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Bref voyage dans l’économie qui n’existe pas
--> De Luciano Lanza
Lu sur réfractions : La naïveté de cette phrase, tirée d’un opuscule de Marco Giambelli, Comment il arriva qu’un peuple vive sans argent, publié à Milan en 1954, en fait tout le prix. Elle exprime et accentue la vulgate économique anarchiste jusqu’aux années 60. Giambelli (surnommé Marchino), un anarchiste qui avait survécu au fascisme, s’était formé politiquement dans le grand sillage politico-théorique d’Errico Malatesta. Il s’agit si peu d’un personnage de troisième ordre qu’un intellectuel anarchiste tel qu’Ugo Fedeli signa la préface de son opuscule.

Dans une large mesure, Giambelli représente ce que les anarchistes pensaient, et pensent encore souvent, de l’économie, réduite à l’instrument qui permet la circulation des biens, la monnaie : « l’ennemi le plus terrible ». En d’autres termes, l’économie n’est pas analysée comme un domaine du social devenu autonome, mais exclusivement comme l’instrument des patrons pour exploiter les travailleurs, le peuple.

La vulgate malatestienne

Cette affirmation, dans sa simplicité, exprime un fait indéniable, mais en cache des dimensions plus complexes. Giambelli est principalement un vulgarisateur de Malatesta. Mais Malatesta, tout en reconnaissant qu’il a « très peu de compétence en économie » (L’Agitazione, 14 octobre 1897), soutient que la forme économique n’est pas importante afin de concentrer son attention sur le contexte social et éthique dans lequel la forme économique se trouve insérée.
Il faut souligner ici, et précisément à partir de Malatesta, que parler de théorie anarchiste à propos d’économie signifie décrire une absence plutôt qu’une présence. Dans l’imaginaire anarchiste, la révolution sociale fera table rase de tous les problèmes économiques : la nouvelle société ne connaîtra pas d’économie, entendue comme science de la société de domination.
La figure et la pensée de Malatesta sont à l’origine de cette manière de poser le problème. Il s’agit toutefois d’un Malatesta « revu et corrigé » par les militants. Les écrits de Malatesta, déjà simples parce qu’ils sont un distillé de ses connaissances et de ses expériences, sont simplifiés encore dans la propagande. On ne pourra donc guère parler (avec quelques exceptions importantes) que d’un « parfum d’économie ».
Certes, il faut reconnaître que Malatesta se place dans un espace théorique a-économique : pour lui, la transformation sociale n’est pas conditionnée par la forme économique, et la structure sociale ne dépend pas de l’économie.
En 1929, il écrit : « Quelles formes prendront la production et l’échange ? Qui triomphera, le communisme [...], le collectivisme [...], l’individualisme [...], ou d’autres formes composites que l’intérêt individuel et l’instinct social, éclairés par l’expérience, pourront suggérer ? Probablement toutes [...] jusqu’à ce que la pratique enseigne quelle est la meilleure, ou les meilleures, des formes [...]. Mais, vraiment, ce qui est important, ce ne sont pas les formes pratiques de l’organisation économique, c’est qu’elles soient guidées par l’esprit de justice et le désir du bien de tous, et qu’on y arrive librement et volontairement. »
« Quelques considérations sur le régime de la propriété après la révolution »,
Il Risveglio, 30 novembre 1929.
Néanmoins, à cette position, Malatesta ajoute des réflexions plus approfondies, que viendront contredire celles de ses exégètes du type de Giambelli. En 1922, Malatesta écrit :
« D’habitude, dans notre camp, on résout la question de manière simpliste en disant qu’il faudra abolir l’argent [...]. Mais, aujourd’hui, la question est autrement plus compliquée. L’argent est un puissant instrument d’exploitation et d’oppression ; mais c’est aussi le seul moyen (hors de la dictature la plus tyrannique ou l’accord le plus idyllique) trouvé jusqu’à présent par l’intelligence humaine pour réguler automatiquement la production et la distribution. »
« La révolution en pratique »,
Umanità Nova, 7 octobre 1922.
Bien que Malatesta soit donc bien plus cohérent sur le problème de l’économie que ne le voudrait une certaine tradition anarchiste, il n’en demeure pas moins qu’avec lui nous tenons l’une des plus claires visions de la non-pertinence de l’économie pour la transformation sociale. Et ce principalement dans la pensée anarchiste la plus proche de notre époque.

Les libres producteurs de Proudhon

Tel n’a pas toujours été le cas. Pierre-Joseph Proudhon, l’un des premiers penseurs à utiliser le terme « anarchie » dans un sens positif, fonde une grande partie de ses propositions de transformations sociales sur des structures économiques.
Une société composée de libres producteurs qui se développe à partir d’accords libres dans un contexte fédératif est le premier pas, selon Proudhon, pour conjuguer socialisme et marché, marché et mutualisme. D’où une vision dynamique de l’économie : la libre concurrence comme moteur du développement social, mais une concurrence qui trouve dans le mutualisme le correctif qui lui permet de ne pas glisser au monopole. Proudhon introduit le marché dans la logique d’une société libertaire, parce qu’il considère indépassable la loi de la valeur dans sa double articulation, valeur d’usage et valeur d’échange.
« Or, la capacité qu’ont tous les produits, soit naturels, soit industriels, de servir à la subsistance de l’homme, se nomme particulièrement valeur d’utilité ; la capacité qu’ils ont de se donner l’un pour l’autre, valeur d’échange. [...] Ainsi, la distinction établie dans la valeur est donnée par les faits et n’a rien d’arbitraire : c’est à l’homme , en subissant cette loi, de la faire tourner au profit de son bien-être et de sa liberté. »
Système des contradictions économiques. Philosophie de la misère, 1846.1
Ayant ainsi posé le problème de la valeur, Proudhon en arrive à l’élément fondateur du marché, l’échange.
« L’offre et la demande, que l’on prétend être la seule règle des valeurs, ne sont autre chose que deux formes cérémonielles servant à mettre en présence la valeur d’utilité et la valeur en échange, et à provoquer leur conciliation. Ce sont les deux pôles électriques, dont la mise en rapport doit produire le phénomène d’affinité économique appelé échange. » 2
Dans cette vision, le marché devient le lieu où se manifestent les « affinités économiques », et non un lieu de combat. Mais, afin que le marché possède cet aspect, il faut reconnaître que « c’est le travail, le travail seul qui produit tous les éléments de la richesse, et qui les combine jusque dans leurs dernières molécules selon une loi de proportionnalité variable, mais certaine ».3
Là, Proudhon est au cœur de la théorie de la valeur-travail : elle est liée au socialisme qui doit réévaluer le travail comme seul, ou principal, créateur de richesse sociale. Sa position est plus idéologique que scientifique. Cette position est par ailleurs présente aussi dans l’anarchisme américain, souvent nommé hâtivement versant libéral de l’anarchisme.
L’anarchiste américain Josiah Warren avait déjà écrit sur la prééminence du travail dans la définition de la valeur d’un bien. Pour Warren, le prix d’un bien ne devrait pas être déterminé par son utilité, mais selon le principe du travail. Ce qui signifie que le temps employé et la difficulté à produire un bien en déterminent le prix. Warren définit sa théorie comme un « échange égal basé sur le coût comme limite du prix ». Pour donner un caractère concret à ses idées, Warren ouvrit un petit commerce, Time Store, où l’on vendait tous les biens d’usage quotidien. À quel prix ? Une étiquette donnait la liste des heures employées à la production du bien, et, à cette somme, on ajoutait 4 % destinés à couvrir les frais de gestion. Ces idées peuvent sembler extravagantes (comme la banque fondée par Proudhon qui accordaient des prêts à taux zéro), mais dans certains endroits des États-Unis celles-ci fonctionnent encore : il suffit de penser à la circulation de bons d’heures de travail, utilisés comme monnaie parallèle, à côté des dollars traditionnels. Ces deux penseurs, Proudhon et Warren, introduisent dans les premières formulations de l’anarchisme le concept à première vue libéral de la concurrence économique, mais Proudhon, surtout (et plus tard le disciple de Warren, Benjamin Tucker), arrivera à mettre en évidence les ravages causés par la concurrence :
« La concurrence tue la concurrence. » 4 parce que « le monopole est le terme fatal de la concurrence, qui le crée par une incessante négation de soi-même » 5
La théorie anarchiste est si multiple, si pluraliste qu’à côté de penseurs « libéraux », nous en trouvons aussi des « communistes ». Les guillemets sont obligatoires dans les deux cas, parce qu’à l’évidence ces mots ne doivent être compris que comme de très approximatives indications.

La conquête du pain ?
Oui, mais pas seulement

Le plus important représentant du communisme anarchiste est certainement Pierre Kropotkine. Ce grand penseur anarchiste, fondateur en un sens du courant positiviste de l’anarchisme, adopte une approche de l’économie qui ne s’écarte pas de la rationalité habituelle (résultat maximal pour effort minimal) même si elle est insérée dans une vision humanitaire. Le travailleur doit dépenser le moins possible de ses forces, mais ceci n’enlève rien au fait que le positivisme de Kropotkine soit, au fond, essentiellement en syntonie avec les économistes de son et de notre temps. Avec toutefois la capacité d’anticiper de quelques décennies sur les études liées à la théorie des besoins. Il écrit :
« N’est-ce pas aussi l’étude des besoins qui devrait gouverner la production ? »
La Conquête du pain. 6
Ici, Kropotkine, quoique de l’intérieur d’une approche économiciste (très sui generis), renverse la question : ce n’est pas le marché qui doit déterminer les quantités à produire et à échanger, mais ce que manifeste le sujet désirant. L’homo économicus est remplacé par l’homme pris en soi et pour soi, sujet libre qui librement manifeste ses préférences. Et de fait : « Mais dès que nous l’envisageons (la production) de ce point de vue, l’économie politique change totalement d’aspect. Elle cesse d’être une simple description des faits et devient une science, au même titre que la physiologie : on peut la définir, l’étude des besoins de l’humanité et des moyens de les satisfaire avec la moindre perte possible de forces humaines. Son vrai nom serait physiologie de la société. Elle constitue une science parallèle à la physiologie des plantes ou des animaux qui, elle aussi, est l’étude des besoins de la plante ou de l’animal, et des moyens les plus avantageux de les satisfaire. » 7
La dimension organiciste de Kropotkine embrasse là tout le savoir humain, même une « science » telle que l’économie (destinée pourtant à bien d’autres fins) se plie à une vision holistique.
En suivant cette direction, le « communisme » de Kropotkine débouche sur l’explication et la légitimation de la recherche du luxe : « Si nous voulons la révolution sociale, c’est certainement, en premier lieu, pour assurer le pain à tous, pour métamorphoser cette société exécrable [...]. Mais nous attendons autre chose de la révolution. [...] Et, comme tous les hommes ne peuvent pas et ne doivent pas se ressembler (la variété des goûts et des besoins est la principale garantie du progrès de l’humanité), il y aura toujours, et il est désirable qu’il y ait toujours, des hommes et des femmes dont les besoins seront au-dessus de la moyenne dans une direction quelconque. » 8
On peut conclure ce très court voyage à travers « l’économie inexistante » dans la pensée anarchiste avec ce dépassement de l’économie par la physiologie de la société. Nous n’avons pas tenté ici une analyse complète de tous les penseurs anarchistes qui se sont occupés d’économie (nous n’y trouvons pas, par exemple, et d’autres pourraient s’en charger, les anarchistes espagnols qui, avant, pendant et après la révolution de 1936, ont écrit à ce sujet, même s’ils se préoccupaient moins de théorie que d’organisation de la production et de la distribution dans un contexte libertaire ou révolutionnaire), parce que notre intention était de mettre en lumière les trois points théoriques principaux de la réflexion anarchiste sur l’économie. C’est-à-dire l’approche proudhonienne : l’économique comme élément constitutif de la société de libres producteurs et consommateurs en concurrence entre eux. L’approche kropotkinienne : le dépassement de l’économie dans une société édifiée sur l’entraide et projetée vers une harmonie où la concurrence n’a pas sa place. Et, enfin, l’approche pragmatique de Malatesta qui subsume entièrement l’économique dans le social.

Luciano Lanza

traduit de l’italien par Jean-Manuel Traimond


1. Proudhon et Marx, Philosophie de la misère. Misère de la philosophie, édité par le groupe Fresnes-Antony de la Fédération anarchiste, Paris, 1983, tome I, chap. II : « De la valeur », p. 60.
2. Ibid., p. 71.
3. Ibid., p. 76.
4. Ibid., chap. V : La concurrence, p. 177.
5. Ibid., chap. VI : Le monopole, p. 218.
6. Pierre Kropotkine, la Conquête du pain, Stock, Paris, 1900, p. 236.
7. Ibid., pp.236-237.
8. Ibid., pp. 132-133.
Ecrit par rokakpuos, à 05:11 dans la rubrique "Economie".



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