Benjamin Netanyahou n’a aucune légitimité à appeler les juifs à s’exiler en Israël
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Le Monde : "Je suis juif. Aussi loin que ma mémoire remonte je n'ai jamais ignoré ce fait. En aurais-je été tenté d'ailleurs que la mémoire familiale qui n'a pas oublié la perte de la nationalité française et l'application du statut des juifs en Algérie m'en aurait dissuadé. Et mes premières années de lycée en France ont renforcé cette réalité : mes oreilles résonnent encore de quelques « sales juifs » ou de la rhétorique d'un individu que je retrouverai plus tard au service des étrangers de la préfecture de police de Paris (!) qui trouvait que les juifs étaient largement responsables de leur propre destruction.
Les assassinats de ces deux dernières années rappellent que
le pire est toujours possible. Mais je suis un Français juif et,
à ce titre, je n'ai pas d'autres fidélités que celles qui me
lient à une certaine France, à une culture dans laquelle j'ai
été éduqué. Et ces références, alliées aux valeurs familiales,
ne sont pas pour rien dans ma prise de conscience politique et
philosophique qui déterminera plus tard mon engagement dans
plusieurs organisations telle la Ligue des droits de l'Homme.
Ce sont mes fidélités, je les ai choisies et je n'entends
pas que l'on m'en impose d'autres au prétexte que je suis juif.
Qu'un homme politique profite des peurs du moment pour creuser
son sillon est déjà détestable. Qu'il utilise chaque victime
pour créer des divisions, établir des distinctions et pousser
chacun à se méfier de l'autre, voici qui est intolérable.
Benjamin Netanyahou n'a aucune légitimité à appeler les
juifs à s'exiler en Israël. J'emploie le mot « exil » à dessein
car Israël n'est pas mon pays, pas celui où je suis né, pas
celui où j'ai appris, pas celui où je lutte, y compris contre
l'antisémitisme, l'islamophobie et toute forme de racisme.
D'autres juifs ont fait le choix de vivre en Israël. Ce
sentiment national est aussi respectable que tout autre
sentiment national mais rien ne me force à y adhérer.
Mon choix est inverse, je ne suis pas en diaspora et mon
refuge, si je dois chercher refuge, c'est la France de Jaurès,
de Blum et de tant d'autres. L'opportunisme du premier ministre
Israélien n'a pas comme seule vocation la croissance numérique
d'une population en mal d'enfants, il a aussi pour effet de lier
la lutte contre l'antisémitisme à la problématique du conflit
israélo palestinien. Je refuse ce trait d'union que tous les
responsables israéliens ont toujours voulu tiré entre leur
politique et les juifs d'une autre nationalité.
Je n'ai aucune solidarité a priori avec une politique
d'Etat encore moins si cette solidarité doit être religieuse ou
ethnique. On ne me fera pas cautionner une politique, surtout
quant elle conduit à coloniser un autre peuple, parce qu'un Etat
s'est arrogé le droit de parler en mon nom. Les dirigeants des
organisations communautaires juives françaises devraient avoir
bien présent à l'esprit que l'indispensable lutte contre
l'antisémitisme ne passe pas par une défense inconditionnelle de
la politique israélienne. Elle passe par une lutte commune qui
nomme les différentes formes de racisme, n'en tolère aucune, ne
stigmatise aucune communauté et s'attaque à ces discriminations
qui dénaturent la République. C'est ainsi que l'on peut espérer
retrouver l'égale dignité des hommes et des femmes de ce pays.
La fraternité en somme.