Une des premières actions de notre nouveau président fut d’aller rencontrer les représentants syndicaux d’Airbus Industries. Pour les salariés, rien ne va plus !
DANS UN PRÉCÉDENT ARTICLE paru dans le Monde libertaire du 15 mars, intitulé « Airbus, le grand jeu de Monopoly », je concluais en écrivant: « Pour les salariés, la seule solution est de prendre leurs affaires en main en refusant le rôle de simples pions qu’on veut leur faire jouer. »
C’est exactement ce qui s’est passé dans les dernières semaines de manière assez exemplaire.
Rappel des faits: mercredi 25 avril, les salariés d’Airbus apprennent de leur direction que la prime d’intéressement passe de 3000 euros en 2006 à 2,50 euros en 2007… Après l’annonce des 10000 licenciements du plan Power 8 et l’information sur le parachute doré de Noël Forgeard, PDG d’Airbus, de 8,5 millions d’euros, le moins que l’on puisse dire est que la couleuvre passe mal.
Dès le lendemain, des débrayages spontanés, qualifiés de « grève sauvage » par Ouest-France, se répandent comme une traînée de poudre sur tous les sites: « c’est parti de quelques gars ce matin, à 7 heures, juste avant l’embauche. On a fait du poste à poste pour convaincre les collègues de débrayer et de bloquer l’entrée », raconte un jeune ouvrier de Saint-Nazaire.
Le 27 avril, à Saint-Nazaire, la quasi totalité des salariés est en grève et demande à l’intersyndicale (CGT, FO, CFDT, CGC, CFTC) de défendre la plateforme revendicative adoptée par l’assemblée générale: versement d’une prime exceptionnelle d’intéressement de 1970 euros brut ainsi qu’une prime de participation de 2200 euros brut. Retrait du plan Power 8, embauche des intérimaires, compensation des départs en préretraite par autant d’embauches.
Sur cette base, en principe, les représentants syndicaux rencontrent la direction et rendent compte ensuite des propositions de celle-ci, à savoir une prime exceptionnelle de 500 euros, 1,5 % d’augmentation générale des salaires, 0,5 % d’augmentation individuelle selon le « mérite ».
Certains syndicats proposent alors de reprendre le travail, sous la huée des salariés. Le vote est sans ambiguïté: 1250 pour la poursuite de la grève, une petite cinquantaine contre (des cadres essentiellement).
La tension monte très vite entre la « coordination des ouvriers, qui comprend d’ailleurs des syndiqués de la CGT et de FO notamment, et les directions syndicales nationales. FO, majoritaire dans la boîte, se trouve ainsi écartelée entre son syndicat de base orienté vers la lutte et sa fédération des métaux qui n’a de cesse, une fois de plus, que de faire rentrer les ouvriers au bercail…
Jusqu’au 11 mai, la bagarre continue malgré toutes les manoeuvres, les pressions de la bureaucraties. La rancoeur s’est installée aussi: « les syndicats disent qu’ils sont derrière nous, mais c’est devant qu’ils devraient être! » explique un métallo.
C’est tout le problème en effet… Cela fait bien longtemps que certaines directions syndicales, à ne pas confondre avec les sections syndicales de base, ont abandonné la lutte pour s’installer dans « l’accompagnement (1) », voire la collaboration de classes. De la charte d’Amiens à la charte du travail de Pétain, en quelque sorte…
Cela dit, au moment même où l’on annonce que Jean-Paul Gut, le directeur général délégué, réclamerait une prime de départ de 12 millions d’euros, cette lutte des salariés d’Airbus est exemplaire et rassurante à plus d’un titre. Tout d’abord, elle est partie de la base, de jeunes ouvriers le plus souvent qui ont clairement décidé de prendre les choses en main. Ensuite, la forme même de la lutte ne peut que satisfaire des militants anarchistes: assemblée générale, définition d’un mandat, structuration en « coordination » incluant les syndicats qui voulaient se battre (embryon de comité de grève).
Enfin, la volonté d’en découdre, la détermination des salariés, ont mis un sérieux coup de pied dans la fourmilière des bureaucraties syndicales. Malgré la volonté d’unité très grande des salariés, quelques mises au point salutaires sont en cours.
Dans la période qui s’annonce, où régression sociale et répression vont constituer les deux volets complémentaires d’une même politique, cette lutte montre la voie à suivre, mais aussi les obstacles à surmonter.
Mais y a-t-il d’autre issue que la lutte collective qui s’exerce directement sur le terrain de classe, à l’inverse d’un vote aux législatives ou à la présidentielle (2), par exemple, acte individuel par définition (dans le fameux isoloir) et sur des bases forcément interclassistes: la nation, l’autorité, la sécurité, le drapeau…
Inlassablement, avec humilité mais détermination, il appartient aux militants anarchistes d’aider au maximum à la construction de cette résistance, ne serait-ce qu’en développant et en structurant leur propre organisation au service des luttes. Cela sera l’enjeu du prochain congrès de la Fédération anarchiste.
(1).Y compris sur la base de propositions syndicales tels les parcours sécurisés de la CFDT ou la sécurité sociale professionnelle de la CGT qui risquent d’aboutir à la fléxisécurité proposée par Sarkozy. Un prochain article fera le point sur cette question très
importante.
(2). Certains camarades se sont émus de la forte participation à la dernière élection présidentielle, croyant y voir une nouveauté inquiétante. Rappelons simplement que le taux de participation, certes supérieur de 6 % environ par rapport aux élections de 1995 et 2002, ne fait qu’à peine atteindre les taux de 1974 ou 1981. Pas de panique donc, toujours mauvaise conseillère comme cela a pu être le cas en avril 2002…
Fabrice
Groupe La Sociale de la Fédération anarchiste à Rennes
in
Le Monde libertaire # 1479 du 24 au 30 mai 2007