Prologue à l’édition bolivienne de Zapata à Wall Street – apports à la théorie du changement social de John Holloway, septembre 2006
(...)
L’espérance, cette lumière qui parcourt le monde, s’est mise à briller avec
une intensité particulière en Bolivie. L’espérance que oui maintenant les
choses vont changer, que oui maintenant va se créer une société plus juste,
que cette fois il va se libérer une énergie créative jusque là ancrée dans
la boue de la misère et de l’hypocrisie. Cette lumière de l’espérance brille
en Bolivie mais se voit dans le monde entier, dans ce monde tant affamé
d’espérance.
Cette espérance ne sort pas de rien. C’est le produit de longues années de
lutte, d’organisation et de spontanéité, de tradition orgueilleuse et
d’innovation créative. Dans les dernieres années beaucoup de personnes sont
mortes dans les mêmes luttes qui ont créé la base de l’espérance de ce
moment. Le gouvernement actuel ne sort pas d’une campagne électorale mais
des luttes qui ont rendu célèbres dans le monde entier les noms de
Cochabamba et d’El Alto.
Cette espérance, qui a surgit des luttes de tant de gens et de du sang de
tant de gens abattus, porte en elle une grande responsabilité. Nous ne
pouvons permettre que tombe cette espérance, comme tant de fois elle est
tombée dans tant de parties du monde : l’Union Soviétique, la Chine, le
Vietnam, le Brésil, Cuba peut-être. Ces espérances perdues nous viennent
avec des noms annexés, les noms de ces responsables de ces désillusions :
Staline en la U.S., Deng en Chine, Lula au Brésil, etc. Les noms varient
bien sûr selon l’interprétation particulière mais pour beaucoup le nom de
Staline est le grand symbole de la trahison de l’espérance.
Il semblerait alors que la responsabilité de l’espérance bolivienne tombe
sur les épaules de Evo, Alvaro et des membres du gouvernement. Mais cela ne
peut en être ainsi. La lutte n’a pas seulement été leur lutte mais la lutte
de beaucoup, beaucoup de gens. L’espérance est l’espérance de beaucoup,
beaucoup de gens. Et par conséquent la responsabilité est de beaucoup,
beaucoup de gens. La lutte n’a pas été déléguée à d’autres et l’espérance et
la responsabilité ne peuvent être déléguées à d’autres. On rejette la faute
de la trahison de l’espérance sur les leaders mais la véritable trahison
n’est pas celle du leader sinon plutôt la notre au moment où nous remettons
notre lutte, notre espérance, notre responsabilité dans les mains d’un
leader.
C’est une question de comment nous organisons-nous. Il existe des formes
d’organisation qui se construisent sur la base de la délégation de nos
luttes, espérances, responsabilités à des leaders, l’Etat est l’exemple le
plus évident. Il y a d’autres formes d’organisation qui cherchent à
articuler et à renforcer notre propre responsabilité collective : celles ci
incluent les assemblées, les conseils ou autre forme de nous rassembler qui
surgissent de toute situation de révolte et qui donnent expression et
reconnaissance à la dignité active qui existe en chacun(e) de nous. Celles
ci sont les uniques formes de renforcer et approfondir la lutte des
espérances. Séparer la lutte des gens et la déléguer aux leaders peut
seulement affaiblir la lutte, aussi intelligents et honnêtes et engagés que
soient ces leaders.
Ce livre a ces questions comme préoccupation centrale. La plus grande partie
du livre a été publiée à l’origine en Argentine sous le titre Keynésianisme
: une illusion dangereuse. Le keynésianisme est la politique de l’Etat
providence, qui est essentiellement une tentative d’exproprier nos luttes
pour un monde différent et les convertir en autre chose : dans une possible
amélioration des niveaux de vie qui nous lie en même temps plus étroitement
à la reproduction de la domination capitaliste. Ceci est le grand danger de
la situation actuelle : que les gens délèguent leur espérance aux leaders et
que les leaders, pour obtenir de rapides résultats, la canalisent d’une
manière qui la reconcilie avec la reproduction du système capitaliste qui
est en train de détruire le monde. Ce livre parle des dangers mais
l’important est de dépasser les dangers et de changer le monde, chevaucher
avec Zapata à Wall Street.
Puebla, 20 septembre 2006
Traduction: Fab,
santelmo@no-log.org
www.amerikenlutte.free.fr