Argentine : Manifestation pour "l’apparition en vie de Lopez"
Une multitude a demandé hier Place de Mai l’ "apparition en vie" de Lopez, témoin clef du procès contre Etchecolatz, condamné à la réclusion à perpétuité pour génocide, et "disparu" depuis 10 jours.
Le chant est revenu à la Place de Mai comme un cauchemar.
"Maintenant, maintenant / c’est indispensable / apparition en vie et condamnation des coupables", ont fait chorus les milliers de personnes dans la manifestation qui a réclamé l’apparition de l’ex-détenu (sous la dictature) disparu Jorge Julio Lopez. "C’est violent de nous entendre chanter cette consigne à nouveau. Personne ne souhaite être obligé de la chanter aujourd’hui", a soutenu l’unique oratrice du rassemblement, la survivante Nilda Eloy, qui a été un témoin clef avec l’ex-maçon dans le procès du répresseur Miguel Etchecolatz. "Ca me brise la coeur.
Aujourd’hui dans le local des Grand-mères, l’une d’entre elles m’a pris dans les bras et m’a dit qu’elle ne supportait pas que nous recommençions à dire cela", a commenté Alba Lanzillotto, des Grand-mères de la Place de Mai, qui avec les Mères de la Place -ligne Fondatrice- et d’autres organismes de défense des droits humains, a marché derrière les autres colonnes pour se différencier du discours, qui affirme que "c’est une responsabilité du Gouvernement que l’appareil répressif continue d’être impuni".
Derrière une banderole -qui disait "nous exigeons du gouvernement national l’apparition en vie de Lopez"- se trouvaient en tête de la manifestation, Eloy et Adriana Calvo, de l’Association d’ex-Détenus Disparus ; ainsi que différents dirigeants de partis de gauche. Perdu parmi la multitude on a pu voir l’ex député Luis Zamora, qui s’est lamenté : "J’aurais aimé voir plus de gens indépendants. Nous devons nous interroger pourquoi ils ne sont pas venus". "Il y a des milliers de répresseurs en liberté et nous sommes sous leur menace. Pour cette raison, nous demandons au Gouvernement une réponse contondante", a exigé Eloy. "Nous croyons que la population a comprit que la menace est contre tout le monde", a dit Calvo.
La marche avait une composition bigarrée, des partis de gauche, en passant par des organisations sociales, des familles des victimes de Cromañon (200 morts lors de l’incendie d’une discothèque), des victimes de l’AMIA (attentat contre la mutuelle juive) et de "gâchette facile" (personnes assassinées par la police) jusqu’à des lycéens, comme Camila, 14 ans. "Les témoins sont les seuls à pouvoir dire ce qui s’est passé", affirme la lycéenne, qui soutenait une marionnette géante de policier. "Nous l’avons faite pour la Nuit des Crayons (’Noche de los Lapices’, opération policière durant laquelle des lycéens ont été enlevés et assassinés sous la dictature)", a-t-elle précisé.
À la tête de la colonne du syndicat CTA, le dirigeant Victor De Gennaro a considéré qu’était "secondaire" la discussion sur le document de l’acte, que la centrale n’a pas signé. "Les procès pour génocide sont passés de vainqueurs aux vaincus. Moins un. Tout le peuple argentin a réussi à juger les dictateurs, avec l’emblème des Mères. Il n’y a pas de pression qui puisse nous arrêter jusqu’à ce que se termine l’impunité", a souligné De Gennaro.
Les organismes de défense des droits humains fermaient la manifestation. "Ce n’est pas le moment d’afficher des différences politiques", a remarqué Taty Almeyda, des Mères de la Place de Mai. Près d’elle, Haydée García Gastelú, chantait "nous n’avons pas peur".
- nous n’allons pas nous arrêter et plus jamais nous aurons peur, a souligné Haydée.
- s’ils ne nous ont pas arrêtés sous la dictature, ils vont encore moins nous arrêter maintenant, s’est joint Elia, une autre Mère.
De son côté le Prix Nobel de la Paix Adolfo Pérez Esquivel a fait remarquer que "pendant ces 30 années il y a eu une impunité juridique. Quand commencent les procès, nous avons un disparu et des menaces contre les tribunaux et les témoins. Le Gouvernement doit donner une protection", a-t-il demandé.
La mobilisation a convergé sur la Place de Mai, où Eloy a lu le discours adopté par consensus par la Rencontre Mémoire, Vérité et Justice. "La majorité des indices vise le fait que Lopez a été séquestré par des "patotas" de la Police de la province de Buenos Aires et la droite fasciste", a-t-elle dénoncé. Elle a signalé que les témoins ont reçu "des menaces anonymes, des enregistrements téléphoniques, des pressions". Elle a rappelé qu’après la disparition de Lopez un cadavre calciné dans le Camino Negro est apparu. "Dans le même lieu où en 1974 apparaissaient des cadavres de nos compagnons", a-t-elle affirmé.
"Après presque dix jours de la disparition de Jorge nous n’admettons pas qu’on nous dise qu’il peut être perdu sous un pont. Il y a tant de ponts à La Plata pour qu’ils ne l’aient toujours pas retrouvé ?", a ironisé Eloy (faisant référence à une des thèses qui circule selon laquelle Lopez, sous un "choc psychologique" se serait "perdu"), qui a considéré que l’apparition de Lopez "est une responsabilité du gouvernement national". Elle a aussi fustigé le gouverneur de la province de Buenos Aires, Felipe Sola, pour avoir séparé de leurs postes 36 policiers liés à la répression illégale durant la dictature. "Il ne sont que 60 dans la police de la province ? Combien continuent à leurs postes dans l’Armée, dans la SIDE (service de renseignements) ?". Elle a critiqué de plus le fait que “l’ESMA (Ecole de la Marine, le plus grand centre de détention et d’assassinat sous la dictature) n’a été expulsée que partiellement du SIDE”. “Avec notre lutte nous avons obtenu la réouverture des procès, nous ne permettrons pas que Lopez soit la réponse", a-t-elle conclut.
Werner Pertot, Pagina/12, 28 septembre 2006. Traduction : Fab, santelmo@no-log.org