Entre 200.000 et 300.000 personnes ont proclamé vendredi à Santa Cruz de la Sierra, chef-lieu du riche département de Santa Cruz, une Assemblée provisoire chargée d'établir la première autonomie régionale en Bolivie. Acculé par la pression régionaliste, le président bolivien Carlos Mesa n'avait donné son feu vert que la veille.
"Notre autonomie, basée sur l'esprit de l'autodétermination, est irréversible... Qu'ils sachent [à La Paz] que nous n'allons plus les allaiter" s'est exclamé devant la multitude le chef d'entreprise Ruben Costas, président du Comité Civique Pro Santa Cruz. Sur l'immense place del Cristo de la Concordia, la foule criait "Autonomie!" en agitant des drapeaux verts et blancs, couleurs de la région.
Organisateur du rassemblement, le Comité Pro Santa Cruz regroupe des
organisations patronales, dont il est proche, mais aussi des syndicats, des
associations de paysans et d'autres mouvements sociaux censés représentés des
couches humbles de la population. Des responsables se réclament du modèle
régional espagnol. Ils se disent opposés au séparatisme, "sauf si une véritable
autonomie nous était refusée".
Couvrant à l'est de la Bolivie 370.621
km2, le tiers de la superficie nationale, limitrophe du Brésil et du Paraguay,
Santa Cruz est le plus vaste des neuf départements boliviens. Industrie,
agriculture, élevage et surtout ressources énergétiques du sous-sol assurent sa
richesse. Santa Cruz et le département proche de Tarija renferment près de 90%
des hydrocarbures boliviens. Les réserves de gaz naturel de la Bolivie sont les
plus importantes d'Amérique latine après celles du Venezuela.
Santa Cruz
fournit le tiers du PIB du pays et, selon Ruben Costas, "plus de la moitié" des
ressources fiscales. Les 2,4 millions d'habitants du département, le quart de la
population bolivienne, jouissent du plus haut indice national de développement
humain.
Locomotive économique de la Bolivie, Santa Cruz en consomme de
60 à 70% des carburants. Aussi est-ce dans ce département qu'on s'opposa avec le
plus de virulence à l'augmentation du prix de l'essence (+10%) et surtout du
gazole (+23%) décrétée le 30 décembre dernier par le président Mesa.
Une
annulation partielle de la hausse des carburants n'a pas calmé les esprits, car
l'explosion régionaliste dont elle fut le prétexte couvait depuis longtemps. Ni
Santa Cruz ni Tarija n'avaient pris part -ou peu- à la "guerre du gaz" qui fit
quelque 80 morts en octobre 2003, lorqu'une coalition de syndicats, de
communautés indiennes et d'associations diverses de la Bolivie andine plus
pauvre se mobilisa contre l'exportation de gaz naturel vers l'Amérique du Nord
via le Chili.
Les partisans de l'autonomie régionale occupent depuis le
devant de la scène politique à Santa Cruz et à Tarija. L'émiettement de la
plupart des grands partis nationaux aux élections municipales de décembre
dernier conforte ce régionalisme. Tarija a également constitué son Comité
civique, considéré comme l'allié de celui qui vient de proclamer l'autonomie de
Santa Cruz.
Dans les deux départements, les notables locaux revendiquent
la libre exportation des hydrocarbures. Ils n'apprécient pas un projet de loi
prévoyant une renationalisation du secteur et l'annulation de contrats avec des
multinationales.
Provoquant de violents affrontements, des milliers de
paysans, Indiens autochtones pour la plupart, tentèrent de couper des routes
menant à Santa Cruz de la Sierra pour torpiller la proclamation de l'autonomie
régionale. L'influent dirigeant autochtone Evo Morales, leader du Mouvement vers
le socialisme (MAS, premier parti national aux municipales de décembre), estime
que "l'oligarchie de Santa Cruz est financée par les Etats-Unis".
Alors
que la Constitution bolivienne n'autorise ni les autonomies régionales ni
l'élection directe des gouverneurs de départements, qui doivent être désignés
par le président de la République, un décret lu à la presse vendredi soir par le
ministre de la Présidence, José Galindo, annonce l'élection au suffrage
universel, le 12 juin prochain, des gouverneurs des neufs départements.
Cette victoire des régionalistes de Santa Cruz est renforcée par
l'engagement du gouvernement d'approuver une loi sur les autonomies régionales.
Dès le second semestre de cette année, une Assemblée constituante mettra en
chantier une nouvelle Constitution qui modifiera sans doute le modèle unitaire
de l'Etat.
Selon l'analyste politique Andrés Soliz Rada, "désigner les
gouverneurs de Santa Cruz et de Tarija, où se trouve la quasi totalité des 53
trillions de pieds cubes de gaz naturel, sans prendre en compte les intérêts des
grandes compagnies pétrolières, comme Shell, Enron, Repsol, Total, British Gas
et Amoco, qui opèrent en Bolivie, reviendrait à étudier le système respiratoire
de l'homme sans tenir compte des poumons".
LatinReporters.com
Articles prècèdents :
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