Lu sur
CSPCL : "Oaxaca se distingue par la diversité, tant naturelle que culturelle. Depuis quelque temps, on reconnaît de par le monde la richesse de nos cultures indigènes. Dans le cours de notre mouvement, nous avons eu le plaisir d’apprécier et de voir la richesse de nos cultures urbaines. Elles offrent la même diversité que les cultures indigènes, et en elles apparaît clairement le sceau de la "communalité", le tissu social qui nous permet, dans chaque groupe, de construire un NOUS fort et clair."
C’est le premier paragraphe du "Manifeste pour la défense et la renaissance de notre culture" (Manifiesto por la defensa y regeneración de nuestra cultura) écrit par nos amis de la commission chargée de la culture au sein du Conseil. Je ne résiste pas au plaisir de vous traduire les derniers paragraphes :
"La culture ne s’exprime pas seulement à travers l’art, dans la peinture, la musique, la sculpture, la littérature ou le cinéma, mais aussi dans la quotidienneté de la vie collective, la langue est un clair témoignage de la puissance du collectif, la culture de la fête chez nos peuples et quartiers, la gozona, le tequio et les offrandes à la Terre mère comme expression de la pensée de nos peuples indiens, et tout ce qui nous nourrit dans la communauté ou dans la ville et nous fait être partie de quelque chose, de cette APPO que nous sommes tous et toutes [...].
"Dans les diverses réflexions et propositions pour le renforcement de nos cultures on peut compter avec la présence de l’APPO des barricades, des colonies, l’APPO des communautés, des quartiers et des peuples, cette Assemblée populaire des peuples d’Oaxaca, qui est, en elle-même, une culture."
Ce manifeste a été distribué au cours de la Noche de rábanos (la Nuit des radis) le 23 décembre, la vraie, celle organisée par l’APPO, non l’officielle qui se tenait, elle, sur le zócalo. Cette Nuit des radis est une tradition qui remonte loin, peu après la conquête espagnole. Des jardins potagers furent créés sur les terres proches des haciendas de la Noria et des Cinco Señores. Avant Noël et jusqu’au 23 décembre, les maraîchers exposaient leurs légumes, dont les fameux radis, sur la place d’Armes d’Antequera. Les jardiniers ont commencé à sculpter les radis pour décorer leurs étals. Le premier concours a eu lieu en 1897. La tradition s’est perpétuée jusqu’à nos jours : saynètes de mœurs où la créativité et l’imagination se donnaient libre cours, comme nous pouvons le supposer quand nous avons un radis de la dimension d’une betterave entre les mains. Hélas, la truculence ou le badinage érotique ont cédé la place à la Sainte Famille quand l’État a fait de cette tradition populaire une attraction touristique. Comme pour la Guelaguetza, l’APPO a voulu redonner sa dimension populaire à cette Nuit des radis. Pari réussi, comme pour les enfants, ce sont surtout les scènes de la violence, hélicoptères, tanks, robocops et matraques et jusqu’au portrait d’Ulises Ruiz en radis, qui ont frappé les imaginations, mais il y avait aussi quelques bons petits diables. Beaucoup de monde, de la musique, de la danse, des chants, de l’enthousiasme, les habitants des quartiers étaient descendus et les quelques rares touristes, perdus dans la foule, sont restés éberlués devant tant de force, de détermination et de passion. Au "son de la barricada", l’assemblée présente retrouvait sa joie de vivre, son allégresse ; après les jours sombres et terribles de la répression, elle exultait enfin. Pourtant, cette fête avait été longtemps compromise.
Bien avant la manifestation du 22 décembre, le bouche à oreille, au sujet de cette Noche de rábanos, courait entre les sympathisants de l’APPO, les radis étaient déjà entreposés dans un lieu humide et les sculpteurs préparaient leurs couteaux. Cette fameuse nuit devait avoir lieu sur la place Santo Domingo, nous devions nous retrouver sur cette place dès 10 heures du matin afin de l’occuper ; las, au matin du 23 nous apprenons que les flics nous avaient devancés. Je m’y rends tout de même en ma qualité de touriste, les flics bloquent toutes les entrées, ils ne laissent passer que ceux qui ont une bonne conscience, je m’arme donc d’une bonne conscience pour me glisser entre les rangs de ces tristes (anges) gardiens ; notre espion, vieux et impénitent lutteur social, dont la femme et la fille se sont retrouvées derrière les barreaux, vend des bonbons et des cigarettes sur la place ; comme dans les films (je suppose que vous imaginez parfaitement cette scène que je me rejoue cent fois), il m’informe, alors que je lui achète quelques bonbons, que les flics sont là depuis l’aube et que leur présence a été dissuasive, ce n’est que depuis peu qu’ils laissent passer les touristes. La commission de l’APPO chargée des négociations avec le gouvernement fédéral (elle n’a aucun contact avec le gouvernement d’Ulises Ruiz) insiste pour que le ministère intervienne auprès d’URO afin qu’il retire ses troupes, en vain. Le gouvernement promet d’intervenir, mais rien ne se passe. Finalement, en fin d’après-midi, l’APPO arrive à occuper la petite place de Carmen Alto, qui ne se trouve pas très loin de Santo Domingo, elle devrait d’ailleurs s’appeler la place Ricardo Flores Magón, mais passons. Les gens arrivent peu à peu et cette place, tout en longueur, paraît bien étroite quand la nuit tombe ; c’est la fête, la fanfare de Calicanto, où se trouvaient les fameuses barricades tout le long du ferrocarril, ouvre la danse.
La manifestation du 22, convoquée par les zapatistes et l’Autre Campagne, avait déjà été un succès, chaque fois il y a un peu plus de monde dans les manifs, même si les gens préfèrent quitter la manifestation avant l’arrivée au centre-ville, ils se sentent plus chez eux dans les quartiers périphériques ; de toute façon, ils ne s’attardent pas et se dispersent assez rapidement, prudence, prudence, mais ils relèvent la tête, les habitants d’Oaxaca n’ont pas été défaits malgré les mesures extrêmes prises par l’État. Le gouverneur joue la carte de la division, la libération de 81 prisonniers va dans ce sens et la situation des familles de ceux qui restent embastillés est difficile, le comité qui s’occupent de la défense des prisonniers est mis sur la sellette : "Pourquoi eux et pourquoi pas les nôtres ?" Et tous sortent des réunions bien éprouvés ; pourtant, jusqu’à présent, ils tiennent le coup et restent solidaires, ils ne vont rien quémander à Ulises Ruiz (c’est ce qu’attend le tyran) et ils vont occuper les alentours des prisons de Miahuatlán et de Tlacolula. Ces mesures sont si arbitraires qu’on en arrive à des situations surréalistes : qui a payé les 150 millions de caution des 81 détenus libérés ?
Le secrétaire général du gouvernement d’Oaxaca (ce qui correspondrait au ministre de l’intérieur du gouvernement d’Oaxaca), García Corpus, ne sait pas exactement qui est intervenu ni d’où vient la finca (la propriété) qui a été hypothéquée pour payer l’énorme caution : "No podría afirmar primero yo desconozco a ese abogado, no sé si sea de la APPO o no. Yo no niego, porque no sé quién es ese señor." ("Je ne peux rien affirmer, premièrement je ne connais pas cet avocat, je ne sais pas s’il est de l’APPO ou non. Je ne refuse pas de parler, parce que je ne sais pas qui est ce monsieur".) Pour un ministre de l’intérieur, il ne sait pas grand-chose : un avocat fantôme et une propriété tout aussi spectrale, plus un juge des libertés illusionniste sans doute. Nous ne sommes pas dupes, évidemment, derrière ces fantômes se cache la main d’Ulises Ruiz, qui est arrivé à cette situation absurde de devoir payer la caution de gens qu’il a accusés de tous les crimes, au point de les envoyer dans une prison de haute sécurité, afin qu’ils puissent sortir : ou ces gens sont coupables de tous les forfaits dont ils sont accusés et l’État n’avait pas à payer la caution, ou ils n’ont pas commis ces crimes et alors ils n’avaient pas à être détenus, sans parler des conditions de leur arrestation. Pendant ce temps, c’est un législateur du PAN qui exige des autorités de l’État qu’elles mènent une enquête au sujet de la participation (supposée ?) des groupes de porros et des policiers en civil à l’incendie des édifices durant la nuit tragique, entre eux, Teodardo Martínez Canseco, coordinateur des unités mobiles de développement de l’État dans la microrégion mixe, en relation avec le député local du PRI, qui fut arrêté par la PFP le 25 novembre et envoyé au pénitencier de moyenne sécurité de San José del Rincón, Nayarit, sans que l’on sache jusqu’à présent s’il a été libéré ou s’il est encore prisonnier.
Aux dernières nouvelles, deux membres de l’APPO ont été blessés au cours d’une embuscade dans la région mixtèque alors qu’ils retournaient dans leur communauté après avoir participé avec les militants du FPR et du MULTI (Mouvement unificateur de la lutte triqui indépendant) à une manifestation dans la municipalité de Santiago Juxtlahuaca. Le 27, c’est-à-dire hier, le Conseil estatal de l’APPO s’est réuni, environ 160 personnes, il y fut décidé diverses manifestations pour janvier : le 6, manifestation des enfants avec, à leur tête les enfants des détenus ; le 7, réinstallation du Conseil ; le 27, assemblées régionales, municipales et communales, et des colonies, avec comme objectif, celui de renforcer l’assemblée plénière au niveau de l’État d’Oaxaca. Je ferai les quelques remarques personnelles suivantes, qu’il ne faut absolument pas prendre pour argent comptant : l’embrouille actuelle au niveau de la section 22 du syndicat des enseignants risque bien de déteindre sur l’APPO ; le fossé entre les militants d’extrême gauche du Front populaire révolutionnaire (FPR) et les délégués des quartiers et des colonies ainsi que les militants d’autres obédiences semble se faire plus visible.
Bonnes fêtes !
Oaxaca, le 28 décembre 2006.
George Lapierre