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La véritable scission d'AC !
Lu sur Courant alternatif : "Alors que le gouvernement poursuit inlassablement sa politique de stigmatisation des chômeurs et de réduction de leurs droits, le mouvement AC ! (Agir ensemble contre le chômage) connaît sa première réelle scission, après un peu plus de dix ans d’existence pourtant déjà très tourmentée. Cela s’est passé à l’automne dernier, lors des assises du mouvement, au Mont-Dore, dans le Puy-de-Dôme.

Evidemment, la situation n’est toujours pas clarifiée et deux secrétariats différents s’affirment “ secrétariat des collectifs ”. Mais en regardant les choses d’un peu plus près, on se rend compte qu’il y a bien d’un côté un réseau de collectifs réellement existants qui produit des analyses, fait des actions, entretient le site Internet et continue à utiliser les outils historiques de liaison entre les collectifs comme les listes de diffusion tout en assurant une permanence nationale ; et de l’autre une poignée d’individus absents du terrain, communiquant avec la presse et ayant créé d’autres listes de diffusion dont l’accès est soumis à cooptation. Mais ce sont ces derniers qui, par leur maîtrise des mécanismes institutionnels, ont pu partir avec la caisse, laissant sans ressources celles et ceux qui continuent à entretenir le réseau. Entre ces deux pôles, il y a un ensemble de collectifs qui ne se sont pas positionnés et qui, de fait, se sont repliés sur leur terrain local. Ces assises ont mis fin à plusieurs mois d’échanges de mails au ton parfois blessant entre différentes conceptions de fonctionnement, notamment sur le rôle du secrétariat : fonction technique (rendre compte du courrier qui arrive, assurer le paiement des factures) ou fonction de “ porte-parole ”, de représentation. La dernière charte de fonctionnement du réseau des collectifs AC ! avait clairement tranché pour le premier cas de figure, mais, dans les faits, le permanent du réseau se positionnait dans les médias comme porte-parole et prenait les décisions d’engager la signature d’AC ! tout seul, sans en référer au réseau, toujours au nom de l’efficacité et de l’urgence. Le trésorier, lui, ne prenait même plus la peine d’assister aux coordinations et conservait chez lui la comptabilité et de nombreux dossiers, entretenant ainsi un climat d’opacité et de suspicion.

Mais derrière cet antagonisme à propos du fonctionnement d’une organisation, il y a deux conceptions radicalement différentes de l’organisation. L’une est horizontale ; elle tient compte de la multiplicité des points de vue ; les prises de décision, les positions communes y sont soumises à débat. L’autre est verticale ; elle appuie sa légitimité sur la représentation ; au nom de l’urgence et de l’efficacité, les décisions y sont prises par un petit cercle restreint (voire une personne) et ne sont pas soumises à débat. C’est sur cette question que s’est structuré l’antagonisme qui a abouti à la scission.

“ Un éloignement provisoire ”

En septembre dernier, les partisans du “ centralisme démocratique ” ont lancé l’offensive par un texte initié par l’un d’entre eux puis signé par quelques autres. On peut y voir se profiler le putsch. En effet, ce texte propose d’entrée de jeu un vote lors des assises. Or cette procédure est exceptionnelle puisque, historiquement, c’était le consensus qui avait cours dans le mouvement. Dans un deuxième temps, le texte propose d’exclure des militants, avec l’emploi d’une novlangue qui fait assez froid dans le dos : “ un éloignement provisoire et nécessaire à la clarification, à la reprise d’activités politiques réellement constructives ”. Il affirme ensuite la nécessité de nettoyer le local d’AC ! de celles et ceux qui l’occupent indûment, en l’occurrence le collectif AC ! Air libre, qu’il ne nomme pas explicitement mais tout le monde peut le reconnaître. L’auteur de ce texte exprime ensuite sa souffrance de ne plus pouvoir assumer de porter fièrement son badge AC ! à cause de la manière d’agir du même collectif (toujours pas nommé). Et c’est sans doute là qu’apparaissent vraiment les choses les plus importantes de ce texte pour situer des enjeux futurs : “ Nos relations avec les partenaires et alliés politiques avec qui nous avions coutume d’agir — sur nos positions — sont devenues exécrables. A la fin d’une manifestation (victimes d’incendies dans les immeubles insalubres), un affrontement physique fut évité de justesse avec les membres d’un parti politique — par ailleurs fort critiquable... Ce type de comportement ajoute à notre discrédit déjà grand. ” Le parti en question, ce sont les Verts, mouillés en tant qu’élus dans la gestion de l’urbanisme et de l’habitat parisien et attaqués en tant que tels par les militants d’AC ! Air libre, également investis dans un comité des mal-logés en colère.

On peut poser l’hypothèse, à partir de ce morceau de texte, que la pratique autonome de certains collectifs AC ! gêne les recompositions en cours à la gauche de la gauche, dans la perspective de l'élection présidentielle de 2007. Ensuite, ce texte propose un “ retour aux fondamentaux ” d’AC ! : la réduction du temps de travail à 32 heures et le droit au revenu, pensé comme réponse à l’urgence mais aussi comme redéfinition de la question du travail. Et celles et ceux n’entrant pas dans ce cadre revendicatif se voient traités de “ handicapés sociaux ”, de “ bras cassés radicaux ” et de “ lumpenproletariat ”. Au moins, la conception autoritaire de l’organisation est explicite. Et d’ailleurs, le texte abat ses cartes dans ce sens-là : le secrétariat doit rester dans la capitale. Pourquoi ? “ Pour des raisons évidentes ”. L’équipe ainsi reconstituée doit pouvoir fonctionner avec efficacité. Premier acte à accomplir : assurer la réconciliation avec les associations, syndicats et partis politiques que toutes les pratiques irresponsables ont éloignés du mouvement.

Ce texte a été signé ensuite par une quinzaine de personnes et a servi de base au putsch, ce qui était sans doute sa fonction réelle, puisque ça n’est pas sa qualité théorique qui en fait l’intérêt.

L’autonomie des luttes

Bien que très médiocre, ce texte a provoqué un débat intéressant qui aurait pu permettre de dépasser cette situation si la volonté de débattre avait été partagée. Ainsi, une militante d’AC ! 93-Est produit un texte où elle exprime sa conception du fonctionnement d’AC ! : “ (...) AC ! doit continuer à être un réseau de collectifs qui grâce à ses luttes spécifiques, selon son lieu, ses moyens et sa réalité du terrain porte les paroles, les revendications des précaires. Plus les luttes se multiplieront, plus tôt nous entrerons dans un rapport de forces conséquent car l’autonomie des luttes n’est pas opposable à l’émergence d’une lutte de classe avec ses propres revendications. ” Et elle ajoute : “ Pour ceux qui souhaitent entamer un divorce ou une scission présentant certains militants comme les “méchants pauvres” qui ne comprennent rien à la politique, je pose la question suivante : pourquoi présenter les actions menées par “Air libre” comme des actions contreproductives, alors qu’elles ont initié des volontés chez des personnes désabusées et des créations de collectifs ? Les tracts, les discours d’“Air libre” ont amené une nouvelle génération de militants qui ne croient pas aux orgas classiques et qui n’ont pas envie d’être récupérés. Qu’est-il proposé à l’inverse ? Des relations plus que douteuses avec certaines orgas (Copernic, syndicats, Verts), une signature commune sur un appel à manif, comme si lutter se résumait à faire des alliances de circonstance. A mon avis nos luttes sont ailleurs, là où les institutions travaillent à la radiation des chômeurs en les présentant comme les responsables d’un chômage endémique, partout où l’on fait de nous les coupables idéaux, que l’on soit salariés , RMIste, chômeur, français de souche ou immigré.
” J’ai puisé dans le réseau des collectifs (...) et dans “Air libre” un potentiel riche dans ses expériences de lutte mais aussi dans sa diversité, où des individus par affinité et pour des objectifs communs se regroupent, se solidarisent “pour ne plus courber l’échine sous les coups reçus”. Cette diversité qui est une puissance, une richesse, ne doit pas se transformer en organisation pyramidale avec des têtes pensantes qui sauraient mieux que d’autres ce qu’il faut faire ou ne pas faire. ”
Ces deux textes expriment bien les termes du débat. Or celui-ci n’a pu avoir lieu parce que les partisans du “ centralisme démocratique ” n’avaient pas l’intention de débattre mais d’imposer leur position.
Les assises du réseau des collectifs AC! ont donc eu lieu les 15 et 16 octobre dernier. Anne, qui était à ces assises, raconte : “ Certaines personnes présentes étaient des “revenants” dans le sens où cela faisait plus de cinq ans qu'on ne les avait pas vues, ou alors elles étaient inconnues, pour certaines d’entre elles. ”
Le fond des discussions a porté essentiellement sur trois points : la question du secrétariat national (son rôle et qui fait quoi, la question de l'emploi aidé), le fonctionnement interne en réseau (notamment comment et dans quel temps les décisions sont prises), les relations (avec qui et comment on travaille) avec d'autres organisations, et en annexe la question du local national (qui sert de lieu de permanences à la fois pour le national et pour des collectifs locaux) rue Mathis, à Paris.

Surenchère verbale

Le soir vers 11 heure, rien n'était réglé. Déjà, depuis la fin de l’après-midi, certains faisaient pression pour qu’il soit procédé à un vote. Il n’était pas question pour eux qu’il y ait un débat sur le fait de voter, alors que cette pratique est quelque chose d’exceptionnel dans le fonctionnement d’AC !.

Le lendemain, les débat ont repris en plénière sur la question du secrétariat. Certains ont proposé des positions de consensus. Tout de suite ça a été la surenchère verbale. “ On arrête les tours de parole, ça suffit, on passe au vote. Ceux qui ne veulent pas voter n’ont qu'à rester dans cette salle, les autres vont dans celle d'à côté. ” On s’est retrouvés dans une situation de coupure. Les collectifs qui voulaient voter, ceux qui voulaient le consensus, et d'autres, déboussolés et non mandatés pour voter qui restaient un peu pour écouter et finissaient par partir, écœurés.

Parmi les “ votants ”, on avait les “ sincères ” qui pensaient qu'il fallait en finir et trancher, et les autres qui ont magouillé clairement. La confiance a ainsi été votée au salarié, et la défiance au président des Amis d'AC! (association “ couverture ” pour les finances du réseau). Un secrétariat a été élu sans que l'on sache quelles tâches il devait effectuer. Un nouveau bureau des Amis d’AC ! a été élu alors que son renouvellement ne figurait pas à l’ordre du jour des assises.

Les collectifs qui n’ont pas voulu rentrer dans ce jeu ont continué, de leur côté, les assises en faisant le compte rendu des ateliers du samedi matin et en discutant de ce qui venait de se passer, comment continuer, et avec qui. Un texte collectif a été écrit, Ensemble, à valider sous huit jours par les collectifs le souhaitant. Une campagne d'action pour le mois de novembre a été alors décidée autour de deux points : le contrôle social et la question du revenu (Unedic). Les bases d'un quatre-pages ont été jetées. C'est un huit-pages qui sera réalisé quinze jours après.

Il y a toujours eu des tensions très vives dans AC !. Alors, pourquoi ce coup-ci cette situation a-t-elle débouché sur une scission ? Peut-être en premier lieu parce que des personnes, des collectifs n’ont plus accepté qu’il y ait de fait une direction occulte. En effet, pendant longtemps, le fonctionnement au consensus a permis une situation assez trouble. Les collectifs étaient autonomes et très hétérogènes. Les assises prenaient très peu de décisions, laissant le champ libre à des “ porte-parole ” qui faisaient un peu ce qu’ils voulaient selon la règle du “ Cause toujours ”. C’est pour éviter cela aussi que la fonction de porte-parole avait finalement été supprimée. Mais comme il y avait des pratiques bien ancrées, cette fonction s’était reconstituée de fait à partir de certains permanents.

Se sentir investi d’un pouvoir de décision

Pourtant là aussi, avec la décision de recourir à des emplois aidés, il s’agissait de procurer du revenu à des camarades qui n’y avaient pas droit. Ces emplois devaient tourner. Mais le problème, c’est que toutes les personnes présentes aux assises qui ont décidé ces créations de poste n’ont pas compris la même chose. La question des permanents a commencé très vite à empoisonner les rapports au sein d’AC !. Le permanent recruté pour une tâche essentiellement technique, la gestion du site web, s’en est tenu à sa tâche, et son travail a fait consensus d’autant qu’il était visible à travers le site web. Il n’en a pas été de même avec les autres permanents. L’un d’entre eux, vivant à Paris, a de fait été identifié par les médias et les institutions comme le porte-parole d’AC !. A partir de là, il s’est senti investi du pouvoir de décision, tout en ne rendant plus compte de ce qu’il faisait. C’est un problème classique que rencontre toute association ayant recours à des permanents. Et quand d’autres militants ont mis leur nez dans ce qui était fait au nom d’AC !, ils sont allés de surprise en surprise. Ainsi, le 16 août dernier, des militants d’AC ! Air libre découvrent que le permanent parisien est membre du “ comité d’animation du site web de la Lettre de l’insertion par l’activité économique ” et qu’AC ! figure dans la liste des “ acteurs et opérateurs nationaux de l’insertion ”. Réactions immédiates de militantEs : “ Nous ne comprenons pas ce que fait AC ! avec tous ces organismes, dont le but est le retour à l’emploi forcé des chômeurs et des RMIstes, le flicage, les petits boulots de merde... Plusieurs de ces organisations esclavagistes ont été occupées par AC ! Air libre, en réaction à la politique d’insertion au niveau national et à celle de la Ville de Paris en particulier. ” Quand on sait en plus que les Verts sont mouillés dans tous ces systèmes qui relèvent de ce qu’on appelle l’économie solidaire…
Autre pomme de discorde : le Forum des luttes sociales (FLS). “ Le FLS, écrit une militante d’Alençon, est un état-major à la mexicaine (beaucoup de généraux, fort peu de troupes) censé représenter quelques organisations (SUD, Droits devant, DAL, Confédération paysanne, etc.) et lancer des mobilisations communes. Il n’a jamais rien lancé, mais il permet à quelques personnes de jouer aux chefs et de se donner l’illusion d’écrire l’Histoire. C’est aussi un des lieux du “mouvement social” d’où doit surgir une “gauche de la gauche recomposée” pour les élections de 2007. Le 9 avril, constatant que, sur le terrain, les militants des organisations censées appartenir au FLS ne sont pas informés de leur initiative, les deux marches (Montluçon et Sud-Ouest) estiment nécessaire de publier un communiqué de presse précisant que “Nos marches sont organisées en toute autonomie, par les précaires eux-mêmes” et qu’elles “ne sont nullement organisées ou chapeautées par le FLS”. Ce qui n’empêche pas le FLS d’organiser deux jours plus tard une conférence de presse pour revendiquer l’organisation de ces marches, ni M. (le permanent d’AC !, NDLR) de jeter à la presse cette pensée profonde : “Ça fait longtemps que les mouvements sociaux ont repéré ce qu’on appelle aujourd’hui le 'malaise social', et nos marches sont aussi une manière d’agir et de se mobiliser ensemble à partir du local.” ” La même militante pointe d’autres problèmes de démocratie : signature d’un appel de la fondation Copernic “ pour un Grenelle de l’UNEDIC ” ; signature avec les associations de chômeurs d’une lettre geignarde adressée aux confédérations syndicales siégeant à l’UNEDIC ; signature d’un texte au côté des Verts du 13e arrondissement dénonçant la politique du logement de la droite après l’incendie d’un troisième immeuble, le 30 août, alors que deux des immeubles déjà incendiés étaient gérés par les Verts par le biais de la SIEMP. Ce tract ne met à aucun moment en cause la politique immobilière de la Ville de Paris. D’où les incidents entre des militants d’AC ! à la manifestation qui a suivi.
Mais ce qui a sans doute été inacceptable pour les putschistes, c’est le refus par les assises d’AC ! d’appeler à voter “ non ” au référendum, au printemps dernier. Là, ils ont senti qu’ils ne contrôlaient plus l’expression politique d’AC ! Or l’enjeu était de taille, à savoir la recomposition en cours d’une force politique à la gauche du PS, avec comme pilier important la Fondation Copernic et ce qui allait devenir les Comités du 29 mai. On retrouve dans cette opération des membres fondateurs d’AC ! comme Claire Villiers, Claude Debons ou Michel Husson. Alors que la décision des assises avaient été prises sans ambiguïté, on avait vu le permanent d’AC !, membre de la Fondation Copernic, revenir à la charge en proposant de signer un texte commun avec l’APEIS et appelant à voter “ non ” ! Et comme ces gens-là estiment être les représentants du “ mouvement social ”, ils ont bien besoin d’avoir un mouvement de lutte contre le chômage à sortir de leur chapeau quand ils voudront propulser leur candidat sur la scène électorale pour la prochaine élection présidentielle.

Christophe (Limoges)
Ecrit par libertad, à 21:48 dans la rubrique "Actualité".



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