Center Park: la nature mise au service de la spéculation immobilière
Roybon, ses 1283 habitants, son bois communal des Avenières dans la forêt des Chambarans. Fin 2007, Marcel Bachasson, maire de Roybon annonce triomphalement l'installation d'un Center Parcs dans sa commune. Sur 200 hectares, Pierre & Vacances construira plus de 1000 bungalows de 60 à 80 m2, une immense bulle chauffée toute l'année à 29°C avec piscine et équipements ludiques et un dôme où s'entasseront boutiques et restaurants, bref une ville de 5000 habitants au coeur du bois des Avenières. Des bombages et deux, trois banderoles « Non au Center Parcs » apparaissent rapidement au bord des routes. Puis quelques opposants au Center Parcs distribuent des textes aux habitants de Roybon et environs, créent un blog et questionnent en tout sens l'installation du parc de loisirs. Pourquoi un bois communal est-il privatisé pour l'intérêt de quelques-uns? Que signifie passer des vacances dans un camp fermé? Pourquoi au nom du développement durable, soit-disant attentif à l'environnement, aseptise-t-on la nature? Ces quelques opposants mettent sur leur blog(1) une importante documentation trouvée sur internet, dans les journaux et bouquins où l'on apprend, entre autres, les dessous financiers du projet, soit comment l'argent public est utilisé pour des intérêts privés.
Les finances publiques viennent à l'aide de l'immobilier
Pierre & Vacances voulait installer son 5ème Center Parcs français
dans la région Rhône- Alpes. Après hésitation, c'est finalement l'Isère
qui est choisie. André Vallini président du Conseil général de l'Isère
explique: « Nous étions en concurrence avec la Drôme et la Saône et
Loire qui n'ont pas eu les moyens de subventionner la structures à
notre hauteur ». L'Isère a mis sur la table des négociations 15
millions d'euros, répartis entre la modernisation des réseaux d’eau et
d’assainissement ce qui permettra au village vacances Center Parcs
d'être raccordé (8 millions d'euros) et l'aide aux investisseurs en
résidence de tourisme (7 millions d'euros). Cette dernière décision a
provoqué des remous parmi les conseillers généraux isérois qui n'ont
pas tous apprécié de soutenir des investisseurs fonciers privés. Les
conseillers généraux font l'impasse sur le financement d'un
contournement routier qui devrait être construit spécialement pour la
venue du Center Parcs. Le conseil municipal de Roybon a alors pris la
maîtrise d’œuvre des travaux, pour la bagatelle de 4,5 millions
d'euros, un investissement plutôt conséquent pour une petite commune.
D'autres collectivités publiques, comme la Communauté de Communes du
Pays de Chambaran, mettent la main à la poche. La région Rhône-Alpes
finance elle aussi ce projet. Sept millions iront à l’insertion et la
formation professionnelles de personnes peu qualifiées - soit en
pratique pour des emplois aidés et des formations en cuisine et service
-, à la maîtrise des impacts environnementaux - pour mieux surfer sur
la vague du développement durable et permettre la gestion des 1600
tonnes de déchets prévus, le soutien à la structuration de la filière
bois -et oui, les bungalows du Center Parcs seront en bois!- et la
promotion du tourisme local et régional. Après 40 ans de pratique, la
société Pierre & Vacances sait comment soutirer les financements
publics. Il se murmure même dans les couloirs de l’Assemblée nationale
que plusieurs amendements permettant la défiscalisation des biens
immobiliers et autres déductions fiscales sont surnommés amendements
Brémond, du nom du fondateur de Pierre & Vacances.
Les offres d'emploi à la rescousse
L'attractivité du futur village vacances semble telle que les problèmes
se dissolvent au fur et à mesure de leur apparition. Les ingénieurs
découvrent que le bois est en zone humide au sol instable? Pas grave,
les bungalows pourraient être construits sur pilotis. Un grain
d'exotisme cela ne fait pas de mal au marketing... Plus sérieusement,
des mesures contraignantes devront être prises. Enthousiaste,
l'association écologique Frapna propose d’appliquer une méthodologie
innovante, expérimentée en région PACA, pour garantir une définition et
un contrôle de ces mesures contraignantes de façon optimale. C'est pas
beau comme l'association marche main dans la main avec Center Parcs.
Espèrent-ils recueillir 200 000€ de Pierre & Vacances, comme leurs
amis du WWF ? Au-delà de la faisabilité des habitations de ce
lotissement résidentiel, se pose le problème de l'utilisation de
l'espace. Le bois des Avenières, où doit se construire le village, est
communal? Les chasseurs qui y ont un droit de chasse pourraient
s'énerver? Qu'à cela ne tienne, la mairie de Roybon leur trouve un
nouveau terrain. Et les terres vendues à Pierre & Vacances au prix
du terrain agricole (30 centimes le m2) deviennent constructibles par
la grâce d'une légère modification du PLU (plan local d'urbanisme) et
du Schéma directeur. Mais cela ne semble rien pour la commune au vu des
700 emplois attendus. Pierre & Vacances ne choisit en effet pas son
futur terrain commercial en fonction de la seule beauté des sites. Il
jette son dévolu sur des zones à fort taux de chômage, notamment les
régions classées en Zones de revitalisation rurale, source d'avantage
financier, où il peut proposer comme une manne inespérée 700 emplois.
Des jobs principalement dans le secteur du nettoyage, mais aussi des
bars et points restauration, des activités de loisirs, encore une
soixantaine dans l'administration et la sécurité, et une autre poignée
dans les commerces et la maintenance. Toutefois, les 700 emplois prévus
correspondent en fait à 460 emplois équivalent temps plein, avec des
propositions de CDI ... à 9 heures par semaine. Ailleurs en France, des
employés du Center Parcs et des « naufragés de la bulle »(2)
manifestent et lancent des cris de détresse contre des salaires qui
plafonnent sous le SMIC et des licenciements en cascade. « Compression
d’effectifs, toujours plus de rendement ! Nous faisons des bénéfices en
France et pourtant Pierre & Vacances devenu 100 % actionnaire de
Center Parcs est en train d’étouffer ce dernier et renvoie nos emplois
en Hollande qui eux sont déficitaires. Certaines personnes concernées
sont déjà fragilisées par leur vie personnelle et nous nous sentons
isolés. Faudra-t-il faire la Une des journaux avec « Premier suicide
chez Centerparcs » pour que cette course infernale, lancée par des
financiers peu intéressés du sort de ces salariés qu’ils jettent à la
rue avec des indemnités dérisoires, alors qu’eux seront grassement
récompensés par une prime d’objectif atteint ? ». Le président du
Conseil général de l'Isère a d'ailleurs été interpellé par un syndicat
au sujet des problèmes récurrents d'emplois dans cette usine à loisirs.
Mais, lui pense peut-être comme le président de Pierre & Vacances,
Gérard Brémond, qu'en France « aujourd'hui, 20% du territoire
hexagonal accueille 80% des touristes. Ce qui veut dire qu'il y a un or
vert : l'intérieur du territoire offre des potentialités énormes.». Et
ils ne vont pas se gêner pour l'exploiter.
1- chambarans.unblog.fr
2- Des salariés de Center Parcs visés par une procédure de
licenciements économiques collectifs (certains ont plus de 20 ans
d'ancienneté) ont écrit aux maires, à leur député et aux journaux
locaux.
Ecrit par , à 20:05 dans la rubrique "
Economie".