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L’attaque contre les régimes spéciaux, et celui des
cheminots en particulier, a débuté en fait pendant la présidentielle,
avec l’externalisation de la Caisse de prévoyance et de retraite (CPR)
(voir CA n° 171). Le prétexte : répondre à de nouvelles normes
anglo-saxonnes en matière de comptabilité ; il fallait, disait-on,
provisionner dans les comptes de la SNCF toutes les dépenses
prévisibles, y compris les pensions versées aux retraités jusqu’à leur
mort. De 8 à 114 milliards d’euros ( !) devaient ainsi être
provisionnés, sauf si on faisait sortir la CPR du giron de la SNCF.
Sud-rail, l’UNSA puis FO ont combattu cette externalisation, tandis que
les autres, avec en tête la CGT, premier syndicat à la SNCF,
accompagnaient cette première attaque d’envergure contre le régime de
retraite des cheminots. Et la CGT, tout en dénonçant les fauteurs de
troubles, annonçait fièrement : “ Le régime spécial n’est ni remis en
cause ni même fragilisé dans le cadre d’éventuelles discussions en
2008. (…) l’ensemble des droits (âge de la retraite, calcul de la
pension, prestations maladie…) est garanti ” (Fédé CGT-cheminots, 11
avril 2007). On pourrait en rire si ce n’était dramatique, et un signal
fort pour patrons et gouvernement que la curée pouvait commencer. Au
lendemain de l’élection de Sarkozy était signé le premier décret de
sortie de la CPR, et celle-ci n’appartient plus à la SNCF depuis le 1er
juillet.
La seconde attaque d’envergure a été celle contre le
droit de grève dans les transports terrestres (SNCF, RATP et compagnies
ayant des missions de service public), avec le vote d’une loi-cadre en
plein mois d’août. Elle sera rendue effective le 1er janvier 2008 à la
SNCF, après des discussions entre les autorités organisatrices et
celle-ci (la SNCF étant un simple prestataire de services auprès des
régions pour les TER et Transilien). Sans entrer dans les détails,
cette loi dite du “ service minimum ” compliquera la mise en œuvre
d’une grève pour les cheminots. Et bien qu’il y ait d’autres grands
sujets de préoccupation à la SNCF (milliers de suppressions d’emplois
au fret, salaires peu revalorisés, réorganisations multiples, problèmes
de sécurité dus à l’insuffisance d’investissements, et surtout
quasi-accident avec des nouveaux entrants privés), c’est l’annonce de
Sarkozy concernant les régimes spéciaux, après sa rencontre avec les
responsables des confédérations les 21 et 22 septembre, qui va mettre
le feu aux poudres le 18 octobre.
La SNCF avait préparé sa comm depuis des semaines : “ plan de
communication ”, diaporama, dossier dans le journal d’entreprise, mails
multiples, 350 cadres désignés dans les établissements pour diffuser la
bonne parole depuis la ligne hiérarchique jusqu’aux agents… Mais, en
dépit de tous ses moyens, la direction a fait un flop jusque auprès de
ces cadres, puisque près de 50 % d’entre eux étaient en grève le 18
octobre. Il faut dire que la première attaque contre la CPR avait
incité certaines fédérations syndicales, notamment Sud-rail, à
rassembler toute une documentation pour informer les cheminots sur les
menaces pesant sur leur régime de retraite – et une véritable bataille
a eu lieu à ce sujet par mails ainsi que par de nombreuses tournées
syndicales, heures d’information syndicale et, bien sûr, distributions
de tracts à la fois aux cheminots et aux usagers. Sur le droit de grève
d’abord, puis sur les régimes spéciaux – en expliquant que c’était le
dernier verrou à faire sauter avant l’attaque contre l’ensemble des
régimes, et plus globalement le signal de l’offensive du gouvernement
et du patronat pour casser tous les droits obtenus par les salarié-e-s
depuis des décennies.
L’attitude des syndicats dans cette affaire
Si Sud-rail, suivi depuis quelques semaines par FO, a
fait un énorme boulot d’information, on ne peut en dire autant des
autres – et notamment de la CGT : il a fallu attendre la dernière
minute pour la voir distribuer des tracts en catimini, et quels
tracts ! Il ne faut pas faire d’agitation, disaient-ils aux militants,
nous ne sommes plus en 1995 (et alors ?) ; on doit attendre l’interpro,
ne pas apparaître corpo… Et, paraît-il pour gagner les autres
professions, on devait rejouer à des grèves de 24 heures afin
d’attendre les autres.
Le 18 octobre a été historique par son taux de grévistes, puisque selon
la direction nous étions 75,6 % en grève (la plus forte journée en
1995, soit le 23 novembre, le taux était de 67 %). Mais comment est-on
passé d’un tel succès le 18 octobre à 15 % sur la région de Paris
sud-est dès le 19 ? La trahison (prévisible) des conducteurs de la
FGAAC sur des aménagements de la contre-réforme pour les mécaniciens et
la volonté de la Fédération CGT de stopper la grève en plein vol ont
été payantes (seuls 10 % des secteurs CGT n’ont pas suivi la fédération
et étaient pour reconduire la grève).
La CGT reproche à la FGAAC ses négociations en coulisse, mais elle a la
même stratégie qu’elle,après la mobilisation du 18 octobre : accepter
la remise en cause du régime de retraite pour obtenir quelques
aménagements sur la forme ; et présenter ces aménagements comme de
grandes victoires, ou des concessions importantes obtenues grâce à la
lutte impulsée par la CGT-cheminots contre les manœuvres de division
des jusqu’au-boutistes tel Sud-rail. Pour illustration : “ Nous
appelons l’ensemble des cheminots à rester vigilants face à certain
battage médiatique qui diffuse des contrevérités autour de
reconductions massives de la grève à la SNCF. Cette communication a
pour objectifs l’isolement des cheminots, l’éclatement de la lutte
interprofessionnelle qui se construit, et donc l’opposition entre
salariés du privé et du public, en véhiculant l’image d’une lutte
corporatiste ” (extrait du communiqué du secteur fédéral des cheminots
CGT dans la région de Strasbourg). Autrement dit, ceux qui proposent de
battre le fer quand il est chaud et sont pour que les secteurs très
mobilisés entraînent les autres sont des alliés objectifs de Sarkozy –
alors qu’une longue grève de cheminots modifierait le climat social du
pays. Pour ne pas vouscouper du secteur privé, gens du public,
comportez-vous comme lui : ne faites pas grève. En somme, harmonisons
par le bas : Tous ensemble, tous ensemble, ne faisons pas grève ! Si la
lutte interprofessionnelle menée par la CGT se construit avec la même
ardeur que celle de la fédération CGT-cheminots – quasiment aucune
tournée et aucun tract dans les secteurs CGT sous contrôle –, ce
chantier de construction risque de durer pas mal de décennies…
Pour autant, ces manœuvres de certains appareils syndicaux pour
empêcher la reconduction de la grève ne suffisent pas à expliquer que
le mouvement soit retombé aussi fortement du jour au lendemain.
D’autres éléments ont joué :
Une
majorité de cheminots, parmi laquelle près de la moitié des cadres
SNCF, tenait à exprimer son mécontentement par une journée, “ mais
seulement une journée ”.
Compte
tenu de la situation sociale et politique en France, seule une minorité
d’entre eux pense que l’on peut gagner par une grève longue.
La plupart ne sont pas dupes au point de croire qu’un arrêt de 24
heures, même renouvelé dans un mois, permettra de vaincre le
gouvernement. Mais ce qui est perçu comme une absence de perspectives
pousse à ne pas envisager de poursuivre la grève, la division syndicale
renforçant cette position Consciemment ou non, une part importante des
cheminots qui ont fait grève le 18 espèrent obtenir des aménagements de
la “ réforme ” pour adoucir ses conséquences en matière de rémunération
de la future pension. Dans ce schéma, ce sont les fédérations d’accord
(même si elles ne le disent pas encore ouvertement) pour accompagner la
“ réforme ” sur des aménagements de taux et de durée de décote, les
années où s’appliqueront les 40 annuités pour le taux plein, etc., qui
vont avoir le vent en poupe.
MAIS AU FAIT, QU’A “ OBTENU ” LA FGAAC ?
Pas grand-chose. Le syndicat des pièces jaunes a accepté le passage à 40 annuités de cotisation pour le taux plein, puis 41 en 2008, 42 en 2012, 45 en ?? ; le système de décote pour tous les cheminots (un système de double peine qui vous enlève encore du fric) ; la fin des bonifications traction pour les embauchés après 2009. Pour les agents de conduite seulement (10 % des cheminots), la retraite passerait de 50 à 55 ans (grande victoire…), avec l’instauration d’un système de retraite complémentaire par capitalisation. Par exemple, un agent de conduite commençant son service à la conduite à 23 ans pourra partir à 50 ans, mais attention il subira une décote de 5 années (55-50) qui s’ajouteront aux 13 années manquantes pour sa retraite à taux plein ( 40 ans – 27 ans de cotisation = 13). Une retraite de misère… S’il part à 55 ans, ce même agent de conduite ne se verra pas appliquer la décote de 5 ans : son calcul de retraite se fera en tenant compte des 8 années manquantes.(40 – 32). Le système de complémentaire par capitalisation pourra atténuer en partie l’effet de la diminution de la pension de ces 8 années manquantes.
Que va-t-il se passer maintenant ?
Lundi 22, une interfédérale cheminots s’est tenue à
PARIS. La CGT a invité in extremis Sud-rail (elle n’a donc pas été
exclue, comme à l’interfédérale précédente du 10 octobre, avec FO).
Mais depuis le 24 octobre se déroulent avec le ministre du Travail des
bilatérales auxquelles Sud-rail n’est pas invité car ce syndicat est
peu fréquentable, selon Bertrand).
A l’issue de ces bilatérales, qui ne doivent pas discuter d’un fond non
négociable, les fédérations de cheminots se retrouvent le 31 octobre
et, “ si d’aventure le gouvernement refusait de revoir sa copie, il
porterait la responsabilité d’un conflit plus long ”, nous dit le
communiqué commun. (Mais Sarkozy va-t-il avoir peur ?)
D’autre part, l’ensemble des organisations syndicales des entreprises
disposant d’un régime spécial devraient se rencontrer pour décider des
futures mobilisations.
Enfin, les syndicats de fonctionnaires ont décidé d’une journée de
grève et manifestation le 20 novembre sur d’autres thèmes que les
retraites (effectifs, salaires…).
La pire des éventualités, c’est la défaite, sans véritable combat : les
seuls combats que l’on est sûr de perdre sont ceux que l’on refuse de
mener.
Une nouvelle journée d’action sera donc envisagée, cette grève sera
peut-être reconductible, mais comme les chances que cela parte seront
quasi nulles, même la CGT pourra y appeler. Ensuite, après une ou deux
journées de grève avec des taux de grévistes de l’ordre de 30 à 40 %
démarreront des “ négociations ” sur des miettes.
Seconde quinzaine de novembre , l’ordre règne à la SNCF comme partout
ailleurs, les fêtes approchent et il n’y a plus qu’à attendre les
municipales , et l’avalanche des projets du MEDEF mis en musique par
son valet Sarkozy. La rupture en termes de rapidité et de brutalité des
mesures du patronat va être effective dès 2008, même si depuis deux
décennies au moins elles se mettent en place petit à petit. Si d’autres
luttes ne viennent pas bouleverser ce scénario, comme par exemple une
grosse mobilisation dans les universités, l’avenir sera très très
sombre...
A
MOINS QUE L’ON ARRETE DE SUBIR ET que, CONSCIENTS DE NOTRE FORCE PAR LA
GREVE, ON NE BOULEVERSE TOUS LES JEUX POLITICIENS ET SYNDICAUX !
Christian, OCL-Paris
Courant Alternatif N° 174 Novendre 2007
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