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Amérique Latine, spectacle social en trois actes
Lu sur Indymédia Paris :Amérique Latine, spectacle social en trois actes Un spectacle social qui fonctionne comme une tromperie : La gauche latino-américaine en trois actes

Il plut au parti socialiste de décerner au prolétariat le rôle d'un libérateur des générations futures. Il devait ainsi priver cette classe de son ressort le plus précieux (Walter Benjamin, Sur le concept d'histoire, XII).

Par Luis Arce Borja. Source : Rebelion 05-04-2005

Acte 1. La faim provoque l'éclatement de la rébellion des masses. Elle menace l'Etat.

Acte 2. La gauche s'infiltre dans le mouvement. Elle désactive l'explosion sociale.

Acte 3. Sortie démocratique de la crise. Fin des mobilisations et acte électoral.

En guise d'introduction

Ce texte n'est pas une invention mais se veut une note théâtrale sur le thème de la situation sociale de l'Amérique latine. Son contenu est autonome en tant que spectacle social mis en scène pour des millions d'affamés qui veulent lutter et non s'agenouiller, mais qui à la fin tombent vaincus, sans forces, dans le piège organisé par l'Etat et les partis politiques officiels de droite et de gauche. Il n'y a pas ici de place pour les scénarios placides, romantiques et poétiques comme on pourrait l'imaginer dans une Amérique latine pleine de vie et de chaleur. Le cadre qui le cerne est un processus politique caractérisé par un contenu aigu de lutte de classes, phénomène qui s'exprime dans la violence qu'exerce l'Etat contre les citoyens les moins favorisés.

Les notes que nous livrons ici constituent un condensé au rythme théâtral des modes d'action des groupes et personnages qui se désignent de gauche. Ils sont de véritables acteurs qui, en marge de leur médiocrité, se distinguent dans une oeuvre montée pour leurrer et escroquer les masses pauvres. D'année en année le même spectacle se répète, avec le même texte. L'estrade, usée et vieillie, se présente avec tous ses ingrédients et personnages d'une société au bord de l'effondrement social, et dans le drame, la comédie ou la tragédie, les destins s'entrecroisent pour modeler une société au bord de l'explosion.

Le scénario

"Ici des soupirs, des pleurs et des maux retentissant dans l'air sans étoile, me firent pleurer dès mon entrée" (1).

La scène se déroule dans n'importe quel pays d'Amérique latine où la souffrance est parvenue à s'étendre comme une plaie damnée et où le spectacle est permanent et quotidien. Choisissez le lieu, ce peut-être Haiti, le Brésil, l'Argentine, l'Uruguay, la Bolivie, le Pérou, l'Equateur ou toute autre République bananière du continent. Ni la dimension géographique ni la taille du pays ne constituent un problème pour la mise en scène de cette intrigue. L'affamé d'Argentine a les mêmes caractéristiques que l'affamé de Haïti ou du Pérou. La faim et la misère n'ont ni nationalité ni frontières et se répand comme un serpent venimeux des confins du sud de l'Amérique latine jusqu'aux limites du Rio Grande dans le nord du continent.

Dans l'intrigue principale, des millions d'hommes et de femmes luttent à tâtons sans aucun but précis. Dans les rues, dans les usines, dans les universités, dans les villas miseria (bidonvilles d'Argentine, ndt), et même dans les prisons, les masses sont prêtes pour le combat. La faim et la misère s'accentuent et croissent sans cesse. Les organisations qui feignent d'être de gauche ne servent à rien, elles sont des entraves et des barrières de contention. Elles sont complices des bourgeois et des propriétaires fonciers. Leur but est de conduire les masses à la traîne des plans politiques des groupes au pouvoir et de l'impérialisme. Ce sont des espèces de traficants de conscience, qui même s'ils se présentent comme socialistes et révolutionnaires constituent l'obstacle principal que rencontrent les opprimés pour changer leur situation d'opprobre et de misère. Ils sont légalistes jusqu'au bout des ongles et ne s'écartent pas d'un millimètre du terrain électoral dans lequel ils grossissent comme des porcs. Ils s'ajustent religieusement aux draconiennes lois de l'Etat et se déclarent les purs défenseurs de la constitutionnalité et de l' "Etat de droit". Il n'y a aucune organisation légale de "gauche" qui maintienne un niveau de cohérence avec les masses, et au lieu de contribuer au développement de la lutte sociale elles cherchent à éteindre le feu de la lutte populaire. En Argentine, au Brésil, en Uruguay, en Bolivie, en Equateur, au Pérou et dans les autres pays elles chevauchent sur les luttes spontanées des masses, non pour les orienter vers le changement et la révolution, mais pour les détourner de leurs luttes et soutenir tel ou tel candidat électoral.

Acte premier

Les masses débordent l'ordre légal. Elles prennent rues, avenues et routes. Elles menacent de tout détruire.

Argentine, novembre 2000. "Le peuple entier se soulève, prend les commissariats, retient les policiers comme otages et s'empare des armes policières : la vengeance se dirige surtout sur ces symboles du pouvoir et du malheur populaire, comme lors du santiagazo de 1993 (2) : les piqueteros lancèrent des pierres sur l'Hôtel Portico Norte, puis sur l'Unité Régionale 4 et le Commissariat 36, ayant avant incendié la cellule 41 de Mosconi, le quotidien El Tribuno, la Municipalité, la banque de la Nation et autres lieux sacrés de la bourgeoisie" (Nouvelle parue dans presque tous les médias de Buenos Aires en novembre 2000).

Bolivie, octobre 2003. "La sanglante répression, qui laisse 86 morts, n'a pu arrêter l'irrépressible marée humaine à laquelle se rallièrent des secteurs surtout des classes moyennes, des intellectuels et artistes. L'entrée des mineurs, comme cela s'était déjà produit dans la révolution de 1952, joua un rôle décisif pour cette victoire" (Différents médias de gauche de Bolivie).

La crise économique éclate à la figure des pauvres et plissent leurs estomacs flasques déjà desséchés par la faim. On entend une explosion de cris de rage et de colère. Par milliers, par millions, les travailleurs sortent dans les rues. Sur une affiche qui monte vers le ciel on peut lire : "A mort les exploiteurs", "A bas les partis politiques", "Il faut tous les pendre". Ils bloquent rues, avenues et routes. Les usines et les commerces sont paralysés. Tout ferme. "Les rues sont au peuple", crient les manifestants. Les voix détonent dans l'espace : "misérables", "fils de putes", "mal nés", "voleurs".

La lutte est spontanée mais la police et l'armée ne tardent pas à se lancer à l'assaut contre les affamés. "Terroristes de merde, communistes", hurlent les militaires avant de lancer la première charge d'infanterie. Il y a des morts, des arrestations et de centaines de blessés par balle. Les prisons se remplissent d'hommes mais aussi de femmes. La situation est semblable à la campagne, les paysans aux vêtements déchirés par la pauvreté occupent villages, gorges et plaines. Comme dans le drame de Fuente Ovejuna ils tuent à coups de bâtons et de pierres les représentants de l'Etat. Ils flagellent jusqu'à la mort les juges et les maires.

Sur l'autre rive du champ de bataille, on entend des voix de peur et d'effroi qui disent : "Il faut les arrêter, ils menacent nos intérêts sacrés. Il doit y avoir des agitateurs étrangers, car nous tenons bien dressés nos gens de gauche ! C'est impossible. Ils violent les lois de la République, ils sont contre l'Etat de droit, ils sont anti-démocratiques et subversifs. Putain, comment en est-on arrivé là avec ces loqueteux qui ne prennent pas en compte le sacrifice que nous faisons pour le pays", dit un riche en savourant avec délice un vin fin français. "Nos profits, et la dette externe, qui la paie ? Qui paie l'armée et la bureaucratie de l'Etat ? Qui paie les collèges, les pots de vin, les groupes paramilitaires ?". C'est nous, dit un des occupants de la luxueuse résidence, et en plus ils veulent nous chasser. Il faut mobiliser cardinal, curés et bonnes soeurs pour arrêter ces merdes.

Acte deux

La gauche fait son entrée triomphale au sein des masses. Elle se faufile parmi les manifestants et plante son étendard, pour donner l'apparence qu'elle organise et dirige la révolte.

C'est l'arrivée de l' "héroïque" gauche, la légale ou la nouvelle comme il est de mode. Officiellement elle n'a pas été invitée à la manifestation spontanée, mais bravant la colère du peuple, elle s'introduit habilement dans le coeur de la foule. Elle s'infiltre, comme ces agents que la police envoie au sein des travailleurs pour les exploiter de l'intérieur, pour les diviser et les corrompre. Avec fourberie et vivacité, produit de sa grande expérience dans ce type d'activité, elle installe au coeur de la manifestation sa banderole rouge comme le sang. Le symbole et la couleur servent à troubler les masses, qui ne se rendent pas compte de la tromperie alors que l'escroquerie est consommée.

Le double jeu est pourtant évident. Ils se font plus radicaux que les masses elles-mêmes en rébellion, mais d'un autre côté, ils amorcent en secret et ouvertement des négociations avec le gouvernement répudié par le peuple. Pour créer la confusion ils tirent des feux de Bengale et font éclater des feux d'artifice. Ils provoquent la police dans l'espoir d'obtenir ne serait-ce qu'une nuit de prison. S'ils sont réprimés, automatiquement ils se transforment en héros, et cela est une chance sur le terrain électoral. Rien n'est le fait du hasard, tout est calculé. Ils cherchent les quotidiens, les revues et les plateaux de télévision pour lancer de terribles menaces contre le gouvernement et l'impérialisme. Du soir au matin ils se transforment en vedettes du spectacle politique en marche. Pendant que les gros bourgeois se tordent de rire, ils crient : "Qu'ils s'en aillent tous !", comme en Argentine, "Etat multiethnique et Démocratie directe", comme en Equateur, "Gouvernement de tous les Sangs", (promesse métaphorique du président Toledo lors de sa campagne électorale, ndt) comme au Pérou, ou "Assemblée constituante populaire et souveraine", comme en Bolivie. La duperie est sans limite. Ils exigent l'établissement d'une "démocratie participative et directe des masses".

Sur la crête de la vague rebelle la chose sera un jeu d'enfant pour une gauche experte dans l'art du montage théâtral et de la manipulation. De là, comme une traînée de poudre, elle étendra ses tentacules. Ses consignes politiques ne seront pas seulement pour endormir les masses déchaînées et les détourner de toute tentative de porter atteinte à l'ordre imposé, mais aussi pour plaire aux patrons locaux et étrangers. Elle mettra toute son énergie à trouver une "sortie démocratique et constitutionnelle" à la crise et à la rébellion populaire.

Acte troisième

La sortie démocratique de crise proposée par les hommes de gauche et de droite s'applique. Pour la propagande officielle "on entre dans l'ère socialiste" avec Lula au Brésil, Kirchner en Argentine, Gutiérrez en Equateur et Mesa en Bolivie. La société idéale, le socialisme, surgissent, non de violentes luttes de classes, mais des instruments mêmes d'oppression des bourgeois et propriétaires terriens.

Une Assemblée Constituante et des élections générales sont en vue. Les groupes de pouvoir et l'impérialisme se frottent les mains. Le grand spectacle a commencé, messieurs, dit quelqu'un de l'Etat. "Quelle bonne idée de donner une sortie démocratique à la crise du pays", commente un banquier en faisant des calculs sur ses profits juteux. Les masses insurgées, embarquées dans la voiture électorale, cherchent un candidat présidentiel. "Une nouvelle constitution" est proposée comme solution à la crise. Une organisation de gauche réclame "un gouvernement démocratique et populaire", une autre des "élections propres et démocratiques". Un bourgeois attentif aux consignes politiques se dit qu'en fait un gouvernement démocratique, c'est pour eux, et non pour les pauvres diables qui eux y croient. "Sans cette gauche nous serions cuits", dit-il en prenant son téléphone pour annoncer à Washington que la chose est contrôlée à 100% et qu'il n'y a aucun danger. OK, répond son interlocuteur.

Au Brésil, Lula le bien-aimé de l'église catholique, des patrons et de l'impérialisme, a dit clairement qu'il "n'est pas et n'a jamais été un homme de gauche", mais bien le candidat de la gauche. Les paysans sans terre et les activistes de gauche de toutes tendances le présentent comme le représentant des pauvres au pouvoir. Il gagne les élections et son premier acte de président est d'aller embrasser George Bush. Alors qu'avant il promettait de ne pas payer la dette externe, aujourd'hui il la paie mieux que les gouvernements précédents. Alors qu'avant il promettait la terre aux paysans, aujourd'hui il utilise la violence militaire et policière pour défendre à "sang et à feu" les terres des propriétaires fonciers. Et si avant il annonçait qu'il liquiderait la faim et la misère (programme de faim zéro), aujourd'hui les masses mangent moins qu'avant son installation dans le fauteuil présidentiel et la pauvreté augmente.

En Argentine, Nestor Kirchner, péroniste et de droite, est le candidat électoral de la gauche. Il est proclamé fils préféré du peuple, et on lui adjoint les qualificatifs "anti-impérialistes" et "anti-néolibéral". Les Mères de la Place, figures emblématiques de la lutte contre le crime et l'impunité des militaires argentins, versèrent beaucoup de larmes quand avec amour maternel elles embrassèrent Kirchner le jour de sa victoire électorale. Sa politique "anti-impérialiste" ne s'est pas vue, même en rêves, et depuis 2002 le prétendu gouvernement "anti-impérialiste" a payé plus de 10.000 millions de dollars au FMI et autres organismes des empires (3). Pour les pauvres rien n'a changé et leur situation est même pire que sous les gouvernements antérieurs.

En Equateur (2002), le colonel Lucio Gutiérrez était le candidat des masses populaires et de la gauche. La gauche, non seulement désactiva la rébellion populaire, mais fut chargée de manipuler et d'entraîner les pauvres derrière un candidat qui en pleine campagne électorale se déclara un admirateur d'Augusto Pinochet et un partisan de l' "exemple démocratique" des Etats-Unis. Quand Gutiérrez a gagné les élections on a dit que le changement révolutionnaire "était irréversible" et ses alliés de gauche s'assirent à la droite de dieu le père pour gouverner. Le MPD (Mouvement Populaire Démocratique), le PCMLE (Parti Communiste Marxiste-Léniniste d'Equateur), la CONAIE (Confédération des Nationalités Indigènes) et le groupe Pachakutik gagnèrent quelques ministères et ne s'éloignèrent du président "révolutionnaire" que quand les masses firent la preuve qu'elles étaient lasses de la tromperie et qu'elles se préparaient à repartir dans de nouvelles luttes populaires.

En Bolivie, les ouvriers du taita (père, en langue quechua, ndt) Felipe Quispe et les paysans de l'indigène Evo Morales, virent en Carlos Mesa le plus pur démocrate et anti-impérialiste né sur ces terres ombragées. Il ne fallut pas longtemps pour que le gouvernement de l'anti-impérialiste Mesa devienne un cirque dans lequel ne gagnent que les groupes de pouvoir et les transnationales. Selon un récent rapport du PNUD, 60% des Boliviens vivent sous le seuil de pauvreté, chiffre qui monte à 90% dans les campagnes. Et comme toile de fond de ce drame, les mêmes "hommes de gauche" qui soutinrent Mesa (aujourd'hui transformés en parlementaires et personnages importants du gouvernement), crient que Mesa est un traître. Ils appellent aux mobilisations, et demandent que le gouvernement convoque de nouvelles élections. Pendant ce temps, la pauvreté dans ce pays est monté de 5.076.000 en 1995 à 6.448.000 en 2001, et parmi eux (d'après le Programme des Nations Unies pour l'Alimentation Mondiale) 2 millions de Boliviens souffrent de faim chronique.

Et ne parlons pas du Pérou, pour pas que nos lecteurs se mettent à pleurer, disons seulement : Le gouvernement de "Tous les Sangs" dirigé par Toledo, élu en 2001 par la gauche et par la droite péruvienne, s'est avéré pire que la tyrannie mafieuse, corrompue et criminelle d'Alberto Fujimori et Vladimir Montesinos. Maintenant que plus personne ne mise un seul centavo sur Toledo, et que les masses affamés luttent à nouveau dans les rues, la gauche a ressorti son vieux livret pour escroquer les pauvres. Sans changer même une virgule, elle a remis en marche la mise en scène du bien connu "Acte premier", qui comme on l'a vu, commence par l'infiltration habituelle des masses, pour de là crier à nouveau "A bas le gouvernement" (celui qu'ils ont élus et appuyé). "Elections générales immédiates", et rédaction d'une "Nouvelle Constitution". Et ainsi reprend, épique, burlesque mais aussi douloureuse, la présentation des trois actes de cette oeuvre surgie de la réalité latino-américaine qui met en scène tout le drame des masses pauvres de ce continent.

Luis Arce Borja

Notes

1(1) Dante Alighieri, La Divine Comédie, Chant III, au moment d'entrer dans l'enfer.

(2) Le santiagazo ou santiagueñazo désigne le soulèvement de décembre 1993, dans la ville de Santiago del Estero, capitale de la province du même nom, dans le nord de l'Argentine. Suite à la décision du gouvernement Menem de réduire l'emploi public et de baisser les salaires, les travailleurs et la population ont, spontanément, occupé les lieux publics, coupé les routes, démoli les locaux des partis politiques, les domiciles des politiciens corrompus et mis le feu au palais gouvernemental. Ce soulèvement a ouvert un cycle de luttes et posé les prémisses du mouvement piquetero (le traducteur).

(3) Argenpress, publication du 18-03-2005.

Traduction du castillan : Max Keler

Ecrit par rokakpuos, à 16:13 dans la rubrique "Actualité".



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