Bolivie : nationalisation des hydrocarbures, fête populaire et doutes du privé
Réjouissances populaires, incertitude du secteur privé, préoccupation de quelques gouvernements, méfiance des compagnies pétrolières. C'est ainsi que le quotidien bolivien El Deber de Santa Cruz décrivait le climat que vit la Bolivie après la nationalisation des hydrocarbures: Au lendemain de la militarisation des champs pétroliers, on respirait le ressac des festivités d'un 1er Mai qui ont culminé avec le choeur de l'Université Mayor de San Andres chantant l'Internationale en pleine place Murillo, en face du Palais Quemado (présidentiel). Les sondages, et les chaines d'opposition, rendaient compte d'un large soutien social et des analystes généralement critiques du gouvernement reconnaissaient que "Evo Morales a accomplit sa promesse électorale avec le programme voté par 54 % des boliviens". "Avec cette mesure le gouvernement a assit son autorité, maintenant il faut gérer la nationalisation", commentait on au Palais Quemado tout en élogiant le rôle des Forces armées dans l'occupation des champs et raffineries.
Dans le camp opposé, l'ex président Jorge "Tuto" Quiroga et l'entrepreneur Samuel Doria Medina ont montré leur "préoccupation" pour un affaiblissement potentiel du marché brésilien, en accord avec la centrale patronale de Santa Cruz Cainco, qui a affirmé que la nationalisation chassera les investissement étranger. Mais l'opposition de droite s'est montrée surprise et sans discours unifié. Quelques uns de ses référents déclaraient qu'"il s'agit d'un show médiatique" ou que "c'est facil de sortir un décret mais pas de le mettre en pratique". D'autres, à titre individuel, ont exprimé leur adhésion. Les critiques les plus dures -amplifiées par les médias- sont venues de la gauche radicale liée à la Centrale Ouvrière Bolivienne (COB) au bord de l'extinction, qui considère les mesures insufisantes pour ne pas avoir exproprié les entreprises pétrolières.
Le ministre des Hydrocarbures, Andres Solis Rada, a donné hier une conférence de presse lors de laquelle il a signalé que la nationalisation n'a pas été et ne sera pas négociée. Le président de la compagnie pétrolière brésilienne Petrobras avait déclaré que la mesure de Evo Morales "avait été une décision unilatérale prise de manière inamicale, qui nous oblige à analyser avec attention la situation en Bolivie" et avait ajouté que "Petrobras prendra toutes les mesures légales nécessaires pour préserver ses droits". Cependant autant la firme brésilienne que l'espagnole Repsol ont annoncé qu'elles ne partiront pas de Bolivie.
Le directeur de la revue ABC Economie et Finances, Alberto Bonadona, a dit à Pagina/12 qu'il ne croyait pas que les entreprises s'embraquent dans des procès contre l'Etat bolivien. "C'était un moment adéquat pour prendre cette mesure. Vu le niveau actuel des affaires, les plus grandes entreprises vont essayer de commencer une négociation qui implique leurs gouvernements pour la signature de nouveaux contrats, alors que les plus petites vont sûrement tenter de s'associer à (l'étatique) YPFB", dit l'analyste économique, qui considère que "avec ces prix du pétrole, c'est improbable qu'une entreprise s'en aille" et signale que "rien que la Exxon a gagné en un trimestre l'équivalent du PIB annuel de la Bolivie".
Hier le gouvernement de Evo Morales a cherché à nier l'influence cubano-vénézuélienne dans la décision de nationaliser. "Ceci est un chemin de dignité et de souveraineté. Nous n'essayons d'imiter à personne, ceci est notre chemin et nous le prenons avec une absolue indépendance", a dit Solis Rada. Pendant ce temps, les Etats-Unis annoncaient qu'ils surveilleront de près tout impact potentiel sur le climat pour l'investissement du secteur privé en Bolivie et le respect par le gouvernement bolivien de ses obligations contractuelles.
Au sujet des prix de vente du gaz à l'Argentine, Soliz a signalé "cette négociation ne dèpend pas du décret de nationalisation, avec l'Argentine nous sommes déjà entrain de renégocier des prix que le gouvernement bolivien considère injustes". Bonadona a expliqué que "une des dispositions les plus importantes du décret est que l'Etat fixera les prix d'exportation". Les pas post-nationalisation continueront par un audit indépendant des compagnies pétrolières -"avec les coopérations canadienne et norvégiennes, deux pays sans intérêts en Bolivie"- Et avec les premières tentatives d'industrialisation : une fabrique qui permette de séparer des liquides comme étain, popane et butane qui aujourd'hui s'exporte au Brésil avec le gaz et sans valeur ajoutée et une fabrique de diesel écologique.
"Si la nationalisation ne sert pas à créer de l'emploi et à améliorer les conditions de vie des boliviens, nous dirons que c'est un échec", a conclut le ministre. Solis Rada a aussi défendu l'augmentation des impôts pour les grands champs : "Nous croyons que même avec 10 % pour les entreprises et 90 pour l'Etat, elles continueront à avoir des profits (1) mais cela, aujourd'hui, est seulement une affirmation, nous devons faire l'audit pour voir combien ont investi et gagné les entreprises, vu que leurs déclarations fiscales sur l'honneur (2) ne sont pas fiables", a-t-il conclue. Et hier plus d'un a du se voir nerveux devant l'annonce de Evo Morales que les mines et la terre suivront le chemin imposé par l'administration bolivienne : "récupérer toutes les ressources naturelles pour les boliviens".
NOTES
1- Comme le rapportait "Pepino" Fernandez, de la UTD Mosconi qui lutte contre Repsol-YPF en Argentine, "l’industrie pétrolière ne donne pas de pertes. Un jour, il fut demandé à Rockefeller quelle industrie rapportait le plus d’argent dans le monde et il répondit : « une entreprise pétrolière bien organisée », et la seconde ? « une entreprise pétrolière mal organisée ». (In http://www.cnt-ait.info/article.php3?id_article=865) (NdT).
2- Comme en Argentine, l'Etat bolivien ne réalise pas de contrôle en sortie de puit, par conséquent ce sont les entreprises elles-mêmes qui déclarent les volumes extraits sur lesquelles elles paient des impôts !! (NdT).
Depuis La Paz, Pablo Stefanoni, Pagina/12 (Argentine), 3 mai 2006. Traduction : Fab, santelmo@no-log.org
Bolivie : inquiétude chez Repsol et Petrobras après la nationalisation
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Repsol-YPF, qui a investi plus de 1360 millions de dollars en Bolivie depuis 1997, c'est la seconde compagnie pétrolière dans ce pays, après la brésilienne Petrobras. Elle opère à travers de Andina, entreprise qui contrôle 50% de son actionariat. La bolivie représente 18% des réserves totales de Repsol-YPF, 11% de sa production, 3% de son résultat opératif (plus de 7 770 millions de dollars en 2005) et 1% de son bénéfice net (quasi 4 000 millions de dollars l'année dernière). Le président de l'entreprise, Antonio Brufau, a manifesté hier depuis Buenos Aires don refus (de la nationalisation) : "elle est en dehors de la norme et de la logique patronale qui doit guider les relations entre entreprises et Etats", a-t-il assuré. (...)
Malgré le fait que le gouvernement brésilien ait écarté que l'approvisionnement soit menacé, les chiffres de la consommation sont indiscutables. 51% du gaz qui se consomme au Brésil vient de Bolivie. 75% de la consommation de gaz du centre industriel le plus important du pays, Sao Paolo, dépend aussi du pays andin, de même que la grande majorité des Etats du sud du pays, où la dépendance est directement de 100%. Pour tout cela, les secteurs industriels ont poussé un cri au ciel hier. "A moyen et long terme, il devra y avoir un sérieux problème d'approvisionnement du gaz, vu que beaucoup d'industries dépendent du produit bolivien et ne savent pas comment vont se terminer les négociations", a avancé le directeur du Département d'Energie de la Fédération Industrielle de l'Etat de Sao Paolo.
Et ce n'est pas le seul à ne pas partager l'optimisme du gouvernement national. Le directeur du Centre Brésilien d'Infrastructures a averti que le gouvernement sera obligé de négocier avec la Bolivie pour éviter "une coupûre de gaz". "C'est une crise annoncée. Quand le Brésil en 2003 a promu la massification du gaz, congelé les prix et stimulé la consommation mais sans augmenter l'offre interne", a-t-il expliqué, en concluant : "maintenant nous sommes entre les mains des boliviens". Soutenant cette analyse, l'Association Brésilienne d'Entreprises de Distribution de Gaz a réclamé au gouvernement de fomenter de nouveaux investissements dans le pays pour garantir l'approvisionnement interne de gaz. Cependant, comme l'a expliqué il y a peu le président de Petrobras, l'entreprise pétrolière étatique sera bientôt en conditions de substituer l'importation du gaz bolivien en 2010. Les autres ont choisi de faire ressortir la signification idéologique de la mesure de La Paz. "Il n'y a pas de doute que ce populisme nationaliste de la Bolivie soit inspiré et soit assisté par le président du Vénézuéla", a assuré le président du Conseil International de la Fédération d'Industries de Sao Paolo.
Depuis les syndicats brésiliens il y a eu des réactions très différentes. A une extrémité, la centrale d'opposition, Force Syndicale, a assuré que Lula "ne peut pas permettre cette rupture de contrat de forme abrupte" et lui a suggéré d'imposer un type de châtiment commercial au pays andin, par exemple un impôt additionnel aux produits qui rentrent dans le pays depuis la Bolivie. Le Syndicat de Pétroliers de l'État de Sao Paolo a été en revanche l'une des peu nombreuses institutions dans le pays à soutenir la décision du gouvernement de Morales. Les marchés semblent penser de même, parce qu'hier les actions de Petrobras ont terminé en hausse.
Pagina/12 (Argentine), 3 mai 2006