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« Fondé en 1997 par Pierre de Bellefeuille et
Jean-françois Nadeau, le Couac est un journal satirique, libre et indépendant.
Il propose tous les mois un regard critique sur notre société avec l’humour
grinçant qui lui a valu son surnom de « canard qui a des dents »… »
C’est ainsi que Le Couac se présente
sur son site http://www.lecouac.org/
Qui en sont les fondateurs ? Pierre de Bellefeuille[1] est un distingué parlementaire qui défend des thèses indépendantistes et nationalistes québécoises. Jean François Nadeau fut un temps directeur du journal étudiant Le Quartier libre, à l’Université de Montréal mais il est surtout connu pour avoir fondé les éditions Comeau & Nadeau qui publiaient des essais et des textes situés à gauche considérés comme d’inspiration citoyenne réformistes et pour être le directeur littéraire des éditions de l’Hexagone chez VLB au sein de Ville-Marie Littérature, filiale de Sogides racheté par Québécor il y a peu. Devenu depuis Lux éditeur, Comeau & Nadeau, publie, tout comme Le Couac, aussi bien des thèses souverainistes que des essais d’inspiration lointainement anarchiste et des titres dangereusement proches de la revue altermondialiste À bâbord, sorte de melting pot théorique de la gauche québécoise.
Nous pouvons ici décoder, à travers Le Couac, le
profil d’une gauche anarchiste québécoise et osons le mot, nationale, qui se
réclame d’une vague mémoire des luttes anarchistes, nécessaire caution radicale
bonne pour les bourgeois. Le Couac
a une saine ambition : il entend montrer le mouvement réel de la contestation
au Québec et ailleurs. Cependant la résistance n’est pas seulement affaire de
volonté, il y faut une réelle conscience de l’histoire, des idées claires, des
désirs nouveaux. Prisonnier de sa dynamique propre et de son auto aveuglement,
ce mouvement dessine non la réalité vivante d’un mouvement social qui se
cherche mais incarne assez bien le sort d’une critique qui s’est convertie en
une idéologie de la confusion. Survivance d’idées mortes, désirs malheureux,
militantisme corporatif, dogmatisme, critique « pédagogique » narcissique,
les pistes de compréhension se multiplient dès lors que nous analysons la
charge potentielle de cette confusion qui ne rompt pas les digues mais les
reconstituent ailleurs. Nul ne saurait se libérer sans changer. Changement ou
reniement ne s’enchaînent pas immanquablement. Leur reniement de l’histoire ne
craint pas la trahison, il se fait le double de ce qu’il dénonce.
Donc retour au Couac que nous n’avons, d’ailleurs,
pas vraiment quitté ; la tendance du nationalisme « québécois »
a donc nettement marqué, dès le départ, le contenu du Couac. Il suffit
de rappeler les positions nationalistes et chauvines de VLB, l’employeur de
Nadeau. Quant au parcours politique de Bellefeuille il est, en ce sens,
exemplaire. Il était donc normal qu’un xénophobe nationaliste et
indépendantiste comme Pierre Falardeau soit publié sans aucun questionnement ni
distance critique dans Le Couac[2].
Une des constantes du Couac consiste en effet, à
publier l’idéologie nationale québécoise en compagnie d’une idéologie anarchiste
frileuse et molle pimentée de cette contre culture altermondialiste dont on sait
les limites actuelles[3], additionnée
pour terminer, d’un peu d’écologie et de droits de l’homme.
Apparemment, le projet social défendu par Le Couac consiste à essayer les débris de tous les modes et de tous les genres idéologiques afin d’améliorer son domaine d’expression et de toucher un plus grand nombre. Seulement, il semble que cela se fasse dans le quantitatif et non ans le qualitatif. Cette orientation permet au Couac de légitimer sa survie, de se faire pardonner quelques revendications trop libertaires en réhabilitant sa propre image en invoquant les mânes des canadiens français. Ainsi, la critique vraie fait silence, on s’aime, on l’oublie. Les rédacteur(e)s du Couac tentent de croire en eux-mêmes en picorant des détails dans les projets sociaux et dans les combats des autres et c’est pourquoi ils agissent comme tous les réformistes sans vouloir toucher à la vie même. Une critique sans concession ne fait pas partie de leurs objectifs médiatiques. Il leur suffit de prolonger quelques pensées qui ne leur appartiennent pas, qu’ils seraient incapables de concevoir, pour prospérer sur le terreau médiatique et culturel sans qu’à la finale rien ne change jamais. Que leur manquent-ils ? L’expérience réelle, l’oxygène de la négativité, le sens de l’existant, la vision de la totalité et le sens de l’histoire.
Il est vrai qu’ils prolifèrent avec d’autres ambitions, sur
un terrain journalistique qui est en soi déjà fortement limité. Pourtant même
sur ce terrain de ces spécialistes de la compensation et des désirs anodins,
leur créativité fait défaut.
Rappelons que le projet médiatique du Couac s’inspire
du journal français Le canard enchaîné
qui a puisé son inspiration dans une opposition à la guerre de 14/18 en Europe
et qui, depuis, tient le haut du pavé en France quant aux dénonciations de la
politique et des politiciens, des arnaques et des coups bas qui caractérisent
la république française.
Il est à noter que Le canard enchaîné, contrairement au Couac, est demeuré très souvent drôle,
caustique et que son humour en toute situation est resté extrêmement corrosif
et enfin que son action médiatique est, elle, efficace. Autre influence du Couac,
le journal français satirique et illustré Charlie
Hebdo de Philippe Val, journal qui survit entre polémique sociale,
antifascisme, humour et écologie. Dans Charlie
Hebdo et Le Canard enchaîné, et
cela même si on ne partage pas leur ligne journalistique, se lit une certaine
substance faite de style et d’arguments étayés. Toutes choses, qui à de très
rares exceptions près[4],
manquent au Couac.
Quiconque lit Le Couac constate que ce journal n’est ni amusant ni même ironique contrairement à ce qu’annonce la présentation du journal sur le site. Le sens de l’humour en est totalement absent et lorsqu’un des auteurs de ses articles se risque à écrire un trait d’humour, celui-ci est généralement d’une platitude totale, d’un ennui pesant, d’une tristesse accablante.
Quelle est alors la différence entre le Couac, Le canard enchaîné et Charlie hebdo, journaux qui se veulent d’inspiration quasi similaire dans deux cultures distinctes ? La différence est simple. C’est la terrifiante nature du talent qui, à une toute petite exception nous l’avons dit, n’existe pas au Couac.
Le canard enchaîné est, quant à lui, écrit par des journalistes talentueux qui pratiquent un journalisme d’investigation efficace, le style journalistique utilisé ne banalise pas les faits qui sont dénoncés, au contraire il les tourne en ridicule avec une incroyable impudence et crée souvent une charge subversive pertinente par leur utilisation de l’ironie ou par la simple analyse des faits qu’ils dénoncent.
Les informations du Couac sont, pour la plupart, des articles besogneux mettant en forme restreinte des informations trouvées sur le Web[5], des commentaires politiques vraisemblablement faux[6], un manque de rigueur simplement professionnel indécent. Tout cela en l’absence d’une véritable écriture.
La peur de la solitude sans doute et des connaissances de
seconde main!
Un lecteur écartelé
Lire Le Couac est une leçon de ténacité mais non de délivrance ou de révélation. Il faut en effet surmonter le désarroi de ceux et celles qui y écrivent côte à côte sans jamais se rencontrer. Critiques intransigeantes du monde capitaliste, critique tenue assez loin il est vrai de leurs propres vies, leurs chants libérateurs ne peuvent s’entonner au sein du groupe mais à l’extérieur, là où chaque remise en cause demeure sans douleur parce que lointaine. Les critiques assurées de ces journalistes du contre-pied se tournent alors vers les « masses incultes » ; elles entendent éclairer leurs douleurs muettes, concentrer la vie et la douleur de la perte, mais ces masses incultes où l’auteur de ces lignes se targue d’exister n’ont rien à se faire pardonner. Nous regardons la pensée critique du Couac trahir ses vagues promesses, nous observons le bonheur miniaturisé et quasi surnaturel de l’équipe du Couac qui consolide son ravissement de durer encore un peu. Comment les congédier alors si ce n’est en leur rappelant qu’une véritable guérilla culturelle s’enracine dans une pratique de l’originalité et une vision radicale et objective car dénoncer n’est pas abattre mais reconduire. Poser les problèmes dans les termes de l’adversaire, c’est accepter une survie améliorée. Mais il est vrai que « nul ne peut désirer ce qu’il n’a pas perçu ».
Depuis sa création en 1997, l’Équipe du Couac s’est étoffée d’intellectuels universitaires se réclamant d’un projet de société anarchiste. Nous y trouvons le mou Normand Baillargeon surnommé un peu partout Normou ou l’ineffable Francis Dupuis-Deri[7] toujours préoccupé de son plan de carrière universitaire, ainsi que plusieurs individus revendiquant un positionnement social et idéologique confusément de gauche, genre tendance altermondialiste, et qui se sont enracinés parmi les 8 pages du Couac au milieu des tenaces revendications nationalistes et souverainistes (Vadeboncoeur, Bellefeuille, Charron) du début. Comment une telle cohabitation est-elle devenue possible ? C’est là un mystère que sans doute l’équipe du Couac justifierait par son grand souci de participation à un projet social quel qu’il soit pourvu qu’il existe encadré de prise de conscience et d’activisme militant. Le vieux mythe unifiant qui a échoué partout, le souvenir d’une cause obscure à force d’être déformée, n’a plus besoin d’adversaires triomphants, l’espoir s’est déplacé : dorénavant il opère à se dégrader lui-même de l’intérieur. De cette façon, le Couac se présente comme le contenu réel de trop de vide, une sorte de perfection dans l’aliénation qui se perpétue pétrie de la matière même de la domination : confus, faux, parcellaire, porteurs de mythes avortés mais jamais de contre-aspirations ou de contre-civilisation toujours absents. Leurs discours jettent une distance infranchissable entre le véhicule de leur image monnayable dans toutes les idéologies du moment, et le champ magnétique de la pratique sociale. L’insuffisance du procédé saute aux yeux, le fait de publier côte à côte des positions aussi contradictoires sinon opposées pose un certain nombre de questions sur le degré de conscience critique des auteurs de ces articles. Comment faire cohabiter des orientations anarchistes, un projet de société libertaire avec des positions citoyennes et une démocratie participative dans le cadre de l’état ? Comment des positions nationalistes vantant un repli identitaire basé sur la langue peuvent-elles coexister avec un humanisme sympathique et généreusement naïf défendant les réfugiés et les illégaux ? Nous pourrions nous émerveiller de cette cohabitation et penser qu’avec elle l’avenir de la critique sociale au Québec est assuré parce que ces questions surviennent à un moment où un fait quelconque et anodin comme la parution mensuelle du Couac serait à elle seule porteuse d’espoir. Seulement il ne reste que les débris du rêve, car une simple lecture de ces écrits caricaturaux sans idées novatrices montre bien qu’il manque à ces gens-là, un mode d’emploi : celui d’une intelligence discernable et d’une lucidité nouvelle. Dans Le Couac rien qui ne soit connu, rien qui n’ai déjà été dit mais plutôt des compensations idéologiques, des petites gratifications entre ami(e)s, des archaïsmes sans vérité, et une absence de cohérence synonyme de faillite intellectuelle. Toute information écrite sur le mode de la tristesse infinie engendre une perte de qualité. Mais il y a aussi les redditions camouflées, les appétits cachés, les idées rabougries.
Ceci nous amène à parler de celui qui pourrait être l’intellectuel bavard type bien que mou, le philosophe/sociologue/pédagogue/ami des masses du journal : Normou Baillargeon, ce jeune vieillard vagabondant de revues en revues, de livres en livres, d’articles en articles, couvant d’un oeil paternaliste les jeunes anarchistes si charmants qui incarnent une si heureuse vitalité. Baillargeon est habité d’un rêve : celui d’un stoïcisme sans conflits, non pas de vitalité maîtrisée mais d’adieu à la vitalité. Pour cela quoi de mieux que d’inviter ce bon vieux Chomski en plein coeur de la critique sociale ?
À quoi sert
Baillargeon ?
Baillargeon et l’autodéfense intellectuelle
Nous parlerons donc de son dernier livre : le très ennuyeux livre Petit cours d’autodéfense intellectuelle, paru en famille chez Lux en 2005. Avec un tel titre Baillargeon ne prend pas grand risque et en effet il ne propose que des recettes éprouvées par d’autres ce qui semble la méthode d’écriture la plus sûre du moment. De plus il élabore la nature de son autodéfense comme un long cours magistral et on comprend par le choix du titre et la méthode didactique utilisée qu’il s’agira aussi, pour Baillargeon, de continuer à jouer son rôle de dispensateur de connaissances et surtout de ne pas remettre en cause sa posture universitaire. Le livre est donc un manuel de vulgarisation des thèses de Chomsky et de Carl Sagan qu’il vaut mieux lire dans les textes d’origine plutôt que digérées à nouveau dans ce livre laborieux.
Le professeur Baillargeon invoque ainsi Chomsky et Carl Sagan pour expliquer la pertinence de sa thèse : initier son lecteur à la pensée critique, lui ouvrir les yeux pour qu’il comprenne les ressorts de la manipulation dont il est l’objet. D’où Normou tire t-il sa suffisance ? De son image d’intellectuel, de son scepticisme affiché, de son rôle social, de son amour pour l’humanité ? On ne sait, mais il veut éduquer les gens et cela, on le comprend ne peut se faire que sur un plan intellectuel, d’homme à homme en quelque sorte même si lui est plus apte que l’autre qui l’observe, quelques marches plus bas, comme le visionnaire qu’il n’est pas. En dessous de cette plate forme de reconnaissance déséquilibrée qui semble vitale pour Normou, le vide, un néant aliénant, une régression surgie d’une littérature bonne pour le club du Reader’s Digest.
Revenons alors aux concepts de ce rien, aux bases argumentatives de Normou. Résistance, auto défense, qui plus est intellectuelle ? Où sommes-nous, nous qui ne sommes point des intellectuels (qui trahissent toujours, rappelle-toi Normou ton propre article sur les intellectuels). Voilà bien les limites de la chose : il s’agirait de penser différemment, d’éveiller la pensée critique mais, ce qui saute aux yeux dans cette vertueuse proposition c’est que le terrain matériel et historique, le moment d’apparition de cette pensée critique navigue en orbite, sans trajectoire réelle. Une suite d’anecdotes ponctuées de commentaires poussifs configurent-elles la validité de nouvelles formes de pensée où avons-nous là un livre de plus sur une recherche dévoyée de la conscience, l’alibi d’un compromis ? Les lumineuses explications de Baillargeon ressemblent beaucoup à des recettes confuses, un sous produit psychologique de l’économie politique. Elles s’élèvent comme un miroir entre la volonté subversive et son point de mire. Baillargeon articule son rôle avant tout, il ne peut désintégrer ce rôle et l’image romantique et fausse du penseur anarchiste et sceptique. Il entend au contraire le renforcer dans la figure du penseur responsable, raisonnable et même sage, vertueux dans son vieux sens philosophique. De cette façon, il renverse la force en faiblesse et la pensée critique invoquée comme résultat final devient, au fur et à mesure des pages, quelque chose d’abstrait, d’extérieur à soi, sans mobiles et sans fins, une sorte de lubie de secte avec ses grands prêtres comme Sagan, Chomsky et bien sur Baillargeon qui refuse de déserter sa geôle. Un livre à la recette éprouvée semblable à ces livres d’ésotérisme, de psychologie facile tant à la mode, un livre qui aurait du être publié par Ganesha plutôt que par Lux, un livre qui tangue entre un psychologisme facile et des recettes sociologiques banales, un livre qui utilise le langage de la croyance (celui du Dieu Chomsky) pour combattre d’autres croyances. Un livre enfin qui court-circuite les problèmes qu’il entend dénoncer.
Par ailleurs, le terme de résistance, ou d’autodéfense est, du point de vue historique, un concept particulièrement insuffisant. Il est vrai que les mouvements anti-mondialisation s’incarnent bien dans ce concept fourre-tout qui leur sert essentiellement à avancer des idées réformistes et à aménager la société pour moins d’inégalités, moins de pauvretés mais sans qu’il soit bien entendu question, sous couvert de réalisme, de les supprimer.
Baillargeon applique ses thèses professorales avec un sérieux militant pénible mais il est vrai constant. Du Couac à son livre, il sévit en écrivant une littérature pour convalescents rebelles qu’il faut guérir.
Signalons que Normou nous prépare
pour demain un futur livre avec une rafale d’articles annoncés sur l’éthique[8].
Vaste débat, sujet labyrinthique, équivalent général assez lourd pour justifier
l’immobilisme mais peut-être pas pour interroger l’éthique d’un Baillargeon anarchiste
qui cohabite avec des nationalistes à peine reconvertis dans l’altermondialisme
comme Pierre Vadeboncoeur.
Rappelons que c’est de la praxis que peut renaître la conscience de la totalité et celle-ci a appris à ne jamais se suffire d’objectifs intermédiaires. La conquête historique se fait du point de vue de la totalité. Or que montre Baillargeon dans son « Petit cours d’autodéfense intellectuelle »? Une radicalité dénudée ramenée à des techniques scientifiques, des automatismes, des stimulis sans connaissance vivante et sans désirs où la subjectivité ne se dévoile pas, une pensée réduite en miniature. Le contraire d’une pensée critique.
Ce n’est pas dans des pratiques
intellectuelles d’autodéfense sans volonté de dépassement que se joue la lutte
contre les guerres et les opérations de police. Hâtons plutôt l’implosion du
monde actuel si cela est possible mais surtout pas par une résistance solitaire
et dérisoire, limitée à être seulement « intellectuelle ». Une
résistance isolée demeure en terme stratégique un composant réactif, rarement
polarisé. Elle est le premier versant d’un cri plus essentiel et plus complexe.
La résistance isolée, solitaire, est caractérisée par sa valeur, sa tolérance
et sa puissance. Sa tolérance doit nous la faire tenir à l’écart, ses
valeurs et sa puissance dépendent d’éléments qui lui sont extérieurs et qui lui
impulsent la pertinence de sa forme et l’originalité de ses forces. Ainsi un
projet radical de changement social fonde sa propre cause sur lui-même et c’est
là qu’il faut identifier les vecteurs du dépassement de toute résistance, sur
le refus de toute fausse objectivité, sur le retour du subjectif, sur la fin de
l’antagonisme radical entre le vraisemblable et le vrai, sans tolérance et sans
compromis. Sémantiquement, la résistance n’est jamais un ennemi irréconciliable
d’avec le monde qu’elle combat, elle peut même en être un moment particulier car
elle n’est pas toujours généralisable du point de vue radical de la critique en
actes, d’une critique qui se sait négation. Les esprits lucides de ce temps
doivent savoir définir les champs de ruptures possibles, détourner en
vérité critique les sens abusés, fixer eux-mêmes leurs propres règles sous
peine de reconduire précisément ce qu’ils nient dans leur pratique et leur
théorie. Ils doivent ouvrir à une connaissance réelle par une pratique concrète
de la rupture, en évitant les fausses sorties offertes par l’idée même de
résistance, idée qui contient déjà l’absence à la radicalité mais autorise le
maintien ou la reconstitution du monde aliéné. Baillargeon nous propose de
comptabiliser le « taux de liberté », de choix et d’autodétermination
dans le cadre donné des rôles sociaux ou l’intellectuel se consomme en
« personne sociale ». Sommes-nous sociaux à ce point dans le
processus de la guerre en cours ?
Alors quoi ? Pour désagréger la puissance de la coercition, nous utiliserons plutôt le détournement, du sabotage, de l’ironie critique et matérielle, des pratiques anti-idéologiques liées au refus des rôles, une critique véritablement terroriste. Ce sont des pratiques à réinventer pour sortir des temps morts et des illusions véhiculées par Baillargeon et consorts. Il faut pour dépasser la mesure, un débordement permanent des frontières au quotidien et qui ne sont pas seulement symboliques loin de là.
On meurt, on crève de trop résister, on étouffe à éviter les coups sans forcément en donner : zones vertes, zones rouges, ce jeu n’en est pas un…..
Convenons toutefois que
Baillargeon a inventé un concept original : le principe de « charité
argumentative[9] ». Le retour du
refoulé sous sa forme religieuse nous manquait assez peu, mais avec Baillargeon
rien n’est impossible. Une telle pensée sent la soutane souillée et le
confessionnal, pas le changement social.
Reste les questions de la participation et du militantisme qui, sans doute, soutiennent un projet, du genre « mieux vaux faire quelque chose que ne rien faire ».
À cela Guy Debord a depuis longtemps répondu : « … Ce sont les lois de la pensée dominante, le point de vue exclusif de l’actualité, que reconnaît la volonté abstraite de l’efficacité immédiate, quand elle se jette vers les compromissions du réformisme ou de l’action commune de débris pseudo révolutionnaires. Par là le délire s’est reconstitué dans la position même qui prétend le combattre. Au contraire, la critique qui va au-delà du spectacle doit savoir attendre.[10] »
Morts emboitées
La participation et le militantisme doivent-ils négliger
toute pensée critique et dialectique d’envergure ? La présence sociale des peu talentueux
rédacteurs du Couac sur des bases théoriques aussi éclectiques pour ne
pas dire opposées, signifie se ranger dans un camp où la confusion sert
l’ennemi. Il semble que l’on ne puisse comprendre cette situation sans frôler
le concept de récupération et d’intégration, car il n’y a dans les articles du Couac
ou dans le livre de Baillargeon aucune envie de négation, mais une simple
incohérence qui représente assez bien une improvisation de gestes, le mélange
ordinaire de la contre culture, une tendance vers un renouvellement qui ne se
rend pas compte que sa pensée est déjà vieillie depuis longtemps parce qu’elle
est une pensée de la reddition sinon une dégringolade dans l’auto
commisération.
Le Couac et Baillargeon s’avèrent assez bien placés
pour tenir encore quelque temps dans l’extrême décomposition culturelle de la
pensée sociale de gauche québécoise actuelle dont ils semblent en effet deux
des fleurons les plus purs.
Titusdenfer666@yahoo.ca
[1] Journaliste et chroniqueur
parlementaire au journal le Droit d'Ottawa de 1945 à 1951. Chef des
services de rédaction, puis directeur de la distribution française à l'Office
national du film de 1951 à 1960. Rédacteur en chef au magazine Maclea de
1960 à 1964. Directeur des exposants pour Expo 67 de 1964 à 1968. Journaliste
indépendant, conseiller en information et interprète de 1968 à 1976. Collabora
à plusieurs émissions de télévision et de radio diffusées à Radio-Canada,
notamment la télésérie
[2] « Éloge de la défaite », vol.6,
numéro 3, décembre 2002.
[3] Lire sur ce sujet
Oiseau-tempête n°8 (été 2001), «Contre-Attac : tromperie sur la
marchandise », mais si l’on veut du
local : « Révolte consommée, le mythe de la contre-culture »
Trécarré, Montréal,
[4] Les seuls articles
lisibles de notre point de vue sont ceux (rares) qui traitent avec une certaine
sensibilité de situations humanitaires.(Voir Charkaoui face à la machine, vol.9, numéro 8, mai 2006).
[5] Planète stérile, Clôde de Guise, Le Couac, avril 2006, p.1.
[6] L’Iran peut fabriquer
des montres Mickey Mouse qui brillent dans l’or noir, Juan Cole, Le Couac, Mai 2066, p.1. Juan Cole, Professeur
d’histoire moderne du Proche-Orient à l’université du Michigan, auteur,
notamment, de Sacred Space and Holy War. The Politics, Culture and History of
Shiite Islam,
[7] D.D. est bien connu dans
le milieu anarchiste québécois non pour son implication mais en faire son objet
d’étude. Méfiance !
[8] Introduction à l’éthique, Le couac, vol. 9, numéro 8, p.6.
[9] Petit cours d’autodéfense,
p. 80. «…selon lequel nous devons présenter les idées que nous contestons sous
leur jour le plus favorables. » Qu’en est-il Normand, du négationnisme, du
racisme, de l’antisémitisme, du chauviniste, du nationalisme ? Quels sont
leurs jours le plus favorable ?
[10] Thèse 220, La
société du spectacle.