Appel pour une rue Alexandre Marius Jacob à Amiens
jeudi 29 juin 2006
Amiens
ne fut pas toujours, et peut-être jamais, cette cité éternellement
endormie et repus qu'on nous dépeint, où n'auraient vécu, comme
personnalités, comme moteurs, que les bourgeois Jules Verne et Gilles
de Robien. A travers Les Vies d'Alexandre Jacob, Bernard Thomas,
journaliste au Canard Enchaîné, trace en filigrane un autre portrait de
notre ville: «Carrefour de la subversion», écrirait le JDA. Au moins le
temps d'un procès...
«Vive Jacob! Vive la révolution! Vive l'anarchie!»
1905. Devant le palais de justice, des cris saluent l'arrivée des
voitures à chevaux. Enchaînés, les prisonniers descendent des carrioles
et entonnent une Carmagnole: «Ah ça ira ça ira ça ira, les aristocrates
à la lanterne...» que le public reprend en choeur.
C'est que ce mercredi 8 mars 1905 s'ouvre, devant la cour d'assises de
la Somme, un procès prodigieux, qui rassemble toute la grande presse –
Le Figaro, Le Temps, L'Aurore, etc.: celui d'Alexandre Marius Jacob et
de ses «travailleurs de la nuit», eux qui comptent plus de cent
cinquante cambriolages à leur actif, eux qui volent aux riches tantôt
pour redonner aux pauvres tantôt pour financer les feuilles anarchistes.
En cet hiver, Amiens est devenu le coeur de la subversion. Depuis
novembre dernier, déjà, un brûlot paraît, Germinal – tellement
incendiaire qu'à côté, Ch'Fakir, c'est du Paris Match.
Les conférences d'orateurs libertaires se succèdent, attirent jusqu'à
des milliers de personnes, s'achèvent parfois en des manifestations où
L'Internationale résonne rue des Trois Cailloux, avec des
échauffourées, des blessés, des heurts devant la prison.
Une semaine durant, les audiences retracent les méfaits (ou les
exploits, selon le point de vue) de cet aventurier au grand coeur,
arrêté à Abbeville, et qui fut marin, pirate, gardien de phoques,
fondeur d'or. L'homme ne se défend pas, il attaque.
Sa popularité grandit tant qu'elle trouble l'ordre public
amiénois – et au-delà. L'Etat s'en inquiète, mais comment agir? Rien de
plus simple: à mi-procès, le procureur réclame «l'expulsion des
accusés», une faveur que le président lui accorde volontiers. Voilà
qui, pour condamner, facilite la tâche. Et même le verdict sera rendu
en l'absence de Jacob: les travaux forcés à perpétuité pour le chef, et
des peines guère moins lourdes pour ses compères.
A l'annonce du délibéré, une foule immense se tient massée
devant le Palais. Alexandre Marius Jacob roule déjà vers ses nouvelles
prisons, Orléans, puis La Rochelle, et enfin Cayenne. Il ne sait pas
encore qu'il restera un quart de siècle en Guyane, qu'il tentera de
s'évader dix-sept fois, qu'il en sortira finalement vivant, et libre,
et grand. Il ne sait pas non plus que, trois mois plus tard, Maurice
Leblanc – qui était l'envoyé spécial de Gil Blas au procès – fera
paraître le premier épisode d'Arsène Lupin, le gentleman cambrioleur...
Alors, comment expliquer que ce «roman vrai» à lui tout seul
ne possède même pas un nom de rue, ou d'impasse à Amiens? Qu'une
pétition circule et qu'on débaptise, d'urgence, le square Jules
Bocquet... celui devant le tribunal!
Retrouvez l'article complet dans notre édition de juillet-août
2006. Et lisez le passionnant livre de Bernard Thomas, Les Vies
d'Alexandre Jacob, éditions Mazarine, 1998 que nous avons largement
pillé.