Tout système dans l’Histoire a atteint un jour ou l’autre ses limites et a cédait la place à un autre système, à une autre organisation de la société, basées sur d’autres valeurs. De même que tout système dans l’Histoire a cru qu’il était l’aboutissement ultime de l’évolution sociale, notre système tombe dans le même travers et veut nous faire croire que l’Histoire est finie. Il faut replacer le système marchand à sa «juste place» dans l’Histoire.
Ne nous méprenons pas, malgré les discours lénifiants et les entrechats
médiatico politiques, le système marchand a de moins en moins de marges
de manœuvres pour limiter les conséquences de l’application de ses
règles de fonctionnement… lui aussi tend inéluctablement vers ses
limites.
Les problèmes économiques s’accompagnent aujourd’hui d’une véritable
décomposition sociale, d’une perte de confiance dans ce qui constitue
sinon les valeurs, du moins les conditions d’expression de celles-ci
dans notre société.
A moins de croire en la fatalité ou au hasard, ou en une volonté
divine, ce qui revient à peu prés au même, le secret de la
compréhension de l’évolution historique, du sens de l’Histoire diraient
certains, réside très probablement dans la compréhension des mécanismes
à la fois unificateurs et contradictoires qui sont à la base des
sociétés. La démarche de cette connaissance n’est pas simple car,
contrairement à la science physique, on n’a pas affaire à une science
exacte et l’on ne peut pas établir des lois à vocation
spatio-temporellement universelles.
DE L’EXPLOITATION DE LA FORCE DE TRAVAIL A L’EXCLUSION SOCIALE
Il n’y a pas de linéarité dans le développement des contradictions du
système marchand. Ceci signifie que l’hypothèse faite au 19e siècle
d’un développement et une aggravation toujours plus importante de
l’exploitation salariale touchant un nombre de plus en plus grand
d’individus, ne s’est pas réalisée conformément à la prédiction. En
effet, s’il y a bien eu «généralisation du salariat»… et le processus
se poursuit, et même dans des secteurs où on l’attendait le moins
(professions libérales, travail social,…), les conditions de la
valorisation du capital (accroissement de la rentabilité, réduction des
coûts) a entraîné un phénomène conjoncturel qui est devenu structurel:
le sous emploi. La croyance en un besoin toujours plus important, voire
illimité, de force de travail s’est avérée fausse. Ainsi, ce qui a
constitué pendant des décennies la contradiction principale du système:
l’exploitation salariée, a cédé le pas (sans pour cela disparaître) à
une condition beaucoup plus destructrice pour le système: l’exclusion.
L’accroissement de l’exploitation d’une partie toujours plus importante
de la population, la classe ouvrière, n’a jamais été, même à ses pires
moments la contradiction qui a mis en péril l’ensemble du système.
Le développement de l’économie de marché dans les pays industriellement
développés, qui constituaient l’essentiel de l’organisation et de la
direction de la production jusqu’après la 2e Guerre Mondiale a pu
malgré les conflits qu’il engendrait, sinon intégrer organiquement la
classe salariée du moins s’«acheter la paix sociale»: augmentation du
niveau de vie, protection sociale, retraites,…. Le quasi monopole de la
production mondiale dans ces pays, la possession de la technologie et
la domination économique et politique à l’échelle du monde (les empires
coloniaux), ont permis, à l’époque, des prouesses en matière de
politiques économiques qu’il ne leur est plus possible aujourd’hui
d’accomplir.
Les conditions imposées par la mondialisation marchande (mondialisation
des marchés, y compris celui de la force de travail) ont imposé, et
imposent, des conditions qui non seulement remettent en question les
acquis sociaux, mais démantèlent de nombreux secteurs de l’activité
économique. Licenciements massifs et délocalisations en sont les
manifestations les plus spectaculaires. Non seulement on peut produire
plus avec moins de force de travail, mais encore on peut trouver une
force de travail moins chère que dans les pays développés… ce qui
entraîne une relativisation du travail humain dans la production, et
donc, structurellement une exclusion.
L’exclusion, qui est une conséquence directe du développement du
salariat, est en passe de devenir le point nodal des contradictions du
système marchand. Pourquoi est-elle particulièrement destructrice?
L’intégration dans le système, même si elle s’est faite, et se fait, en
instrumentalisant l’individu (j’ai besoin de lui je le prend, je n’en
ai plus besoin, je le vire…), lui donne tout de même une «place», une
«identité sociale», un «sentiment d’être utile», de «servir à quelque
chose». C’est ce phénomène d’intégration qui a permis au système
d’intégrer la «classe ouvrière», d’en faire sinon un allié du moins une
classe sociale qui a su limiter ses revendications dans le cadre du
«supportable» pour le système (voir l’évolution des syndicats). En
effet, l’identité sociale du salarié n’est pas un vain mot. Il est
conscient, et à juste titre, d’être un élément essentiel de la société.
C’est cette situation qui fera sa force: la conscience de classe, le
désir et le besoin de s’organiser, la possibilité d’établir un rapport
de force pour améliorer sa situation… on parlera même de «culture de
classe».
La montée en puissance de l’exclusion détruit ce «consensus» sur lequel
a fonctionné économiquement, politiquement et même idéologiquement le
système marchand. Or, le système marchand ne sait pas résoudre ce
problème. Il ne le peut d’ailleurs pas et s’il s’y risquait, il
remettrait en question ses propres principes de fonctionnement… ce qui
explique que l’Etat ne pose jamais le vrai problème.
DE L’EXPLOITATION DES RESSOURCES NATURELLES AU SACCAGE DE L’ENVIRONNEMENT
L’exploitation, par le système marchand des ressources naturelles a pu
paraître logique et «naturelle» comme elle l’était apparue aux autres
époques de l’Histoire… encore que. Même, au moment de la révolution
industrielle au 19e siècle, il n’est pas encore évident qu’à terme, une
telle logique de développement, accompagné d’un perfectionnement sans
précédent des technologies, posera de sérieux problèmes. Il faudra
attendre véritablement l’après deuxième guerre mondiale, et même la fin
des années soixante pour que les sonnettes d’alarme commencent à être
actionnées.
Aujourd’hui, la démonstration n’est plus à faire. Les clignotants sont
au rouge dans tous les secteurs de l’environnement. Le diagnostic a été
fait et il est de notoriété publique que c’est notre mode de production
qui est à l’origine de telles catastrophes (nucléaires, chimiques,
climatiques et autres). La course effrénée à la production (toujours
plus de croissance voir l’article «LA CROISSANCE? QUELLE CROISSANCE?»),
l’incitation délirante à la consommation (voir l’article «LA PUB OU LA
VIE»(, les gaspillages inouïes des réserves naturelles ne sont que les
manifestations du système marchand qui opère désormais à l’échelle
mondiale et avec des moyens techniques sans commune mesure avec ceux
utilisés aux autres époques de l’Histoire. Des conférences se sont
tenues, des traités élaborés, une multitudes de rapports écrits et
diffusés… pourtant rien ne change et ce pour une raison fort simple:
poser le vrai problème et esquisser des solutions ne peut se faire
(comme dans le cas précédent du travail et de l’exclusion) qu’en
remettant en cause les principes de notre fonctionnement… ce qui est
tout à fait exclu. Pire, alors que nous avons été une minorité
(l’Europe et les USA au 19e et 20e siècle) à détruire l’environnement,
le seul modèle de développement que nous proposons aux autres pays (via
le FMI et l’OMC) est un modèle identique au notre (???). La seule
concession que l’on fait pour ce problème est d’ordre purement
idéologique en inventant le «développement durable», véritable
escroquerie politique qui permet de se dédouaner à bon compte et à
continuer à détruire l’environnement mais avec la bonne conscience de
celui qui a tenté «quelque chose», (voir l’article «
LA DECROISSANCE?
QUELLE DECROISSANCE?»)
Toutes les conférences sur l’environnement sont des échecs… ce qui
n’est pas un hasard. Les Etats, quels qu’ils soient, garants du système
marchand, ne peuvent évidement pas remettre en question ce dont ils
sont les garants
UNE PERTE DE CONFIANCE GENERALISEE
L’illusion, ou plutôt les illusions, qui étaient celles des
économistes, idéologues et autres chantres de l’économie de marché
jusqu’aux années 1950 (le «rêve américain»), sont entrain de
s’effondrer. Le système marchand est en passe d’atteindre ses limites.
Si l’illusion subsiste encore c’est grâce à un effort inouï de
«communication», de conditionnement de masse. Les Etats n’expliquent
plus, ils «communiquent», autrement dit donnent l’apparence de la
maîtrise alors qu’ils ne l’ont plus: voir les discours totalement creux
des politiques… de droite comme de gauche.
Les contradictions ont atteint un tel niveau aujourd’hui et
l’incapacité et/ou complicité des Etats sont telles que la suspicion
citoyenne à leur égard est entrain de se généraliser… il n’est qu’à
voir le désintérêt que suscite la question politique auprès d’un nombre
de plus en plus important de citoyens.
La situation a atteint un tel degré de dégradation que toute parole
officielle est aujourd’hui suspecte. Qui peut croire en un rapport
officiel, en des chiffres officiels, en une déclaration officielle?
Ceci est tellement vrai que lorsqu’on veut savoir la vérité sur un
évènement on fait appel, pour enquête et investigation à un «organisme
indépendant»…sous entendu «de l’Etat»,… ce qui est le comble dans ce
que l’on appelle une démocratie. Une telle situation remet en question
la notion même de citoyenneté qui est, excusez du peu, le fondement
éthique de notre société.
Ainsi, le fonctionnement du système marchand n’arrive plus, ou du moins
arrive de moins en moins, à «tisser du lien social» c’est à dire à
faire en sorte qu’existe une situation (conflictuelle certes) mais tout
au moins compatible avec la paix sociale et la vie sur cette planète.
Le choix de la libéralisation de toutes les activités humaines, dont
l’Accord Général sur le Commerce et les Services (AGCS) est le stade
ultime, est une fuite en avant vers ce chaos social et écologique.
L’Histoire n’est pas terminée. L’économie de marché n’est qu’un moment
de celle-ci comme l’ont été les autres formations sociales. Les
rapports sociaux qui fondent celle-ci n’arrivent plus à encadrer et à
maîtriser les conséquences du fonctionnement du système marchand. Les
développements ultimes de la logique marchande: exclusion du travail
humain de la production et surexploitation des ressources naturelles
deviennent incompatibles avec le respect de la vie en société et même
de la vie tout court. A charge pour l’Homme, comme il l’a fait au cours
de son Histoire de définir de nouvelles manières de vivre en société,
et les conséquences du développement technologiques sont telles
aujourd’hui, qu’il y va de sa survie en tant qu’espèce vivante.
Patrick MIGNARD