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Brésil : prison pour les Sans Terre
Lula a traité de vandale le groupe de paysans qui a fait irruption dans le Congrès pour réclamer la confiscation de propriétés où se pratique le travail-esclave. L’establishment brésilien a criminalisé la protestation sociale.

Francinelli Denizia Aséncio porte un piercing dans le sourcil, t-shirt ajusté et jeans : une fille d’apparence urbaine qui mardi dernier avec 500 autres militants du Mouvement de Libération des Sans Terre (MLST), en majorité des paysans, ont pris d’assaut le Congrès brésilien. Francinelli, une de 21 ans avec une fille de 5, a gagné de la notoriété après que les journaux télévisés ont montré l’adresse avec laquelle elle a mis en pièces plusieurs ordinateur en quelques minutes, munie d’une pierre attachée à un noeud. La furie paysanne lancée contre le siège du pouvoir institutionnel a pris au dépourvu la classe politique brésilienne en vacances obligées pout Mondial de Football. Le président Luiz Inácio Lula a réagi avec une véhémence inédite face aux mouvements sociaux avec lesquels il maintient de vieux liens d’amitié. "Ce que nous avons vu n’a pas été une scène de démocratie mais de vandalisme (...). Qui a pratiqué ce vandalisme le payera".

Le Mouvement des Travailleurs Ruraux Sans Terre, MST, surgi au début des années 80, a été plus prudent que Lula dans les qualificatifs sur le MLST, une scission surgie de ses rangs à la fin des 90. Cela dit, le MST, la plus grande organisation sociale brésilienne, avec près d’un million de paysans installés dans des fermes expropriées ou en voie d’expropriation dans une grande partie des 27 états de l’Union, n’a pas caché ses divergences avec le MLST, dont la présence territoriale et la capacité de mobilisation sont inférieures au MST. Dans son organe de presse, le Brasil de Fato, le MST a caractérisé les événements de mardi, qui se sont soldés par 46 blessés et 507 arrestations, comme une cause "juste" défendue par une tactique "désastreuse".

MST et MLST sont des héritiers des luttes paysannes des années 60, et des Communautés Ecclésiastiques de Base, qui depuis 1974 s’interesse à la politique agraire, ce qui a donné lieu à la création de la Pastorale de la Terre. Le MST comme le MLST critiquent sévèrement la politique économique du gouvernement du Parti des Travailleurs (PT) pour la trouver soumise au pouvoir financier. Ils refusent également la logique du "système institutionnel", à la différence du PT, en combinant des stratégies de lutte en dedans et du dehors du système, sans se plier aux temps des partis. Ce sont des organisations "mouvementistes", identiques à celles qui ont porté Evo Morales au gouvernement en Bolivie : "Eux (cocaleros boliviens) et les piqueteros argentins sont nos grands compagnons", avait affirmé Joao Pedro Stedile, leader du MST, à ce journal il y a quelque temps. Mais tandis que le MLST choisit comme cible le Congrès, le MST préfère occuper des grandes propriétés rurales et, dernièrement, détruire des laboratoires où des semences transgéniques sont conçues.

Brasília est à environ mille kilomètres de Sao Paolo et Río de Janeiro, les principaux collèges électoraux du pays. Il faut des jours pour arriver au Palais du Planalto (Présidence) et du Congrès depuis les grandes villes. Les mobilisations ne sont pas monnaie courante dans la Capitale Fédérale.

"Le Congrès écoute les revendications des banquiers et des entrepreneurs, mais il ne veut pas écouter les travailleurs. Les travailleurs sont reçus ici", a dit Marcos Praxedes, un des coordinateurs du MLST avant d’être arrêté par la police et logé dans une prison où il est inculpé, avec ses compagnons, de délits communs.

La politique de mardi n’est rien face à la délictueuse, beaucoup plus organisée et armée qu’a déployé il y a quelques semaines le Premier Commando de la Capitale (PCC), cartel qui contrôle les prisons de Sao Paolo et qui a montré compter sur une pénétration appréciable dans les favelas de cet État. Des leaders conservateurs et (dé)formateurs d’opinion ont établi des analogies entre le MLST et le PCC, en exigeant de dures condamnations contre les activistes détenus. Il s’agit de "criminaliser" la protestation sociale : "bandits, c’est ce que sont ceux du MLST", a dit Jose Newmanne Pinto, journaliste du quotidien Estado de Sao Paolo.

Au Congrès brésilien, les rangs corporatifs ont l’habitude d’avoir autant ou plus de poids que les partisanes. Une preuve de cela est la capacité de pression exercée par le bloc des policiers, des maîtres de casinos et grands propriétaires fonciers, avec à leur tête le député Rolando Caiado, qui a critiqué Lula pour être tolérant et pour maintenir un dialogue avec les paysans. Caiado appartient au Parti du Front Libéral (PFL), de même que Inocencio Oliveira, un propriétaire foncier inculpé pour avoir "des esclaves" dans ses exploitations. Mardi, Oliveira a exigé, sans succès, que les activistes du MLST soient délogés de l’enceinte des Députés par l’armée. Une des exigences du MLST était l’expropriation immédiate de propriétés dans lesquelles a été détecté du travail-esclavage.

Depuis Sao Paolo, Darío Pignotti, Pagina/12 (Argentine), 9 juin 2006. Traduction : Fab , santelmo@no-log.org

 

Bruno, le leader du MLST
Le leader du Mouvement de Libération des Paysans Sans Terre, Bruno Maranhao, a milité dans le Parti Communiste Révolutionnaire Brésilien, l’une des organisations armées qui a résisté à la dictature militaire dans les décennies 60 et 70.

Après un exil en France et au Chili, il a co-fondé en 1980 le aujourd’hui gouvernant Parti des Travailleurs (PT). Maranhao a appartenu au directoire national du PT jusqu’à il y a deux jours, quand il a été séparé de sa charge en raison de la violente protestation au Congrès.

Fils d’une famille fortunée, ingénieur mécanique de 64 ans, Maranhao a refusé l’offre pour prendre le contrôle de l’entreprise familiale, la distillerie d’alcool combustible Libertad. Le jeune Bruno a expliqué à son père que administrer une entreprise n’était pas le propre d’un ennemi déclaré de la propriété privée. Ce mardi, tandis que le MLST prenait le Congrès, le MST occupait les plantations de canne à sucre de l’usine Estrelhina, dans l’Etat de Pernambuco, propriété de la famille Maranhao.

Darío Pignotti, Pagina/12 (Argentine), 9 juin 2006. Traduction : Fab, santelmo@no-log.org
Ecrit par libertad, à 14:07 dans la rubrique "International".



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