Lu sur
Acrimed :"Un naufrage judicaire et des médias sauvés des eaux ? A en juger par le silence des principaux médias, ceux-ci n’ont pris aucune part à la condamnation avant procès des innocents acquittés par les procès de 2004 et 2005. En 2004 déjà, la discrétion des médias sur leur propre rôle n’avait été levée par l’émission Arrêt sur images, en mai 2004 (« Outreau : dans la tempête médiatique ») et surtout par le dossier de Pour Lire Pas Lu n° 21 d’octobre 2004 : « Haro sur les prolos : la médiatisation de l’« affaire Outreau », ainsi que par Gilles Balbastre dans un article du Monde Diplomatique de décembre : « Les faits divers, ou le tribunal implacable des médias.
En 2005, l’amnésie est presque totale, comme le montre la contribution suivante de l’un de nos correspondants, centrée sur la presse du Nord-Pas de Calais (Acrimed).
Passionnant débat ce vendredi 2 décembre 2005, dans la tranche matinale de Pierre Weill sur France Inter. Sujet du jour : ce qu’il est désormais convenu d’appeler « l’affaire d’Outreau ». La veille, les six personnes jugées en appel à Paris ont toutes été acquittées. Lors de la revue de presse de 8 h 30, Jean-Michel Bretonnier, rédacteur en chef de La Voix du Nord, est au bout du fil. Ce jour-là, il signe en effet un édito de première page - exercice rare dans le quotidien lillois - pour dénoncer un « délire judiciaire », le « cauchemar » de « six hommes et femmes » qui « pendant quatre ans, auront vécu au ban de la société, au ban de l’humanité par la faute d’une Justice devenue folle ». Pour l’éditorialiste, les coupables, « ce sont l’arrogance, l’entêtement, l’enfermement dans ses certitudes de l’un [le juge Burgaud, NDLR] ; la paresse intellectuelle, le conformisme, l’esprit de corps des autres [les personnes chargées de suivre son instruction, NDLR]. »
Ce matin là, au micro de France Inter, il répète donc qu’« il est toujours un peu facile dans un tel désastre de s’en prendre à l’institution d’une façon très générale et très vague. En réalité, les institutions, elles sont incarnées. Ce sont bien des hommes et des femmes qui la font vivre et qui en font ce qu’elles sont. » Tout de même, Jean-Michel Bretonnier se félicite des excuses prononcées au nom de la Justice par le « procureur général de Paris, dans un registre totalement inédit ». Il se félicite aussi d’avoir assisté à un « verdict qui s’imposait bien évidemment », d’avoir entendu, « le garde des Sceaux qui est allé jusqu’à présenter des excuses (...) aux victimes de cette terrible affaire » et, pour finir, d’apprendre « qu’on va diligenter une enquête ». « Ces gens dont la vie a été détruite, réellement détruite, ces gens qui ont passé quatre ans en enfer » méritent bien que l’on « aille rechercher des fautes éventuelles, en tout cas des dysfonctionnements. Et s’il y a des fautes et des dysfonctionnements, il y a forcément des responsabilités. » Et le rédacteur en chef de conclure : « Ce sont les questions qu’il faut se poser et auxquelles on aura à répondre si on veut apporter à ces gens, qui ont été traînés dans la boue aussi longtemps, une totale réparation. »
Mais « traînés dans la boue » par qui au fait ? On serait bien mal inspiré de minimiser les nombreuses responsabilités que les procès devant les assises de Saint-Omer et la cour d’appel de Paris ont mis en évidence : un juge d’instruction obnubilé par la volonté de démanteler un réseau de pédophiles mêlant des « notables » ; une instruction menée sans que les garde-fous, pourtant prévus par la procédure, n’apportent le moindre bémol (aux décisions d’incarcération, aux dépositions contradictoires et délirantes...) ; des experts qui (selon l’expression de l’un d’eux) ont mené « des expertises de femme de ménage » ; des services sociaux du conseil général du Pas-de-Calais qui s’improvisent en Rouletabille amateur, etc. Est-il besoin d’y revenir, tant la presse nous l’a - d’ailleurs plutôt bien - expliqué ?
Mais était-ce le juge Burgaud qui tenait la plume, le micro, la caméra des journalistes qui ont couvert les événements des deux ans et demi qui ont précédé le procès de Saint-Omer ? Après la revue de presse, dans Radiocom (la séance quotidienne de question des auditeurs sur France Inter), Dominique Barella, président de l’Union syndicale des magistrats (USM), essaye bien de revenir sur les errements de la presse. Sans grand succès. « J’entendais tout à l’heure l’éditorialiste de La Voix du Nord, lance-t-il. J’ai récupéré l’ensemble des papiers de La Voix du Nord sur le sujet de l’affaire d’Outreau. Quand on parle de "traîner dans la boue", vous savez... J’ai lu dans La Voix du Nord le nom de personnes qui sont maintenant acquittées et que l’on présentait à l’époque comme des personnes dangereuses. On a tous collectivement... les magistrats en premier... »
Et là, l’incisif Pierre Weill n’y tient plus, coupant son interlocuteur : « Oui, quand même ! On ne va pas s’attaquer à la presse systématiquement... Au départ il y a le juge Burgaud. » « Je dis les magistrats en premier. En premier ! Je ne peux pas dire plus, insiste alors Dominique Barella. S’il doit y avoir des sanctions, l’inspection le dira mais nous devons tous faire, comme citoyens, une espèce d’introspection. » Fermez le ban. L’heure est à dénoncer le « délire judiciaire », pas le « délire » journalistique.
Compulsons donc les archives. Ce que Jean-Michel Bretonnier oublie de dire, par exemple, c’est qu’il est rédacteur en chef d’un journal qui, le 15 novembre 2001 [1] , lance « l’affaire de pédophilie dont l’origine se trouve à Outreau ». Le quotidien affiche ses certitudes, en écrivant que « petit à petit, le cercle des personnes pratiquant ces agissements (sic) s’est agrandi, tout d’abord au voisinage [des couples arrêtés, NDLR], puis à d’autres intervenants, dont font partie l’huissier de justice, le prêtre ouvrier et les deux responsables de production vidéo ». Le lendemain, on apprend que « l’affaire [...] prend une ampleur considérable avec des ramifications en Belgique ». Et que c’est « un taxi de Boulogne qui conduisait les enfants en Belgique pour les tournages » de cassettes pornographiques.
Et puis, le 17 novembre, La Voix du Nord n’y tient plus et livre en pâture les noms de l’« huissier de justice », du « chauffeur de taxi à Outreau », du « prêtre ouvrier dans la même commune », du « patron de sex-shop à Ostende (Belgique) qui serait l’instigateur du réseau » - un « patron de sex-shop » qui ne l’a jamais été et qui est redevenu « ouvrier » ou « métallurgiste » dans les articles d’aujourd’hui... - et de son fils « plus connu dans le milieu sous le nom de... ». Dans les jours qui suivent, c’est la curée : « réseau de prostitution de jeunes enfants », « deux mondes qui se rencontrent et se partagent des enfants », le comportement étrange du chauffeur de taxi, de l’huissier, de la boulangère [2] , leur participation à des « soirées très particulières », « une sorte de mini Thaïlande » des « protagonistes (...) confondus à partir des déclarations très précises », etc. Autant d’affirmations martelées et répétées d’article en article. A côté de cela, les quelques lignes consacrées aux dénégations des personnes « du deuxième cercle » et aux déclarations de leurs avocats font bien pâle figure. Sur les quinze derniers jours de novembre, La Voix du Nord consacrera à « l’affaire » cinq articles dans ses pages Région et six autres dans son édition de Boulogne-sur-Mer.
Dès le 16 novembre, Nord Eclair a embrayé, titrant « Pédophilie : un réseau démantelé dans le Boulonnais ». Cassettes vidéo, « proxénétisme », voyages en taxi vers la Belgique, « notables reconnus sur photo » : les détails sont à peu près les mêmes. Seuls les noms ne sont pas cités. Sur la même période, Nord Eclair, qui n’a pas d’édition locale à Boulogne-sur-Mer, publie quatre papiers en page Région. A plusieurs reprises, les deux journaux évoquent la possibilité de « nouvelles interpellations parmi les notables » (Nord Eclair du 20 novembre 2001), accréditant encore un peu plus l’idée d’un réseau structuré et organisé.
En Belgique, on s’intéresse aussi à l’affaire. Le 16 novembre, le quotidien La Dernière Heure titre : « Films pédos en Belgique avec des petits Français ! » L’info est béton puisque « publiée hier matin déjà par La Voix du Nord » et « confirmée en soirée par Gérald Lesigne, procureur de la République à Boulogne-sur-Mer ». Là encore, le journaliste parle d’un « vrai réseau de pédophilie impliquant une quinzaine d’adultes suspectés de viols, etc. », de « parents qui comprennent très vite l’intérêt financier de livrer leurs propres gosses à des connaissances » et, là aussi, d’« enfants conduits en taxi » en Belgique pour « filmer les enfants dans des films pornos pédos ». « Dans le réseau interviennent en outre un huissier de justice, son épouse, même un... prêtre-ouvrier... »
Deux jours avant l’ouverture du procès de Saint-Omer, La Voix du Nord parle encore de « dix-huit enfants (...) pour lesquels une certitude est acquise : tous ont été victimes d’abus sexuels, par leurs parents, par des proches, par des voisins aussi » (La Voix du Nord des 2 et 3 mai 2004). Quelques lignes plus loin : « Les récits des enfants sont suffisamment précis et détaillés pour balayer les doutes et exclure une manipulation. Ils reconnaissent une habitation où ils disent avoir été emmenés en voiture pour des séances, ils identifient aussi des personnes habituées du quartier, un prêtre-ouvrier, une commerçante ambulante. (...) Puis d’autres noms sont évoqués, ceux de personnes plus installées : un chauffeur de taxi, un médecin, puis un huissier de justice habitué lui aussi à venir recouvrer les créances. Une montagne d’ignominies se déverse sur le bureau du juge d’instruction. » Autre précision, dont on appréciera le style grandiloquent : « Les rapports des experts grouillent de ces expressions inquiétantes qui résonnent crûment contre les murs des cours d’assises. »
Le 4 mai, jour de l’ouverture du procès, le quotidien régional ouvre tout de même ses colonnes aux critiques des avocats de la défense et, dans une brève intitulée « Présomption d’innocence » précise que « c’est pour préserver ce qui peut encore l’être pour les enfants que nous taisons les noms de famille », même si « les noms de certains protagonistes ont été diffusés ici et là »... Comme on l’a vu plus haut, le « ici et là » désigne notamment... La Voix du Nord du 17 novembre 2001 et des éditions suivantes. Une autre époque sûrement. Le 5 mai, lendemain de l’ouverture du procès, son confrère Nord Eclair titre sur « une accusation accablante ».
La semaine précédente, Le Nouvel Observateur (du 29 avril au 5 mai 2004), dans un supplément régional (« Six faits divers qui ont marqué la région : Outreau, Bruay, Manoka, Belœil, Pollet, Jourdain » ; c’est sûr que ça change du dossier « spécial immobilier »...), titrait de son côté sur une « association de pédophiles ». « C’est la plus grosse affaire de pédophilie de la région : 2 ans d’instruction, 3000 procès-verbaux... », claironne l’hebdo en accroche, qui donne les prénoms et noms de tout le monde : parents, enfants, abuseurs présumés...
Soyons honnêtes : les interrogations pointent dans la presse avant le procès aux assises du Pas-de-Calais de mai 2004, où tout le monde a miraculeusement recouvré la vue. Le 17 janvier 2002, La Voix du Nord rapporte ainsi que « Mes Berton et Delarue [avocats de la défense dans ce dossier, NDLR] mettent en fait le doigt sur le talon d’Achille de ce dossier : le juge [Burgaud, NDLR] semble manquer d’éléments probants, concrets, pour corroborer les accusations gravissimes portées par trois ou quatre personnes et quelques enfants. » Le journal précise aussi qu’un des deux avocats a déposé « une plainte pour violation du secret de l’instruction ».
Une conférence de presse organisée en février 2002 par les deux mêmes avocats est aussi l’occasion d’expliquer que ces derniers « torpillent la manière dont est menée l’instruction » (Nord Eclair du 7 février 2002) et demandent que « que le dossier soit instruit dans un autre tribunal [que celui de Boulogne-sur-Mer, NDLR] », ce qui, selon le journal, revient à réclamer « le dessaisissement du juge d’instruction Fabrice Burgaud ». « Désormais, il appartiendra à la cour d’assises du Pas-de-Calais d’éclairer les nombreuses zones d’ombre de ce dossier », expose le même journal un peu moins d’un an plus tard, à l’occasion du renvoi de l’affaire devant les assises de Saint-Omer (Nord Eclair du 24 janvier 2003). Mais qu’est-ce qu’il n’a pas fallu lire, entendre et voir à côté de cela...
L’expression de « réseau pédophile » auquel on accole au départ le qualificatif « franco-belge » a été reprise partout : « Un réseau pédophile vient d’être démantelé dans la région de Boulogne-sur-Mer » (Le Figaro du 11 janvier 2002) ; « Le réseau d’Outreau renvoyé aux assises » (Le Parisien du 24 janvier 2003) ; « Au printemps 2001, onze habitants du quartier défavorisé de la Tour du Renard, à Outreau, étaient arrêtés pour avoir participé [NDLR : et non pas « suspectés d’avoir »...] aux soirées pédophiles organisées dans l’appartement (...) » (Le Monde du 17 juillet 2003).
Le summum semble être atteint en janvier 2002, lorsqu’un des accusés parle au juge du meurtre d’une fillette, auquel il affirme avoir assisté. Une invention, expliquera-t-il plus tard, pour confondre la principale accusatrice dans ce dossier. Il a aussi envoyé une lettre à la rédaction lilloise de France 3, qui relaie ses « aveux ». Le 11 janvier, Libération publie un long papier, sous un titre choc, « Pédophilie : le quartier de l’horreur à Outreau ». On y lit notamment qu’« à Outreau, un réseau de pédophilie a été démantelé l’hiver dernier. Une quinzaine d’adultes sont mis en cause et écroués. Les enfants sont au nombre de 25 environ, des filles et des garçons de 4 à 12 ans. » On y présente un des « innocentés » d’aujourd’hui comme « membre du réseau ». Suivent des précisions sur les accusations de meurtre : « L’enfant, violée par l’homme aux cheveux gris, hurle et pleure. Pour la faire taire, [une personne désignée par deux initiales] lui donne des claques, puis "s’acharne". » On s’y croirait... Faut-il rappeler que ce meurtre n’a jamais été commis et que la petite fille n’a jamais existé ?
Puis, plus loin : X (lui aussi innocenté depuis), « qui semble être la tête pensante de ce réseau, se payait deux fois : la première fois lors de la prostitution des enfants, la seconde à la vente des cassettes, probablement en Belgique, à Ostende, où il tenait un sex-shop. » Le même monsieur dont on a déjà précisé plus haut qu’aujourd’hui, dans les articles de presse, il est redevenu « ouvrier »... Comme ailleurs, on lit dans Libération qu’ « un chauffeur de taxi de Boulogne était chargé de transporter les enfants en Belgique pour les tournages ». Etc., etc.
Le Monde aussi mène l’enquête et explique, le 13 janvier, que « si le cadavre reste introuvable, si l’identité de la victime n’est toujours pas connue, le fait qu’une fillette âgée de cinq à six ans soit morte après avoir été violée et rouée de coups ne semble en revanche plus faire de doute pour la justice. Mercredi 9 janvier, deux personnes "qui n’ont pas eu de contacts entre elles" ont fourni les mêmes indications macabres au juge, assure le magistrat ».
L’Humanité enfourche les mêmes chevaux que ses confrères. Seule originalité, l’emploi de l’expression « réseau pédosexuel » (L’Humanité du 14 janvier 2002). Pour le reste, les détails sont les mêmes : le tenancier de sex-shop imaginaire, le « prêtre-ouvrier [...] si dévoué à la cause des jeunes, dans les quartiers déshérités », la « boulangère ambulante qui offrait généreusement ses gâteaux aux petits », etc. Le journaliste précise que « la plupart des mis en examen nient farouchement [...] mais tous ont été reconnus sur les photos par une vingtaine de victimes, âgées de quatre à douze ans ». Concernant le « meurtre » de la petite fille, le journal se félicite que « pour une fois, le parquet et le magistrat instructeur n’ont pas a priori écarté le récit d’un adulte ou d’un mineur sur un acte indicible que la raison repousse : la mise à mort d’un enfant pour l’assouvissement de perversions ou de rituels de groupe. » Le quotidien délivre par ailleurs un satisfecit à « tous les acteurs sociaux [qui] semblent avoir fait leur travail ». « Pourquoi aller en Thaïlande, alors que la crise délocalise le tiers-monde dans nos propres villes ? », s’interroge encore le journaliste, qui précise au passage, comme son confrère de La Dernière Heure, que « le procureur Gérald Lesigne » fait partie de ses informateurs.
En fait, dans cette « affaire dans l’affaire » (le meurtre d’une gamine qui n’a jamais eu lieu), toute la presse semble avoir perdu les pédales et s’être monté la tête collectivement. Exemple, le 11 janvier, au JT de 13 h de TF1. Jean-Pierre Pernaut lance un reportage sur les « révélations effroyables du meurtre d’une petite fille de 5 ou 7 ans par des pédophiles ». Sans aucune précaution de langage, le commentaire explique que « trois parcelles sont creusées pour retrouver les ossements d’une fillette ramenée de Belgique, violée et battue à mort devant témoins par l’homme de main d’un réseau pédophile dont la perversité écœure ceux qui connaissent le dossier. » Vient ensuite le témoignage d’un avocat des parties civiles qui permet au journaliste d’évoquer « des clients qui rendent de discrètes visites dans l’immeuble » et « parmi eux des notables ». Quant à l’avocat, il nous décrit « un voyage au bout de l’horreur en quelque sorte », évoquant « un cercle de gens qui viennent satisfaire des vices innommables et qui sont prêts à payer des sommes d’argent pour assouvir leurs déviances ». « Et le troisième cercle, poursuit-il, celui qui nous intéresse encore plus, c’est l’aspect financier, la délinquance internationale, l’exploitation des enfants, l’exploitation des cassettes et la notion de réseau ». Ne manquent plus que les liens avec le terrorisme international.
Trois jours plus tard, Patrick Poivre d’Arvor en rajoute une louche : « Les enquêteurs sont toujours à la recherche de la fillette victime des agissements d’un réseau pédophile franco-belge ». Cette fois-ci, dans le reportage [3] , il est question de « huit adultes et 16 enfants impliqués dans deux affaires de pédophilie distinctes » mais le journaliste évoque la possibilité d’un « vaste réseau mettant en cause une quarantaine d’adultes et une trentaine d’enfants »... « Des affaires comme ça, il y en a tout le temps », affirme devant la caméra un avocat.
Mais aujourd’hui, tout est oublié ou presque puisque les innocents ont été acquittés [4]. Il faut, en effet, être un lecteur sacrément persévérant pour déceler les remises en question de la part des médias. Le Monde a fait, le 4 décembre, un retour sur « Outreau, de la tempête médiatique au naufrage judiciaire ». L’éditorialiste de Nord Eclair, Jules Clauwaert, a aussi fait quelques allusions. « Au chapitre des autocritiques attendues, ne craignons pas d’ajouter une médiatisation qui devait davantage à la pression et aux attentes du public qu’à la relation des faits », écrit-il ainsi le 3 décembre, avant de conseiller « que chacun balaie devant sa porte » [5]. Pour une profession qui ne cesse de réclamer des sanctions envers les responsables d’une instruction catastrophique, tout cela est bien maigre... Au fait, à qui s’adressait l’éditorialiste de La Voix du Nord, en dénonçant « l’arrogance, l’entêtement, l’enfermement dans ses certitudes [...], la paresse intellectuelle, le conformisme, l’esprit de corps » ?
Thibaut Cara
PS : Cette « plongée dans les archives médiatiques d’Outreau » est forcément parcellaire, en fonction des documents qui ont pu être rassemblés. Rappelons simplement que les médias ont quasiment tous relayé les mêmes accusations.
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[1] A l’époque, Jean-Michel Bretonnier chapeautait à la fois les rédactions et les services publicitaires des différents bureaux du quotidien dans la métropole lilloise. Il est devenu rédacteur en chef en 2003.
[2] « On avait bien remarqué le curieux manège d’une boulangère qui passait au volant de sa camionnette très tard le soir, une heure incongrue pour livrer du pain. On trouvait bizarre aussi que les enfants montaient (sic) dans son camion, que vers 23 h les "parents" repartaient du camion les bras chargés d’énormes gâteaux. » (La Voix du Nord du 20 novembre 2001).
[3] Ces deux reportages sont encore visibles sur le site de TF1 (www.tf1.fr).
[4] Le propos n’est pas de dire que rien ne s’est passé dans ce dossier de pédophilie. Des condamnations ont été prononcées et des aveux réitérés lors des deux procès. Il s’agit simplement de rappeler que des personnes ont effectivement été « traînées dans la boue », en faisant l’objet d’accusations aussi graves que fantaisistes relayées sans aucune précaution par la presse, qui n’a pas été avare de certitude.
[5] Dans La Voix du Nord, il faut se contenter d’un courrier de lecteur paru le 11 décembre et titré « Journalistes acteurs ». Assez bref, il résume bien la situation : « Les journalistes distribuent volontiers les bons et les mauvais points et tout le monde y a droit. Ils s’érigent en quelque sorte en arbitres alors qu’à mon avis, certains d’entre eux en ont aussi été acteurs. N’ont-ils pas contribué, en amplifiant le climat malsain de cette affaire, à enlever toute sérénité à l’instruction et au jugement ? Les articles et reportages de cette époque, tels que je m’en souviens, n’étaient pas empreints de la prudence dont on dit maintenant que la justice était dépourvue. » Doux euphémisme...