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Beigbeder et la SNCF ou comment ne voir midi qu’à sa porte

D’après le Monde du 25 novembre, l’écrivain virtuel Frédéric Beigbeder, « chroniqueur littéraire du magazine people "Voici", a décidé de mettre fin à sa collaboration après neuf années et annonce jeudi, dans un entretien au Parisien/ Aujourd'hui -où il déclare que cela devient trop bizarre d'écrire dans un journal dans lequel on se retrouve à la une en caleçon avec son enfant et sa compagne-, qu'il assigne son employeur pour atteinte à la vie privée ».

Dans le genre tartuferie bourgeoise, celle-ci relèverait du cas d’école, si elle ne témoignait pas d’une tendance de fond beaucoup plus grave, quelque chose comme un individualisme forcené confinant au mieux à l’autisme, au pire au solipsisme.

En effet, sans se sentir concerné le moins du monde par le cloaque intellectuel dans lequel il baigne, un Beigbeder peut œuvrer pendant près de dix ans dans un torche-cul qui fait son beurre en tartinant à longueur de page la vie privée de célébrités en tout genre, puis, quand le média qui remplit son assiette se sert dans la sienne, se mettre à pousser les mêmes cris de dinde effarouchée que la starlette surprise à poil par son employeur quand les méthodes de ce dernier ne le dérangeaient pas du tout.

Une telle attitude serait simplement désopilante ou désolante si elle ne concernait qu’une poignée de faiseurs surestimés comme le misérable Frédéric, mais il nous paraît à craindre que cette réduction du monde à soi-même ait débordé depuis longtemps le champ clos et l’inanité décadente des mondains « fils de pub » pour envahir la totalité de la société.

Ainsi, les grèves de la SNCM, puis de la RTM, aussi longues et dures soient-elles, n’ont-elles déclenchées aucun mouvement de solidarité* non seulement en général, mais plus particulièrement à la SNCF ou à la RATP, entreprises dont l’histoire et la raison sociale sont pourtant étroitement liées à celles de leurs consoeurs maritimes et régionales.

Absence de solidarité qui n’empêche nullement ces sociétés de faire grève à leur tour, mais surtout pas de concert**, pour des raisons d’ailleurs proches de celles de leurs alter ego méridionaux : privatisation plus ou moins rampante, taille dans les effectifs, remise en cause des missions de service public, gel des salaires.

Devant un tel découplage de revendications qui obtiendraient d’autant plus d’impact qu’elles seraient associées, une telle dilution par l’effet lénifiant du temps de préoccupations analogues que leur simultanéité concentrerait, on peut réagir comme un atroce Beigbeder en se disant qu’il n’arrive d’événements importants qu’à soi-même, quoique ces événements soient identiques à ceux que d’autres ont endurés auparavant avec notre bienveillante ou indifférente complicité, ou bien on peut se demander si cette absence de synergie dans les luttes n’est pas très objectivement voulue, de sorte que l’on soit sûr que le système que l’on combat, on ne le combat pas trop durement, car, plutôt que de le voir s'effondrer, on n’a que l’envie d’en retirer des miettes.

Une telle attitude d’acceptation profonde de l’idéologie libérale*** (diviser pour régner lui est consubstantiel) sous couvert d’une contestation boutiquière ou de pure forme n’est-elle pas d’ailleurs parallèlement et de longue date à l’œuvre dans le domaine politique, quand la gauche la plus puissante, celle dite de gouvernement –l’autre n’est que folklorique-, refuse l’outil tactique fournit par la rébellion des cités afin de contraindre le pouvoir à se démettre, pour mieux se préoccuper de querelles intestines qui n’intéressent au mieux que des Beigbeder ?

* outre les dons de soutien
** les salariés du privé qui répètent à longueur d’antennes « qu’eux, ils ne peuvent pas se le permettre » sont encore plus consternants : depuis quand le droit de grève n’existe-t-il plus dans le secteur concurrentiel ?
*** en témoigne la ruée sur les actions EDF

Mathias Delfe

Ecrit par MathiasDelfe, à 18:07 dans la rubrique "Actualité".



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