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Antiétatisme
--> Contre-Étatisme. Le contraire de l’Étatisme. (Voir ce mot). La négation de l’État. (Voir ce mot.)
Lu sur Bibliolib : "La signification générale du mot « antiétatisme » est donc : point de vue reniant l’État. Mais cette définition, trop générale et vague, ne suffit pas. Elle ne spécifie point pour quelle raison, dans quel sens ni dans quelle mesure l’État est renié. Or, l’antiétatisme présente des aspects variés. On peut renier l’État de façon différente. Dès lors, une analyse plus approfondie, plus précise s’impose.

D’abord, personne ne peut nier l’État comme fait, comme une forme historiquement donnée de la communauté humaine. Donc, les anti étatistes de même que les Étatistes de toute nature constatent la présence de l’État : les uns et les autres doivent partir, dans leur raisonnement, de la reconnaissance de l’État comme d’une forme de coexistence des humains ayant eu ses origines ainsi que son évolution historique, ayant su se maintenir jusqu’à nos jours. Ce n’est pas sur l’affirmation ou la négation de l’existence de l’État que les conceptions sociologiques et sociales diffèrent, et que l’on est « Étatiste » ou « anti étatiste » : c’est sur l’appréciation de l’État, sur la question de savoir comment il faut envisager ce fait, quelle est l’attitude à prendre vis-à-vis de l’État.

Le différend commence lorsque surgissent les questions :

a) Sur les origines de l’État : quelle fut la suite des causes qui amenèrent à cette forme d’organisation sociale ?

b) Sur son rôle historique : ce rôle, fut-il positif, en général ou sous quelque rapport que ce soit ? fut-il, au contraire, purement et simplement négatif ? L’avènement de l’État, fut-ce une nécessité, un progrès, au point de vue évolution humaine générale, ou simplement une déviation, une régression ? Au même point de vue, l’État, avait-il, a-t-il, au moins une certaine utilité ?

c) L’État, est-ce une forme constante de la société humaine - forme qui ne disparaîtra jamais - ou, au contraire, une forme passagère, destinée à disparaître ? D’autres formes d’organisation sociale sont-elles possibles ?

d) L’État, est-ce une institution “au dessus des classes” ou, au contraire, un instrument de domination de classe ? Dans ce dernier cas, quelle est l’essence même de cette domination ?

e) L’État, peut-il, oui ou non, servir d’instrument de libération des classes, exploitées et opprimées ?

f) Si l’État est appelé à disparaître, disparaîtra-t-il d’une façon naturelle et graduelle, par la voie d’une évolution lente et suivie, ou bien faudra-t-il l’abolir d’une façon brusque et violente, par la voie de la Révolution ?

g) Faut-il lutter contre l’État ? Si oui, contre quel État ? Est-ce contre l’État en général ou contre l’État actuel seulement ? La lutte doit-elle être menée en vue de la démolition complète de l’État en même temps que du capitalisme ou bien dans le but de remplacer l’État bourgeois actuel par un État prolétarien ? Un « État prolétarien », est-il réalisable ? Dans la Révolution sociale, dans la transformation sociale imminente et dans la lutte émancipatrice, l’État, est-il une forme utilisable ou reniable ? Quels sont les moyens de lutte contre l’État ?

A toutes ces questions, et à d’autres encore ayant trait au même sujet, les réponses sont différentes. Ceci d’autant plus que les sciences sociales, notamment : l’histoire, la science de l’État, l’économie politique et la sociologie, fournissent peu de matières appréciables à la solution du problème. Toutes les réponses sont plutôt des hypothèses plus ou moins appuyées que des solutions scientifiques.

Un examen plus détaillé de ces réponses sera fait au mot État. Ici, nous ne donnons qu’un aperçu sommaire de divers points de vue, juste afin de démontrer les différents aspects modernes de l’antiétatisme.

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Nous avons, tout d’abord, différentes théories de l’État comme forme normale de la Société, de l’organisation sociale. D’après ces théories, les origines de l’État furent d’ordre absolument naturel : l’État devint une nécessité dès que les masses amorphes des premières agglomérations humaines se différencièrent, que les intérêts opposés des individus et des couches diverses de la population se firent sentir, que les luttes, les guerres incessantes s’ensuivirent. A la lumière de ces théories, l’État représente une organisation, une institution positive, placée au-dessus des individus et des classes sociales, appelée justement à niveler, à réconcilier les antagonismes surgissant constamment et fatalement au sein de la Société, à en amortir les chocs, à en diminuer l’effet. L’État est donc, non seulement utile, mais nécessaire au maintien de l’ordre social. Il devient de plus en plus indispensable au fur et à mesure du développement ultérieur de la société humaine et de la différenciation sociale croissante qui en est la conséquence. Plus la Société progresse, plus elle devient compliquée, plus elle a besoin d’un État organisateur, régulateur, protecteur, réconciliateur... L’État est donc une institution constante : l’unique forme possible de la société humaine civilisée, organisée, ordonnée. Les conceptions et les formes de l’État peuvent varier ; l’État comme tel n’en reste pas moins invariable, précis dans son sens, dans son essence et dans son action.

Tel est, en gros traits, la thèse Étatiste, l’Étatisme absolu. Il se présente toutefois sous trois aspects principaux différents : 1° la théorie de l’État absolutiste développée et précisée surtout par Thomas Hobbes (1588-1679) ; 2° celle de l’État constitutionnel dont les bases furent établies par Charles Montesquieu (1689-1755) ; et 3° celle de l’État démocratique, esquissée pour la première fois par Jean-Jacques Rousseau (1712-1778). (Pour plus de détails, se rapporter au mot : Étatisme).

Toutes ces conceptions bourgeoises de l’État, en tant que théories, ont aujourd’hui vieilli. Elles ne correspondent plus aux données historiques ni scientifiques nouvellement acquises. Elles ont joué leur rôle surtout comme précurseurs de l’épanouissement prodigieux de l’État au XVIII-XIXe siècle. Elles ne sont défendues de nos jours que par les classes et les groupes égoïstiquement intéressés. C’est ainsi que l’Étatisme absolu devint finalement et définitivement la conception bourgeoise et conservatrice par excellence.

Il est à remarquer, cependant, qu’il existe actuellement certains éléments bourgeois qui répudient l’État, le critiquent, l’attaquent. Le fait, tout en paraissant bizarre à première vue, se conçoit aisément. Pour faire face à toutes les nécessités, l’État contemporain a besoin d’énormes sommes d’argent. Le budget de l’État moderne est formidable. Les impôts ordinaires, les taxes et charges infligées aux vastes masses obscures de la population ne lui suffisent plus. Il est de plus en plus acculé à « taper sur le bourgeois », à lui demander à son tour des « sacrifices » en échange des services que l’État lui rend. Mais ces exhortations laissent froid le bourgeois qui n’aime pas les sacrifices. Il ne veut pas se démunir du moindre pour cent sur ses bénéfices qu’il considère comme son « affaire privée ». Il devient mécontent. Il « rouspète ». Il se dérobe. D’autre part, afin de pouvoir feindre son souci de l’équilibre, de l’équité, de la justice sociale, afin de pouvoir soutenir sa renommée d’institution « au-dessus des classes », afin de ne pas succomber à brève échéance, l’État bourgeois est obligé de céder quelque peu, ne fût-ce qu’en apparence, à la force toujours croissante des classes laborieuses. Sous leur pression, il est contraint à mettre certain frein à la liberté de l’exploitation capitaliste. Il établit des lois restrictives qui privent le bourgeois d’une partie - oh ! bien insignifiante - de ses bénéfices. Cette tutelle, ce contrôle, si minime qu’il soit, gênent et agacent le bourgeois qui les considère encore comme une ingérence dans ses « affaires privées », ingérence arbitraire et préjudiciable aussi, dit-il, aux intérêts communs, car, d’après lui, elle entrave sa libre initiative, enraie son activité et nuit ainsi au développement de la vie économique du pays. Dégoûté, le bourgeois devient parfois le critiqueur, l’ennemi de l’État, l’« anti étatiste » sui generis. Il prêche la « liberté individuelle » pour pouvoir exploiter et profiter tout à son aise. C’est de l’antiétatisme bourgeois, égoïstique, stupide.

Il existe aussi une espèce d’« antiétatisme » par mécontentement de telles ou autres mesures de l’État, ou de ses abus, ou encore des défauts de ses services.

Il va de soi que tous ces genres d’antiétatisme ne sont ni sérieux ni intéressants au point de vue idée, lutte d’émancipation, problème social. Ils n’ont rien de commun avec l’antiétatisme de principe, celui de certaines conceptions sociologiques et sociales.

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Dans la deuxième moitié du XIXe siècle, des théories se précisèrent qui, tout en affirmant le naturel des origines de l’État, tout en proclamant sa nécessité historique, tout en lui attribuant, au moins durant une longue période historique, une certaine utilité, un certain rôle positif, organisateur, le considèrent néanmoins comme une expression de la violence, comme un instrument de domination.

Ce furent surtout F. Engels (1820-1895) et K. Marx (1818-1883), qui établirent cette théorie. Leurs partisans et continuateurs - les marxistes - formèrent, dans tous les pays, le parti social-démocrate.

La théorie marxiste - et socialiste en général - considère l’État comme un instrument de domination et de dictature de classe. L’État bourgeois moderne est l’instrument de la domination et de la dictature de la classe capitaliste sur la classe laborieuse. Pour l’affranchissement total de la classe ouvrière, celle-ci devra s’emparer de l’État et le transformer en « État prolétarien ». Ce nouvel État sera juste l’inverse : l’instrument de domination et de dictature du prolétariat sur la bourgeoisie, jusqu’à ce que la résistance de cette dernière soit définitivement brisée et tous les vestiges de la longue période capitaliste complètement disparus. Alors, les classes disparaîtront aussi et, avec elles, l’État. C’est donc à l’aide de l’« État prolétarien » que les prolétaires pourront achever l’oeuvre de leur émancipation. L’État ne pourra disparaître que lorsque cette oeuvre sera chose accomplie. Entre l’État bourgeois moderne et la Société nouvelle, il y aura un État prolétarien qui existera durant un laps de temps indéterminé, garantira la victoire complète de la classe ouvrière et ne disparaîtra qu’au bout d’une longue évolution, lorsque la transformation de la Société actuelle sera terminée. L’État est, par conséquent, une forme utilisable par la classe prolétarienne. Il sera l’instrument de la transformation définitive de la Société actuelle en une Société nouvelle.

Comme on le voit, cette théorie est Étatiste en ce sens qu’elle préconise la lutte non pas contre l’État en général (comme tel, comme principe), mais seulement contre l’État tel qu’il est aujourd’hui, et qu’elle veut remplacer par un autre ; en ce sens encore qu’elle compte sur l’État (« prolétarien ») comme moyen de transformation sociale ; en ce sens, enfin, qu’elle établit une longue période Étatiste après la révolution définitive, période pendant laquelle l’État, d’abord excessivement puissant, devra ensuite s’effacer petit à petit de soi-même, par la voie d’une évolution lente et progressive.

La théorie peut être estimée anti étatiste en ce sens seulement qu’elle entrevoit la disparition finale de l’État, disparition toutefois très lointaine, qui aura lieu non pas au même moment que celle du régime capitaliste, mais beaucoup plus tard, et qui s’effectuera on ne sait pas comment.

Tel est l’antiétatisme marxiste et socialiste en général : platonique et vague.

Ajoutons que quant à la question des moyens de lutte contre l’État actuel, cette théorie se divise en deux courants ennemis irréconciliables : l’un estimant que la lutte doit être menée de façon évolutionniste, graduelle, légale, qu’elle doit se poursuivre dans les cadres de l’État lui-même en vue de sa conquête progressive parlementaire, administrative, etc. ; l’autre préconisant l’action violente, la révolution comme moyen de la conquête du pouvoir dans l’État actuel en vue de sa transformation ultérieure. Ce sont précisément les adeptes de cette dernière conception qui réussirent à s’emparer du pouvoir pendant la grande révolution russe de 1917 et qui prétendent exercer actuellement la « dictature du prolétariat » dans l’État russe « prolétarien », en vue de préparer le triomphe définitif de la révolution sociale dans le monde entier.

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Tout autre est l’antiétatisme intégral et actif de la conception anarchiste dont il est l’un des éléments organiques, fondamentaux, concrets. (Voir : Anarchie, Anarchisme, Anarchiste.)

D’abord, la question des origines de l’État. La grande majorité des anarchistes sont d’avis que tout en étant, bien entendu, la conséquence de certaines causes historiques, l’avènement de l’État fut, dès le début, un mal, une déviation funeste, et que l’évolution de la collectivité humaine aurait pu, en d’autres conditions, s’engager sur une autre voie, droite et normale. (Malheureusement, tout ce problème reste encore scientifiquement trop obscur et ne peut être résolu d’une façon définitive par aucune conception). Donc, la plupart des anarchistes considèrent l’État comme une institution absolument négative, n’ayant joué ni ne pouvant en aucun cas jouer un rôle progressif quelconque. Le « rôle historique » de l’État ne consiste, d’après les anarchistes, qu’à avoir défiguré le développement normal de la Société humaine et amené l’humanité à cet État lamentable où elle se trouve aujourd’hui et d’où elle a tant de peine à sortir.

L’État n’est pas une forme d’organisation sociale utilisable par les travailleurs. Donc il doit être abattu du même coup que le capitalisme dont il est le soutien et l’expression sociale par excellence.

Ainsi, tout en considérant I’État, d’accord avec tous les socialistes en général, comme un instrument de domination, d’oppression de classe, les anarchistes interprètent ce fait d’une façon distincte et en tirent une toute autre conclusion.

Leur point de vue est développé et précisé surtout dans les oeuvres de Pierre Joseph Proudhon (1809-1865), Michel Bakounine (1814-1816), Pierre Kropotkine (1842-1921), Max Stirner (1816-1856), Léon Tolstoï (1828-1910). La littérature anarchiste courante continue de s’occuper de ce problème.

Particulièrement intéressante, édifiante est la discussion qui a eu lieu en Russie en 1917-1919 (depuis lors toute discussion y est impossible) et qui a lieu actuellement dans tous les pays entre les « communistes » et les anarchistes au sujet de l’État. Le livre de Lénine L’État et la Révolution est en partie un écho de cette discussion.

A la thèse habituelle des anarchistes : « L’État est toujours l’instrument d’oppression des uns par les autres et ne peut jamais être autre chose », les communistes répliquent : « Bien entendu, l’État, c’est l’oppression, la domination. Mais l’oppression de qui ? La domination sur qui ? C’est là toute la question. Dans l’État bourgeois, c’est la bourgeoisie qui domine et qui opprime le prolétariat ; au contraire, dans l’État prolétarien, c’est le prolétariat qui domine et qui opprime la bourgeoisie, et c’est pourquoi cet État de choses est justement appelé : « dictature du prolétariat ». Elle est nécessaire, cette dictature, pour toute la période indéterminée où la bourgeoisie, internationale surtout, n’étant pas encore complètement écrasée, représente une force contre-révolutionnaire redoutable. Ne saisissant pas le sens effectif de cette oppression et prenant parti contre elle, les anarchistes, eux aussi, deviennent objectivement des contre-révolutionnaires ».

Il n’est pas difficile de démontrer l’erreur capitale de la thèse bolcheviste.

Les hommes tombent, hélas !, à chaque instant victimes des mots vides de tout sens réel. On a pris l’habitude néfaste, non seulement de parler, mais même de penser avec des paroles, au lieu de raisonner avec des notions, avec des faits. Or, la vie est bâtie non pas avec des mots, mais avec justement des faits réels. Et, quant aux mots, ils n’ont de valeur qu’en tant qu’ils expriment des faits, des notions précises. La parole n’est qu’un symbole : un moyen humain de désigner les faits, les notions. Ce n’est donc qu’en opérant avec des faits réels, avec des notions précises, exprimées par des mots rigoureusement exacts, que nous pouvons raisonner de façon juste, sûre, utile.

D’autre part, les hommes ont pris aussi la mauvaise habitude d’opérer avec des notions abstraites là où il s’agit de problèmes concrets et où, par conséquent, un raisonnement abstrait ne pourrait que nous induire en erreur.

Dans les questions concrètes, il faut substituer à de simples paroles ou à des notions abstraites, des notions concrètes et précises correspondantes aux faits réels. Ce n’est qu’à cette condition que nous pouvons arriver à une solution exacte.

Qu’est-ce que l’oppression, la domination ? Il est facile de voir, à la première réflexion sérieuse, que ce ne sont là que des termes vides de sens concret ou, dans le meilleur cas, des notions, abstraites. Il n’existe pas, dans la vie, d’oppression, de domination abstraite (comme telle), de même qu’il n’existe pas par exemple, dans la nature, de plante comme telle. Il y a différents objets réels : le chêne, la rose, la pomme de terre, la ciguë, etc., que nous, les hommes, unifions en une notion générale et abstraite, et désignons sous un nom également abstrait et général : plante (car tous ces objets possèdent certaines propriétés communes nous permettant de les rapprocher entre eux et de les séparer de certains autres objets).

La pomme de terre est mangeable ; elle nous sert de nourriture. Mais si, pour la seule raison que le chêne, la rose, la pomme de terre et la ciguë sont des « plantes », nous jugeons mangeable cette dernière, par exemple, nous éprouverons une déception mortelle.

De même avec le terme, la notion : « oppression ». Il existe différents phénomènes réels que nous unifions, à cause de quelques propriétés qui leur sont communes, en une notion abstraite et générale : oppression. Mais si, pour la seule raison que l’État est une forme d’oppression, nous le jugeons bon à opprimer la bourgeoisie, nous risquons d’éprouver une grosse déception. Il ne suffit pas de dire : l’État, c’est l’oppression tournée aujourd’hui contre le prolétariat, elle sera, demain, retournée contre la bourgeoisie. Car il ne suffit pas d’être une « oppression » pour être bonne à dominer, à mater la bourgeoisie (de même qu’il ne suffit pas d’être une « plante » pour être mangeable).

Il faut, à un moment donné, savoir mater, dominer la bourgeoisie, organiser la révolution, la défendre, etc. ? D’accord. Mais quelle forme de domination, d’organisation faut-il adopter dans ce cas ? Quelle est la forme réelle de l’oppression utilisable dans le but posé ? Est-ce l’État ou une autre forme concrète ? C’est là toute la question. Pour y répondre, il faut, d’abord, voir de près les qualités réelles, intimes de l’État.

Eh bien, qu’est-ce que l’État, comme forme ou instruisent d’oppression, de domination ? Là réponse nous est donnée par toute l’histoire humaine, par tout ce que nous savons de l’État depuis des siècles

L’État n’est pas un instrument de domination quelconque, vague et abstrait, pouvant être appliqué de n’importe quelle façon, dans n’importe quel sens voulu. L’État est un genre de domination concret, précis, déterminé : l’exploitation. L’État est un « instrument d’oppression » en ce sens net et unique qu’il est une machine d’exploitation des masses travailleuses, au profit de tels ou autres groupes, castes ou individus. Les formes de cette exploitation peuvent quelque peu varier ; mais l’exploitation même n’en reste pas moins le fond constant et unique de l’État. Voilà pourquoi, une fois installé, l’État ne peut que soutenir et faire naître ou renaître l’exploitation, le capitalisme, la bourgeoisie, sous telle ou telle forme. Donc, l’État ne peut être que la dictature du capital, de la bourgeoisie (privée ou d’État) : Il ne peut jamais devenir une « dictature du prolétariat ». Il ne peut pas changer sa nature, devenir un autre genre de domination - de même que la ciguë, ce genre de plante, ne peut pas devenir une pomme de terre, cet autre genre de plante. C’est là précisément l’erreur fondamentale des « communistes » : ils veulent transformer la ciguë en pomme de terre. Naturellement, l’expérience concrète n’aboutit à rien.

Les anarchistes affirment que l’instrument classique de l’exploitation : l’État, est impraticable dans un but opposé : l’abolition de l’exploitation, la suppression de la bourgeoisie, la liquidation du capitalisme. Ils estiment qu’une fois installé, l’État, quel que puisse être, théoriquement, son but, créera en réalité, fera naître ou renaître, fatalement, Inévitablement, l’exploitation, la bourgeoisie, le capitalisme. Les péripéties de la révolution russe leur donnent entièrement raison. Elles sont pour leur conception une illustration éclatante que les plus aveugles devront bientôt comprendre.

Il est bien typique que Lénine, dans son ouvrage précité, parle de l’État d’une façon équivoque : tantôt comme d’un instrument d’« exploitation » (quand il attaque la bourgeoisie), ce qui est précis et juste, tantôt comme d’une forme de « domination » abstraite (quand il défend la théorie Étatiste), ce qui est vague et erroné. Ainsi son livre devient illogique, confus, faux. Il perd totalement l’intérêt et l’importance qu’il aurait pu avoir. Il est une des oeuvres les plus faibles qui existent sur le problème de l’État, car le raisonnement de l’auteur n’est ni logique, ni clair, ni nouveau.

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Il nous reste à ajouter qu’en dehors de la raison exposée, il en est d’autres encore pour lesquelles, les anarchistes repoussent l’État comme instrument de la révolution. L’une des principales, c’est l’impuissance créatrice et rénovatrice absolue de l’État. La révolution sociale surtout, exige, pour amener à un résultat définitif, des initiatives, des énergies, des capacités créatrices formidables. Or, les anarchistes ne reconnaissent pas à l’État cette énergie, cette capacité indispensable. Là encore, la révolution russe souligne irrécusablement leur point de vue. Ensuite, l’antiétatisme anarchiste est étroitement lié à d’autres thèses de la doctrine libertaire, à l’antimilitarisme, à la négation de l’autorité, du gouvernement, de la justice codifiée, etc. Considérant le militarisme, l’autorité, le gouvernement, la justice codifiée comme des éléments négatifs ne pouvant que défigurer et faire égarer la lutte sociale émancipatrice, les anarchistes estiment en même temps que tout État, quel que soit, théoriquement, son but, engendre infailliblement tous ces maux et, avec eux, les privilèges, l’inégalité, l’injustice, l’exploitation. Donc, logiquement, ils nient l’État. Enfin, c’est aussi au nom de l’individualité humaine libre et créatrice (et des associations libres des individus) que l’anarchisme rejette l’État, cet appareil d’assujettissement, d’avilissement, du nivellement par excellence. La formule fondamentale de l’anarchisme, qui découle de sa conception du progrès, est : non pas l’homme pour la société, mais la société pour l’homme. Or, l’État est précisément la forme de la société qui écrase totalement l’homme, l’individu.

Donc, d’après les anarchistes, la tâche de la suppression du capitalisme, de la bourgeoisie, de l’exploitation, des classes, de toute la société moderne, exige d’autres formes de domination et d’organisation que l’État.

L’antiétatisme anarchiste, indique-t-il ces autres formes ? Les cherche-t-il au moins ? Ou bien, n’est-il que purement négatif, sans savoir, tout en rejetant l’État, comment faire pour s’en passer et parer à sa disparition ?

Certes, les anarchistes s’efforcent de prévoir, de tracer, autant que possible, à l’avance les formes organisatrices appelées à remplacer l’État disparaissant sous les coups de la révolution sociale. Ils ont des idées intéressantes là-dessus. (Voir à ce sujet : Révolution, Communisme, Syndicalisme, etc.). Mais ils ne considèrent pas ces idées comme définitives. Ils ne tiennent pas ces formes pour « trouvées ». De plus, ils ne croient même pas possible de les préciser théoriquement, à l’avance. Plus encore : ils ne sont pas tout à fait d’accord, en ce qui concerne ces formes. Cependant, l’absence d’une solution générale toute prête n’est nullement une faiblesse, un défaut de l’anarchisme : c’est un phénomène normal, inhérent à sa conception même. Car tous les anarchistes sont parfaitement d’accord sur un point capital : ces formes nouvelles, - disent-ils, - seront trouvées, non pas à l’avance, par des théoriciens, des savants, des groupes et partis politiques ou autres, mais pratiquement, par les vastes masses travailleuses en pleine action révolutionnaire. C’est la vraie révolution sociale elle-même qui engendrera et créera ces formes. Ce seront les nécessités immédiates et concrètes qui les feront trouver. Ce ne sont pas les anarchistes, mais les millions d’individus, les masses organisées qui, au cours de la révolution définitive, trouveront la véritable solution du problème. Les anarchistes, eux, devront alors, tout en cherchant ensemble avec les masses, non pas leur dicter des solutions trouvées par eux, mais seulement les aider clans leurs recherches et leur action. On ne pourrait, à l’avance, qu’établir quelques principes généraux de l’organisation nouvelle. C’est ce que les anarchistes sont en train de faire. Et là encore, ils sont tous d’accord sur un point fondamental : les formes de cette organisation, dans toutes les ramifications (problèmes économiques de la production, de la répartition et ainsi de suite, défense de la révolution, vie culturelle, etc., etc.), auront une base, non pas politique, Étatiste et autoritaire, mais directement économique, technique et sociale, base fédérative, base saine et naturelle de travail, de création indépendante, de libre entente, d’action et de coordination directes et spontanées de tous les éléments travailleurs des villes et des campagnes en État de révolution. La différence entre les socialistes étatistes et les socialistes anti étatistes (anarchistes), se résume donc comme suit

1° Les premiers, expliquant à leur façon les origines de l’État, considèrent ce dernier comme ayant joué dans l’Histoire un certain rôle positif, progressif, organisateur. Les seconds, commentant autrement les origines mêmes de l’État, le considèrent comme un mal dès le début, un phénomène négatif, régressif, désorganisateur.

2° Les premiers, considérant l’État comme pouvant être, actuellement encore, une force progressive, cherchent à s’en emparer - de façon lente (les « social-démocrates ») ou brusque et violente (les « communistes ») - pour le transformer, ensuite, en un « État prolétarien » (d’où la « dictature du prolétariat ») et l’utiliser ci au « profit de la classe ouvrière » ; ils ne se demandent même pas si le moyen correspond au but, s’il ne convient pas de rejeter cette forme comme inadéquate et d’en chercher une autre. Les seconds, considérant l’État comme un instrument d’exploitation ne pouvant jamais être autre chose, le rejettent résolument et entièrement comme un obstacle constant au progrès, comme une forme impraticable dans la lutte émancipatrice ; ils estiment utopique et absurde l’idée d’un « État prolétarien », et, partant, celle d’une « dictature du prolétariat » sous forme d’un État ; ils cherchent une autre forme d’organisation praticable par la classe ouvrière en révolution.

3° Les premiers prétendent qu’il ne faudra pas démolir l’État qui s’éclipsera plus tard de lui-même, de façon naturelle, après avoir rempli son rôle historique. Les seconds affirment la nécessité de combattre activementl’État comme institution, en même temps que le capitalisme, de le démolir complètement, de l’abattre du même coup que ce dernier, au moment même de la révolution sociale dont l’une des tâches immédiates sera justement celle de remplacer l’État par une autre forme de communauté humaine.

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Quant à la question des moyens de lutte contre l’État (et le capitalisme), l’antiétatisme anarchiste se divise en deux courants principaux : l’un, celui de Bakounine, de Kropotkine et de la grande majorité des anarchistes, préconise la démolition active et violente : la révolution proprement dite ; l’autre, renonçant à la violence, prêche la « résistance passive » : refus de payer les impôts, de faire le service militaire et ainsi de suite. Ce deuxième point de vue est développé surtout par Léon Tolstoï d’où son nom : « Tolstoïsme ». - C’est le problème de la violence comme moyen (la lutte sociale, qui gît au fond de la controverse. (Voir : Anarchie, État, et surtout Violence). Et c’est l’antiétatisme violent, révolutionnaire, qui est caractéristique pour l’anarchisme militant, actif.

De tout ce qui précède il résulte que l’antiétatisme anarchiste, tout en étant solidement établi et nettement formulé, comme principe, dans les oeuvres des théoriciens libertaires, laisse encore à désirer comme précision et, surtout, comme conception concrète. Il gagnera rapidement en vigueur persuasive et, partant, en adeptes, s’il est approfondi et précisé davantage ; c’est un travail qui se poursuit.

Pour cela, il faut, entre autres choses, que les anarchistes sachent mettre à profit les faits qui les soutiennent.

Un événement historique récent, d’une importance immense, devient actuellement et deviendra de plus en plus un facteur décisif dans le choix entre l’idée révolutionnaire Étatiste et anti étatiste. Nous parlons de la grande révolution russe de 1917 où, pour la première fois dans l’Histoire, le socialisme révolutionnaire de tendance étatiste remporta la victoire complète et arriva au pouvoir dans un État entier. Cette victoire de l’idée communiste étatiste et ses conséquences, d’une part ; d’autre part, le succès relatif dont jouit encore, parmi les masses travailleuses de tous les pays, cette malheureuse conception (profondément anti-révolutionnaire car elle condamne la révolution à la stérilité et la conduit à un fiasco complet), obligent les anarchistes à redoubler d’activité dans le développement et la propagande de l’idée anti étatiste.

Certes, la tâche n’est pas facile. L’humanité est à un tel point habituée à se mouvoir dans l’État comme forme « normale » et unique de l’organisation sociale qu’elle ne se représente guère d’autres possibilités. Cependant, cette inertie devra être brisée. Car la révolution sociale qui est appelée à rénover toute la vie humaine, devra commencer par rénover justement le mode de l’existence sociale, sans quoi elle n’aboutira à rien. La stérilité organique de la révolution russe étatiste, pourtant victorieuse, finira pas éclairer les masses travailleuses du monde entier et leur servira bientôt d’illustration, de preuve éclatante de la fausseté de l’idée étatiste. Alors, le fait que les « communistes » ne peuvent pas, eux non plus, se détacher de la forme sociale périmée, intimement bourgeoise, forte uniquement par la tradition, l’habitude et l’inertie, deviendra la dernière preuve de leur conservatisme, de leur esprit profondément bourgeois et anti-révolutionnaire. Cette formidable expérience historique confirmera demain, et tous les jours davantage, la saisissante exactitude de la conception anti étatiste, anarchiste.

La victoire du bolchevisme n’est, dans la perspective des événements, qu’une étape historique franchie dont le sens n’est autre que l’écroulement « matériel », palpable et évident pour les masses, de l’idée étatiste.

L’avenir déjà proche est indubitablement à l’idée anti étatiste. Le moment approche où les masses seront prêtes à concevoir, à saisir cette idée, à comprendre qu’elle est la seule qui leur permettra de remporter le véritable succès dans la révolution sociale.

C’est pour ce motif que les anarchistes, pionniers de cette idée, doivent dès maintenant faire face à la situation qui vient. Leur devoir historique du moment est de faire tout ce qui est dans leur pouvoir pour aider les masses travailleuses à se pénétrer de l’idée anti étatiste le plus facilement, le plus rapidement possible, en tout cas en cas en temps opportun. C’est donc avec une énergie nouvelle, décuplée, et avec un espoir ou, plutôt, avec une assurance ferme, que les anarchistes doivent intensifier dès à présent le développement et la propagande de la conception anti étatiste. Nous considérons ceci comme l’une des tâches principales et immédiates de l’anarchisme militant.

Voline

Encyclopédie anarchiste
Ecrit par libertad, à 19:31 dans la rubrique "Pour comprendre".



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