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Noam Chomsky s’entretient avec El Espectador, 28 mars 2008
En novembre prochain, George W. Bush abandonne la présidence. Quel héritage, selon vous, va-t-il nous laisser ?
Son héritage sera d’avoir détruit tout ce qu’il touche. Sur le plan international, il a créé une incroyable catastrophe en Irak et il a abîmé l’image des Etats-Unis dans le monde. En outre, sa politique intérieure, la plus néfaste depuis la Seconde Guerre Mondiale, nous a plongés dans une crise économique aux proportions gigantesques.
Bush est-il, comme le disent de nombreux analystes, le pire président de l’histoire des Etats-Unis ?
Oui, je dirais ça.
Quelle a été la pire de ses actions ?
L’Irak, sans aucun doute. Ce pays est la plus grande tragédie de ce siècle. L’invasion a détruit ce pays ; c’est une catastrophe. Sa stratégie, qu’il défend avec tant de force, c’est de créer une série de « seigneurs de la guerre » qui contrôlent de petits territoires mais qui, dans un avenir proche, finiront par se faire la guerre les uns les autres. Bush est un désastre total qui a conduit à un énorme développement du terrorisme.
Quand croyez-vous que prendra fin cette boucherie en Irak ?
Je pense comme John McCain, le prochain président des Etats-Unis, qui affirme que cela durera cent ans. Les candidats démocrates parlent de retirer des troupes, mais avec beaucoup de précautions et de réserves. En plus, si on considère ce que font le Gouvernement et le Congrès on ne peut pas croire que la fin soit proche : on construit d’énormes bases en Irak, peut-être les plus grandes au monde, et ils ne font pas ça pour les démanteler ensuite.
Mais pourquoi rester en Irak si la guerre est perdue ?
On n’aurait pas envahi l’Irak si ça ne représentait pas une très grosse prise et c’est ce que c’est puisque c’est en Irak que se trouvent les secondes réserves de pétrole les plus importantes au monde. L’Irak est au milieu des principaux pays producteurs de pétrole dans le monde. George W. Bush a été très clair lorsqu’il a déclaré qu’il n’y aurait pas de limites aux actions militaires des Etats-Unis en Irak pendant qu’il soutient que l’économie irakienne doit être ouverte aux investissements étrangers, tout en privilégiant les investissements nord-américains. Il a été très franc. Nous allons voir ce que fait son successeur.
A propos des élections, qui les électeurs redoutent-ils le plus de voir à la Maison Blanche : un noir ou une femme ?
Pourquoi pas un militaire, qui reste la troisième possibilité ? C’est très difficile de dire. Mon sentiment c’est que McCain va probablement l’emporter. La raison est que le Parti Républicain dispose d’un appareil à diffamer hautement efficace et très professionnel qu’il n’a pas encore mis en route. Mais dès que l’un des deux candidats sera désigné, il mettra en application ces stratégies qui seront très efficaces.
C’est ce qui s’est passé lors des précédentes élections quand tout le monde pariait que Bush allait être battu ?
Oui. Lors des élections de 2004 il y avait deux candidats. Bush qui avait évité le service militaire au Vietnam et Kerry qui, lui, avait fait l’armée, avait pris part aux combats dans les zones le plus dangereuses et avait été décoré pour son courage. Comment ça s’est terminé ? Lorsque les républicains eurent mis en marche leur appareil à diffamer, Kerry fut présenté comme le candidat le moins patriote et Bush fut présenté comme un héros militaire.
Et où en est le phénomène Obama ? Beaucoup de gens parient sur lui comme futur président.
Lorsque le Parti Républicain aura procédé à ses énormes opérations de diffamation fondées sur des mensonges, nous verrons bien s’il est si bien placé.
Comment ça marcherait avec Hillary Clinton ?
Eh bien, il y a toute une machination de haine envers Clinton qui est déjà en train de produire son effet. On parle de beaucoup de délits graves durant l’administration Clinton. Elle figure dans le classement des personnes les moins appréciées du pays, comme résultat de 10 ans de turpitudes et de mensonges. C’est une machinerie très efficace.
Comment évaluez-vous les relations entre les Etats-Unis et l’Amérique Latine ?
Eh bien, si on regarde les sondages faits dans la région, l’animosité envers les Etats-Unis et leur politique a beaucoup augmenté durant la présidence de Bush. Tant son administration que les leaders politiques des deux partis sont très préoccupés par ce qui est en train de prendre de l’ampleur en Amérique Latine. La Colombie est une exception.
Essentiellement, sur quels points la stratégie des Etats-Unis échoue-t-elle en Amérique Latine ?
Pendant très longtemps les Etats-Unis ont considéré comme un fait acquis qu’ils domineraient et contrôleraient l’Amérique Latine, ses richesses naturelles, les investissements, les gouvernements, entre autres. En fait, un point clé de la politique des Etats-Unis c’est que “si nous ne pouvons pas contrôler l’Amérique Latine, comment pourrons-nous contrôler le reste du monde ? » Eh bien, pour la première fois de son histoire, l’Amérique Latine est hors de contrôle. Il y a une tendance vers l’intégration de l’Amérique Latine : la Banque du Sud, les réunions de Cochabamba où les leaders d’Amérique Latine ont discuté d’une union du genre Union Européenne, et le Mercosur, entre autres. Ces données sont une nouveauté dans l’histoire du continent.
Vers où se dirige l’Amérique Latine avec tous ces changements ?
Pour la première fois, la majorité du continent est en train de commencer à mettre le nez dans ses graves problèmes intérieurs et ce développement est très préoccupant pour les Etats-Unis. Par le passé, ils avaient été capables de les contenir en usant de deux méthodes : la première c’était la violence et la seconde : l’étranglement économique. La Colombie est un bon exemple de la méthode violente : en 1962 Kennedy envoya en Colombie une mission de forces spéciales pour conseiller les forces militaires colombiennes et le conseil fut qu’il fallait contrôler la population au moyen de la terreur paramilitaire. Cela a changé la nature des militaires colombiens. Même si la Colombie était déjà une société violente, inutile d’expliquer ce qui s’est passé par la suite. Le conseil fut suivi avec des conséquences horribles. Mais il n’est plus aussi simple d’utiliser la violence pour abattre des gouvernements et mettre en place des dictatures. La dernière fois qu’ils ont essayé, c’est au Venezuela, en 2002, mais ça n’a pas marché en partie à cause de la forte opposition manifestée par le reste de l’Amérique Latine.
On a supputé la participation des Etats-Unis dans l’opération qui a causé la mort de Raúl Reyes. Y a-t-il des faits pour corroborer cette hypothèse ?
Vous parlez de l’assassinat de Reyes... Nous n’avons pas d’information probante, mais c’est une hypothèse très raisonnable. Rappelez-vous quand et qui a été assassiné. Ils ont tué une personne qui était au centre des négociations pour l’échange de prisonniers et celui qui était le plus engagé pour une possible négociation. Il n’y a pas besoin d’être un génie pour comprendre ce que cela signifie : la Colombie et les Etats-Unis ne veulent pas rendre possible l’échange de prisonniers et ils ne veulent pas de la diplomatie ni de la négociation. Le moment où cela s’est produit aussi est intéressant puisque l’opération a eu lieu juste avant la convocation d’une manifestation de masse contre la terreur paramilitaire en Colombie. Il est difficile d’éviter de tirer des conclusions en partant de tels faits.
Croyez-vous qu’il y ait une possibilité qu’Ingrid Betancourt ou les trois nord-américains soient libérés ?
Il y a des possibilités, mais la mort de Reyes les réduit considérablement. Je présume qu’elle avait été planifiée dans ce but étant donné que les conséquences sont évidentes. La personne qu’ils ont tuée était au centre des négociations.
Pourquoi George Bush a-t-il été si passif à l’heure de chercher une sortie négociée pour libérer les trois nord-américains ?
Il n’a pas été passif. Il a été actif dans la mesure où il s’est opposé à cette libération. Son administration, comme ses prédécesseurs, a offert une énorme quantité d’aide militaire à la Colombie, la seconde la plus importante au monde. Les négociations sont humiliantes pour les Etats-Unis. Ils préfèrent une solution militaire plutôt qu’une solution diplomatique.
Que pensez-vous du rôle de Chavez dans ces négociations ?
Il était au centre de la négociation. On pourrait lui reprocher bien des choses quant à son style, mais le fait est qu’il jouait indiscutablement le rôle nécessaire pour mettre en route les négociations. Il est en contact avec les FARC et il a des relations avec la Colombie, il est donc le médiateur le plus naturel. Les gens peuvent critiquer sa façon de mener à bien le processus, mais l’importance de son rôle est indiscutable.
Précisément à cause de son style, Chavez ne devient-il pas un danger régional ?
Bien entendu le Venezuela est une menace, mais c’est une menace pour le modèle de développement et, en raison de ses initiatives, il favorise l’intégration de la région. Le Brésil ne considère pas le Venezuela comme une menace ; ils ont, en fait, de très bonnes relations.
La Colombie, par contre, n’a pas de très bonnes relations avec ses voisins. Ses relations spéciales avec les Etats-Unis n’en sont-elles pas la cause ?
Oui, mais il faut ajouter ses propres problèmes intérieurs. Ce n’est pas moi qui vous apprendrai que l’histoire violente de la Colombie a débuté il y a cent ans.
Que pensez-vous de la politique étrangère d’Alvaro Uribe ?
Sa politique étrangère ?
Oui.
En Colombie ?
Oui.
La politique étrangère de la Colombie est, pour l’essentiel, sous la dépendance des Etats-Unis.