessité de
celle-ci. Malheureusement, les croyances en la supériorité des
civilisés sont quasi-fidèlement reproduites par les communistes
libertaires proto-étatistes.
Les pro-civilisation ne sont pas seulement ignorants du fonctionnement
et des fruits de la nature, mais ils sont avant tout irresponsables
envers les prochaines générations.
Flood et les remâcheux de sa critique ne s’arrêtent pas un instant
pour réfléchir au débat entamé et à toutes les questions que cela nous
force à se poser, ils décident plutôt d’occulter le débat et d’avoir
recours à des tactiques de diffamation : les niveaux de populations
envisagés par les anarco-primitivistes devraient être obtenus par une
mortalité massive de type massacre organisé. Ironiquement, Flood se
défend rapidement d’utiliser une tactique diffamatoire en y associant
quelques écrits d’« anarco-primitivistes ». Certaines citations sont
effectivement inquiétantes, d’autres sont plus des visions pessimistes
du futur qui nous attend si la destruction de la vie continue, d’autres
ont vraiment aucun liens avec ce que Flood avance. Mais le plus grand
problème de Flood c’est qu’il cite n’importe qui, n’importe quoi, en
forçant trop souvent les liens entre deux concepts antagonistes
(anarco-primitiviste et massacres organisés). Je n’envisage pas
m’éterniser sur ce point étant donné que cela saute aux yeux de
n’importe quelle personne qui connaît les sources. Prenons trois
exemples. La citation de Miss Ann Thropy (apparue dans le journal
d’Earth First! 1987) ne démontre qu’un extrait d’opinion. Plus
important encore, ce journal ne se définissait pas « anarchistes », ni
même « anarco-primitivistes » à cette époque! Il se positionnait plutôt
comme des « écologistes profonds ». Cette tendance a dominé ce journal
jusqu’à tout récemment. Même aujourd’hui, les groupes EF! ne partagent
pas tous les mêmes idées. Quel tour de force de la part de Flood!
Deuxième exemple : d’après Flood, Derrick Jensen serait favorable à une
extinction massive de la population parce qu’il parle « d’aider le
monde naturel à l’abattre [la civilisation] ». Vous y comprenez quelque
chose? Je suggère fortement à ceux qui tiennent ce genre de discours de
lire au moins un de ses bouquins et d’argumenter de manière plus
cohérente et soutenue. Dans son livre A Language Older Than Words,
Jensen nous rappelle tous les actes génocidaires survenus à partir de
la colonisation européenne du monde. La courte citation de Jensen citée
par Flood fait un peu plus de sens, non? Enfin, troisième exemple, et
le pire : Flood cite un extrait d’un article de Steeve Booth apparu
dans Green Anarchist (UK) où il prend la défense des tactiques des
poseurs de bombes d’Oklahoma et du gaz mortel utilisé par le culte du
sarin de Tokyo. Flood oublie de mentionner que Steeve Booth s’est
retrouvé hors du collectif original de Green Anarchist et qu’il a
démarré une nouvelle publication (aussi sous le nom de Green Anarchist,
qui a été d’une brève durée) avec des positions clairement
anti-primitivistes. Ainsi le château de carte de Flood s’écroule, en
menant avec lui sa critique réactionnaire.
En poursuivant le projet de la civilisation à terme
(l’agriculture, l’élevage, la coupe de bois, la domestication de la
vie, etc.), on pourra sûrement augmenter le niveau de la population
mondiale, à tout le moins, de notre vivant. Mais certains refusent
d’être des égoïstes orgueilleux, des bébés gâtés, et réfléchissent aux
actions dans le présent et aux intérêts des futures générations.
Poursuivre dans ce sens comme le suggère les communistes libertaires
pro-civilisation ne résout pas le problème de la surpopulation, ils ne
font que remettre à plus tard le problème, ne laissant pas d’autre
option qu’un massacre organisé ou une catastrophe. Au lieu de réfléchir
à la question soulevée par certains (l’augmentation de la population au
taux actuel a déjà causé et continue de causer un massacre de
populations indigènes et l’extinction de plusieurs espèces d’animaux et
de plantes, qu’est-ce qui arrivera à la population lorsque la
productivité baissera due à l’appauvrissement des sols, que la
déforestation sera presque complète et que les humains seront
complètement dépendants de l’État?), les pro-civilisations ferment les
yeux et remettent le fardeau de la charge accumulée sur le dos de leurs
petits petits enfants, quelle solidarité! Cela est complètement
irresponsable de la part de soi-disant anarchistes.
La décroissance comme proposition de solution
Quels sont les facteurs de la croissance rapide et continuelle de
la population? Réfléchissez bien à cette question, vous éviterez
peut-être un jour de marcher sur un terrain tourbièreux. Mieux, vous
n’allez pas couper les arbres aux alentours d’une tourbière existante à
des fins agricoles et forestières, ce qui n’aura pas comme effet de
l’étendre. Parmi les facteurs de croissance, on peut mentionner :
l’inaccessibilité forcée (guerre, déplacement forcé, raid) aux plantes
utiles aux femmes, la perte forcée (guerre, déplacement forcé,
assimilation, acculturation, ethnocide) des savoirs concernant
l’application thérapeutique de ces plantes, la perte d’un mode de vie
favorisant l’espacement entre enfants (mode de vie semi-nomadique,
allaitement prolongé, efforts musculaires soutenus, préservatifs
naturels), la religion (la pression sur les personnes de se reproduire
perpétuellement comme les animaux domestiqués), le capitalisme (la
demande et les ventes doivent s’accroître pour rassurer les
investisseurs), l’État (un État voisin pourrait t’envahir s’ils ont
plus d’effectifs...), etc. Tout cela ne vous sonne pas familier? La
croissance rapide et continuelle, sans aucun égard pour la biodiversité
de notre planète, est une conséquence de la civilisation et de leur
logique de création de richesse à partir de l'exploitation et du
pillage sans fin de la vie.
Les anarchistes anti-civ se sont inspirés des analyses des peuples
primitifs de certains anthropologues, tels que Marshall Sahlins,
Stanley Diamond, Pierre Clastres et Richard Lee, pour concevoir les
bases pour des éco-communautés libertaires. Dans le domaine de
l’alimentation, on apprend qu’ il y a abondance des choses essentielles
à la vie, que leur régime alimentaire était riche et varié (suivant les
saisons afin d’assurer une alimentation complète et d’éviter la
sur-cueillette ou la sur-chasse), que le mode de vie semi-nomadique
permettait d’être au bon moment pour leurs activités de cueillette et
de chasse, qu’il n’y avait aucune pratique de contamination des lieux,
que leur éthique écologique (toujours laisser plus que ce qu’on prend)
favorise la régénérescence des espèces vivantes. Un de ces
anthropologues dira aussi que les primitifs sont peut-être pauvres au
niveau matériel comparativement à nous (possession d’objets inutiles),
mais qu’ils ne manquent de rien d’essentiel, qu’ils ont des produits de
meilleur qualité, qu’ils (ceux et celles pas endommagés par le contact
avec la civilisation) vivent pleinement leur vie et qu’ils ne
connaissent pas la misère comme la majorité des gens vivant sous la
civilisation. Ils vivent (ou vivaient) en petits groupes, mais se
rencontraient souvent avec les autres groupes pour former un
regroupement plus large afin de partager les connaissances et les
pratiques, de fêter les plaisirs de la vie, de discuter de certains
problèmes, etc. Ce contact temporaire, mais perpétuel, favorise la
cohésion et la paix sociale dans le groupe plus large. Les naissances
sont espacées et la population assez stable, augmentant légèrement
lorsque les conditions sont très favorables, diminuant légèrement
lorsqu’elles sont moins favorables. Les primitifs sont aussi reconnus
pour ne travailler que 2 à 4 heures par jour, en incluant toutes les
tâches dites domestiques. Cela laisse largement le temps aux femmes et
aux hommes d’avoir du plaisir (danser, jouer de la musique, nager,
jouer,…) ainsi que d’éduquer les enfants (observation de techniques,
jeux, récits, expédition, …). Les activités exécutées par un individu
du groupe sont variées (pas de division du travail à temps plein) et
donnent la priorité aux besoins primaires de tous (autonomie du
groupe). Plus l’individu est libre, plus il se sent faisant partie du
groupe. De plus, les désirs et les besoins des individus changent avec
les phases de la vie de ces personnes, c’est-à-dire selon la capacité
et les besoins d’une personne à un moment précis de sa vie. Les
communautés prennent aussi en compte les besoins de tous les membres,
ce qui pousse à rechercher un équilibre dans le groupe. Peu importe la
division partielle et temporelle du travail dans ces communautés,
chacune des tâches, chaque rôle, chaque geste revêtent la même
importance aux yeux de tous, si ils contribuent à l’épanouissement de
tous.
Alors comment arriver à un niveau de population plus soutenable
pour la biodiversité? Les anarchistes, tout comme bon nombre
d’écologistes radicaux, se tournent vers la décroissance. Certains
préfèrent lui rajouter le qualificatif de « volontaire », de
« conviviale » ou de « libertaire » pour souligner l’aspect
non-autoritaire du projet de décroissance. En ce qui concerne la
décroissance dans la production/consommation, ce qu’il faut retenir
c’est que la production peut facilement décroître (la quantité) en
améliorant la qualité des objets utilisés, mais surtout en diminuant
notre dépendance à ceux-ci (aux gadgets technologiques surtout) en
ayant une vie non aliénante et en privilégiant l’expérience directe
avec notre environnement. Quant à la décroissance de la population,
certains pensent qu’elle devrait être envisagée afin d’harmoniser les
rapports inter-espèces et de s’assurer d’un cycle naturel soutenable à
très long terme. Même si la population s’est tellement multipliée dans
les dernières décennies, c’est encore envisageable d’un point de vue
libertaire. Pour défendre mon point, prenons un exemple tiré du monde
des chiffres, ce qui devrait plaire à Flood. Dans un contexte de
révolution mondiale, la population est libre, elle ne subit plus aucune
obligation ou de pression de produire des bébés (la fin de la religion,
de l’État, du capitalisme, des normes sociales, de la reproduction de
l’institution contemporaine de la famille), elle s’est réappropriée des
savoirs thérapeutiques et des pratiques traditionnelles (en plus d’un
rééquilibre hormonal dû à la fin du plastique et des hormones présents
dans la viande et les produits laitiers) afin d’éviter des
accouchements continus… alors dans un contexte comme celui-là, en
tenant compte qu’il y a des individus qui ne veulent pas d’enfants, que
les homosexuels n’ont habituellement pas d’enfants (cela n’empêche pas
que ces individus puissent participer pleinement à élever et éduquer
les enfants de la communauté), qu’une amélioration des conditions de
vie, d’hygiène, de la liberté individuelle et collective favorise
historiquement un taux de natalité assez bas, disons aussi que le désir
de décroître dans la population est partagé et que ceux et celles qui
en veulent visent un enfant par deux personnes, cela prendra 4-5
générations (environ un siècle) avant d’atteindre un niveau soutenable
pour une population mondiale de chasseurs-cueilleurs selon les plus
sceptiques. Un siècle, ce n’est pas si pire si nous considérons que la
destruction de la civilisation et le recontact à la vie sauvage (une
dédomestication de nos manières de penser, d’interagir et de vivre, une
réappropriation des savoirs oubliés, des moments d’expérimentations
sociales, d’essais-erreurs, de découvertes de nouvelles techniques
non-destructrices, un apprentissage de la cueillette, de la
permaculture, de l’horticulture écologique) nécessiteront une période
de transition étendue à travers au moins deux générations. Vous doutez
d’une révolution mondiale, vous faites bien, les chiffres nous offrent
toujours des abstractions loin de la réalité. Par contre, la
faisabilité abstraite est là, maintenant c’est à nous de réfléchir, de
théoriser à partir de nos expériences concrètes et d’élaborer une
pratique révolutionnaire qui inspirera les gens. Flood affirme que
l’exploitation agricole (agriculture et l’élevage) et forestière
permettrait d’atteindre une population mondiale de 30 milliards
d’habitants. Je ne pense pas que vous aimeriez vivre dans ce genre de
goulags, gérés par un système totalitaire. De toute façon, son
affirmation est grossièrement exagérée, surtout lorsqu’on sait que
l’exploitation agricole et forestière appauvrit de plus en plus de sols
et diminue chaque année les terres arables disponibles pour se nourrir.
Les communistes libertaires sont complètement irresponsables
d’envisager une telle perspective face aux générations futures.
Voyez-vous la falaise à l’horizon? Vous serez probablement décédé avant
d’arriver là, vous n’aurez pas à vivre avec les conséquences de vos
actes égoïstes. Devons-nous croître la population et coloniser
(expansion) toutes les espaces habitables, comme l’ont ordonné maintes
fois les religions et les idéologies (surtout les conceptions
économiques promouvant la croissance et le développement) de ce monde,
aux dépens de notre bien-être individuel et collectif?
Table rase de la société technico-industrielle, étatique et capitaliste, ou récupération de la mégamachine
Flood rejette la validité de la réflexion anti-civ et aimerait
vous convaincre de faire de même sans offrir des arguments valables. De
quoi a-t-il peur? Il va jusqu’à prétendre que le « combat anarchiste
pour la libération… implique d’adopter la technologie à nos besoins
plutôt que de la rejeter »! C’est basé sur quoi ça? Son autorité de bon
militant anarchiste? Il ne définit pas ce qu’il entend par « besoins »,
parce qu’il sait très bien que c’est un terrain glissant. Il devra
parler de la nécessité de certains besoins créés par l’État, la
religion et surtout par le capitalisme. Il devra aussi réfléchir aux
structures (aux effets de celles-ci sur l’environnement) nécessaires à
produire certaines technologies, même dites vertes. Sélectionner des
technologies non aliénantes et non destructrice parmi celles
développées jusqu’à présent, peut-être, mais les technologies sont
souvent tellement intereliées entre elles que cela diminue encore plus
le nombre de ces technologies. Ajuster et adapter les technologies pour
qu’elles répondent à la viabilité écologique et à la
non-hiérarchisation de la société, essayons, pourquoi pas. Créons et
développons des technologies dans un contexte social où les individus
sont libres et épanouis, et où nous n’exploitons pas la nature, ah, ça
c’est stimulant. Pourquoi ne pas baser nos communautés libertaires sur
les technologies qui ont fait leurs preuves en matière d’égalité
d’accès à celles-ci (n’impliquant pas de division de travail et de
travail forcé), qui ne modifient pas radicalement l’écosystème en
place, qui sont faites de matériaux qui ne laissent aucun résidu nocif
pour la santé dans sa fabrication, et qui est décomposable? Les
habilités et les outils primitifs sont sans aucun doute une base
répondant à ces quelques critères sur laquelle nous pouvons construire
nos communautés libertaires. Flood se lance dans sa campagne de peur en
brandissant le danger de l’anarco-primitivisme : « tout ce que nous
aurons construit sera réduit en poussière ». Les anarchistes anti-civ
veulent détruire les technologies construites par et pour des gens de
pouvoir, sous un contexte social autoritaire dirigé par l’État,
l’Église et les corporations, des technologies qui ont été souvent
créées pour soutenir un génocide d’une très grande partie de la
population mondiale. Table rase de la société actuelle pour enfin vivre
(jouer, se reposer, créer…), c’est bien cela ce que propose l’anarchie.
Une critique non fondée
Flood essaie de donner une leçon de morale à ceux et celles qui
osent parler de crise énergétique avec l’avènement de la fin des
combustibles cheap que nous procurent le pétrole(19). Le premier
problème de son argumentation est qu’il n’expose jamais les arguments
des éco-anarchistes qui se prononcent sur le sujet, mais met plutôt des
mots dans la bouche des autres. Le deuxième problème c’est que les
anarco-primitivistes partagent un des arguments centraux de son analyse
de la situation : celui que le pouvoir peut s’adapter à toute crise (en
faisant la récupération de l’alternative) et essaiera même de faire du
profit sur celle-ci. Mai
Une critique non fondée
s au lieu de s’arrêter à des constats très
probables, les anarchistes anti-civ abordent cette question sur le côté
pratique du problème, en explorant la mise en pratique de la
dédomestication, de l’entraide mutuelle, de la coopération volontaire,
de l’autonomie, ainsi que la responsabilité individuelle et collective
face aux actions entreprises, tout cela afin de combattre (ou du moins,
être prêt à combattre) la récupération par l’État de la réponse à la
crise et de combattre la tendance d’une partie des masses à se diriger
vers un État protecteur et totalitaire suite à n’importe quelle
« catastrophe » ou « crise ». Alors, le problème majeur de son
argumentation est que les anarco-primitivistes sont très conscients que
les crises affecteront principalement les populations pauvres de la
planète (acculturées et dépendants de l’État pour l’organisation des
secours) et non ceux qui détiennent le pouvoir (ni les relations
sociales qui soutiennent le pouvoir). Les alternatives dites vertes
(plastique fait à partir de maïs, piles, agro-carburants,…) détournent
l’attention sur les causes du problème, tout en polluant autrement la
biosphère. La récupération a déjà commencé. S’il n’a pas compris cela,
c’est qu’il n’a pas lu sur la perspective anarchiste verte sur la crise
énergétique. Il leur reproche d’avoir « oublier que l’on vit dans une
société de classe » et que le problème est qu’il y a « un accès assez
incroyablement inégal » aux ressources. L’accès inégal aux fruits de la
nature est à la base même de la critique de l’organisation sociale
hiérarchisée des anarchistes anti-civ. Flood doit maintenant expliquer
ce qu’il veut dire par « accès aux ressources ». Qu’est-ce qu’il veut
dire par généraliser la consommation d’un occidental aisé partout à
travers le monde? Il est fréquent de rencontrer des communistes
libertaires proto-étatistes qui adhérent au culte des marchandises.
C’est ce désir intense de posséder tout ce qu’ils ne peuvent pas
présentement qui poussent ces gens à accepter à bras ouverts la société
industrielle. Or, chez les anarchistes anti-civ, l’accès égalitaire aux
« ressources » ne veut surtout pas dire une « exploitation » non
soutenable des fruits de la nature, c’est plutôt une question
d’autosatisfaction des besoins fondamentaux de tous les membres du
groupe, des besoins qui n’ont rien à voir avec le besoin de maintenir
l’organisation hiérarchique et des exigences du système
technico-industriel. Alors, dans une communauté anarchiste, les besoins
seront satisfaits par les individus eux-mêmes, définis selon leurs
désirs, et la volonté de moins travailler (dans un cadre où le travail
n’est pas imposé) jouera un rôle décisif sur les besoins sociaux non
primaires que les individus ressentiront. Pour reprendre un extrait
d’un article anarchiste anti-civ, les sociétés non-civilisées sont
inspirantes puisque ses membres
« sont capables de fabriquer toutes les choses dont ils ont besoin au
niveau individuel, familial ou villageois. Ils cultivent ou collectent
leur propre nourriture, cousent leurs propres vêtements et façonnent
des outils à partir de matériaux naturels. Les produits que ce genre de
société produit sont conçus en fonction de leur culture régionale en
adéquation avec les besoins spécifiques et les désirs des gens vivant
dans leur propre environnement local. Ces technologies permettent aux
gens de vivre de façon autonome, sans État et de manière égalitaire,
ainsi que d’exprimer une vaste diversité culturelle et
linguistique »(20).
L’accès aux « ressources » est toujours égal puisque la terre
n’appartient à personne et les membres de la communauté valorisent la
satisfaction des besoins par soi-même, en famille ou en collectivité.
L’autre partie de l’argument de Flood concerne plus spécifiquement
la place de l’analyse de classe dans la réflexion anarchiste. Ici
encore il démontre une méconnaissance de la théorie anti-civ en
affirmant que l’analyse du social est absente de cette théorie. Le
problème vient du fait que les communistes libertaires « marxistes
orthodoxes » se bornent au concept de « classes » et occultent toutes
les autres formes de hiérarchisation de la société, ainsi que les
formes de domination qui caractérisent les civilisations. Pour
exemplifier sa méconnaissance de la théorie anti-civ, je vais faire un
résumé personnel de l’analyse du social que fait Fredy Perlmann dans
son ouvrage Contre le Léviathan. L’auteur utilise le terme de zeks pour
parler des ouvriers, des esclaves et des forçats qui sont le lot de la
civilisation. À chaque début de civilisation, on note qu’elle a été
initiée par des chefs (et leurs compagnons) qui veulent que leur nom
soit rappelé à travers le temps (par exemple, Gilgamesh de la
civilisation sumérienne ou les pharaons de la civilisation égyptienne),
en édifiant des murs autour de la cité, en polluant les cours d’eau, en
rasant les forêts environnantes, en bâtissant des pyramides, ainsi que
des temples et des monuments prestigieux. Pour accomplir tout ceci, ils
ont dû exploiter toutes les ressources possibles dans leur région
respective. La civilisation est un être artificiel, une sorte de
machine, et le mouvement de celle-ci est le résultat du travail forcé
du 99% de la population, la masse est asservie à la machine, les
engrenages sont engraissés par la misère de ces esclaves, et aucune
révolte significative n’est possible s’ils restent domestiqués (soumis
à l’exigence de la civilisation). La civilisation est la destruction de
la biosphère afin d’obtenir plus de pouvoir. La guerre à la
civilisation avec les mêmes moyens que celle-ci reproduira la
civilisation, puisque les moyens déterminent la fin (l’organisation
guerrière transforme radicalement la structure même de la communauté
qui l’adopte). La civilisation n’engloutie pas seulement les vies
humaines, mais toute la vie sauvage sur son passage, elle uniformise la
nature en détruisant la diversité, elle essaie d’imposer un ordre dans
un paysage chaotique mais fertile, elle stérilise la reproduction
naturelle et débalance l’équilibre naturelle de la biosphère. Nous
pouvons retrouver un autre exemple d’une analyse de la hiérarchie
sociale dans les nouvelles d’actions publiées (plusieurs pages il faut
souligner) dans le journal Green Anarchy, portant sur les actions des
luttes des plus démunies de la planète (des indigènes, des paysans,
pour les animaux, pour la Terre, des émeutes et des révoltes
anarchisantes). La division hiérarchique de la société (dont les
classes sociales sont un type) est au cœur de la théorie anti-civ.
Cependant, elle ne se limite pas à la hiérarchisation économique de la
société (la propriété des modes de production). Les communistes
libertaires proto-étatistes semblent occulter les facteurs sociaux de
la domination pour se limiter qu’au cadre d’analyse marxiste orthodoxe
dans leur analyse.
L’anthropologue Pierre Clastres a écrit(21) un jour que
l’exploitation économique des individus a été possible suite à la
domination politique de ceux-ci. Il a fallu l’établissement d’une
contrainte (physique ou psychologique, mais réelle) sur les membres du
groupe afin qu’ils se soumettent, s’aliènent, aux décisions du ou des
dominants. Cette société policée a permis de faire accepter socialement
le fait que les individus travaillent pour un autre (travail forcé) et
que les « ressources » naturelles et les moyens de production
appartiennent à certains (propriété). C’est tout le contraire de la
coopération volontaire. Le modèle tribal a comme caractéristique
d’inciter les membres à abandonner ceux qui tentent de s’approprier du
pouvoir, les membres arrêtent de leur donner de l’importance, ils les
méfient, ils dévalorisent ce type de comportement. Au début de la
civilisation, il y a eu quelque chose qui les ont empêchés de prendre
un autre chemin, c’est la domination politique par la violence
physique. Les marxistes orthodoxes ont souvent la misère à sortir des
sentiers battus. Enfin, tout ça pour dire que la théorie anti-civ nous
force à garder à l’esprit le plus possible de facteurs sociaux lorsque
nous analysons un phénomène, et surtout les interrelations entre les
formes de domination. La réflexion anarchiste sur la civilisation a
élargi nos perspectives sur les causes de la hiérarchisation sociale et
sur les causes qui agissent comme obstacles à la plus grande liberté
pour tous et toutes. Comme anarchiste, il faut examiner toutes les
formes de domination (anthropocentrisme, ethnocentrisme, patriarcat,
etc.) dans nos sociétés. Les anarchistes anti-civ n’ont fait que
contribuer à cette tendance grandissante de pensée critique dans le
milieu anarchiste contemporain.
Le salissage final; une tentative désespérée de discréditer des anarchistes
« Il y a une langue plus vieille de loin et plus profond que les mots.
C'est la langue de la terre et c'est la langue de nos corps. C'est la
langue des rêves et de l'action (…) Nous souffrons de la méperception
du monde. Nous nous croyons séparer l'un de l'autre et de tous les
autres par les mots et par les pensées. Nous croyons - rationnellement,
nous pensons - que nous sommes séparés par la rationalité et que
percevoir le monde "rationnellement" est de percevoir le monde tel
qu’il est. Mais percevoir le monde "tel qu’il est" est aussi de le
mépercevoir entièrement, de nous aveugler à un encore plus grand corps
de vérité. » Derrick Jensen(22)
À court d’argument, Flood et autres communistes libertaires
proto-étatistes s’en prennent aux anarchistes critiques à leur
organisation en forçant un lien entre les « mauvais » anarchistes et
les nazis. Ils le font en associant « mouvement écologique » à
« irrationnel » et donc à « Nazi » et plusieurs communistes libertaires
proto-étatistes s’amusent à faire des liens entre le mouvement
écologique et la politique nazi. C’est une formule mathématique fausse
qui n’aboutit à rien. Dans son ouvrage Les naturiens, précurseurs de
l’écologie, Dominique Petit note aussi ce révisionnisme historique de
la part de certains soi-disant libertaires et écrit à ce sujet:
« Les dérives politiciennes de l’écologie politique amènent
actuellement une partie du mouvement libertaire à réinterpréter
l’histoire de l’écologie et à lui découvrir, comme par hasard, une
origine inavouable chez Pétain, voire chez les nazis (éco-fascime).
Cette mystification a évidemment un seul but, déconsidérer l’ensemble
de ce courant. Celui-ci remet en cause bien des comportements et des
modes de vie : certains libertaires ne semblent guère prêts à
abandonner le règne de « la marchandise ».
Cette volonté politique de réécrire l’histoire d’un mouvement, pour
mieux le combattre, rencontre l’assentiment de la majorité politicienne
de l’écologie qui ne cherche guère à retrouver ses racines : l’écologie
n’est pas née dans les années 70, pas plus qu’elle n’a été inventée par
Pétain.
Elle est issue du mouvement libertaire, du courant anti-scientifique
apparu à la fin du siècle dernier chez les anarchistes. Cette filiation
ne fait naturellement pas l’affaire des politiciens du parti Vert mais
elle n’est pas non plus du goût des détracteurs de l’écologie dans le
mouvement libertaire. Selon eux, elle viserait ni plus ni moins à
promouvoir un ordre naturel, légitimant l’idée d’un État totalitaire et
mondial, nécessaire pour sauver la planète.
À la fin du XIXème siècle, en plein développement du système
capitaliste, les naturiens dénoncent la déforestation, le machinisme,
la civilisation, la ville. Émergeant de l’anarchisme, ils s’en
démarquent en condamnant la science, idolâtrée par la majorité du
mouvement révolutionnaire »(23).
La critique de la civilisation d’une perspective libertaire n’est
donc pas un phénomène nouveau comme l’affirme Flood. Les naturiens,
c’est un mouvement qui a pris naissance à Paris en 1894 et on a assisté
à plusieurs publications prônant cette philosophie. Plusieurs naturiens
ont tenté de bâtir des éco-communautés libertaires (des colonies
libertaires). Certains des auteurs les plus connus de cette tendance
sont: Philippe Pelletier, Émile Gravelle, Honoré Bigot, Henri Zisly et
Tanguy l’Aminot. Une critique de la civilisation est aussi présente
chez Henri David Thoreau, essayiste franco-américain au XIXe siècle.
Voici deux extraits qui démontrent l’existence de la critique de la
civilisation chez les naturiens :
« La civilisation, en contraignant l’individu à travailler pour
pouvoir manger, commet un abus de pouvoir. Car tout être a le droit de
vivre sans produire, tant qu’il se contente des produits naturels… Dans
la nature tous les hommes sont libres et indépendants; la propriété
n’existe pas parce qu’on use des choses telles qu’elles sont, sans leur
faire subir aucune préparation, ni transformation… Seul le retour à
l’état naturel amènerait la suppression de la propriété » Henri
Zisly(24)
« Vivons, aimons, connaissons et protégeons la Nature mais ne la
déifions pas, ne l’idolâtrons pas, n’y élevons pas de temples, ne
fondons pas un nouveau culte sur les dogmes supprimés par les cerveaux
libres, mais luttons pour l’existence des lois naturelles, les seules
lois que nous admettions! Et nous serons heureux, tous et toutes, car
la vie sera Joie et Bonheur, car la Terre sera peut-être un Paradis et
l’Enfer social existant sera disparu avec la Civilisation, inepte,
ignoble et immonde, qui l’a créé! A bas la Civilisation! Vive la
Nature! » Henri Zisly(25).
Notons aussi que le nazisme, le fascisme et le communisme
autoritaire sont des produits de la civilisation occidentale et ils ont
appuyés leurs méthodes autoritaires sur la science occidentale moderne.
L’organisation sociale tribale ne transporte pas avec une finalité
autodestructrice comme l’a démontré le nazisme. Pour les groupes
d’humains, elle a fonctionné durant des centaines de milliers d’années,
tandis que les civilisations se sont toujours autodétruites.
Le lien entre mouvement écologique et nazisme est donc une
manipulation de certains qui ne veulent pas abandonner le consumérisme
offert par le capitalisme. De plus, la rhétorique nazie fait
communément appel au principe de rationalité, d’utilité et d’efficacité
(la suprématie des principes abstraits sur les émotions, les sentiments
et les intuitions) et à d’autres grands traits de la modernité
(industrialisation, fordisme, nationalisme, impérialisme, mass média,
etc.). La « science » de la civilisation occidentale transporte avec
elle la présomption d’un monde compétitif, violent et de lutte pour la
domination afin de survivre. Avec cette présomption (et le fait que les
scientifiques sont presque tous issus de milieux aisés), elle finit
toujours par justifier le déroulement du monde tel qu’on le vit,
l’ordre social établi (la hiérarchie sociale), les formes de domination
appliquées (le patriarcat, l’espècisme, la religion, le salariat,
etc.). Avec le changement de paradigme amené par la modernité (une
interprétation du monde de type idéologique), la science occidentale
s’est institutionnalisée et a poursuivi son instrumentalisation; elle
s’est totalement soumise aux exigences de l’appareil
technico-industriel. On forme des techniciens pour l’industrie, on les
forme à isoler des objets pour mieux dominer notre environnent, on ne
cherche pas à comprendre notre relation avec les êtres vivants (humains
ou non) pour mieux vivre et s’entraider.
Promouvant le détachement de ses propres expériences et ses sens
(comme le font les scientifiques occidentaux), il devient concevable de
tuer mécaniquement des êtres vivants sans affecter émotionnellement
celui ou celle qui commet l’acte. Pire, ces scientifiques, ces experts
des objets isolés, croiront au bon fondement de leurs actes. La science
occidentale en est venue à rationaliser la torture d’êtres vivants en
les transformant en des objets inanimés (ex : la vivisection) ou en
« sous-hommes » dans le cas des nazis et autres fascistes (ex :
l’esclavage, la torture, les camps d’extermination, etc.). Avant de
pratiquer la vivisection sur les animaux de laboratoire, on leur coupe
leur corde vocale et on banalise les conditions d’existence dégradantes
(en appelant par exemple les cages des « condos »). En tant que
chercheur (menant des expériences), nous faisons tout pour nous
convaincre qu’ils (animaux) ne ressentent rien, absolument rien, ce ne
sont que des bêtes après tout… Si on ressent quelque chose, il y a
toujours le remède Descartes : il suffit de nous répéter que les sens
doivent nous tromper… C’est le modèle théorique abstrait qui est la
seule réalité… non? Je ne crois pas à ce type de science.
La science occidentale (appliquée dans les usines, les bureaux,
les laboratoires, les médias, les camps…) est venue soutenir le
génocide commis par les nazis. Le génocide ne serait pas possible si
les gens se fient sur leur expérience aux autres au lieu de les
objectifier : regarder notre victime dans les yeux avant de tuer serait
insupportable. La science institutionnalisée n’est qu’un instrument qui
donne un certain pouvoir à certains (les experts). La recherche
scientifique est devenue une question d’entrepreneuriat(26): il est
très fréquent qu’on manipule les données et les résultats (en plus
d’une méthodologie souvent douteuse) pour avoir de l’attention, ou pour
satisfaire les exigences de l’organisme subventionnaire (telle que la
côte de « scientificité »). Le terrain pratique de la science est donc
un terrain de compétition pour obtenir des subventions. La positivité
est acceptée sans question : ce qu’on observe devient la nature des
choses. C’est ainsi que certains auteurs(27) ont pu théoriser que « la
femme finit par considérer le pouvoir du violeur et à établir une
relation, quoique repoussant initialement, qu’elle finit par accepter »
et qu’une « démonstration du pouvoir implique que le futur le plus
sécuritaire pour une femme est de tisser un lien avec un mâle
violent ». En détruisant toutes les cultures indigènes pacifistes, en
éliminant toute alternative pragmatique, la civilisation vient
d’imposer sa vision de la nature humaine. Si vous voulez survivre
aisément dans ce monde violent, hiérarchique, compétitif, le monde tel
qu’il est présentement, un monde déterminé par l’évolution naturelle de
l’espèce humaine (les gènes de la violence, etc.) selon les
sociobiologistes, il faut écraser les autres.
D’autres argumentent que la science (civilisée) est neutre,
qu’elle n’est pas chargée de valeurs culturelles. Ceux-ci et celles-ci
ne remettent pas en question les prémisses de ce qu’on nomme la
« science », son instrumentalisation et ses conditions d’existence.
Comment la science (civilisée) peut être neutre lorsque le corpus de
celle-ci est décidé par l’industrie, lorsque le contexte social
(société hiérarchisée) influence les cadres théoriques de la science,
lorsqu’une mise en application d’une technologie (système technique)
transforme qualitativement et quantitativement les relations sociales?
De plus, les scientifiques occidentaux ne prennent jamais en compte les
conséquences de leurs découvertes (par exemple, les déchets
radioactifs, la pollution de l’air, de l’eau et de la terre, la
destruction d’une partie de la biosphère, etc.). Les principes de base
derrière la science devraient plutôt faire parti de notre mode de vie à
tous et à toutes, et non pas être détachés des autres éléments de la
vie. Cette science devrait être partie intégrante de notre culture,
ayant comme objectif de s’insérer dans les nombreuses relations
qu’entretient la biosphère. Elle ne devrait pas être représentée par
une unité spéciale (les experts) de l’organisation sociale, qui tire un
pouvoir sur le reste de la population qui, elle, est dépendante des
premiers. La science des non-civilisés ressemblent aux expériences que
nos enfants ont avec le reste de la biosphère : ils s’émerveillent
devant elle, ils sont curieux et cherchent à comprendre, ils perçoivent
certaines choses que nous ne pouvons pas dû à notre éduction
autoritaire. Enfin, je ne comprends pas pourquoi Flood ne s’attaque pas
aux textes critiques de la science parus dans les revues anarchistes
anti-civ, dans leurs livres et sur certains sites web. Ce n’est pas
vraiment sérieux son affaire et je doute très fort que les gens comme
lui veuillent en débattre honnêtement. Je vais approfondir ce point
dans ma prochaine partie (À propos de la neutralité technologique).
Un autre problème avec ceux qui traitent les anarchistes anti-civ
de nazi est qu’ils reproduisent le discours dominant sur l’évolution
des connaissances, faisant souvent appel à l’opposition abstraite
science-mystique, rationalité-irrationalité. La vie est plus complexe
qu’un modèle théorique dualiste simpliste. Il existe d’autres manières
de rationaliser ce qu’on perçoit, ressent, observe et expérimente. Les
anarchistes anti-civ ne sont pas des adeptes de l’irrationalisme, ils
sont fondamentalement contre la destruction de la vie. Par exemple, les
méthodes d’expérimentation prônées par ceux-ci s’inspirent de la
"science non-civilisée", c’est un regard scientifique qui examine la
totalité du problème à résoudre (une approche holistique au problème)
et non seulement un de ses symptômes. L’étude d’un phénomène prend en
compte son contexte, la science elle-même fait partie d’un contexte
social, d’où elle prend toute sa signification. Dans la culture
indigène Cris, le mot « santé » inclut de facto l’environnement
naturel, attendu comme espace écologique. Les phénomènes, les concepts,
sont intereliés et inséparables. L’humain fait partie de la nature, la
dominer revient à se dominer, à se soumettre aux experts et à ceux qui
dominent socialement. La science non-civilisée est un élément culturel
parmi d’autres : tous peuvent y contribuer et se l’approprier. La
science, fondée sur l’expérience directe et subjective, a alors comme
effet l’émancipation de l’individu face à aux forces sociales pouvant
le contraindre. Dans les cultures non-civilisées, il est rare
d’observer un individu se soumettre à la volonté d’un autre, ce n’est
même pas envisageable. Toute personne qui tente d’imposer sa vision des
choses est ignorée, voire rejetée, parce qu’elle va à l’encontre du
principe de l’expérience directe, d’expérimenter soi-même, de la
réflexion approfondie, du partage de ses réflexions et de la discussion
de groupe. Ce type de science nécessite aussi une réflexion sur soi
afin de remettre en question ses propres (pré)conceptions (i.e la
pensée critique), parce que le pouvoir peut aussi s’exercer à travers
des croyances enfouies dans notre conscience : lorsqu’un individu agit
selon une (pré)conception, il peut parfois agir selon la volonté d’un
autre (souvent par ceux qui détiennent le pouvoir).
En résumé, la science n’est pas séparée des autres composantes
culturelles de la société; elle forme avant tout une conception du
monde, un regard que l’on porte sur le monde, sur la société. Dans les
communautés non-civilisées, la science est entremêlée à une forme de
spiritualité (promouvant un respect de la biosphère, ainsi que des
interprétations des événements de manière plus subjectives). Elle n’est
pas séparée de celle-ci. Les balises de la science étaient établies
selon les modes de subsistance, les relations sociales, le rapport à la
nature, etc. Les sens étaient mis à contribution, le réel était surtout
basé sur des expériences directes avec ce qui est étudié. En vivant
près des plantes, on arrivait facilement à prévoir le cycle naturel de
celle-ci; en côtoyant des animaux, on apprenait beaucoup sur leurs
comportements. L’observation attentive de l’environnement direct
(l’observation, l’écoute et autres manières de ressentir) prend une
place importante dans l’analyse des faits. Tous les sens du corps
humain sont mis à contribution dans la démarche de compréhension d’un
fait. En fait, les adultes ne freinent pas la curiosité des enfants, au
contraire, elle est encouragée. L’interprétation consciente des signaux
provenant de nos sens peut se développer et se raffiner, elle n’est pas
reléguée à l’inconscience. La rigueur se traduit dans l’attention mise
sur tous les composants de l’objet (odeurs, mouvements, détails
visuels, sons, …) et surtout sur les relations qu’il possède avec les
autres éléments de l’environnement. Enfin, ce paradigme scientifique
nous aide à interpréter les phénomènes naturels et à prévoir les
événements.
La science civilisée, tout comme la politique, l’économie et la
religion, a toujours accompagné et légitimé les différentes formes de
coercition, que ce soit l’Holocauste, la destruction des peuples
indigènes, les coups à blanc ou les viols. Et comme le souligne Jensen,
il y a un facteur qui unie ses formes de coercition : la réduction au
silence des victimes. Ainsi, pour commettre ses actes d’atrocités, il
est nécessaire « de réduire au silence les victimes avant, durant et
après l’exploitation ou l’annihilation, et la nécessité au même moment
de réduire au silence sa propre conscience et sa propre sensibilité
consciente des relations est indéniable »(28). Les différents actes
d’atrocités partagent donc entre eux des mécanismes de réduction au
silence (science, politique, économie, religion). Les usages de la
science dans de tels actes démontrent clairement les conséquences des
impératifs scientifiques modernes : en nous séparant de la nature, en
nous plaçant au-dessus de celle-ci et en présentant nos croyances comme
un système rationnel afin de légitimer la droiture de nos actions, nous
arrivons à réduire au silence les objets d’étude, les autres, ceux et
celles que nous voulons dominer, la nature que nous voulons dominer.
Une autre manière que Flood a trouvé pour lier les
anarco-primitivistes et les nazis c’est en disant qu’ « un bon tiers du
parti Nazi allemand est venu des mouvements d’adoration de la forêt et
de la terre », sauf que Flood oublie de décrire ces mouvements là. Pour
les écolos fascistes, la forêt et la terre agricole sont vues comme un
lieu privilégié pour élever des hommes forts et travaillants pour la
nation. C’est le travail de bûcher du bois et de labourer la terre qui
est l’objet de l’adoration plutôt que les arbres, les ruisseaux et les
animaux sauvages. Les valeurs préconisées par ces « mouvements
d’adoration de la forêt et de la terre » sont la discipline, le
travail, le respect de l’autorité, les symboles traditionnels, la force
virile de l’homme, etc., cela n’a vraiment rien à voir avec les
réflexions anarchistes anti-civ. La valorisation du travail, de la
force, des symboles et de la discipline sont plutôt des éléments qui se
retrouvent dans les organisations gauchistes et communistes libertaires
traditionnels. La propagande de la gauche durant la guerre civile
espagnole nous donne plein de bons exemples(29). Un membre de la NEFAC
m’a aussi affirmé que ce qui définit et rassemble les exploités de ce
monde est le travail salarié et non pas le fait qu’ils ne vivent plus
librement, qu’ils ne sont plus maître de soi et de leurs désirs, qu’ils
ont perdu la liberté de respirer, manger, chier, aimer, interagir et
entraider comme ils le désirent. L’accent devrait plutôt être mis sur
toutes les caractéristiques d’un être vivant de manière libre. Selon
lui, la seule manière d’arriver à la révolution est en combattant le
capital dans les milieux de travail et par le travail de militantisme à
travers une organisation anarchiste (la médiation de la lutte). À force
de travailler, ils n’ont plus le temps pour vivre un peu de joie, de
créer, et de réfléchir sur leurs actions.
Ce n’est pas en partant « courir avec les cerfs » comme le
souligne Flood que les nazis ont produit des armes et la machinerie de
guerre, ou qu’ils ont pu rassembler des juifs, des gitans, des
opposants, etc. dans des camps de travail et de la mort. C’est en
travaillant. Le fascisme et le nazisme se sont appuyés sur une partie
importante de la classe ouvrière pour exécuter leurs politiques. Benito
Mussolini, instructeur de formation, ancien socialiste et syndicaliste
révolutionnaire, ayant eu des liens avec certains socialistes
libertaires, a gagné l’appui d’une partie importante des ouvriers et de
la petite bourgeoisie avec les grands travaux publics et en organisant
des travaux d’infrastructures pour améliorer les villes. Flood souligne
que nous (les travailleurs) formons 99% de la population; et oui, dans
le cadre occidental de la propriété des moyens de production encadré
par un État. Ce sont aussi les ouvriers qui ont travaillé dans les
usines d’armement, ce sont des ouvriers qui ont persécuté les étrangers
dans les rues, ce sont les médecins qui ont injectés du formol dans les
cœurs de ceux et celles qui ne pouvaient plus ou pas travailler dans
les camps. C’est au nom des valeurs « supérieures » que les gens se
sont détachés de leur expérience directe avec leur environnement et ont
tués des milliers, des millions d’être vivants. Les seuls qui sont
partis courir dans les forêts sont ceux et celles qui ont tenté de
s’enfuir de ces horreurs. Ce n’est pas la première fois que cela
arrivait. Le génocide des indigènes (Tasmanie, Terre-Neuve, l’Est des
États-Unis, etc.) a été l’œuvre non seulement des militaires (ils ont
certainement participé) mais avant tout l’œuvre des colons agricoles
(des travailleurs agricoles). En Tasmanie par exemple (tout comme à
Terre-Neuve), ces derniers ont organisé une excursion d’un bout à
l’autre de l’île pour chercher et tuer tous les indigènes qui
restaient. Le capitalisme n’était qu’à un stade très embryonnaire dans
ce coin du monde. Par contre, la Civilisation (la Destinée de l’homme
civilisé) était entrée à grands pas depuis le tout début de la
colonisation. Enfin, la valorisation du travail n’a apporté que la
haine des humains libres et beaucoup d’ouvriers sont même prêts à
défendre leur propre aliénation pour maintenir leur distance envers les
autres plus « inférieurs » qu’eux.
Faut-il plus de technologies pour résoudre les problèmes sociaux et écologiques?
« L’humanité s’est inventé mille et une techniques pour se libérer
d’un certain esclavage qui se fait sentir quand il faut chaque matin
allumer le feu dans le poêle ou s’éclairer à la chandelle, mais
l’humanité n’a peut-être fait que raffiner tous les esclavages » Jean
Désy(30)
Nous allons poser notre regard sur la technologie, puisque Flood
et certains communistes libertaires ont tendance à défendre le complexe
technico-industriel(31) au lieu d’être critique face à celui-ci.
D’abord, nous allons nous pencher sur l’argument de Flood lorsqu’il
affirme que la technologie (telle que développée par la civilisation)
est « supérieure », prouvant ainsi sa croyance en la positivité de la
technologie et portant ainsi un jugement de valeur ethnocentrique sur
les formes de technologies développées dans les communautés
non-civilisées. Ensuite, nous allons argumenter contre l’affirmation de
Flood que la technologie est neutre afin de soutenir son idée que la
société révolutionnaire pourra procéder au choix des technologies
qu’elle désire avoir (on délaisse celle-là, on garde celle-là, etc.).
Cette vision de la technologie occulte l’idée de la technologie comme
système et la conçoit plutôt comme de simples « outils » (une
conception propre aux sociétés primitives et non-civilisées). La
neutralité technologique occulte aussi le contexte social des
technologies (naissance, développement, impacts, résultats de
celles-ci). Si la technologie civilisée est supérieure, comment
pouvons-nous rejeter certaines d’entre elles et en garder d’autres?
Flood désire rejeter les centrales nucléaires, les centrales au
charbon, etc., comment pense-t-il faire rouler les grosses industries?
Et finalement, nous allons voir comment le type de technologie dépend
du type de société, qu’il existe des conséquences et des impacts liés
aux technologies hors du contrôle gestionnaire de celles-ci. Nous
allons aussi voir comment une révolution technologique détermine une
transformation sociale et que seule une révolution sociale et
écologique remettant en question les fondements de la société (par
exemple, notre dépendance au système technologique) peut à son tour
déterminer un ensemble de pratiques et de techniques Aussi, Flood ne
rejette pas l’idée des experts, il sait très bien que certaines
industries ne peuvent pas être gérées à la légère. Et enfin, une
société industrielle se voulant révolutionnaire et démocratique pose
comme problème les milles et une réunion par semaine que la technologie
et la division du travail imposent.
La positivité de la technologie ou comment justifier l’ethnocide des cultures non civilisées
Selon Flood et ses semblables, une société non-civilisée mise en
contact avec la civilisation abandonnera son mode de vie (et techniques
primitives) pour adopter celui des civilisés, qui sont « supérieurs »
selon lui, sans dire selon quels critères. Portant ce préjugé
ethnocentriste teinté d’ignorance dans son interprétation du contact
avec les peuples autochtones, Flood affirme que « d’autres comme les
Inuits ont été en contact pendant de longues périodes et ont donc
adoptés des technologies supérieures à celles développées localement.
Ces derniers groupes font complètement parti de la civilisation et ont
contribué au développement de nouvelles technologies dans cette
civilisation ». OK, par où commencer? En affirmant cela, Flood
légitime, entres autres, la colonisation (l’ethnocide) des peuples
autochtones de l’Amérique du Nord en appuyant le discours officiel des
États colonisateurs sur ceux-ci. En marchandant avec certaines
tribus(32), en leur donnant des outils pouvant tuer plus d’animaux pour
la traite de fourrure, les empires coloniaux ont établi une relation de
dépendance des peuples autochtones envers la civilisation pour le
déroulement de la chasse et ont favorisé l’esprit de compétition entre
les peuples autochtones(33). Plus le temps s’est écoulé, plus les
marchands donnaient moins de munitions et de fusils, et de moindre
qualité, et exigeaient de ces peuples plus de fourrures en échange.
Après quelques temps, les membres des communautés autochtones perdaient
leurs habilités de chasser avec leurs techniques traditionnelles, ne
pouvant plus satisfaire leurs besoins fondamentaux sans l’aide des
civilisés. Lorsque le poste de traite du coin fermait ses portes ou ne
leur approvisionnait pas avec de nouveaux fusils et de munitions en
signe de punition pour leur rendement, cela causa des périodes de
famine (de vrais massacres) chez ces peuples. Alors, en plus d’avoir
causé des guerres meurtrières et de propager des bactéries de maladies
mortelles sur des objets d’échange(34), la civilisation a compris
l’importance de les rendre dépendant des technologies civilisées afin
d’arriver à les soumettre une fois pour toute.
Une fois qu’ils sont dépendants, la Civilisation s’est attardée à
la destruction de leur culture (ethnocide) en leur envoyant un paquet
de missionnaires, en construisant des églises dans leur communauté une
fois sédentarisée, en les obligeant à signer des papiers renonçant à
leurs droits sur les terres colonisées et en les forçant à se
sédentariser (en employant une coercition physique et économique), en
forçant tous les enfants à fréquenter les écoles résidentielles où leur
langue et coutume était interdit (acculturation) et où beaucoup
d’enfants sont morts de maladies dues à la malnutrition, à la proximité
et à une mauvaise gestion des égouts, ainsi qu’aux mauvais traitements
donnés aux enfants (torture, médicaments, viols, enfants battus, etc.).
Ceux et celles qui sont revenus vivants dans leurs communautés en
voulaient à leurs parents (en plus de ne pas pouvoir communiquer
ensemble), ce qui causa l’effondrement total des communautés et
l’augmentation (parfois l’apparition) des maux sociaux tels que l’abus
d’alcool et de drogues, l’abus sexuel, violence conjugale, suicides,
etc. Après tout cela, les civilisés se trouvent tellement supérieurs
lorsqu’ils affirment qu’ils sont tous des paresseux…
Mais revenons à nos Inuits. Flood mentionne que les technologies
civilisées étaient supérieures à celles développées localement. En
fait, leurs technologies (pêche sur glace, chasse au phoque sur glace,
kayak de mer, harpon et propulseur, igloo, lumière grâce à la graisse,
etc.) étaient ingénieuses et parfaitement adaptées à leur écosystème
(l’approvisionnement se fait dans l’écosystème et ces technologies ne
produisent pas de déchets nocifs pour la santé) L’appât de la
nouveauté, la relation de dépendance installée et l’attaque de leur
culture sont des causes qui expliquent pourquoi ils ont adopté les
technologies dites supérieures des civilisés, cela n’a pas été dû à un
genre d’éclair magique de la rationalité occidentale civilisée. Flood
va jusqu’à dire qu’ils « ont contribués au développement de nouvelles
technologies dans cette civilisation », peut-il nous fournir des
exemples? Faisons un détour par l’histoire des traîneaux tirés par des
chiens, trait souvent associé aux Inuits. Tout récemment, un groupe de
vieux Inuits ont dénoncé le massacre de milliers de chiens de traîneaux
par le gouvernement canadien au début de l’époque des motoneiges. Ils
ont accusé le gouvernement d’avoir procéder à ce massacre pour obliger
les Inuits à adopter (et non pas volontairement comme le prétend Flood)
cette nouvelle technologie ultra polluante (CO2, moteur à deux temps,
pétrole venue de l’extérieur, pollution par le bruit, érosion des sols,
etc.). Le gouvernement canadien rétorqua qu’il avait procédé ainsi
parce qu’il y avait plusieurs chiens abandonnés dans les rues, les
anciens ont répondu que les quelques chiens errants ne peuvent
justifier le fait que des chiens non-abandonnés ont été tués, et par
milliers. Flood n’est qu’un ignorant.
« Développement », « techno-logie » et « progrès »; des concepts positifs en soi?
Le concept de « développement » et de « progrès », qui sont
souvent attachés au concept de « technologie », n’est qu’un véhicule
idéologique pour la destruction, la soumission et le remplacement des
cultures indigènes par la culture industrielle occidentale.
L’industrialisme entraîne avec lui une particularité : il propage
l’illusion de l’accès au bonheur par la consommation marchande. C’est
ce besoin artificiel de consommer qui fait sa force et la consommation
de produits industriels (standardisés) entraîne un anéantissement de
toutes les autres formes de production et implique toujours une forme
de destruction de la biosphère. C’est aussi un point commun entre les
capitalistes et la majorité des groupes socialistes, communistes et
anarcho-syndicalistes; ils proposent tous de poursuivre et même
d’accélérer la production industrielle. C’est cette attitude que les
mouvements écologiques déplorent dans leur critique du
« productivisme » et du « scientisme », définis ici par la
« fétichisation du développement des forces productives (…) censé
assurer le progrès matériel et moral de l’humanité » et la « croyance
que les sciences et les techniques détiennent la clef de tous les
problèmes de l’humanité »(35). Dans la brochure intitulée Crise
écologique et capitalisme(36), les auteurs argumentent que le
productivisme, c’est-à-dire la recherche d’une croissance continue,
« tend à faire croire que les problèmes sociaux (pauvreté, chômage,
exclusion, etc.) sont le fait d’une insuffisance quantitative de
l’activité économique et du volume de production ». Les auteurs nous
incitent à poser la question de l’utilité de l’activité économique. En
effet, il faut se poser la question à savoir si la production proposée
engendra un appauvrissement de la vie sociale. Une perte de qualité
(par exemple de l’alimentation)? Une accentuation de l’exploitation et
de l’aliénation? Et quant est-il de la technologie (et surtout la
hyper-technologie) qui éloigne la possibilité d’une maîtrise collective
sur les moyens de production? Les technocrates, seuls aptes à en
contrôler le fonctionnement, ont un pouvoir considérable dans notre
société et mine le projet d’une société réellement égalitaire. Il y
aussi des coûts sociaux, écologiques et humains importants associés
avec toute technologie. Argumenter qu’une technologie (elle est souvent
intereliée à d’autres) est un moindre mal pour la société, pour
l’écologie ou pour les psychés nous éloigne de plus en plus d’un
contexte social soutenant des relations sociales libres, d’un mode de
vie viable écologiquement, d’une activité humaine non aliénée et
plaisante. Le danger de la foi en la science et la technique (le
fétichisme de la science) « induit une fuite en avant. Plutôt que de
chercher à traiter un problème à la racine, les efforts sont concentrés
sur la recherche d’une solution technique à ce problème. L’appareillage
technique se complexifie plus encore, et la société accroît sa
dépendance à l’égard d’une caste de spécialistes ». Après avoir
argumenté pour l’augmentation et la poursuite de l’effort
technologique, Flood dit « Je ne suis ni un « expert des transports »
ni un travailleur de l’industrie du transport donc je ne peux pas faire
plus que penser à ce que ces changements pourraient être ». Il admet
que l’avis d’un expert du transport sera plus écouté que ceux des
autres. Les milliers de très grosses assemblées formelles que les
communistes libertaires nous proposent serviront comme une vitrine pour
légitimer des décisions prises d’avance par les technocrates. Après que
l’engouement révolutionnaire du début s’écroulera(37), imposeront-ils
aux gens des assemblées obligatoires? Les anarchistes anti-civ
proposent un démantèlement du complexe technico-industriel et un
recontact à la vie, c’est-à-dire l’importance pour tous et toutes de
réapprendre tous les savoirs préindustriels qui soutiendront une vie
sociale non-hiérarchique et une autonomie individuelle et collective
(comme dans les cultures humaines non-civilisées) et qui pourraient
soutenir la société de manière viable écologiquement (qui ne nuit pas à
l’écologie d’un lieu).
À propos de la neutralité technologique
Flood argumente qu’il faut « récupérer » des technologies
existantes et en développer des nouvelles. Il parle aussi de « changer
la nature de la production », mais ne propose que « de grandement
augmenter la production de vélo, motos, trains, bus, camions et
mini-bus ». Cela prouve que Flood ne veut pas procéder à une réelle
révolution sociale et écologique, il ne propose qu’une réforme de la
société industrielle occidentale actuelle, ce qui nous ramène au
problème de départ, le communisme libertaire n’est qu’une utopie
réformiste nous amenant directement à une crise écologique.
Dans l’article de Jesse Cross-Nickerson paru dans Green
Anarchy(38), il nous expose les deux arguments qui soutiennent
l’affirmation que la technologie est neutre : « tous les humains
utilisent la technologie et les sciences que nous utilisons pour les
améliorer sont moralement neutres ». Dans un premier temps, les outils
utilisés par les peuples non civilisés du passé et du présent
n’équivalent pas à des versions primitives et brutes de technologies
modernes. Ils sont quantitativement et qualitativement différents. Une
centrale hydroélectrique ne peut pas être comparée à un sceau pour
recueillir de l’eau, ni même à un moulin à vent : la rivière n’est pas
bloquée, les trajets des poissons au lieu de reproduction ne sont pas
bloqués, les terres ne sont pas inondées, le mercure n’est pas relâché.
La rivière n’est pas à la seule disposition des humains, elle n’est pas
une « ressource » qui pourrie en attendant une gestion par l’homme. En
Inde comme au Québec ou au Brésil (et ailleurs de le monde), les États
ont déjà procédé ou vont procéder à la construction de barrages et
centrales hydro-électriques qui vont transformer radicalement les
fleuves, rivières et affluents en des séries de réservoirs. Cela
transforme l’écologie en entier, plus précisément tous les bassins
fluviaux. Cela affectera des millions de gens, des millions de
kilomètres carrés de forêts, des millions d’animaux et de végétaux. La
technologie affecte le monde à une plus grande échelle que les
pratiques primitives :
« Les gens (et tous les organismes) modifient toujours
l’environnement dans lequel ils vivent, mais le pouvoir de l’industrie
moderne de raser des forêts, d’endiguer des fleuves, de miner le sommet
des montagnes, d’altérer la chimie du sol, de l’eau et de l’air,
d’affecter le régime pluvial, d’augmenter la température et de mener un
nombre incalculable d’espèces à l’extinction excède largement les
dommages causés par la plus destructrice des cultures non modernes ».
Jesse Cross-Nickerson, De la neutralité de la technologie
La civilisation et la technologie affectent toute la biosphère. Il n’y
a jamais quelque chose de comparable dans les sociétés primitives et
non-civilisées. Outre la différence quantitative entre ces deux formes
de « technologies », il y a la différence qualitative qui les oppose.
Les « primitifs » sont autonomes; ils sont capables de fabriquer toutes
les choses dont ils ont besoin au niveau individuel, familial ou
villageois. La nourriture, les vêtements, les outils, tout, et ils sont
produits à partir de matériaux naturels (pierre, produits d’animaux,
bois, fibres végétales), en fonction de leur culture régionale et en
adéquation avec les besoins spécifiques et les désirs de gens. La
technologie moderne est à l’extrême opposé, elle « mobilise et
coordonne littéralement des milliards d’individus sur plusieurs
continents dans des systèmes qui fabriquent et distribuent des lignes
de produits industriels identiques ». Les industries (les ouvriers)
fabriquent des biens pour les autres; la seule relation qui existe est
purement économique (exploitation, consommation). La différence peut
être résumé ainsi : « la production locale, unique et à petite échelle
est remplacée par une chaîne d’assemblage globale ». Flood affirme d’un
côté que « une future société anarchiste rechercherait à abolir le
travail ennuyeux et monotone des lignes d’assemblages », et d’un autre
côté il suggère de « grandement augmenter la production de vélo, motos,
trains, bus, camions et mini-bus ». L’industrialisation a été initiée
par un regroupement forcé des artisans sous une direction, une division
du travail et une uniformité de la production (élevage de moutons
uniquement), par la suite il y a eu la mécanisation du travail
(soutenue par une source d’énergie polluante), ensuite, une division
plus extrême du travail et, finalement, un renforcement de la
surveillance, du contrôle et de la discipline des ouvriers.
L’industrie, c’est ça. Le mode de production industriel et
technologique est le pillage de la nature et du travail des humains,
ainsi qu’un contrôle social de ces derniers. Vous voulez préserver
cela, ou vous ne voulez pas? Les ouvriers doivent obéir à des ordres,
ils ne sont pas libres de fabriquer ce qu’ils désirent. La technologie
a mis la population dans une dépendance à l’égard de l’État et des
experts scientifiques. En conclusion de ce point, la technologie
industrielle « n’a pas amélioré les techniques du passé. Elle les a
remplacées par quelque chose de quantitativement et qualitativement
différent » et qu’en « reconnaissant que ces deux formes de technologie
agissent dans, et engendrent, des contextes économico-politiques aussi
radicalement différents, nous pouvons affirmer que la technologie n’est
pas neutre, mais chargée des valeurs de la culture qui l’a créée ».
Le deuxième argument qui soutient l’affirmation que la technologie
est neutre est « les sciences que nous utilisons pour les améliorer
sont moralement neutres »(39). Beaucoup de gens prétendent qu’elle est
neutre et objective, ils nient qu’elle est chargée de valeurs
culturelles. D’abord, nous savons tous que les activités scientifiques
sont financées par des subventions du milieu privé ou d’une institution
étatique. Ils ont tous un intérêt évident dans la technologie
développée (tout en se créant une image envers le public et en
profitant de crédits d’impôts). La recherche fondamentale n’est rien
comparée à l’ampleur du financement de la recherche appliquée et
commandée. Mais plusieurs anti-civ s’en prennent à l’origine du
problème de la science de la civilisation occidentale, aux bases
philosophiques de la science, aux méthodes et aux hypothèses de la
science. Par exemple, Francis Bacon avait « pour maxime que « la
connaissance c’est le pouvoir » » et que la science est « toujours liée
à des applications possibles, toujours faite pour contrôler et dominer
la nature ». Au moment de l’étude scientifique, les éléments de la
nature sont déjà, c’est-à-dire au préalable, vus comme des « ressources
naturelles » qu’il suffit d’exploiter, à une « réserve permanente »
d’énergie et de matériaux pour la technologie. La principale différence
entre la science non-civilisée et celle de la civilisation occidentale
réside dans le fait que la première se base sur l’observation de la
nature et l’autre sur l’interférence et le contrôle. Descartes aussi
participa à l’hégémonie de la science moderne et de sa conception du
monde. En plaçant le processus de la pensée rationnelle (européenne) au
centre subjectif de l’univers (en rejetant les perceptions à partir de
nos sens et de nos expériences directes), une caste d’individus
européens aisés s’est mise au centre de cet univers et, par
conséquence, elle a pu nier l’existence propre des autres êtres
vivants. En fait, elle s’est mise à percevoir les autres (les animaux,
les non-européens,…) comme n’ayant aucune représentativité, aucune
subjectivité, que des simples machines à disséquer. Comme l’affirme
Nickerson-Cross, la « fonction de chaque chose devait être définie et
contrôlée par l’homme rationnel ». Et comme l’affirme Jensen, « En
substituant l’illusion de la pensée désincarnée à l’expérience (la
pensée désincarnée étant bien sûr impossible pour quelqu’un possédant
un corps), en substituant des équations mathématiques aux relations du
vivant, et plus important, en substituant le contrôle, ou la tentative
de contrôle, à la participation complète à la nature sauvage et aux
processus imprévisibles du vivant, Descartes est devenu le prototype de
l’homme moderne »(40). Nickerson-Cross conclut donc que la science
n’est pas neutre et objective, elle est « complètement chargée de
valeurs culturelles ». Les résultats scientifiques sont des
« inventions et des abstractions produites et répliquées dans un
environnement technologique construit ». Elle fabrique la vérité(41).
John Zerzan aussi s’en prend à ceux et celles qui argumentent que la
technologie n’est qu’un outil, le mettant sur le même pied d’égalité.
Il argumente que les outils sont conçus come une extension du corps
humain et non pas comme un système technologique. La technologie (et sa
complexité) nécessite une expertise dans sa manipulation, une
coordination centralisée des procédures, un nombre important d’heures
de travail et de type de travail obligatoires pour subvenir au bon
fonctionnement de la technologie, une maîtrise et un contrôle des
facteurs externes, et elle apporte comme conséquence une soumission de
l’activité humaine pour la mettre à sa disposition, des produits
standardisés de moindre qualité, des impacts nuisibles non visibles à
première vue, et un nouveau pattern culturel soumis aux exigences
technico-industrielles. La technologie est alors définie comme
« l’ensemble de la division du travail / production / industrialisme et
son impact sur nous et sur la nature »(42). Elle est devenue
omniprésente dans nos environnements et elle nous soumet à elle. Nous
en sommes au point où nous passons par elle dans notre rapport avec le
monde naturel et même dans nos relations aux autres. Le contrôle que la
technologie nous a procuré réduit considérablement notre contact avec
le monde vivant.
Le développement technologique est allé de pair avec l’aliénation
des humains, avec le travail forcé de la majorité de la population et
la division du travail à temps plein imposée. La division du travail,
quant à elle, réclame « un contrôle relativement complexe de l’action
en groupe; en fait, elle exige que la communauté toute entière soit
organisée et fermement dirigée »(43). Il existe une différence
qualitative énorme entre le travail collectif et partagé, et le travail
différencié, avec des rôles, des statuts, des distinctions, i.e la
hiérarchie sociale. Le développement technologique a donc été un moyen
pour soutenir cette hiérarchie naissante, mais aussi pour renforcer
cette aliénation, c’est-à-dire pour rendre plus efficace le travail des
esclaves, et pour mieux surveiller leur travail et comptabiliser leur
production.
Finalement, un incontournable de la critique de la technologie est bien
sûr Jacques Ellul et plusieurs anarchistes anti-civ se sont basés sur
ces travaux. En fait, c’est lui le premier qui voit dans la technologie
tout un système autonome. Il affirme que « C’est maintenant la
technique qui opère le choix ipso facto, sans rémission, sans
discussion possible entre les moyens à utiliser... L'homme (ni le
groupe) ne peut décider de suivre telle voie plutôt que la voie
technique »(44). La technologie nous impose plus de travail pour faire
fonctionner celle-ci; c’est nous qui nous adoptons aux exigences de la
technologie, c’est nous qui devenons à son service, pas le contraire.
Il énumère plusieurs exemples qui démontrent son point dans ses livres.
Les plus importants ouvrages qui abordent cette réflexion sont La
technique ou l'enjeu du siècle (1954), Le système technicien (1977) et
Le bluff technologique (1988).
La société hiérarchisée a créé la technologie à ses fins, la
technologie détermine maintenant le vécu et les relations sociales,
tout en détruisant la biosphère.
Les technologies développées pour purifier l’air, pour traiter
l’eau usée, pour soigner les malades, etc… sont complètement inutiles
si nous ne contaminons pas l’eau, si nous ne produisons pas de déchets
non décomposables, si on sait comment composter notre marde, si nous
prenons le temps de bien se nourrir, de se reposer, de connaître les
propriétés thérapeutiques des plantes qui nous entourent, de prendre
soins des enfants, de ne pas se tuer à la tâche. C’est seulement une
révolution qui peut amener un tel changement, c’est par une
actualisation de pratiques sociales nous offrant une plus grande
liberté, une plus grande autonomie, qui doit être concrétisée dès
aujourd’hui si nous voulons inspirer la population vers des
éco-communautés libertaires. Flood propose plutôt une révolution dans
la gestion des entreprises couplée avec un développement raffiné de la
technologie. C’est une contradiction qu’il (et ses partisans) doit
aborder de front : les technologies complexes sont des technologies qui
éloignent la possibilité de les maîtriser par un grand nombre de
personnes, en plus de demander beaucoup de travail dans sa conception,
sa fabrication, son transport et son entretien. Et que vont faire les
organisations communistes libertaires avec les populations qui refusent
d’exploiter les « ressources naturelles » présentes dans leur région et
nécessaires aux technologies des premiers? De plus, vont-ils forcer la
population à travailler dans les mines? Vont-ils exiger des produits en
échange(45)? Vont-ils construire des camps d’éducation populaire pour
tous ceux et toutes celles qui ne croiront pas à leur utopie? Je ne
pense pas que Flood et les anarchistes pro-civilisation réalisent ce
qu’impliquent de faire rouler la Machine, de faire fonctionner toutes
les infrastructures technico-industrielles qu’ils tiennent tant à cœur
(l’énergie demandée et ses conséquences écologiques – exploitation non
viable et production de déchets touchant non seulement qu’eux –, le
nombre d’heures de travail souvent désagréable et aliénant, la
coordination centralisée du travail et la spécialisation obligatoire).
Il y a aussi l’espace demandé (d’immenses territoires) par ces
infrastructures et pour obtenir un mode de vie civilisé qui pose
problème (par exemple, l’inondation et la contamination de territoires
loin des centres urbains). Que proposent-ils dans les cas de désaccords
(ce qui va arriver presque tout le temps)? Des référendums nationaux à
répétions? Puis que feront-ils avec ceux et celles qui ne sont pas
prêts de contaminer leur environnement pour les besoins de la
civilisation et qui s’en foutent de la majorité abstraite? Que
feront-ils avec les gens qui ne travailleront pas plus que pour la
satisfaction simple de leurs besoins fondamentaux (et de ceux et celles
autour d’eux qui vont dans ce sens), c’est-à-dire qui ne travailleront
pas pour soutenir les infrastructures rêvées par certains? Enfin, que
feront-ils pour atteindre l’efficacité demandée par plusieurs
productions?
Les anarchistes anti-civ nous invitent à réfléchir à tous les
aspects de la technologie : le contexte social de son apparition, les
exigences pour fabriquer et maintenir une technologie, les impacts et
la transformation sociale qu’engendre une technologie, la perte
d’autonomie provoquée par la technologie et la relation de dépendance
qu’elle peut créer chez des utilisateurs face à celle-ci et à des
experts, et finalement, la division du travail obligatoire issue du
système technique mise en place et la relation hiérarchique qui émerge
de cette organisation du travail. La société de masse implique : une
concentration de la population dans un lieu physique (proximité), une
infrastructure sanitaire pour éviter une catastrophe due à la proximité
(système d’aqueduc et d’égout, gaspillage de terre arable,
contamination des terres et des nappes phréatiques), un système
d’exploitation intensive de la périphérie pour soutenir cette
concentration (fertilisant, engrais, pesticides et insecticides
chimiques pour les activités agricoles; l’exploitation de grandes mines
à ciel ouvert ou non, contamination des lacs et des nappes phréatiques
pour l’extraction des minerais; l’exploitation forestière intensive
pour soutenir la demande des centres urbains), une soumission de
l’activité des groupes humains vivant dans la périphérie aux intérêts
du centre urbain, une acculturation des savoirs spécifiques aux régions
et une domination culturelle du centre urbain, un système routier,
ferroviaire, navigable et aéronautique pour le transport des « matières
primaires » et « transformées » vers les centres urbains et entre les
centres urbains demandant une consommation énorme de carburants
fossiles ou non (impliquant quand même une contamination, ie. les
piles), des industries de transformation de la matière première
(procédés consommant beaucoup d’énergies et contaminants
l’environnement avec les produits ajoutés et/ou les résidus de la
transformation), une production industrielle de produits standardisés,
uniformes, de moindre qualité demandant à une majorité d’individus de
s’aliéner au travail avec des gestes répétitifs et routiniers, une
production énergétique impliquant une destruction environnementale
(déchets radioactifs, piles, contamination des sols, des rivières, des
nappes phréatiques, pollution de l’air – CO2, méthane, particules de
métaux lourds –, pollution visuel et par le bruit) et une consommation
standardisée, imposée et contrôlée.
Enfin, le projet communiste libertaire tel que proposé par Flood
n’aborde pas la contradiction entre la diversité des désirs humains
dans une société anarchiste et l’uniformisation et la centralisation
des actions individuels afin de maintenir les infrastructures
technico-industrielles. L’industrie et la technologie imposent une
division du travail et des hiérarchies engendrés par ses
infrastructures. La division du travail et des statuts d’experts
(pouvoir) ont à leur tour des impacts négatifs sur les relations de
travail et entre producteur-consommateur. Enfin, tout en poursuivant la
destruction des équilibres écologiques des bio-régions, l’autogestion
des infrastructures technico-industrielles exigera mille-et-une
réunions, le développement de bureaucraties (pouvoir politique) pour
faire fonctionner ces nombreuses assemblées et pour coordonner les
activités de ces fédérations à grande échelle et, finalement, la
continuité de la représentation politique dans ces instances. Imaginez
6 millions de personnes présentes à une assemblée de la centrale
hydro-électrique. Si vous fixez à 50 (par exemple) le nombre de
participants à ces assemblées, ça fait quand même 1 délégué pour 120
000 personnes. Croyez-vous que tout le monde pourra jaser avec son
délégué? Cela prendrait aussi 120 000 assemblées pour réaliser une
rotation complète de la tâche de délégué.
Conclusion
Les organisations communistes libertaires n’offrent pas
d’alternatives viables écologiquement, ni de projets réalistes. Elles
n’affrontent pas les problèmes de la destruction de la biosphère (ex.
l’épuisement des sols), la pollution des éléments naturels
(contamination de l’air, de l’eau et de la terre), la baisse et
l’extinction des espèces animales et végétales, et la rupture des
équilibres écologiques. Il est encore temps d’abandonner votre job de
militant, de cesser de fétichiser l’Organisation, de vous éloigner des
militants paraissant agir. Si certains veulent faire un musée de
l’anarchisme tel que présent au 19e siècle, allez-y, rien ne vous
l’empêche.
La vie sur terre est profondément bouleversée par la civilisation. Il
est grand temps de commencer à réfléchir par soi-même et de présenter
des perspectives révolutionnaires ouvertes, humbles, basées sur des
expériences vécues et des rêves. Nous devons nous adapter à notre
contexte social, aux circonstances, aux liens sociaux présents et que
nous pouvons créer dans nos communautés, et à notre bio-région. Nos
réflexions théoriques doivent inspirer une pratique révolutionnaire
émancipatrice et autonome. L’anarchie est un processus, elle est vécue
par tous et toutes, et elle est perpétuellement en train de se
réaliser. Mettons fin à notre culture mortifère (voir les autres –
humains et non humains – comme des objets manipulables), à nos
relations dictées par le pouvoir au lieu de l’entraide. Nous ne pouvons
pas décider à la place des autres, nous sommes que responsable de nos
actions individuelles, de notre groupe affinitaire, et de notre
communauté.
Nous pouvons conclure que la réflexion anarchiste sur la
civilisation ne peut être ignorée. Il est tout-à-fait pertinent de
réfléchir sur les questions soulevées par cette réflexion. En étant
pour la diversité et le respect des formes d’organisation sociale
non-hiérarchique, je serais ouvert à créer des liens avec des
communautés communistes libertaires, mais pour éviter des conflits
post-révolutionnaires entre anarchistes, je trouve cela primordial
qu’ils abordent de manière critique les questions de :
- L’anthropocentrisme (conception du monde où l’homme est séparé de la
nature et est placé au centre du monde) / par rapport au biocentrisme
(conception du monde où l’humain fait partie de la nature, où il
s’intègre harmonieusement dans les relations présentes dans la
biosphère);
- L’exploitation de la nature, la production industrielle et la
production de nuisances / par rapport aux communautés autosuffisantes
et viables écologiquement;
- Les implications de la sédentarité (constructions permanentes,
frontières marquées et surveillées, agriculture intensive, etc.) / et
du nomadisme (habitations faites à partir de matériaux décomposables,
habitations temporaires, déplacements en lien avec les saisons de
chasse, de pêche, de cueillette, et de récolte appropriée, etc.).
Kipawa
Septembre 2008
Écrit pour la Mauvaise Herbe
mauvaiseherbe@riseup.net
Note en bas de page
Conclusion
Par exemple, la proposition de guerre de HO contre plusieurs
anarchistes (2007), les menaces d’HO proférées contre John Zerzan en
mai 2008 pour sa venue à Montréal et les critiques de la NEFAC (à
partir des arguments d’Andrew Flood pour la plupart) à l’atelier sur
l’anarco-primitivisme et l’anthropologie à la journée des ateliers
anarchistes du salon du livre anarchiste de Montréal (2008).
2 Par exemple : Philippe Pelletier, Émile Gravelle, Honoré Bigot, Henri Zisly et Tanguy l’Aminot
3 Il y a une liste intéressante des livres sur le site web de Green Anarchy, dans la section des lectures recommandées.
4 Daniel Quinn, Beyond Civilization, p.53
5 « Au-delà des visions utopistes. Le rejet d’une société idéale », dans Green Anarchy
6 L’exemple de Flood n’est pas un hasard, tous les personnes
pro-civilisations croient en l’utilité de l’exploration spatiale et
espère un jour que la NASA découvre une planète habitable. Commençons
par régler nos problèmes ici avant de vouloir coloniser l’espace. C’est
une attitude irresponsable de vouloir à tout prix chercher à coloniser
des planètes extrêmement loin au cas où ça ne marcherait pas ici.
Penchons-nous plutôt sur la racine du problème ici, sur le pourquoi qui
nous pousserait à chercher ailleurs. Et même si l’improbable arrivait
(on découvre une terre habitable), si aucune fusée contenant du
plutonium explose d’ici là sur Terre (du plutonium est une substance
mortelle et hautement cancérigène), règlerons-nous quelque chose en
allant reproduire notre mode de vie sur cette autre planète? Et ne vous
leurrez pas, c’est surtout pas vous, ni vos amis, ni votre famille, qui
iront sur cette navette spatiale coloniser la nouvelle planète, sauf si
vous êtes liés aux quelques grands puissants de ce monde. Et je n’ai
rien à foutre de l’affirmation humaniste « ne soyez pas égoïste,
l’important c’est que l’humanité trouve un refuge ailleurs, c’est donc
pour le bien de l’humanité que l’exploration spatiale est importante ».
Ceux qui détruisent activement la nature et les cultures humaines (au
profit d’une culture mortifère) ne sont pas représentatifs de
l’humanité.
7The Lessons of Easter Island & The story of the Passenger Pigeon, de Clive Ponting
8 Un rapport très intéressant a été réalisé sur l’impact du progrès sur
la santé des peuples indigènes. Le titre du document est Progress can
kill; how imposed development destroys the health of tribal peoples,
une publication de Survival International, édité en 2007, disponible
sur www.survival-international.org/
9 Dans Contre l’Histoire, Contre le Léviathan! De Fredy Perlman
10 Dans Beyond Civilisation, de Daniel Quinn
11 My Name is Chellis and I’m in Recovery from Western Civilization, Chellis Glendenning
12 Les énergies « vertes » sont très discutables : les panneaux
solaires et les éoliennes nécessitent des piles pour stocker
l’électricité, ce qui contribuent à une contamination à long terme; les
centrales hydroélectriques nécessitent l’inondation de plusieurs
kilomètres de terres, à l’extinction ou massacres de plusieurs espèces
animales et végétales, et à la contamination au méthylmercure de
plusieurs autres espèces, etc.
13 Il existe un excellent conte écologique à ce sujet qui s’intitule Pourquoi on ne peut pas tuer un Dodo.
14 Aliments des vergers – rendements de la production; principes pour opérer une terre recouverte de forêts
15 L’épuisement de la terre : L’enjeu du XXI e siècle.
16 Il existe quelques méthodes semi-agricoles /semi-cueillettes (comme
la permaculture et le woodland gardening) qui peuvent aussi constituer
une alternative écologique intéressante à l’agriculture. D’après Simon
Henderson, la permaculture est l'utilisation de l'écologie comme base
pour concevoir des systèmes intégrés de production de nourriture, de
logement, de production d'énergie et de développement social. D’après
Masanobu Fukuoka, « plus les conditions de culture ressemblent au
milieu naturel de prédilection de la plante en question, meilleur est
le rapport kilojoules dépensés / kilojoules récoltés ».
17 A Language Older than Words, p.86
18 Pour comprendre la déforestation des forêts de Mésopotamie, voir
l’analyse de Robert Harrison de l’ouvrage littéraire le plus ancien de
l’histoire Gilgamesh, dans Forêts, Essai sur l’imaginaire occidental
(1992), p. 35-42
19 Il est important de préciser qu’il n’existe pas de consensus sur
l’exactitude des faits entourant le « Pic du pétrole », ni sur les
impacts possibles qu’une telle crise auront sur la population mondiale
chez les anarchistes anti-civilisation.
20 « De la neutralité de la technologie », Jesse Cross-Nickerson, dans Green Anarchy #24 Été 2007
21 Dans La société contre l’État
22 Traduction libre d’un extrait de A Language Older Than Words de Derrick Jensen, p.312
23 « Les naturiens, les précuseurs de l’écologie », Dominique Petit,
texte tiré de la brochure Crise écologique et capitalisme, La Question
sociale.
24 cité par Petit, Henri Zisly, « La conception du naturisme libertaire », dans Invariance, novembre 1918.
25 Cité par Petit, Henri Zisly, « Voyage au beau pays de Naturie », dans Invariance, mai 1900.
26 induit par mon expérience personnelle en recherche. Voir aussi la
brochure Le future triomphe, mais on n’a plus d’avenir, Groupe Oblomoff
27 Demonic Males, cité par Derrick Jensen dans A Language Older Than Words, p.117, traduction libre des citations p.126.
28 Traduction libre d’une citation tirée du livre de Derrick Jensen, A Language Older than Words, p.263
29 Par exemple, les affiches montrant un homme musclé avec une masse et
des industries en arrière plan ou un tracteur agricole sur un champ.
30 Jean Désy, Du fond de ma cabane, p.25
31 J’utilise le terme « technologie » pour me référer au « complexe
technico-industriel », puisque c’est la signification moderne du mot
technologie.
32 Pour comprendre la dynamique des postes de traite avec les peuples
autochtones de la forêt boréale, lisez la brochure Naskapi Independence
and the Caribou d’Alan Cooke.
33 De raids ayant comme but d’humilier l’autre, certaines populations
indigènes sont passées à tuer certains membres des autres communautés,
et même à exterminer les autres tribus.
34 Pour comprendre le génocide et l’ethnocide subit par les peuples
autochtones de l’Amérique du Nord, lisez la brochure État, Hydro-Québec
et Résistance Cris d’Edgar Guérin (Édition Mauvaise Herbe). Les livres
de Ward Churchill sont très pertinents à ce sujet.
35 Du Grand Soir à l’Alternative, Alain Bihr, p. 173 à 175
36 « Économie, progrès, fins ou moyens », La Question sociale, dans Crise écologique et capitalisme
37 Un exemple récent serait la chute du nombre de participants dans les
assemblées populaires de quartier et les mouvements de sans-emploi , et
la désintégration du mouvement contestataire vécue en Argentine en
2002.
38 « De la neutralité de la technologie », Jesse Cross-Nickerson, Green Anarchy, #24, Été 2007
39 « De la neutralité technologique », Jesse Nickerson-Cross, dans Green Anarchy #24, Été 2007
40 A Language Older Than Words, Derrick Jensen, p.10, cite aussi par Jesse Cross-Nickerson dans son article
41 Pour ceux et celles qui s’intéressent à la critique de Descartes (et
qui continuent d’avoir la foi en ce personnage), je vous suggère
fortement de lire la page 1 à 42 du livre A Language Older than Words
de Derrick Jensen . J’espère traduire pour bientôt le premier chapitre
de ce livre (p. 1 à 16) où la philosophie de Descartes est clairement
exposée et critiquée.
42 Traduit de « Technology », John Zerzan, article disponible sur Insurgent Desire.
43 Aux sources de l’aliénation, John Zerzan, p.92
44 Le système technique, 1977 p. 245
45 comme le mec qui voulait absolument sa bouteille de vin même s’il
habitait une région qui n’a pas de bons vignobles, article paru dans le
NorthEastern Anarchist (NEFAC).
« Ce colon américain avait raison quand il a écrit "Aussi longtemps que
nous nous gardons occupés à labourer la terre, il n'y a aucune crainte
que n'importe lequel d'entre nous devienne sauvage." Aussi longtemps
que nous nous gardons occupés (…) à bâtir des digues pour bloquer des
rivières, à prendre des notes dans des classes ennuyeuses et à compter
les heures de nos journées de travail assommantes, il n'y a aucune
crainte que n'importe lequel d'entre nous devienne sauvage. Ni, et ça
revient un peu au même, il n’y a aucune crainte que n'importe quel
d'entre nous devienne qui nous sommes vraiment » Derrick Jensen, A
Language Older Than Words, Traduction libre
LA MAUVAISE HERBE
Hors-série
On peut lire le texte d'Andrew Flood
Civilisation, Primitivisme et anarchisme
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