Ce 19 mars, se tiennent les élections biélorusses. Ces derniers jours,le président Loukachenko a réprimé sa population d’autant plus fort.Une vingtaine de personnes présentes à un meeting du candidat d’opposition ont ainsi été arrêtées. Deux camarades de la Fédération anarchiste biélorusse exposent la situation de leur pays.
Ce 19 mars, se tiennent les élections présidentielles biélorusses. La
répression a encore monté d’un cran ces derniers jours. La police a
ainsi procédé à l’arrestation d’une vingtaine de personnes présentes,
comme 3.000 autres, à un meeting électoral non autorisé du candidat de
l’opposition, Alexandre Milinkevitch, qui se tenait dans près de Minsk,
a-t-on appris mardi 14 mars. Jeudi 16, face à la vague d’arrestations
d’opposants politiques, la Commission européenne a également a menacé
le régime dictatorial : ce qui passerait par un élagissement de la
liste des hauts responsables bélarusses personna non grata en Europe ou
un gel de certains avoirs financiers.
En opprimant toujours plus la population, le président Loukachenko
espère éviter une "révolution orange" similaire à celle qui a secoué
l’Ukraine voisine.
Deux camarades, Pauluk et Maryna, de la Fédération anarchiste
bélarusse, une organisation s’appliquant à rejoindre l’Internationale
des fédérations anarchistes, étaient présents en octobre 2005 à la
Foire du livre anarchiste de Londres. Ils y ont présenté la situation
de leur pays.
L’effondrement de l’Union soviétique a eu comme conséquence la prise de
pouvoir par un autre régime répressif, rendant l’action politique
extrêmement difficile tant pour les anarchistes que pour les autres.
Cette entrevue se concentre sur l’histoire de l’anarchisme en
Bélarussie, vue à travers les expériences personnelles de ces deux
camarades. Elle fournit des éclairages sur la situation des anarchistes
dans les pays de l’ex-bloc soviétique et montre comment les idées et
les pratiques anarchistes émergent en des endroits où il n’y a pas eu
une tradition anarchiste forte ces dernières années. Les travaux de nos
camarades illustre également comment les gens, dans des situations
différentes, prennent les idées et se les approprie, par des
initiatives créatives et imaginatives.
- Comment vous êtes-vous investis dans l’anarchisme ? Comment en avez-vous entendu parler la première fois ?
- Pauluk : Je suis dans le mouvement anarchiste depuis 1994. Tous les
Soviétiques, tôt ou tard, entendent parler de l’anarchisme. Pendant
notre enfance, nous avons regardé des films au sujet de la Guerre
civile et il y avait toujours anarchistes dans ceux-ci. La propagande
les dépeignait négativement. Mais cela a eu l’effet inverse. Les
anarchistes étaient présentés comme des personnes qui, entre les
combats contre les rouges et les blancs, buvaient et dansaient. Ainsi
depuis l’enfance nous avons eu impression que les anarchistes aimaient
s’amuser ! J’ai été impressionné par les critiques envers les
changements au sein du système politique. Lukashenko, le président
actuel, a employé le mouvement démocratique pour se faire élire et la
répression a alors commencé. J’ai donc eu l’impression que le problème
ne résidait pas juste dans le mouvement démocratique mais se situait
ailleurs, qu’il était ancré plus profondément. J’ai ainsi commencé à
chercher où se trouvait la racine du problème. J’ai découvert
l’anarchisme et, vers fin 1994, je sympathisais avec les idées
anarchistes.
- Comment vous vous êtes renseigné sur l’anarchisme en Bélarussie ? Qu’avez-vous lu ?
- Pauluk : J’ai pris connaissance de l’anarchisme à la bibliothèque ;
il y avait des livres rédigés par auteurs comme Kropotkine. Mais peu
d’ouvrages étaient disponibles. Nous n’avions de contact ni avec des
anarchistes d’Europe de l’ouest ni d’Europe de l’est. Il n’y avait pas
plus de communication avec les autres anarchistes bélarusses.
- Il y avait donc une fédération anarchiste à cette époque-là ?
- Pauluk : Oui, en 1992, il y avait déjà une fédération, fondée par 8
personnes. Six des membres fondateurs sont encore investis. En 1994, il
y avait environ 20 personnes, mais réparties seulement dans deux villes
; aussi n’aie-je pas entendu parler d’anarchisme par eux mais par les
livres.
- Comment les choses se sont-elles développées à partir de là ?
- Pauluk : En octobre 1994, des étudiants ont organisé quelques actions
contre l’augmentation des prix du pain et du lait. C’était une
performance de rue, sous le slogan « Merci, Président, pour le pain et
le lait ». C’était la première grande action organisée contre le
président, en place depuis deux mois. L’organisation de cette action
avait été influencée par des anarchistes et c’est de cette manière que
j’ai rencontré d’autres anarchistes. Et en fin d’année, j’étais un
anarchiste confiant.
- Qui étaient ces autres anarchistes ? Etaient-ils de la Fédération ?
- Pauluk : Oui, ils appartenaient au groupe de Minsk.
- Que vous a attiré aux idées d’anarchiste ?
- Pauluk : En tenant compte de ce je suis venu au mouvement anarchiste
par le côté démocratique, j’ai été attiré par l’idée que l’anarchisme
semble est la seule vraie démocratie. La démocratie dont les démocrates
parlent est juste un mensonge, une illusion de démocratie. J’ai lu
d’autres idées de gauche, notamment le trotskyisme, le maoïsme, tout ce
qui était disponible. Parmi ces idées, l’anarchisme était la seule
chose que je pouvais imaginer.
- Maryna, quand avez-vous commencé à devenir anarchiste ?
- Maryna : C’est difficile à dire parce que j’étais très jeune quand
l’Union soviétique s’est effondrée. Je m’intéressais au mouvement punk.
Il semblait normal que nous n’aurions pas ce que nous avons eu dans le
pays. Alors, j’ai rencontré Pauluk et il a donné un nom à ce à quoi je
pensais. C’était ce que je voulais, ce à quoi je pensais. C’était en
1998, quand je me suis investie pour la première fois dans les
manifestations d’étudiants.
[Les réponses suivantes sont la plupart du temps formulées conjointement par Maryna et Pauluk après une discussion entre eux.]
- Combien d’anarchistes y a-t-il en Bélarussie ?
- C’est difficile à dire parce que nous ne pratiquons pas l’adhésion
comme vous. La participation à la Fédération n’est possible que lorsque
vous agissez. Environ 200, peut-être.
- Après les actions étudiantes, qu’avez-vous fait ? Etiez-vous plus investis dans la Fédération ?
- La Fédération se compose d’un certain nombre d’initiatives différentes.
- Est-ce comme en Pologne ?
- Oui, c’est comme ça mais, en Pologne, ils ont plus de groupes locaux.
Ceci découle de l’histoire de la Pologne - il y a des relations
anarchistes entre les villes. La Fédération bélarusse compte également
des sections locales, mais le travail se déroule autour des
initiatives. L’une d’elles était l’initiative anti-parti. Le but de
cette initiative était d’arrêter que les jeunes s’empêtrent dans le
travail des partis politiques parce que les partis emploient les jeunes
comme main d’œuvre bon marché. Aussi, nous avons organisé différentes
actions pleines d’humour, des « happenings » en rue, qui se moquaient
de tous les partis politiques, tant du gouvernement que de l’opposition.
- Pourquoi pensez-vous que l’humour soit une si bonne arme ?
- Nous avons pris un risque parce que nous n’avions jamais fait cela
auparavant. Nous ne savions pas où cela nous mènerait, mais cela a
lancé le développement du mouvement. Mais naturellement nous n’avons
pas inventé ça nous-mêmes ; nous avons été attirés par une initiative
polonaise employée sous la dictature où ils ont organisé beaucoup de
fêtes et d’« happenings » en rue.
- N’étiez-vous pas influencé par les fêtes de rue de l’ouest, comme « Reclaim the Streets » ?
- Non, seulement par la Pologne. Nous avons appris ce qui se passait en
Pologne par les journaux. Dans les années 90, il y a eu un manque
d’informations, c’était difficile d’en obtenir. Mais maintenant c’est
possible d’obtenir des informations via Internet. Aussi les choses que
nous organisions attiraient beaucoup de gens, la plupart du temps des
jeunes. Il y avait beaucoup de publicité dans la presse, signalant que
les anarchistes organisaient une nouvelle action drôle. De cette façon,
les gens s’y sont intéressés, en pensant que les anarchistes doivent
être très amusants.
- Maryna : Je me rappelle que je me suis investie dans le mouvement
nationaliste d’opposition durant quelques mois et lors d’une des
réunions le chef a raconté à l’assistance comment ils avaient mené une
action et que les anarchistes étaient dans un bloc séparé. Ils avaient
faim et les anarchistes nous avaient dit de prendre quelques sandwichs
et les avaient offert. Le chef essayait de s’en moquer mais cela
montrait comment les anarchistes étaient considérés par les gens, même
au sein des autres mouvements politiques.
- Après ces premières actions, que s’est-il passé ?
- Un groupe culturel a influencé le mouvement qui a organisé des
actions contre les militaires. Ils s’étaient formés en 1995 et, fin
1995, ils étaient déjà en contact avec la Fédération anarchiste et
participait à ses actions. A cette époque-là, il y avait trois villes
principales : Minsk, Hroda et Homel qui étaient la base de la
Fédération. Il y avait beaucoup d’actions effectuées par différentes
initiatives dans la Fédération, aussi est-il difficile de parler de
toutes.
Une des initiatives, c’est le groupe syndicaliste. Ils ont organisé des
grèves dans des endroits comme le dépôt de trolleybus, ils ont édité
beaucoup de propagande. Et ils ont mené un jour de solidarité avec les
chômeurs. Ces journées d’action s’achevaient toujours par des
arrestations de participants. En conséquence, beaucoup d’activistes ont
perdu leur travail. Il est difficile de continuer à être
syndicaliste... sans syndicat. Ils n’ont plus agir et le gouvernement a
commencé à faire pression sur tous les syndicats, aussi n’ont-ils plus
pu pratiquer le syndicalisme. L’une de ces personnes est devenue
conseiller local !
- Que diriez-vous de votre journal ?
- Il y avait plusieurs journaux avant le nôtre. Nous avons eu l’idée de
rédiger un journal à partir nos actions anti-parti. Ce projet découle
de notre travail de moquerie à l’égard de toute autorité - le
gouvernement, etc.
- Avez-vous réalisé ceci au cours de vos fêtes et de vos « happenings » de rue ?
- Vers la fin 1998, il est devenu plus difficile de mener des actions
parce que le président a publié un décret selon lequel vous pourriez
être arrêtés pour avoir participer à ces actions. Nous avons continué à
les organiser mais pas aussi fréquemment qu’avant. Nous avons donc dû
les remplacer par autre chose.
- Comment vous est venue l’idée d’un journal ?
- Nous l’avions toujours en tête parce que nous avons édité quelques
journaux. L’idée est donc née très naturellement. Et quand le premier
numéro a été publié, nous avons réalisé que c’était une bonne chose
parce que c’était extrêmement populaire.
- Et était-ce principalement populaire parmi les jeunes ?
- Non, le journal était populaire parmi tous ceux qui s’intéressaient à
la politique. Avec le journal, tous les politiciens ont entendu parler
de nous. Au début, c’était un petit journal, mais après un an, nous
l’avons enregistré officiellement. Nous avons célébré notre première
année par une action sous le slogan « Légalisez-le ». Le nom du
journal, « Navinki », provient du nom d’un hôpital psychiatrique mais «
Navinki » signifie également « petites nouvelles ». Le principal
journal s’appelle seulement « Les Nouvelles » : nous nous moquons donc
à deux reprises. Notre demande d’enregistrer officiellement le journal
a été refusée parce que les autorités ont indiqué qu’il porte le nom de
l’hôpital psychiatrique. Nous avons fait un scandale dans le journal,
ils se sont effrayés et ont accepté notre enregistrement.
- Quelle est votre diffusion ? Vendez-vous le journal ?
- C’est difficile à dire, environ 10.000 exemplaires. Au début, c’était
une revue mensuelle et puis un hebdomadaire. Mais la diffusion a
diminué parce que certains points de ventes ont été fermés. En outre,
nous avons rencontré un autre problème : les distributeurs officiels
acceptaient notre journal uniquement en petites quantités. Les réseaux
de distribution privés avaient souvent peur de prendre le journal à
cause de la répression.
- Qu’est-il arrivé au journal ?
- Maryna : Nous avons été fermés par les autorités. Nous avions écrit à
propos du président et « insulté la moralité des personnes ». Pauluk a
été convoqué à la cour et condamné à 700 euros d’amende. C’était
impossible à payer. Ils sont venus à la maison de ses parents et ont
confisqué leurs biens.
- Que faites-vous maintenant ?
- Nous éditons une magazine illégal, parce qu’illégalement vous pouvez éditer ce que vous voulez.
- Quelle est la dimension du mouvement aujourd’hui ?
- Nous ne pratiquons pas l’adhésion, aussi est-il difficile de le dire.
Quand les gens ne sont pas satisfait par le travail d’un groupe, ils
peuvent en rejoindre un autre ou lancer indépendamment leurs propres
initiative et travail.
- Avez-vous pu maintenir l’intérêt des jeunes maintenant qu’ils sont plus âgés à cause la répression ?
- Quiconque vient au mouvement comprend qu’il peut y avoir de la
répression. Aussi, ne découvrent-ils pas cela ; ils le savent déjà. La
raison principale pour laquelle nous perdons des camarades c’est qu’ils
émigrent pour différentes raisons telles que des problèmes avec les
autorités. Mais ils restent en contact.
- Maryna : Mon avis personnel, c’est qu’ils ne font plus grand chose.
Ils sont trop occupés à nouer les deux bouts. Nous sommes à l’étape où
nous comptons seulement des jeunes et eux sont encore actifs, mais
certains sont juste à la maison et élèvent des enfants.
- Quelle est maintenant l’activité la plus importante à réaliser, selon vous ?
- En ce moment, le mouvement et les initiatives se développent tous.
Quand quelqu’un vient à l’anarchisme, nous voulons lui donner toutes
les occasions de participer selon son désir. Nous essayons plus de
construire un réseau, nous avons donc organisé des forums sociaux qui
peuvent concerner tout le monde. Nous voulons que les gens voient
qu’ils ne sont pas seuls et que le mouvement est très large, un front
de lutte uni contre le système. Et, qu’une personne peut y trouver sa
place. Il est difficile de trouver des manières d’agir parce que l’Etat
essaye de monopoliser toutes les activités possibles. Ils essayent que
les gens communiquent uniquement à travers les organismes d’Etat.
- Que pensez-vous des autres organisations que vous avez pu contacter lorsque vous étiez à l’étranger ?
- Nos premiers contacts se sont déroulés avec des anarchistes russes.
C’est amusant que les anarchistes de Minsk et de Hroda aient été mis en
contact par des anarchistes russes. De nos contacts occidentaux, nous
avons obtenu beaucoup d’informations sur l’anarchisme du monde moderne.
Notre anarchisme est basé sur l’anarchisme historique, Kropotkine,
Bakounine, et personne ne savait vraiment ce qui se passait à l’ouest.
Nous connaissions la Révolution espagnole mais pas ce qui s’était
produit après la guerre, comme 1968. Et quand le Rideau de fer est
tombé, ce fut une découverte de savoir ce qui s’était vraiment passé,
de connaître vos idées et de savoir quelles discussions se déroulaient.
Mais les pays occidentaux ne semblaient pas du tout au courant de ce
qui se passait dans les pays post-soviétiques. Nous avons également
noté qu’il y a de longues discussions théoriques, souvent au sujet de
petits points, tandis que nous discutons de questions plus concrètes.
Nous voulons discuter de questions dont nous pourrions parler à «
l’homme au pub ». Nous trouvons qu’en Russie ils discutent souvent pour
savoir qui est le meilleur anarchiste.
{En conclusion, cette entrevue montre comment des idées anarchistes et
l’action émergent dans des contextes très variés. Pour Maryna,
l’anarchisme est le nom donné à ce qu’elle pensait de toute façon. Les
désillusions liées à la prétendue nouvelle démocratie ont conduit
Pauluk à la bibliothèque, où il a trouvé les idées qui l’ont aidé à
comprendre ce qui se passait. Bien qu’ils n’aient pas eu de contact
initial avec des anarchistes en dehors de leur pays, leur mouvement a
tiré profit des informations relatives à ce qui se passait dans
d’autres pays. De même, les camarades de l’Internationale des
fédérations anarchistes ont été inspirés par le courage, l’imagination
et l’engagement de la Fédération bélarusse. Leurs expériences montrent
à quel point il important de diffuser les idées anarchistes aussi
largement que possible. Il y a des millions des personnes qui
recherchent des pistes alternatives, qui en ont assez de la politique
actuelle et des idéologies religieuses. Nous devons nous assurer qu’ils
puissent entrer en contact à la fois avec les idées anarchistes et avec
l’anarchisme en action afin de renforcer et d’enrichir la lutte globale
pour une société nouvelle.}
Le 2 octobre 2005, tandis qu’au Congrès des Forces Démocratiques
l’opposition bélarusse discutait et élisait son candidat unique pour la
prochaine campagne présidentielle de 2006, les anarchistes bélarusses
se réunissaient également en Congrès pour discuter des questions
réellement importantes pour la société bélarusse.
Plus de 50 délégués de Minsk, Homel, Lida, Vitebsk, Ivatsevitchi et
d’autres régions de Bélarussie ont participé au 12ième Congrès de la
FAB (la Fédération Anarchiste Bélarusse). Les participants du congrès
ont discuté longuement des problèmes et enjeux de la société bélarusse,
ils et elles ont déterminé la stratégie d’action des anarchistes
bélarusses dans la situation sociale et politique actuelle du pays, ils
et elles ont également défini les étapes concrètes nécessaires au
développement du mouvement anarchiste en Bélarussie. Un des résultats
les plus importants du congrès a été la décision de la Fédération
Anarchiste Bélarusse de s’affilier à l’Internationale des Fédérations
Anarchistes (IFA). Cette décision importante a été approuvée par le
consensus de tous les participants.
La représentation des anarchistes bélarusses dans l’Internationale des
Fédérations Anarchistes permettra d’attirer plus l’attention du
mouvement libertaire international sur les problèmes bélarusses.
D’ailleurs, elle renforcera la solidarité internationale et l’appui des
camarades étrangers, ce qui est très important pour les anarchistes
bélarusses, particulièrement après les répressions récentes de l’Etat
contre des activistes du mouvement antifasciste.
[Traduction de l’anglais pour l’Internationale des Fédérations anarchistes, par Hertje]
A voix autre