Joueb.com
Envie de créer un weblog ? |
ViaBloga
Le nec plus ultra pour créer un site web. |
C’est donc le révolutionnaire que nous avons
lu, celui qui demeura inspiré longtemps par l’aventure situationniste et par la
dimension catalane et espagnole de la révolution libertaire de 36.
L’histoire, en effet, ne s’oublie pas, les
combats du présent continuent sur des registres divers et avec des énonciations
qui se cherchent en son nom partout dans le monde. Combinée avec la mémoire
vivace d’autres tentatives ultérieures, une pratique historique, et qui se sait
comme telle, tente toujours de raviver un intérêt trop souvent obscurci ou
dégradé pour un autre présent métamorphosé par l’utopie dont dépend toute
connaissance comme remède à l’existence.
Le livre de Vidal s’attaque avant tout
au postmodernisme responsable selon lui du processus de décomposition des
acquits de la Révolution des Lumières du
XVIIIe siècle dont il se pose comme un des héritiers. Mais c’est surtout les « cultural studies » que Vidal, après
Chomsky et quelques autres, entend faire tomber du piédestal universitaire,
étatique et médiatique.
Ce petit livre est un curieux condensé
de subversion et de pensées rétrogrades où l’absence de références et
d’attributions des citations et de bibliographie paraît être un argument
révolutionnaire inédit. Il reste qu’il est curieux que les quelques analyses
disponibles sur le Web, entre blogs et articles, ne considèrent, dans
l’ensemble, que la seule critique du postmodernisme et des cultural studies des
universités américaines auxquels Servitude
et simulacre semble en effet consacré, sans tenir compte des dérives de
cette attaque en règle, dérives qui culminent avec la dénonciation tous azimuts
du retour présent du religieux. Le religieux étant surtout ici le sujet du jour
en France et dans le monde depuis 2001, à savoir l’islam, militant ou non, et
ses répercussions sur l’émancipation des femmes. Avec des relents flous et
suspects, ces diatribes anti-islamiques semblent parfois étrangement racistes
derrière l’affirmation d’un nécessaire retour de l’histoire qui reprend et
s’appuie sur les analyses du jeune Marx et certains moments insurrectionnels inspirés
par l’idéal libertaire. Voilà rapidement tracé, le paradoxe de ce livre :
il se veut éminemment « moderne » mais déjà fort en retard sur la
question du postmodernisme, il cède à l’air du temps en ciblant la religion
islamique tolérée par les penseurs et les militants de gauche, attaque leur
tolérance et parfois leur humanisme au nom du retour de l’histoire et du
respect des valeurs morales de la révolution et d’une dialectique
intransigeante. Ainsi beaucoup trop d’amalgames tuent le sens et l’idéologie
qu’on pensait éloigner pointe son gros nez et le défi devient aveuglement.
En tant que parti-pris du livre, il paraît
d’emblée étrange de voir les traces de la déconstruction postmoderne dynamiter partout
les luttes où de les voir saper comme une force vive consciente d’elle-même les
velléités théoriques actuelles ou le simple rapport à l’histoire porteur des référents
qui sous-tendent plus ou moins fortement, plus ou moins faiblement parfois, les
luttes partielles il est vrai éclatées sur différents fronts séparés pour le
moment.
Il ne serait pas vain de considérer aussi
le rôle majeur et les prolongements de la critique de l’aliénation et de
l’idéologie menée dans les années 60/70 par plusieurs groupes radicaux dont les
nexialistes. La difficulté pour ceux qui se réclament aujourd’hui d’un projet
de subversion sociale unitaire consiste plus que jamais à rester au diapason d’une
praxis dialectique en lutte et
anti-idéologique et non de se cantonner à la seule interprétation des luttes,
de ne plus faire dans l’idéologie et dans les raccourcis théoriques saisissants
face à un pouvoir et à une répression augmentée.
Ce qui constituait l’esprit des Lumières,
l’universalité, l’humanisme, la laïcité, la liberté, esprit concrétisé en
partie par la Révolution Française, a été écarté au profit de thématiques postmodernes
(mais aussi d’un rejet violemment anticommuniste[1]
suite à la décomposition du bloc communiste) qui valorisent entre autres, le
non-engagement et le renoncement et parmi plusieurs impasses, « réduisent
le passé européen à son histoire coloniale ». S’il est facile de constater
cette affirmation dans les théories scientifiques, philosophiques actuelles, il
n’en est pas moins vrai que les luttes actuelles ne sont pas pour autant
réduites à rien. Ainsi même les luttes partielles comme celles générées par la
contestation des injustices et des errements de la mondialisation peuvent
basculer à tout moment vers une contestation globale. Le point de vue révolutionnaire
sur ce moment particulier de notre histoire doit être à même de faire lien avec
son propre passé déformé, représenté, réduit en un ennemi individualisé pour
tous. Vidal n’entame pas de dialogue avec l’histoire ni avec le présent, son
régime esthétique est celui de la recherche du bouc émissaire, qu’il soit queer, arabe, postmoderne.
Ceci étant, les cultural studies répandues
dans les universités américaines, et critiquées avec raison par Jordi Vidal, ont
poussé jusqu’à la caricature ce vaste mouvement de déconstruction, en réaction
aux chercheurs marxistes mais aussi face à l’idée même de révolution devenue synonyme
de barbarie ou de perte identitaire et dévalorisation de l’idéal démocratique. Elles
ont dévidé jusqu’à l’outrance la valorisation de l’individualisme,
l’inaccessibilité de l’histoire, la fin des utopies. Les cultural studies ont
contribué grandement à l’immense confusion de la pensée moderne, précisément lorsqu’il
s’agit encore et toujours d’élaborer les outils pratiques et théoriques de la
compréhension du monde et les grandes lignes théoriques d’un savoir-être
subversif, de chercher la vérité critique des luttes et les nouveaux modes
d’organisation et de résistance autour des nœuds sans cesse plus resserrés de
la dépossession. Les idées des cultural
studies ont été portées par des
disciplines aussi diverses que la philosophie, la sociologie, la littérature,
l'anthropologie, l'ethnologie, la philologie, la psychanalyse, la linguistique
et la sémiotique. L’essai de Vidal absolutise leur influence et leur système de
pensée dans la pensée occidentale bien qu’il soit difficile de parler de
l’homogénéité d’un tel mouvement si idéologiquement éclaté. On peut lire dans
ces cultural studies la construction et l’aveu d’une renonciation devant un
étant social où plus rien n’est lisible dans sa vérité mais au contraire
consommable dans son contraire, un contraire interprétable à la convenance de
tous, identifiable non plus comme réalité mais dans sa seule représentation qui
elle-même peut être déformée et changeante selon l’actualité et les besoins.
Tout est possible selon les cultural studies, surtout la fabrication de l’insignifiance et la
renonciation à l’histoire et à tout négatif. La pensée en kit est devenue
jetable comme tout mauvais mobilier suédois puisqu’il suffit d’exprimer n’importe
quoi pour être reconnu dans sa différence sans que l’histoire ou des référents
sociaux soient convoqués. Les cultural
studies sont des pseudo-réponses, une
auto-fondation qui ne repose sur rien. Vidal montre bien cette pesanteur des cultural studies et leurs postulats d’origine.
Toutefois, nous y apporterons une nuance :
la répression renforcée partout avec la pensée postmoderne comme alliée ne
contrôlent pas la permanence d’une résistance qui ne semble pas, elle, tout à
fait jetable même s’il ne s’agit pas de pavoiser. Le chaos social théorisé par
Vidal n’est pas forcément synonyme de perte complète comme il le sous-entend,
d’absence définitive de repères ; un monde sensible persiste à s’exprimer actuellement
comme négation du spectacle en cours et sa dialectique, même floue, demeure
synonyme d’émancipation possible ; le futur n’est pas obstrué par un chaos
opaque ; de nombreux individus essaient avec constance de miner les techniques
de représentations du réel en chaos afin de faire surgir de cette
représentation compensatoire la vraie
vie jamais éloignée.
Nous ne ferons pas ici l’analyse
critique du postmodernisme, ce qui serait l’objet d’un tout autre travail que
cette modeste note de lecture. Nous noterons seulement les curieux errements de
la pensée critique du livre d’un auteur qui se préoccupe de radicalité et fait
référence à plusieurs reprises aux luttes des anarchistes espagnols de 1936.
Parmi les apports positifs de cet
essai, la critique de la novlangue est brillante, celles de la multitude Queer, du postféminisme et des Gender Studies devraient, de ce côté-ci
de l’Atlantique, apporter beaucoup et servir de points de repères à celles et
ceux intéressés par la multiplication des genres et des sexes et préoccupés de
postféminisme.
L’analyse critique du Primitivisme
est également convaincante et devrait être popularisée partout alors que John
Zerzan est actuellement dans nos murs. Celle qui lui fait face, les extropiens,
est sommaire mais a le mérite de synthétiser ce mouvement marginal.
Toutefois, à l’opposé de ces
considérations positives, le retour du religieux abordé par Vidal pose quelques
problèmes. Sous le prétexte de dénoncer la complaisance des militants
libertaires, de l’extrême gauche ou de la gauche européenne ou de l’Europe avec
l’Islam et les musulmans, l’extrémisme visé semble tout à coup devenir celui de
l’Islam tout entier directement assimilé au nazisme.
Vidal prend ainsi le risque d’une
prise de position clairement réactionnaire (d’où peut-être la bonne idée du titre
du livre), voire raciste envers la communauté arabe abondamment citée et seule
comptable, où à peu près, du fait religieux dénoncé. Pour mémoire les
extrémismes juif et chrétien sont aussi comptables de parcours pour le moins
aussi chaotiques que l’extrémisme musulman. On aurait aimé le lire dans ce
livre. Tout à coup la radicalité de la critique disjoncte dans l’irrationnel et
la paranoïa (Islam = SS). Elle court-circuite par sa prétention et la démesure
du propos l’objet de sa critique. La dénomination ancienne mais toujours
d’actualité de fausse conscience donne les clés d’une guérison souhaitable. Il
convient alors de relire Joseph Gabel d’urgence. Grâce à son essai sur la
réification, on peut facilement identifier dans le livre de Vidal les
caractéristiques d’un délire pathologique et des raccourcis saisissants (la
persécution des femmes musulmanes, la brutalité machiste attribuée aux jeunes
hommes musulmans, la condamnation de l’islam politique, l’intégrisme religieux
prêt à transformer la société à sa convenance (p.70), le projet liberticide
d’une nation musulmane en gestation, etc.). Sans s’arrêter là, Vidal évoque avec
la figure du « jeune garçon arabe », un machiste typique, un hyperviolent,
un type « qui brûle vive une jeune fille », une brute ignorante, un
être amoral prédéterminé par l’islam. Sombrant dans les pires stéréotypes de la
presse et des policiers et magistrats français, il écrit, pour étayer son
propos et affirmer son contraire à propos des banlieues françaises, que pour la
postsociologie :
« il n’y a
pas d’augmentation de la violence, et [que] celle-ci ne saurait être imputée aux
jeunes gens issus de l’immigration d’Afrique du nord et d’Afrique noire. […] Comment
des victimes aussi parfaites pourraient-elles commettre des actes barbares ; comment pourraient-elles causer des
torts particuliers alors qu’elles ont subi le seul tort recevable, celui du
colonialisme ? » (p. 63)
Cette généralisation,
cette condamnation, mixent postcolonialisme et barbarie des jeunes en occultant
une réalité historique et sociale complexe qui demande d’autres réponses que
les dimensions de la colère et de l’émotion. On aimerait connaître ce qui s’est
produit dans la vie de Vidal pour endosser et généraliser des clichés aussi caricaturaux que la violence des
jeunes, la barbarie, le banditisme tribal, l’intégrisme religieux (p.66). Il ne
s’agit pas ici de valoriser cet autre qui de « victime aspire à devenir
bourreau » (p.67), mais de comprendre l’acharnement de Vidal à accuser de
tous les maux les jeunes des banlieues sous l’angle de l’intégrisme religieux
et de la barbarie, à faire de cet amalgame une confusion orientée vers
l’intolérance sous prétexte de lucidité.
Bien que le christianisme soit - à
de rares reprises - mentionné sur le même plan idéologique que l’Islam, c’est
l’islam, les musulmans et donc par extension les arabes qui sont plus particulièrement
dans la ligne de tir de Vidal. Dans le contexte français, cette vocation à
« cibler » l’islam et particulièrement les jeunes des banlieues est
suspecte même si cette vocation se fait au nom du combat contre la barbarie,
contre « le fanatisme religieux et le sort réservé aux femmes »
(p.66). Survenant à nouveau après le précédent livre de Vidal « Résistance
au chaos » où les mêmes condamnations des mêmes cibles avaient déjà été
formulées sur un registre plus vagues, ce « travers » ne devient plus
anecdotique mais relève d’un système de pensée explicite qui prend le risque de
s’aligner au nom de la défense des Lumières, sur le racisme anti jeune et anti arabe
de l’idologie française et qui se traduit par une argumentation délirante au
sens clinique du terme. Il fut un temps où Vidal se préoccupait des
effets-retours de ses thèses et de sa pratique. Ce temps est manifestement
terminé. Il lui faut maintenant paraître, à la fois intransigeant et drapé dans
la posture d’un Fouquier-Tinville de pacotille, à la fois juge et juré, pour accéder
au rôle d’icône locale de la connaissance et du savoir, matière transhumant de l’Université
Populaire de Perpignan à la galerie artistique de Agnès B (!), personnalité industrielle
très parisienne du prêt à porter où c’est vrai, les « jeunes garçons
arabes » des banlieues sont profilés et interdits de séjour.
Comparer l’Islam et le nazisme
(p.78) relève d’un structure délirante ou de la complaisance coupable,
mentionner un crétin comme l’écrivain Houellebecq (p. 79) et sa condamnation de
l’islam comme « la religion la plus bête du monde » contredit toute
crédibilité sur ce point, invoquer Talima Nasreen et Salman Rushdie (p.74)
(sans doute toujours emmailloté dans la bannière américaine) comme symboles de
la démocratie est risible, traduire l’affaire des caricatures danoises comme
« un enjeu réel de guerre sémantique » revient à aligner la
construction événementiel de l’actualité médiatique, la mise en représentation
de non-événements, comme de véritables enjeux sociaux alors qu’ils ne sont que répétitions
d’une fausse historicité journalistique et de fausses oppositions. Opposer les
luttes des femmes à l’Islam avec des formules qui valent leur pesant d’enclumes
comme celle-ci, tranchante et sublime : « Ce que les femmes ont
conquis de haute lutte ne peut être négocié avec la paix d’aucun culte »
(p. 78) réédite des images d’Épinal tirées du féminisme des années 60/70, ce
qui fait somme toute quelques longues années en arrière où le féminisme n’était
pas une des préoccupations premières dudit Vidal. Sur ce point, la
prolifération de femmes, juges, procureurs, flics, militaires, policières
est-elle une émancipation ? L’émancipation des femmes et des hommes est
intimement liée ; elle dépend toujours d’un véritable renversement de
situations et non du sexe. Le corps et le quotidien des femmes ont été en parti
libérés en Occident. Bien que cette libération y soit encore très inégale, elle
constitue un évident et bienvenu progrès mais elle n’est pas une révolution
pour autant et les conditions d’efficacité de cette libération ressemblent de
plus en plus furieusement à une intégration tranquille, à un partage du pouvoir
sur le plus grand nombre, car les nombreuses femmes impliquées dans les
institutions citées précédemment restreignent grandement à leur tour la
possibilité de l’émancipation de tous. Il n’y a donc pas de raison
d’absolutiser le féminisme qui, seul, isolé dans ses perspectives de
reconnaissance, d’incorporation et de réforme des institutions, est aussi un
mensonge sur le mensonge, un mensonge idéologique.
Quant à la religion, certes
« la critique de la religion est la condition première de toute critique », mais il
s’agit comme l’ont montré successivement dans leur époque Marx, Bakounine et
Debord, de la critique de toutes les religions, expressions d’une fausse
conscience instrumentalisée spirituelle et sociale. Critiquer tels quels les
seuls musulmans, accorder autant de place à la seule religion islamique dans le
contexte des tensions racistes de la société française actuelle c’est céder à la
propagande raciale et à ses stéréotypes : ici l’image du jeune banlieusard
converti, violent avec les femmes, dissocié du monde, hostile, et barbare.
Rappelons que lors des émeutes urbaines
de 2005, la répartition ethnique des émeutiers arrêtés montraient que ceux-ci provenaient
de toutes les catégories ethniques représentées dans les banlieues. Les médias
pourtant avides de clichés s’étaient pour une fois cassés les dents sur ce
stéréotype, mais pas Vidal.
Pour lui faire plaisir et rester
dans le cadre de ses préoccupations, nous citerons un extrait, disponible en
une seconde sur le Web, du rapport de Sant’egidio,
organisme qu’on ne peut taxer de partialité dans ce cas, qui affirme à propos des émeutes françaises de l'automne
2005 que
« plus que par la
tentation jihadiste, c’est par la révolte que s’exprime la revendication
politique lorsque les encadrements citoyens font défaut. L’embrasement des
banlieues d’octobre et novembre 2005 s’est fait sans acteurs religieux et a
confirmé que les islamistes ne tiennent pas ces quartiers. Alors qu’ils avaient
tout intérêt à calmer le jeu pour montrer leur capacité de contrôle, ce fut
largement l’échec: pas d’agents provocateurs barbus derrière l’embrasement, ni
de “grands frères” derrière pour l’éteindre ». Sant’egidio précise
plus loin que « ces
émeutes ont rappelé le grave mal-être de jeunes – souvent français mais
d’origine immigrée – et leur absence de place dans la société. Mal-être
accentué par leurs difficultés pour s’exprimer et communiquer. L’enfermement et
l’isolement dans lequel ils se trouvent, l’absence de reconnaissance de leurs
potentiels, de leur culture et de celle de leurs parents, renforcent leur
sentiment d’hostilité et d’abandon par la collectivité».
(http://www.santegidio.org/uer/2007/int_1521_FR.htm)
Voilà
qui en dit plus long sur l’état social des banlieues en France et sur la
violence des jeunes prolétarisés que toutes les pages de Vidal sur le
postmodernisme ou sur l’Islam : les luttes constituent comme un trait
général de ce monde qui, dans sa réalité sociale, n’est pas si chaotique que
cela ; le postmodernisme, le postféminisme, le postcolonialisme que Vidal
vient de découvrir sur le tard, n’ont pu y changer grand-chose.
En conclusion il manque à ce livre
quelques garde-fous : une lecture sociale plutôt qu’universitaire coupée
de la réalité des luttes, un débat préalable sur ses thèses, le souci de
quelques vérifications pratiques, une praxis adaptée, le privilège de la lutte
et des rencontres. Bien sûr ceci ne serait plus philosophique mais vécu comme pratique
sociale, et ne ferait sans doute ni livre ni philosophe.
Dans ce livre, il manque à Jordi
Vidal le goût de préférer le sens de la mesure aux dimensions de la
condamnation, celui de la nuance aux formules de l’absolu, le plaisir d’une
praxis subversive et donc nécessairement un ego peut-être moins lourd, la fin
des fanfaronnades empruntées au pire lexique situationniste et malgré tout
nuisibles à une carrière spectaculaire, de la modestie, la capacité à une
bienveillante ironie sur soi, et last but
not least un affect moins grand pour la stature de Guy Debord.
Pour conclure, tout se passe comme
si Vidal devenait complice de ce qu’il dénonce en absolutisant et en
officialisant ce qu’il entendait démystifier. La proximité de l’institution
universitaire qu’il dénonce, une posture philosophique semblable à celle d’un
Michel Onfray, l’éloignent par là-même de toute réalité et de tout discours de délivrance
de l’aliénation. Parler d’un horizon fermé, d’un temps inversé sans parler des gens de rien qui luttent partout a
toujours été notoirement insuffisant.
On cherchera vainement dans ce livre
qui, hormis le seul Vidal, est en mesure de libérer de cette société du chaos dénoncée
au fil des pages comme le mécanisme ultime de la domination. L’aveuglement est
aussi un choix politique.
Titusdenfer
[1] Citons parmi une infinité de penseurs révisionnistes, l’historien François Furet, ancien militant communiste, qui a particulièrement bien servi la cause de la dévalorisation des acquits de la Révolution française en assimilant Terreur et Révolution en une seule conséquence alors que l’historien Arno Mayer, preuves à l’appui, démontrait le contraire. Il n’est donc pas impossible de trouver, pour qui cherche, autre chose que le chaos et un univers fermé dans le présent contemporain.