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Jan Egeland, IRIN, 3 juin 2008
« Un débat très académique est en cours actuellement en Europe : on se demande encore si "le climat est déjà en train de changer" et si "le changement climatique est visible aujourd’hui". Ici, au Burkina Faso, ce débat n’a pas lieu, parce que les conséquences parlent déjà d’elles-mêmes ».
« Bien que nous ayons passé la journée [du 2 juin] à rencontrer les représentants du gouvernement et le personnel des Nations Unies, cela m’a ouvert les yeux, surtout les discussions que j’ai eues avec les ministres de l’Agriculture et de l’Environnement. Tous ceux que j’ai rencontrés m’ont donné une kyrielle d’exemples de la manière dont tout ce qui a à voir avec le climat et les précipitations au Burkina Faso a atteint des extrêmes ces 10 dernières années ».
« Le changement climatique au Burkina Faso ne se traduit pas par une réduction des précipitations, mais par leur plus grande imprévisibilité. Et le climat général est devenu bien plus extrême dans sa manière de se manifester : la chaleur, le froid, les hauts et les bas en matière de précipitations ».
« Les populations ne peuvent pas prédire quand la pluie va tomber. Et quand elle tombe, il pleut des cordes. L’année passée, le Burkina Faso a enregistré huit précipitations de plus de 150 millimètres : cela veut dire qu’il y a eu huit inondations dévastatrices dans une période de quatre mois ».
« L’alternative aux inondations est, en fait, une absence de précipitations : c’est tout ou rien, et dans tous les cas, cela se traduit par une crise, de façon complètement imprévisible, pour des populations qui comptent parmi les plus pauvres du monde ».
« J’ai appris aujourd’hui que dans des régions où il ne pleuvait auparavant jamais, les populations enterraient leur argent dans la terre pour le conserver, n’ayant pas accès aux banques. Or, l’année dernière, lorsque des pluies torrentielles se sont abattues sur certaines de ces régions, la terre s’est transformée en bourbier et l’argent [enterré] a été emporté par les eaux de crue, avec les maisons des habitants et le reste de leurs biens ».
« [Cette anecdote] est un bon exemple de la bizarrerie des nouvelles réalités auxquelles les populations de ce pays se trouvent confrontées à mesure qu’elles se trouvent aux prises avec des conditions climatiques qu’elles n’avaient jamais connues jusqu’ici ».
« Une autre retombée importante concerne l’agriculture, bien sûr. Les habitants plantent au moment où la pluie doit commencer à tomber, et puis, rien ne tombe, ou bien les pluies sont très peu abondantes, alors les pousses finissent par se dessécher et mourir. Et puis soudain, de violentes averses s’abattent, qui provoquent une inondation et tout est emporté par les eaux ».
« Ce qui m’a également ouvert les yeux, aujourd’hui, ç’a été de prendre connaissance des statistiques qui m’ont été présentées par le gouvernement, et selon lesquelles le Burkinabè moyen émet 0,38 tonne de CO² par an. Le Chinois moyen en émet 10 fois plus, un Britannique 30 fois plus et les Américains 75 fois plus par habitant ».
« Et de découvrir que le Burkina Faso émet en tout 4,5 millions de tonnes de CO² par an, tandis que le Canada en déverse 747 millions de tonnes, pour une population à peu près équivalente ».
« Cela illustre un problème moral important : ceux qui ne contribuent pas au réchauffement climatique font les frais des changements que ce phénomène engendre, tandis que ceux qui l’ont causé s’en sortent bien. En d’autres termes, les pays du nord commettent des meurtres en toute impunité ».
« La situation est-elle désespérée ? Absolument pas. Les membres du gouvernement et des Nations Unies que j’ai rencontrés ici aujourd’hui m’ont fait clairement comprendre que le Burkina Faso avait besoin d’investissements. Le pays pourrait produire bien plus de vivres, s’il recevait de l’aide sous forme de semences, d’engrais et de systèmes d’irrigation plus performants, en plus grande quantité ».
« Le ministre des Affaires étrangères a expliqué que le pays avait également besoin d’aide en matière de production d’énergie et de reforestation. Je vais m’efforcer de trouver, dans les prochains jours, des exemples concrets de solutions possibles ».
« Malheureusement, ce qu’on m’a fait remarquer à juste titre, c’est qu’à ce jour, les palabres sont allés bon train sur l’aide à apporter aux pays en voie de développement pour leur permettre de faire face au changement climatique, mais que ces paroles ne se sont guère traduites en actes ».
« [Les gens] sont désillusionnés, et c’est vraiment honteux, parce qu’ils n’ont rien fait pour se mettre dans une telle situation, et nous qui avons causé ce problème en ignorons les conséquences parce qu’elles ne nous concernent pas ».
« Demain [le 3 juin], nous poursuivons notre voyage au Mali, où d’autres rencontres sont prévues à Bamako, avant de nous rendre à Faguibine, un lac asséché situé près de Tombouctou, où il sera intéressant d’observer le changement climatique par nous-mêmes ».
« Trop de Maliens ont recours aux armes pour résoudre leurs griefs, à mesure que la croissance démographique galopante, l’épuisement progressif des ressources en eau et la détérioration des terres agricoles et pastorales transforment les voisins en ennemis à travers les vastes régions de cette vieille contrée ».
« Selon mes collègues des Nations Unies qui se trouvent ici, à Bamako, la capitale, des centaines de petits conflits, relativement localisés, font rage à travers le Mali ».
« Et les représentants du service des armes légères de la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) m’ont dit que des armes affluaient actuellement ici ; elles proviennent de plusieurs autres pays de la région, qui ont mis fin dernièrement à leurs propres guerres. Selon la CEDEAO, le nombre des fabricants d’armes locaux a également doublé ces quatre ou cinq dernières années au Mali ».
« Ce fut d’ailleurs une révélation assez émotionnelle, pour moi. La dernière fois que j’ai travaillé au Mali, c’était il y a 10 ans, pour le compte des ONG [organisations non-gouvernementales] et du gouvernement norvégiens ; j’avais participé à la négociation d’un moratoire sur les armes légères. À l’époque, la rébellion des Touaregs du nord venait de s’achever et le Mali était encore inondé d’armes légères, qui avaient afflué dans le pays après la fin d’autres conflits africains et de la Guerre froide ».
« Aujourd’hui, les institutions que nous avions créées pour appliquer le moratoire et retirer ces armes de la circulation, notamment la Commission nationale sur les armes légères, existent encore mais elles se débattent avec des fonds et un soutien qui sont loin d’être suffisants. Ces institutions et ce moratoire sont tout aussi essentiels aujourd’hui qu’ils l’étaient il y a 10 ans ».
« Mais pour mettre un terme à ces affrontements, actuellement limités et isolés, il ne suffira pas de retirer ces armes des mains du peuple ».
Le changement climatique, source de conflits
« J’ai entendu aujourd’hui [le 3 juin] le président Amadou Toumani Touré, le Premier ministre ainsi que d’autres hauts responsables, dont les propos rejoignent ceux que j’ai entendus hier au Burkina Faso -pays voisin, situé à l’est du Mali et où j’ai commencé cette tournée d’une semaine dans le Sahel. Ils m’ont parlé de la diminution et de l’imprévisibilité des précipitations, des pénuries d’eau et de l’avancée progressive du désert du Sahara sur les terres arables du Mali et le fleuve Niger, autant de facteurs qui contraignent les communautés agricoles et pastorales à empiéter sur leurs territoires respectifs et provoquent des affrontements fréquents ». « Les éleveurs du nord du Mali, où je me rends demain, se sentent apparemment très en marge, eux aussi, du processus de développement en cours dans le sud du pays, une autre source de tension. Dans cette région, certains membres de l’ethnie des Touaregs ont lancé une rébellion, revendiquant l’égalité politique et économique du nord ».
« De même, nous avons évoqué les souffrances des Maliens face à la hausse du prix du riz, et la production de coton, principale culture de rente du pays, décimée par des pluies imprévisibles ».
Les trafiquants de drogue colombiens
« Il semble que les trafiquants de drogue colombiens, qui disposent de fonds illimités pour soudoyer [les populations], payent et se battent pour obtenir le contrôle des itinéraires transsahariens qui leur permettent d’acheminer leurs drogues vers l’Europe et jusqu’au Golfe. Ils sapent [l’autorité du] gouvernement et font régner l’insécurité dans une bonne partie du pays. Je connais, pour avoir travaillé en Colombie, les troubles causés par ces gangs, et je sais combien il est difficile de les déloger une fois qu’ils se sont établis quelque part ».
« Tout ce que j’ai vu et entendu au Mali a confirmé l’impression que j’avais déjà, à savoir qu’on ignore encore s’il y aura davantage de coopération ou davantage de conflits au Sahel. Nous pouvons contribuer à investir dans la coopération ».
« Il y a des gens, ici, qui préconisent un recours à l’armée pour mettre fin aux rébellions, aux attaques armées et à la contrebande. L’armée est certainement une solution contre la contrebande et le trafic de drogue, mais les griefs sociaux, politiques et culturels légitimes ne peuvent être réglés de cette façon. C’est par les investissements, le développement et le dialogue qu’on parviendra à les résoudre ».
Soutien des bailleurs et des Nations Unies
« Je vais par conséquent encourager les bailleurs, qui ont déjà soutenu un grand nombre de bons programmes, ici, à Bamako, à consacrer des fonds bien plus importants au financement des programmes environnementaux et aux projets destinés à aider et à autonomiser les éleveurs, surtout. Ils doivent également soutenir les programmes de retrait des armes légères ».
« Nous avons également convenu que les Nations Unies pourraient et devraient en faire davantage pour favoriser la réconciliation au plan local, le développement local et l’autonomisation des agriculteurs et des communautés agricoles du nord, ainsi que des éleveurs ».
« La situation est déjà très tendue. Mais nous pouvons prévenir un conflit plus grave en injectant les investissements nécessaires et en coopérant. Le président du Mali a pris une position tout à fait admirable en faveur d’un dialogue avec toutes les communautés marginalisées. Avec les voisins du Mali, il organise actuellement une conférence régionale sur la paix et la sécurité qui devrait commencer en juin ou en juillet, semble-t-il ».
« À présent, cap sur Tombouctou, cette cité ancestrale où se trouve le lac Faguibine ; au lac, je pourrai constater par moi-même l’impact du changement climatique et, je l’espère, imaginer des solutions créatives pour y faire face ».
« Il y a tellement de sceptiques du climat dans le monde, et moi-même j’en faisais plus ou moins partie, dans le sens où je n’en voyais pas déjà la preuve lorsque j’ai commencé ce voyage. Mais je pense qu’après ce que j’ai vu aujourd’hui, je suis sans aucun doute en train de changer d’avis ».
« La journée a été longue : elle a commencé avec la sonnerie du téléphone, à 5 h 15 du matin dans mon hôtel, à Tombouctou, dans le nord du Mali, et déjà, il faisait bien plus de 30 degrés dehors ».
« Une fois de plus, nous avons grimpé dans un convoi bien trop long, mais cette fois, pour la bonne cause : tous les parlementaires locaux, les autorités locales et les représentants des communautés nomades ont voulu se joindre à nous sur notre route vers les communautés qui vivent au cœur de la région du lac Faguibine, un des principaux symboles du changement climatique au Sahel ».
Le lac Faguibine
« On a dû s’arrêter peut-être 10 fois en chemin vers le lac. Le fleuve Niger lui-même est moins profond [qu’il ne l’était auparavant] et n’alimente donc plus les anciens cours d’eau navigables ; c’est pourquoi une bonne partie de la région antique de Tombouctou est aujourd’hui complètement asséchée, jusqu’à l’immense lac Faguibine compris ».
« Nous avons vu des travailleurs qui s’efforçaient de creuser un nouveau canal, là où passaient auparavant les eaux du fleuve Niger, aujourd’hui évaporées en raison d’un ensemble de facteurs : changement climatique, détérioration de l’environnement et désertification ».
« C’était émouvant de rencontrer tellement de gens, qui ont tous dit “c’est une lutte entre la vie et la mort pour nous”, et de voir combien les gens sont certains qu’avec juste des sources d’eau fiables, cette région brûlée par le soleil pourrait redevenir le grenier du Mali. Sur le lit des anciens lacs, ils mènent encore beaucoup d’activités agricoles, mais bien entendu, ce n’est qu’une question de temps avant que tout s’assèche, et puis ce sera la fin pour toutes les sociétés nomades et pastorales de la région ».
« Lorsque nous sommes arrivés au lac Faguibine, il y avait une grande réunion, qui rassemblait tous les chefs communautaires. L’un d’entre eux m’a lancé un vibrant appel, dont je me souviendrai toujours. Il m’a dit : “Je suis orphelin de ce lac mort parce que j’ai vécu et me suis épanoui sur ses rives lorsque c’était encore un endroit merveilleux pour les pêcheurs, les agriculteurs et les éleveurs”. Il s’est avéré que cette personne était l’un des premiers Touaregs de la région ».
« Ce qui s’est passé ici revient en fait, en termes d’échelle, à voir le Lake District, en Angleterre, s’assécher au bout de quelques siècles ; à ceci près qu’au Mali, des centaines de milliers de personnes dépendent des lacs pour vivre ».
Retourner la situation
« Mais que faudrait-il pour retourner la situation ? Pas grand-chose ! Avec juste quelques machines, ils creusent déjà chaque année des kilomètres de nouveau canal, et plusieurs villages ont de nouveau de l’eau, au moins deux ou trois mois par an. Le Programme alimentaire mondial a contribué au prolongement du canal, grâce à ses programmes travail contre nourriture, par le biais desquels des hommes, qui seraient autrement au chômage, peuvent travailler à la construction du canal et planter des arbres en échange de rations alimentaires ».
« Le gouvernement allemand soutient ce projet, mais peu d’autres bailleurs de fonds internationaux le font. Or, sans nouvelles ressources, le projet de restauration du lac Faguibine ne pourra se poursuivre au-delà de quelques mois. Aujourd’hui, le message s’adresse en fait [aux leaders du] sommet de Copenhague, qui se tiendra à la fin de l’année ».
« Lorsque tous les leaders du monde seront là, nous devrons [leur] demander s’il convient réellement de laisser des projets vitaux comme celui-ci, qui sont directement liés au changement climatique, manquer de financement. Ce serait vraiment un échec moral si les projets qui existent déjà dans le domaine de l’aide aux populations touchées par le changement climatique n’étaient pas financés par les pays industrialisés qui sont responsables de ce phénomène ! ».
« En tout, nous avons roulé de six heures du matin à six heures du soir, avec plus d’une dizaine de réunions et d’arrêts. Ce soir, nous reprenons l’avion pour retourner à Bamako, avant de nous rendre au Niger, demain matin, où nous rencontrerons le Président. Enfin, nous irons voir un autre lac desséché : le lac Tchad ».
Publication originale : IRIN 1,2,3
Illustrations : Globalis et IRIN