Tout le pari de l’anarchisme consisterait peut-être en cela : réaliser un projet politique qui permettrait aux individus de construire un monde commun, loin des dérives identitaires, loin d’une monotone uniformisation dans le même. Et ce monde commun serait celui d’une société de sujets singuliers. Etre anarchiste individualiste tout seul dans son coin ne présente à mes yeux guère d’intérêt.
L’individualisme pose question car il recouvre bien des conceptions différentes, dont certaines n’ont rien d’anarchiste. Rappelons qu’individu est la traduction du grec
atomon. «Un individu au sens le plus général et le plus complexe de ce mot, est un objet de pensée concret, déterminé, formant un tout reconnaissable et consistant en un réel donné soit par l’expérience externe, soit par l’expérience interne.»
[1] L’individu est d’abord indivisible, mais la manière de se revendiquer comme individu peut être diverse. Certains se revendiquent de l’atome et imaginent un monde dans lequel chaque atome naviguerait isolément dans la pure autonomie de soi-même, à l’abri de toute interaction. Difficile d’imaginer que ce soit là un monde commun. D’autres aimeraient imaginer un monde de molécules et rêvent à la molécule qu’ils souhaiteraient habiter : le monde commun est pour eux la molécule idéale qu’ils voudraient former avec d’autres individus ; ils cherchent à rencontrer les individus idéaux qui leur permettraient de constituer ce monde commun. Les uns comme les autres tendent à oublier l’ensemble des interactions complexes qui sont à l’oeuvre dès que se rencontrent des atomes et dès que se rencontrent des molécules. Le monde commun est celui de tous les atomes et molécules et le politique est l’ensemble des interactions entre eux, ainsi que les liaisons entre atomes à l’intérieur des molécules. Le politique est là, car c’est bien là que peut se mettre en oeuvre la capacité pour les individus à exercer leur liberté politique. Toute pensée qui s’exhonérerait de la pensée des interactions, soit en les évacuant soit en les niant ne peut être comprise pour moi comme pensée politique. Or la pensée des interactions nécessite la discrimination, la pensée de la différence. C’est dans la discrimination et dans la différence, dans cet effort et dans ce qu’il a d’arbitraire que s’ouvre l’espace de la décision et du choix, donc du libre arbitre. La négation de la discrimination et de la différence, la pensée de l’indistinction et de l’unification sont pour moi la négation du politique.
L’un des ressorts de l’individualisme est la méfiance ou la déception : certains se retrouvent «individualistes» malgré eux, faute d’avoir fait les rencontres qui leur auraient permis d’être-avec, faute peut-être aussi d’avoir questionné ce qui, chez soi, retenait le mouvement vers l’autre, le mouvement vers le commun. D’autres seront individualistes par méfiance, par crainte de l’envahissement de son individu par l’autre, et se replient sur leur personne comme ils ferment leur porte à double tour. Surtout que personne n’entre s’il n’y est admis, et les protocoles sécuritaires sont nombreux, de crainte que l’autre ne m’aliène en exerçant son influence : il faudra montrer patte blanche. Dans le petit confort de son chacun-chez-soi, il nous sera aisé de cultiver nos pseudo singularités.
[2] Chacun son truc, et surtout mon anarchisme sera d’abord une manière de dire «je fais ce que je veux...»... et qu’on m’emmerde pas. La réunion des égaux devient vite la réunion des égos. Ce n’est pas là l’anarchisme dont je me réclame, mais il me semble parfois qu’il se répand de plus en plus derrière un certain nombre de discours avant-gardistes post-modernes, et je me dis qu’un certain nombre de nos «anciens» doivent se retourner dans leur tombe, même si... ni Dieu, ni Maître.
L’autre a forcément une influence sur moi, dans les déterminismes et diverses aliénations auxquelles je suis assignée et dont il importe de m’émanciper, mais il en a aussi de manière féconde, dans les rencontres, dans ces instants de porosité où l’autre me traverse, comme dans les instants de conflictualité où l’autre me bouscule, me permettant d’évoluer, de faire avancer mes prises de conscience, d’investir peu à peu l’espace de ma liberté qui ne s’exerce qu’à plusieurs.
Par ailleurs, s’il nous faut construire, il nous faudra bien construire avec les autres, et les autres, ils sont tels, à un moment donné, dans une société donnée. Si j’attends que les autres soient semblables à moi ou pensent comme moi, avant de m’allier, avant d’envisager de construire, je risque d’attendre longtemps... d’autant que ces fameux autres pensent sans doute la même chose de moi...
Si j’écris donc ici où l’on se réclame de l’anarchisme individualiste, ce n’est certes pas dans la quête d’un développement personnel, dans l’affirmation d’un idéal, ou dans l’espoir de pouvoir vivre ma petite vie à moi bien tranquille, sans que les autres ne me fassent trop chier ou sans avoir à rendre de comptes. L’individualisme auquel je tends, sans prétendre à l’accomplir, ni même souhaiter l’achever, est celui, je le répète du sujet singulier... Le singulier n’est sûrement pas l’empilement de toutes ces pseudos-différences qui me distinguent de l’autre en ce que mes propos seraient plus provocants, en ce que ma démarche serait plus radicale, en ce qu’au fond je ferais signe que je ne suis pas pareille...
[2bis] Car au fond je suis aussi pareille aux autres, les mêmes peurs me traversent, je geins quand je suis malade, je redoute la mort, j’aimerais bien ne pas avoir faim ou froid, et que mon enfant soit à l’abri de trop grands soucis, je n’ai pas connu la guerre, ni de trop grandes horreurs collectives, semblable en cela à beaucoup de mes contemporains occidentaux, et je me sens souvent impuissante face aux divers désastres qui accablent le monde en sa chair d’humanité et de nature... Je suis aussi pareille aux autres dans mes élans de joie et d’enthousiasme, lorsque j’accueille sur ma peau la chaleur d’un soleil printanier, lorsque je serre dans mes bras l’ami d’enfance retrouvé, lorsque j’assiste émue aux premiers pas maladroits d’un enfant, lorsque je ris et bois en compagnie. Je suis en cela pareille au carioca dans sa favela, mais également pareille à Georges Bush, sauf peut-être (et la différence est de taille) pour le sentiment d’impuissance face aux divers désastres. Je suis pareille aux autres en mon humanité et je me reconnais dans tous les opprimés, les damnés, les gueux... je suis pareille, un jour plus ou moins lointain, je crèverai... mais la société dont je rêve est celle où il me sera permis de poser un JE politique, un JE singulier parmi la multiplicité des JE. Et le seul NOUS qui me soit désirable est celui-là, cette assemblée des égaux, qui seront posés égaux dans leur singularité, dans leur altérité. Je ne connais en rien la réalité du paysan noir somalien, ni celle de la travailleuse clandestine chinoise, mais je pose notre égalité en principe, sans attendre qu’il soit rendu pareil à moi. L’autre est mon semblable en humanité, depuis son altérité même. Et le miracle politique est là, dans la possibilité que nous avons de choisir et de poser cette égalité en principe, sans attendre qu’elle soit effective, par-delà ou en dépit de toute communauté identitaire ou fusionnelle qui gommerait nos différences, ou les nierait.
Le totalitarisme de notre époque se manifeste dans sa tragique passion du même, négation, gommage de toutes les différences, jusque dans la chair... annihilation progressive de toutes les diversités. Le capitalisme mondial est à l’oeuvre pour mettre cela en place sur le plan économique à l’échelle planétaire, et dispose de nombreux alliés dans cette tâche. Le capitalisme n’est pas un ennemi objectif qui nous ferait face et qu’il nous appartiendrait d’abattre. Le capitalisme est un processus, il est également un rapport qui nous tient, comme le rappelaient des amis. Le processus est à l’oeuvre dans les domaines de la sicence et de la technologie pour mettre ce rapport en place sur le plan technique de faisabilité et pour l’inscrire dans le vivant, tandis que le plan culturel, celui du langage et des valeurs, est laissé d’un côté aux medias dominants, de l’autre aux avant-gardes culturelles, artistiques, intellectuelles et politiques, qui se répondent comme les deux faces d’une même pièce. Les avant-gardes voient là une manière de s’insurger contre le langage et les normes dominants, mais s’aperçoivent rarement qu’elles le servent. Elles espérent ainsi atteindre le coeur du système, mais comment atteindre le coeur d’un processus, le coeur d’un tissu de rapports interdépendants. Nous, anarchistes, ne sommes pas assez lucides sur ces phénomènes, me semble-t-il. Il suffit pourtant de voir comment les slogans fort en vogue de mai 1968 sont aujourd’hui les antiennes du grand marché mondial... Ce n’est pas que le système a détourné les slogans... c’est que c’est le système qui a les moyens de les mettre en oeuvre et de les établir comme modes de relation entre les êtres. Il en va de même aujourd’hui, et c’est pourquoi je m’interroge réellement sur la manière dont le système mettra en oeuvre un certain nombre de nos discours avant-gardistes radicaux. Qui aujourd’hui est en train d’inventer la novlangue ? Qui est en train de redéfinir les contours et les limites du rapport à l’autre ? Qui est train d’élaborer la pensée de soi, la pensée de l’autre, la possibilité de l’intime ?
L’époque est à la transparence obscène, au grand déballage de l’intime sur la scène publique. Si le privé est le politique, tout s’expose, tout se vend, tout est permis, la téléréalité est là pour nous le rappeler.
[3] Mais il ne faudrait pas que cet exemple énorme de ce à quoi nous nous opposons, anarchistes, nous fasse perdre de vue qu’il se joue peut-être parmi nous, entre nous, des scènes semblables... les deux faces d’une même pièce, le négatif/positif d’une photographie. Dans les tendances actuelles de l’anarchisme, et dans le souci louable et sincère de nos émancipations et du refus des assignations à nos déterminismes biologiques et sociaux, se nichent tous les processus de déconstruction, questionnement du genre, dépassement des identités sexuelles, dépassement des frontières homme/animal, dépassement de la rationalité et du langage... Dans la grande absence de sens de notre époque, tous les sens qu’on nous propose nous semblent d’emblée suspects, et certains d’entre nous se débattent dans l’indétermination, ne sachant plus à quel sens se vouer, tout sens portant son rapport de pouvoir, tout sens impliquant une détermination du réel. Et tout est devenu indécidable, l’espace du choix et de la libre détermination se rétrécit sans cesse, bientôt il n’y aura plus aucune extériorité au capitalisme mondial. Cela s’appelle totalitarisme, en effet, et cela passe par la mainmise du capital sur absolument tous les domaines de nos vies, et par la transformation de tous les domaines de nos vies en marchandises, en objets de consommation, en plus-value économique et/ou symbolique...
Aux corps réifiés exposés qui s’étalent sur les panneaux publicitaires ou dans les vitrines pour nous fourguer le dernier robot hi-tech et la perceuse multi-fonctions qui serviront bientôt à autoréparer nos corps machines, répond la pute aseptisée derrière le verre de la webcam, corps reformaté pour se conformer au corps plastique de Barbie qui ne sera bien sûr jamais pénétrée par le poupon plastique Ken. Il n’y a plus besoin de poupée gonflable puisqu’on peut désormais siliconer ses seins et remodeler son vagin, volontairement, pour satisfaire aux goûts du dieu du sexe... encore moins cher que la poupée gonflable, la poupée gonflée.
On se protègera bientôt davantage du risque de vie que du risque de mort. Je dis cela sans rire hélas, car je connais plus de personnes disposées à mettre une capote pour éviter une grossesse indésirée que pour se protéger de certaines maladies pourtant galopantes. La rencontre des corps est désormais stérile et stérilisée, puisqu’il n’y a plus de corps, plus que des figures, plus que des modèles et des panoplies pour habiller des pantins préformatés : à la panoplie bourgeoise répond la panoplie activiste.
Où s’inventent aujourd’hui les mots de la rencontre sexuelle, entre le corps-capital-santé, l’orgasme sur (télé)commande, la toute nouvelle collection de godes du prêt-à-enfiler, le string obligatoire, le gel à lubrifier, les pompes à érection, le manuel du baiseur émancipé, et les englobages de bite ?
A la norme du sexe-marchandise-objet répond la norme du sexe-déconstruit-revendiqué. Les deux faces d’une même pièce, toujours.
Quels mots les amants se murmureront-ils à l’instant du trouble ? Pourront-ils seulement le vivre, si toute la pensée de la rencontre des corps se voit ainsi codifiée, prescrite à l’avance ?
La norme établit toujours une unilatéralité du point de vue. Ce qui n’est pas la norme sera dit déviance. La norme est le produit de la domination, elle subordonne tout point de vue au sien. Un ami nomme cela «langage colonial». Le langage colonial est nécessairement morbide, il est le langage de la stase, du grand tout qui se veut Un. La vie naît de l’alternance, du mouvement, de l’un à l’autre, de l’autre à l’un, du dedans au dehors, du dehors au dedans. La vie naît par invagination.
[4]
Les couples qui permettent d’articuler la pensée de l’autre se dessinent toujours comme relatifs l’un à l’autre. Le couple, en mécanique, désigne «un ensemble de deux forces parallèles, égales entre elles et de sens contraire.»
[5] Le «pari» politique de l’anarchisme serait alors de tenir cette égalité, et d’accéder à une société qui ferait place à l’égalité réelle de sujets différenciés. ET l’un ET l’autre plutôt que l’Un ou l’autre, ou le rien-qu’UN. Le pari est risqué, car à chaque instant, le couple dans sa tension peut laisser place à une hiérarchie, à un rapport de domination.
Observons quelques couples classiques d’où procèdent les dominations très réelles que nous constatons chaque jour et qui font le lit de toutes les oppressions :
Homme/Femme
Blanc/non Blanc
Occidental/non occidental
Riche/Pauvre
Fort/Faible
Sain/Malade
Valide/non Valide
Adulte/Enfant
Jeune/Vieux
Majeur/Mineur
Grand/Petit
Actif/Passif
Intellectuel/Manuel
Visible/Invisible
Public/Privé
Hétérosexuel/Homosexuel
etc.
Chaque personne vient en ce monde et se voit reconnaître une place en ce monde en fonction des hiérarchies et des rapports de pouvoir qui s’appuient sur ces couples. Mais chaque rencontre fait interagir tout un ensemble de couples. Il est bien évident que certains cumulent, parfois à leur corps défendant, les reconnaissances sociales. On peut bien imaginer qu’un homme blanc occidental riche valide majeur jeune actif en bonne santé et robuste aura moins de mal à ne pas se faire exploiter que la femme noire non occidentale pauvre handicapée vieille malade et fragile. Face à cette question des dominations et des hiérarchies, plusieurs attitudes sont possibles, pour qui désire lutter contre toutes les dominations.
L’attitude courante est ce que certains nomment lutte partielle. Ils lutteront depuis la domination particulière qui s’exerce sur eux, là où ils auront su se reconnaître comme dominé, féministes, tiers-mondistes, antiâgistes, associations de malades ou de handicapés, collectifs de chômeurs ou d’homosexuels. Ils fondent leur identité au lieu de leur domination et focalisent sur le couple où l’oppression est la plus flagrante. Le risque pour ceux-là est d’interpréter toute domination depuis la domination particulière qui s’exerce sur eux, et donc, là encore, de subordonner le point de vue de l’autre à leur point de vue propre qui est le point du vue du même. Dans leurs justes revendications égalitaires, ils demanderont à tous d’adopter leur langage et leur point de vue. Le deuxième risque est celui du repli identitaire et du communautarisme, toujours prompt à surgir dans toutes les pride parties dont la vocation première est d’abord d’accèder à une visibilité et une reconnaissance tout à fait légitimes là-encore. En résumé, dans la radicalisation de ces luttes, dans l’exaspération devant l’injustice, un risque fréquent est celui du syndrôme d’Iznogoud : à un pouvoir finit par se substituer un autre pouvoir, à une domination se substitue la domination inverse. Les deux faces de la même pièce... Et la tension des couples alterne ainsi, un coup chez l’un, un coup chez l’autre, sans que jamais le pouvoir lui-même n’ait été atteint, ni la pulsion de pouvoir.
Un certain nombre d’anarchistes bien conscients de ce risque optent pour une autre attitude, celle du dépassement des pôles. Le regard se tourne ailleurs, ou regarde de plus haut, surplombant la tension qui continue pourtant de s’exercer. C’est la tendance de toutes les déconstructions. Ceux-là voient bien que c’est dans le rapport que se joue l’inégalité, mais au lieu de le considérer comme rapport, dans sa dualité, ils regardent le rapport comme un. Il n’y aurait plus de couples, il n’y aurait plus que du même. L’Un reste seul en lice, qui unifie, pacifie la tension. Il n’y a plus de masculin ni de féminin, il n’y a plus de blanc ni de non blanc, toutes les discriminations sont des constructions sociales, et tout cela se dépasse au nom de l’universalisme.
Je pense pour ma part qu’il faut être extrêmement attentifs quant à cette attitude et aux risques de dérive qu’elle comporte. Car si le projet politique anarchiste est bien de rappeler que nous sommes semblables en humanité et de poser l’égalité politique comme principe premier, le grand Tout universaliste n’est pas sans danger, car le grand Tout universaliste est d’abord le projet du capitalisme mondial, et que ce serait un comble pour nous anarchistes, de lui servir la soupe.
Dans la grande mainmise du capitalisme mondial sur tous les domaines de nos vies, à l’échelle de la planète, les mécanismes pour asseoir son pouvoir oscillent exactement entre les deux mêmes attitudes que celles que je viens de signaler. Le capitalisme qui se veut le grand Tout, agit soit par négation/destruction de l’Autre posé comme ennemi (avec moi ou contre moi), renforçant tous les mécanismes identitaires et communautarismes divers. Soit il s’assimile l’Autre par phagie et son appétit est vorace. L’injonction est d’intégration, fut-ce par bonne conscience humanitariste : Deviens comme moi et je te reconnaîtrai, deviens un bon noir, c’est-à-dire un nègre blanc... tous les processus coloniaux, impérialistes sont fondés sur cette logique UNIversaliste et tend à l’UNIformisation générale.
La norme est toujours celle du dominant qui, pour reconnaître le dominé, pour que celui-ci accède au champ du visible et de la reconnaissance sociale, doit se rendre visible SELON cette norme. Il n’est pas vu en tant que tel. Il n’est pas vu comme Autre. Il n’est pas vu dans sa différence.
Le dominé, résumons-le, se voit condamné, suivant cette norme, soit à intégrer la norme du dominant (tel le nègre blanchi, la femme pdg ou militaire, le sportif handicapé...), soit à établir une nouvelle norme dominante depuis SA PLACE et donc à établir un renversement des pouvoirs (féministe à grosses couilles, intégrismes en tout genre....). Dans un cas comme dans l’autre, cette attitude procède des rapports de domination.
Le seul moyen me semble-t-il d’échapper aux rapports de domination, qui me semble quand même être une base minimum pour les anarchistes, serait de faire l’effort de poser ET l’un ET l’autre comme égaux, c’est-à-dire de maintenir cette tension, parfois contradictoire, entre les couples qui nous permettent de différencier le réel, refusant tout rapport de hiérarchie qui tenterait de s’immiscer dans cette tension. La reconnaissance de ces couples comporte toujours une part d’arbitraire, mais le sens se construit par discrimination, qui est condtion sine qua non de la décision politique. C’est un équilibre à renouveler sans cesse, c’est l’équilibre même de la vie, où «rien n’est jamais acquis à l’homme...». L’anarchie ne peut être un état, un but à atteindre, elle doit intégrer en son sein cette difficulté, qui sera peut-être parfois impossibilité, que l’effort sera sans cesse à faire, l’échec toujours possible, comme dans la vie.
AlexC
2 avril 2007
Notes [6]:
[1] La définition est extraite du
Vocabulaire technique et critique de la philosophie. Sur la question de l’individu ou de la personne, il n’est peut-être pas inutile de signaler que l’individu renvoie à l’indivisibilité de l’être concret dans le réel, tandis que la personne renvoie aux rôles sociaux. Le latin
persona désigne d’abord un masque de théâtre.
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[2] C’est le narcissisme de nos petites différences qui n'ont lieu que là où elles sont déjà convenues, prévisibles et prévues. Rien ne se fait en-dehors du réel et il est bon parfois de rappeler certaines évidences.
retour ou
retour bis
[3] Mais rien n’advient, des amis en parlent ailleurs...
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[4] Sur la question du grand Tout, j’ajouterais ceci. La prolifération du même dans un corps peut se comparer au cancer, la prise de pouvoir dans les fragiles équilibres organiques est un processus morbide, qui conduit à la mort.
Mais l’immobilité du même, la stase, est également la mort.
La pensée du grand Tout, qui gomme toutes les discriminations, toutes les différences, s’oppose à la pensée de l’infini et de la diversité. Le grand Tout absorbe l’ensemble du réel dans un système clos, et la clôture est nécessaire au contrôle et aux jeux de pouvoir. La pensée de la diversité est un système ouvert, dans lequel la possibilité du contrôle est d’emblée exclue : il s’en échappe toujours quelque chose. Cela peut sembler paradoxal que ce soit la pensée de l’infini qui nécessite de discriminer, d’établir ces distinctions, mais il ne faut pas comprendre ces distinctions comme frontières. Le «/» qui se situe entre chacun des couples n’est pas le signe de la séparation, mais le signe de la relation. Le grand Tout en effaçant ce signe disposera du contrôle sur tous les modes de relation.
La pensée du grand Tout est une pensée totalitaire.
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[5] J’utiliserai à présent le mot «couple» dans ce sens et non selon le langage courant. Mais le parti-pris de cette définition peut peut-être également apporter un éclairage nouveau aux tentatives de dépassement du «couple» pris, cette fois, en son sens traditionnel...
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[6] En proposant ce texte publiquement à la lecture, je me positionne résolument dans le couple écrivain/lecteur avec tout ce que cette relation peut impliquer comme risque inégalitaire. A nous de soutenir la tension...
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à 18:19